LE CLIN D’ŒIL DE SERGE RAFFY. Etrange débat télévisuel sur France 2, entre Gérald Darmanin, premier flic de France, et la présidente du Rassemblement national. Presque trop courtois, trop complaisant. Mettant Marine Le Pen quasiment sur orbite présidentielle. Erreur d’un soir ou calcul délibéré de l’Elysée ?
Marine Le Pen et Gérald Darmanin sur le plateau de « Vous avez la parole », sur France 2 le 11 février 2021. (Capture d'écran)
Fallait-il organiser ce duel entre la patronne du Rassemblement national (RN) et le ministre de l’Intérieur actuel, en pleine pandémie, alors que les Français ont le regard tétanisé, non pas sur les courbes des sondages, mais sur celles des admissions dans nos services d’urgence ? La réponse est dans la question. Derrière les clins d’œil, les sourires de complaisance, les haussements d’épaule, les chamailleries autour des chiffres sur l’immigration ou du nombre de fichés S, la foire d’empoigne tant vantée par les organisateurs s’est révélée une fontaine d’eau tiède. Comme si nos « combattants » discutaient hors sol d’un sujet pourtant capital pour l’avenir de notre République. Comme si leur passe d’armes, certes, à fleurets mouchetés, avait quelque chose de suranné, de terriblement daté, ou tout simplement d’impromptu, d’erreur de timing.
Cette étrange sensation d’assister à un « match amical », au sens sportif du terme, c’est-à-dire qui ne compte pas vraiment, s’explique pour plusieurs raisons. La première, évoquée par Marine Le Pen elle-même ? Sur le ring, le vrai adversaire de la dirigeante du Rassemblement national, Emmanuel Macron, était absent. Elle n’avait à se mettre sous la dent qu’un « sparring-partner », un rival de qualité mais qui, involontairement, l’a aidée à se préparer pour les joutes présidentielles à venir. Marine l’Indomptable devait donc ménager ce placide ministre de la macronie, travailler son image de femme modérée, prête à gouverner, poursuivant inlassablement son entreprise de dédiabolisation pour percer le fameux « plafond de verre » que tous les sondeurs prédisent comme étant de plus en plus fragile.
Pourquoi ne pas avoir poussé Marine Le Pen dans les cordes ?
Dans ce cadre, Gérald Darmanin a fait le job pour le président. Sérieux, précis, corrigeant calmement les énormités proférées par son interlocutrice, il n’a pas ménagé sa peine pour prouver qu’en matière de lutte contre l’islamisme, il n’avait pas de leçon à recevoir de sa voisine. Mais en prenant des gants, jouant la carte du gentleman débatteur. En affrontant, Marine Le Pen, le premier flic de France, en termes de poids politique, a franchi un palier, sans aucun doute, mais c’est un palier de verre sur lequel il s’est posé. Car, au fond, il a offert une forme d’adoubement macroniste à la pasionaria du RN. C’était sans doute même l’essentiel de ce combat plutôt fade, à dessein, pour ne pas dire insipide. L’objectif ? Faire infuser dans l’opinion l’idée que le vrai match, lui, était programmé pour le printemps 2022 et que ce duel-duo n’était qu’un amuse-gueule, un prologue pour rien, un match exhibition, si on peut dire. Le vrai match ? Macron-Le Pen, bien sûr. C’est cette musique, quasi subliminale, que l’on entendait à bas bruit, pendant plus d’une heure.
Gérald Darmanin aurait pu jouer les Bernard Tapie, qui avait atomisé Jean-Marie Le Pen, il aurait pu cogner comme un sourd, multiplier les uppercuts, qui auraient immanquablement fait grimper les audiences de France 2. Il aurait pu décocher des phrases assassines, afin d’exciter les réseaux sociaux. Pousser Marine « dans les cordes » ? Las, on sentait bien le malaise du débatteur, comme s’il ne devait surtout pas affaiblir la rivale programmée du locataire de l’Elysée, ne pas risquer le « knock-out », le K.-O. pour reprendre un terme pugilistique. A un moment clé de la soirée, il aurait pu l’humilier quand elle perdait pied, encore et toujours, sur les chiffres de l’immigration, ces satanés chiffres qui lui brouillent la vue dès qu’elle s’y aventure. Mais Gérald le Magnanime a simplement souri devant ce flot de balivernes. Pas question de se passer d’elle. Marine Le Pen, « l’idiote utile » du macronisme, selon l’expression léniniste ? C’est sans doute le principal enseignement qu’on peut tirer de cet étrange débat télévisuel. Est-ce vraiment glorieux ?
