L’important n’est pas tant où j’étais le matin du 11 septembre 2001. Ça aurait pu être dans n’importe quel magasin grande surface, comme celui où je travaillais comme préposé à l’entretien. J’avais 19 ans et, en quelques heures, j’ai vu le monde changer. À la télévision, comme tout le monde, mais aussi dans les allées de ce magasin de Beauport.
Ce souvenir demeure clair, même si ça fait 20 ans. En débarquant dans la salle de pause, tout le monde était agglutiné autour de la télévision, ce qui n’était jamais le cas. Le tout dans un étonnant silence.
Au début, c’était les questions. Un accident? C’était incompréhensible. Puis un deuxième avion. J’étais devant la télé lorsque le deuxième a foncé dans l’autre tour. Ça ne pouvait plus être des accidents. Pas obligé de raconter le reste, vous connaissez l’histoire.
Je me souviens que plusieurs craignaient le début d’une troisième guerre mondiale. Sur Internet, les forums croulaient sous les prédictions de Nostradamus, des rumeurs de futures attaques du Moyen-Orient, des complots mondiaux, des scénarios de ripostes américaines apocalyptiques – les réseaux sociaux n’ont rien inventé.
Les critiques envers les États-Unis sont aussi devenues controversées. Souligner les erreurs américaines au Moyen-Orient était maintenant vu comme un appui à Al-Qaïda. Ou presque. L’accusation venait rapidement. La nuance dans le débat public est devenue difficile pendant un moment.
Je me souviens de plusieurs messages qui ressemblaient à « J’ai toujours été critique de la politique américaine, mais je n’ai jamais souhaité la mort d’Américains. » Comme si ce n’était pas déjà une évidence.
Le patriotisme américain a connu un rebond. Le Spider-Man de 2002 se devait de se tenir devant un énorme drapeau américain, comme tous les héros des films américains de cette époque (ça arrive encore, mais c’est moins intense).
On l’oublie parfois, mais le Sommet des Amériques, à Québec, a eu lieu à peine cinq mois avant, en avril 2001. Un moment phare du mouvement altermondialiste, un mouvement très critique envers les États-Unis, envers l’impérialisme américain.
L’altermondialisme n’est pas mort avec le 11 septembre, il y a eu plusieurs actions après – dont l’opposition à la guerre en Irak –, on pourrait même dire que c’est toujours là en fait, puisque cette idée de justice sociale n’a jamais cessé d’alimenter de grands mouvements, mais quelque chose a changé cette journée-là. La vision du monde a changé.
Au-delà de la politique internationale, l’image qui me revient toujours en tête en repensant à cette journée est le regard d’un collègue de travail.
Collègue de travail insulté
Je crois qu’il était Libanais, si ça se trouve, ses racines n’étaient même pas du Moyen-Orient, mais de la Tunisie ou de l’Algérie. Toujours est-il que selon une partie de la clientèle, il avait trop l’air arabe – pour ce que ça veut dire.
Ça n’a pas pris beaucoup de temps. Peu après l’effondrement des tours, il a commencé à se faire insulter par des clients et des clientes. Au point que le directeur lui a suggéré de prendre ça off le reste de la journée. Pour sa propre sécurité.
Son regard était un mélange d’incompréhension, de peur, de doute, de choc. Je crois bien qu’il a attendu une ou deux semaines avant de revenir travailler. Pour rapidement lâcher ce travail devenu trop public pour lui. Être commis dans un magasin était devenu à risque.
J’ai parfois l’impression que cette haine n’a jamais quitté certaines personnes. Des « maudits arabes » on est passé à « l’islamismo-gauchiste ». Un racisme primaire qui essaie de se convaincre qu’il est contre le mal et non contre du monde aussi ordinaire que vous et moi.
La vengeance est un plat qui nous constipe l’esprit et la remontée du racisme est un triste legs de l’attentat de New York.
Malgré les beaux discours, ce n’est pas la justice qui a motivé les actions américaines post-attentat. Attaquer l’Irak, avec de fausses preuves, en est un exemple. Les déboires actuels en Afghanistan aussi.
Les États-Unis ont perdu leur aura de plus grande puissance du monde le 11 septembre 2001 non pas parce que des avions ont attaqué des symboles américains, mais parce que sa réponse n’était pas digne d’une grande puissance.
MICKAËL BERGERON 2021 / 09 / 11
https://www.latribune.ca/chroniques/mickael-bergeron/le-racisme-post-11-septembre-6f5a9e72fbd2bd5213fb61715cadbe61
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