Le chanteur, petit-fils d’immigrés algériens, n’a pas été « élevé dans la haine, le ressentiment, mais dans l’acceptation des autres»
Slimane en 2018 À Paris. (Photo by Thomas SAMSON / AFP) (THOMAS SAMSON / AFP)
« J’appartiens à la troisième génération, comme on nous appelle. Mes parents sont nés en France. Ce sont mes grands-parents qui ont émigré. De Biskra, côté paternel ; Ghazaouet, côté maternel. Ils sont venus au début des années 1960 en banlieue parisienne, pour travailler dans les usines à charbon de Montfermeil. Ils dormaient dans des bidonvilles. Les parents de ma mère dans celui de Montfermeil, de mon père dans celui de Nanterre [au milieu des années 1960, près de la moitié des immigrés algériens vivent dans des bidonvilles, la « Folie », à Nanterre, l’un des deux plus grands de France, en abrite 14 000, NDLR]. Mon père a passé les premières années de sa vie là. Mon grand-père paternel a pris la mer avec des rêves pleins la tête, l’espoir d’avoir un travail, une vie meilleure, de labourer un champ pour ses enfants. Ma grand-mère a élevé 18 garçons et filles dans un appartement de Montfermeil. Mes quatre grands-parents, morts en France, sont enterrés en Algérie, là où ils sont nés.
Je les ai connus. Je me souviens de leur fierté d’avoir pu nous donner notre chance, de leur joie de vivre, des fêtes familiales. Ils avaient des métiers difficiles, épuisants, ils s’étaient arrachés de leur pays, ils en avaient sans doute une nostalgie terrible, ils souffraient probablement du racisme, mais ils ne me l’ont jamais dit, ils avaient émigré pour nous. Cela a sans doute été plus difficile pour mes parents. Mon père, né en 1964, ma mère, en 1967, ont vécu leur jeunesse dans les années 1980, forcément tiraillés entre la culture algérienne de la famille et celle, française, de leurs amis, de leurs camarades d’école.
Je cuisine le couscous et le gratin dauphinois
C’est plus simple pour les petits-enfants, je pense. Je n’ai pas été élevé dans la haine, le ressentiment, mais dans l’acceptation des autres, le dépassement de soi, la fierté transmise de mes grands-parents, de s’être dépassés, d’avoir, pour leurs enfants, quitté leur terre. J’ai grandi avec la Coupe du Monde de Football gagnée en 1998 par la France « Black, Blanc, Beur », avec « Un, deux, trois, soleil », l’album de Rachid Taha, Cheb Khaled et Faudel. Dans ma cité, à Chelles, dans chaque immeuble, il y avait des Algériens, des Marocains, des Serbes, des Juifs, des Gitans. On était tous potes.
Je vais régulièrement en Algérie, au minimum tous les deux ans. A Oran, Biskra, Ghazaouet, les berceaux de ma famille. J’ai l’amour de l’Algérie, comme de la France. J’ai essayé de prendre le meilleur des deux. Je cuisine le couscous et le gratin dauphinois. Dans ma musique, je mélange l’oriental et la variété française. Je me rends compte que cette Histoire avec un grand H, la colonisation, la guerre d’Algérie, je la vis avec plus de recul que mes grands-parents et parents. A la maison, on parlait français. Je ne m’exprime pas couramment en arabe. Nous sommes quatre enfants, tous bien intégrés. Mon frère finit un cursus à la Sorbonne. Moi, je suis chanteur.
Mais depuis les attentats islamistes, l’atmosphère a changé. Ça m’est arrivé de demander mon chemin dans la rue et de voir la crainte dans les yeux de mon interlocutrice. Le fait d’avoir parqué les immigrés et leurs enfants dans les cités n’arrange pas les choses. On a l’impression de deux mondes qui s’opposent. Ça m’inquiète un peu. Les clivages se sont accentués. Je viens de Seine-et-Marne. La première fois que j’ai mis un pied à Paris, pourtant à 20 km seulement de chez moi, j’avais 18 ans. Traverser le périphérique, pour un gamin de banlieue d’origine algérienne, c’était partir au bout du monde. On manque de ponts entre les cultures. Il va falloir en créer. On est des millions de jeunes, des deux côtés de la Méditerranée − Français, Algériens, Franco-Algériens −, à vouloir des passerelles, du métissage, du partage. La jeunesse est forte, j’y crois. »
Slimane, né en 1989 à Montfermeil, est auteur-compositeur-interprète. Après avoir gagné la cinquième saison de « The Voice : la plus belle voix » (TF1), en 2016, il a réalisé deux albums, « A bout de rêves » et « Solune ». Il a remporté l’an passé, avec la chanteuse Vitaa, le trophée de la meilleure chanson originale pour « Ça va ça vient » aux Victoires de la musique.
https://www.nouvelobs.com/memoires-d-algerie/20210125.OBS39344/mon-algerie-par-slimane-depuis-les-attentats-l-atmosphere-a-change-les-gens-ont-peur-de-nous.html#
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