Depuis le 1er février, le projet de loi visant prétendument à «conforter le respect des principes de la République » est débattu à l’Assemblée nationale. Ce texte de loi a, dès le premier jour, été dénoncé par l’opposition insoumise comme un texte de diversion et de division visant à stigmatiser les musulmans pour servir l’électoralisme des macronistes lancés dans une course à l’imitation de Marine Le Pen. C’est notamment ce qu’avait expliqué Jean-Luc Mélenchon dans son discours parlant d’un texte « inutile et dangereux », expliquant que les débats à l’Assemblée ne manqueraient pas de cibler sans arrêt la même religion et les mêmes croyants : l’islam et les musulmans.
10 jours après le début des débats, c’est maintenant la députée LREM du Vaucluse, Souad Zitouni, qui a exprimé un sentiment similaire en répondant au député LR Éric Ciotti. Ce dernier proposait l’interdiction du voile à l’université et pour les accompagnatrices scolaires. La députée de la majorité a dénoncé un : « tribunal contre l’islam et les musulmans » dans lequel « les accusés ne peuvent pas se défendre ». Des mots forts qui font écho à ceux qu’avaient eus Jean-Luc Mélenchon quelques jours auparavant. Voici la retranscription de l’intervention de Souad Zitouni :
« J’ai l’impression d’être depuis tout à l’heure devant un tribunal, le tribunal contre l’islam et les musulmans. Et malheureusement, les accusés ne peuvent pas se défendre. Il faut arrêter de penser que toutes les femmes voilées sont des femmes soumises. Non seulement ce ne sont pas des majeurs incapables comme on tend à le faire croire puisqu’en réalité elles le font de plein gré. Moi, je suis avocate et je les défends. Il y en a même qui divorce parce qu’elles veulent porter le voile et que leurs maris le refusent. C’est elles-mêmes qui veulent le porter parce qu’elles considèrent que c’est un chemin de spiritualité et que dans ce cadre elles besoin et envie de porter le voile. Je crois qu’il faut arrêter de simplifier le débat en disant que c’est une soumission et qu’elles n’ont pas conscience de ce qu’elles font. Ce sont des majeurs, capables, qui font des études. J’en ai prise en stage qui étaient de brillantes étudiantes et malheureusement, elles pensaient en France que le principe liberté, égalité, fraternité, la République, leur permettrait de vivre leur foi et leur religion.
En faisant ce que vous faites, en leur limitant l’accès dans l’université, dans les transports ou l’espace public, vous enfreignez même ces principes de liberté, égalité, fraternité. Vous ne leur laissez même pas le choix de choisir. C’est cela qui est difficile et incompréhensible. Le vivre-ensemble ça ne veut pas dire le vivre-pareil. On peut être différent et vivre-ensemble, c’est cela le pluralisme. Interdire le chemin de l’école des mères qui sont voilées, c’est interdire l’accès de l’enfant à son intérêt supérieur car il peut à ce moment connaître une autre religion que la sienne. En faisant blocage, que vont-elles devenir ?
Est-ce que vous pensez à leurs blessures ? Est-ce que vous pensez à leurs enfants, comment ils vont le vivre ? C’est assez incroyable de pouvoir légiférer sur une liberté fondamentale, celle de croire et de ne pas croire. La République est laïque, on doit la protéger et elle s’applique à tout le monde. Il y a des femmes non voilées plus soumises que des femmes voilées. Cela aussi c’est un problème. Elles sont sous l’emprise aussi de leurs maris. Ne ramenons pas le débat à un débat sur le tissu mais revenons sur des choses plus essentielles. Cette loi est une loi contre la radicalisation, cette loi n’est pas une éradication du fait religieux. Attention à ce qu’on fait. »
LESconfessions du général Aussaresses, tortionnaire et fier de l’avoir été, conduisent certains à penser que la barbarie, dans un conflit comme celui d’Algérie, était inévitable. Mais à son témoignage, on doit opposer celui d’un homme qui avait une autre conception de son devoir et qui a démissionné pour lui rester fidèle : le général Jacques Paris de Bollardière J’ouvre le quotidien Le Monde. J’y découvre qu’une certaine Mme Boumendjel adjure Jacques Chirac et Lionel Jospin d’exprimer des regrets pour le sort fait à son mari pendant la guerre d’Algérie. Il a été torturé à mort par les parachutistes. Et je me souviens. Je me trouve à Alger au printemps 1957. Il y a eu nombre d’attentats et le général Massu, qui a obtenu de Guy Mollet tous les pouvoirs, y fait régner un véritable état de siège. Mon ami Albert-Paul Lentin, l’un des rares journalistes pied-noir qui, avec moi, font une navette constante entre Tunis et Alger, m’apprend qu’un professeur de droit, René Capitant, qui va devenir plus tard ministre des gaullistes de gauche et qui est en poste à l’université d’Alger, vient de l’alerter. Le professeur Capitant se propose d’abandonner sa chaire pour protester contre le traitement infligé à l’un de ses étudiants, un nommé Ali Boumendjel. Je lui fais répéter le nom. Car un Ali Boumendjel a été mon condisciple au Collège de Blida, dans les classes animées par un grand professeur, Marcel Domerc. Il s’agit bien de lui. Or Ali, je ne connais que lui. Je sais qu’il y a partout des victimes du terrorisme. Partout des arrestations, des disparitions, des tortures, des exécutions. C’est la guerre. J’ai pris parti pour l’indépendance de l’Algérie. Comme Albert-Paul Lentin. Mais ses parents et les miens peuvent être victimes d’attentats. Nous nous sentons doublement concernés. Sauf que cette fois, pour la première fois, la victime a un visage, un homme avec lequel j’ai partagé des souvenirs, que j’ai revu et dont je suis persuadé qu’il n’a pu faire qu’une résistance propre. En tout cas, c’est l’un des miens. C’est lui que l’on a torturé pendant au moins deux semaines et dont on annonce le suicide. Je ne supporte pas. J’alerte d’abord mon journal et Jean-Jacques Servan-Schreiber. Boumendjel était devenu avocat. Il s’était marié. Albert-Paul et moi téléphonons à sa femme. Elle ne peut pas nous recevoir. Dans cette guerre, je vais perdre des amis et de simples relations des deux côtés. Mais Ali Boumendjel est le premier que je connais et sur la mort duquel je voudrais tout savoir. Et, bien sûr, j’apprends de la bouche même de certains parachutistes qu’il ne s’est pas suicidé. On l’a défenestré parce que l’on ne pouvait pas, dans l’état où on l’avait mis, le présenter à une commission d’inspection dépêchée par Paris. Je poursuis mon enquête. Je me fais mon idée. J’arrive à quelques conclusions. Même si elles sont loin, très loin d’être pratiquées partout, la torture et les exécutions sont en général tolérées. C’est mon idée de l’époque. En outre, plus on persuade les Français d’Algérie et le commandement militaire que l’on veut garder à jamais l’Algérie française, plus les uns et les autres s’abandonnent à l’idée que contre le FLN, cet ennemi de l’intégrité nationale, tous les moyens sont justifiés. Et comme ils ignorent les témoignages de personnalités comme Germaine Tillion, Albert Camus et d’autres, ils estiment que protester contre l’usage de la torture, ce n’est pas se soucier de l’honneur de la France, c’est prendre le parti de l’ennemi. Du côté du FLN, c’est un autre raisonnement. Il faut que les populations civiles soient encore plus terrorisées par lui qu’elles ne le sont par les Français. Cette compétition de la terreur, dès que j’en comprends la fatalité, va inspirer ensuite tous mes reportages et toutes mes analyses. C’est en 1976, on ne s’en souvient plus guère aujourd’hui, que le général Massu décidera de publier des Mémoires dans lesquels il justifie la torture. Avant que l’écrivain Jules Roy n’entreprenne de lui répondre, je décide de me rendre en Bretagne près du général Jacques Paris de Bollardière. C’est ici, dans ces colonnes, que ses derniers propos publics ont été publiés. C’était donc dix-sept ans après qu’il eût donné sa démission de l’armée pour protester contre l’usage de la torture en Algérie. Ce qui m’a le plus frappé en l’interviewant, et ce que je retiens de plus précieux aujourd’hui, c’est qu’il tenait à se présenter devant l’Histoire comme un guerrier, il disait même un baroudeur, qui n’avait jamais plaidé en faveur d’un pacifisme non violent et qui avait rempli tous les engagements inhérents à sa fonction. En Indochine, notamment, il avait connu d’horribles combats en face d’ennemis qui n’hésitaient devant aucune barbarie. Simplement, il précisait avec une fermeté altière qu’il avait pu remplir entièrement son devoir de militaire sans jamais, lui, recourir ni à la torture, ni aux massacres collectifs, ni à un procédé qui ôte à l’ennemi sa dignité. Si je cite ce témoignage, c’est parce qu’il répond directement au livre, dont certains saluent la «franchise» dans sa brutalité, du général Aussaresses. Car, après avoir condamné Aussaresses «hypocritement», comme l’a écrit avec pertinence Jacques Julliard, puisque l’on a voulu faire de lui un bouc émissaire, une autre dérive aussi pernicieuse se fraie un chemin. Après le côté «c’est comme ça que cela se passait», arrive le côté «cela ne pouvait se passer autrement». Cet Aussaresses serait un saint-Jean-bouche-d’or un peu simplet, qui nous rappellerait que la guerre c’est la guerre, l’armée c’est l’armée, qu’à la fin des fins tout le monde la fait de la même façon et qu’on ne la livre pas avec des bonnes âmes ni, comme disait Lyautey pour la colonisation, avec des pucelles. Pour bien enfoncer le clou, on cite un autre passage de ce livre où l’auteur demande comment se comporteraient la police et l’armée chargées de réprimer une formation qui ferait exploser des bombes sur les Champs-Elysées et se livrerait à des attentats sur les grands boulevards. C’est à tous ces arguments que l’on peut opposer le retentissant témoignage de Bollardière. Dira-t-on que nous avons à faire à un saint ? Ou du moins à un héros ou à un chevalier tel qu’il n’en existe pratiquement plus ? Ce n’était pas l’avis de Georges Buis, compagnon de la Libération, qui fut un colonel gaulliste en Algérie pour devenir enfin général d’armée, puis notre collaborateur, notre ami, et qui ne nous a jamais tant manqué qu’aujourd’hui. Sans doute ai-je rencontré certains officiers qui admettaient, la mort dans l’âme, l’opportunité exceptionnelle d’interrogatoires incluant des pressions psychologiques poussées mais excluant toute torture physique. S’ils admettaient ces «pressions», c’est qu’ils les estimaient, hélas, parfois nécessaires pour arracher des aveux qui permettraient de sauver des vies. Ceux des officiers qui acceptaient de me parler ainsi étaient malheureux de ne pouvoir s’opposer à cette pratique. En revanche, ils considéraient les exécutions massives, les rasages de mechtas, le pilonnage de villages supposés abriter des terroristes comme indignes d’un officier et incompatibles avec le devoir de l’armée. A la question : «la guerre justifie-t-elle tous les moyens de la guerre», voici ce que m’a répondu Bollardière : «Notre pays, sans même s’en rendre compte, vient de parcourir un incroyable chemin. Je dois en effet vous apprendre et le rappeler à certains, un fait historique. Au temps où nous combattions en Indochine, dans l’indifférence générale de la grande majorité du peuple français, si, dans une popote de parachutistes un officier s’était vanté de pratiquer des tortures, il aurait été violemment désavoué et renié par ses camarades. Les hommes comme moi ne sont ni des naïfs, ni des belles âmes, ni des enfants de chœur. La guerre subversive, je la connais des deux côtés. En 1944, parachuté dans un maquis, j’ai vu des dizaines de jeunes Français sauvagement torturés par les nazis avant d’être massacrés puis enterrés dans une fosse commune. C’était nous, alors, qui faisions de la subversion et de la guérilla. Un officier qui avait sauté avec moi en parachute a terminé sa vie dans un camp de déportation pendu à un croc de boucher. Ce même maquis eut ensuite l’occasion de faire des prisonniers allemands. Je me suis opposé, et violemment, à ce qu’ils fussent traités comme leurs frères nous avaient traités. Plus tard, en Indochine, je n’ignorai pas l’existence de certains cas de torture. Mais j’affirme ici, que chaque fois que j’en ai eu connaissance, je n’ai eu aucune difficulté à obtenir du commandement qu’une sanction immédiate soit prise pour établir clairement la volonté des autorités responsables de s’opposer à cette pratique. Ce n’est pas en un jour que j’ai pris ma décision de demander à être relevé de mon commandement. Quand la bataille d’Alger a commencé, mon service de renseignements m’a informé que, régulièrement, des musulmans de notre secteur disparaissaient dans la nuit sans que nous en soyons informés, nous mettant dans l’incapacité de répondre aux famille des disparus qui nous harcelaient de questions angoissées. J’ai demandé des explications au général Massu. Il m’a clairement exposé la conception qu’il se faisait de sa mission et de sa méthode. Je lui ai déclaré qu’en aucun cas je ne me rallierai à cette conception. Je suis allé voir le général Salan, il m’a paru en accord avec Massu. Puis le ministre résident Robert Lacoste, qui n’a pas pris mon point de vue en considération. Une fois relevé de mon commandement, j’ai éprouvé le besoin de parler de mon cas de conscience avec un homme que j’admirais et dont j’ai été le compagnon dans l’ordre de la Libération. Le général de Gaulle m’a reçu immédiatement. Il m’a écouté avec une très grande courtoisie. Je suis incapable cependant de vous dire ce qu’il a pensé de ce que je lui ai dit. Il a très peu parlé. Il a pris acte. Le seul membre du gouvernement qui a manifesté sa sympathie pour mon comportement, c’est Gaston Defferre.» Je pense, après avoir relu ce témoignage, que le livre du général Aussaresses ne doit pas seulement conduire à l’indispensable examen de notre passé, de nos comportements, et de la responsabilité des gouvernements dans les dérives d’un conflit qui a perverti tant de jeunes Français. Cela doit nous conduire aussi à une réflexion sur la guerre moderne, sur la répression du terrorisme, sur les impératifs de dignité de toutes les forces de l’ordre, sur le devoir, enfin, de désobéissance lorsque l’on demande aux jeunes soldats de se conduire comme des bêtes, sous prétexte que leurs ennemis ne se conduisent pas comme des anges. Bollardière encore et pour finir : «Au milieu de cette grande tourmente, tout est perdu si nous ne nous accrochons pas de manière impérative à quelques principes. Pour moi, l’expression dignité humaine n’est ni vague ni creuse. Aucun combat, aucune cause ne justifient qu’on la sacrifie. Nous entendons dire de tous côtés par les régimes les plus différents et, en France, dans les mouvements les plus opposés, que la fin justifie les moyens. Eh bien, non. Il faut le proclamer : aucune fin ne justifie la torture comme moyen.» J.D.
Par Jean Daniel
Jean Daniel est cofondateur et directeur du Nouvel Observateur
Qui était cet avocat de 38 ans, enlevé par les parachutistes pendant "la bataille d'Alger" en 1957, torturé et assassiné, à qui Benjamin Stora suggère à Emmanuel Macron de rendre hommage pour créer des ponts mémoriels sur la guerre d'Algérie et faire acte de bonne volonté ?
A droite, Ali Boumendjel, trentenaire. Il avait 38 ans quand l'armée française l'a fait prisonnier, puis assassiné. A gauche, sur la photo, Mohand Selhi, qui compte lui aussi parmi les disparus de 1957 du fait de l'armée
Le rapport sur “les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie de 2021" remis le 19 janvier 2021 à Emmanuel Macron par l'historien Benjamin Stora avait pour objectif officiel de "regarder l’histoire en face" d’une "façon sereine et apaisée" afin de "construire une mémoire de l’intégration". La ligne de crête choisie par Benjamin Stora est celle de la reconnaissance à défaut de "repentance" (ou d’excuses). Pour ça comme pour réanimer la volonté politique en berne, il faut des figures. Et l’une des 22 propositions que compte le rapport Stora (que vous pouvez consulter ici) consiste justement à renflouer, côté français, la mémoire d’une personnalité importante de la guerre d’Algérie, Ali Boumendjel : l’historien suggère à Emmanuel Macron de reconnaître que l’armée française a assassiné l'avocat et dirigeant nationaliste algérien en 1957.
Avec cette recommandation, Benjamin Stora met en exergue un dossier essentiel, et laborieux : celui des disparus de la guerre d’Algérie, et en particulier des milliers d’hommes, de frères, de maris, de pères ou d’oncles des Algériens et des Algériennes d’aujourd’hui, qui ont disparu un jour. Ce fut particulièrement le cas dans une période du conflit que l’on appelle “la bataille d’Alger”, et qui correspond à l’année 1957, lorsque le pouvoir civil des représentants de la France métropolitaine en territoire algérien a été confisqué par les militaires. Et en particulier, par des parachutistes. De cette époque demeure la trace d’une impuissance de la justice et de l’administration civile à faire respecter le droit et, en miroir, celle d’une impunité immense. De cette époque, reste, surtout, une mémoire béante dans des centaines de familles où l’on n’a rien su de ses morts. Et un besoin d’histoire.
Combler ce besoin d’histoire, c’est précisément ce à quoi s’était attelée l’historienne Malika Rahal en publiant, en 2011, Ali Boumendjel. Une affaire française. Une histoire algérienne (aux Belles lettres). Son livre reste une source essentielle pour comprendre pourquoi c’est de lui que s’empare Benjamin Stora, et pas d’un autre. A l’époque, c’est par l’entremise de Benjamin Stora (son directeur de thèse) que Malika Rahal entre en relation avec la famille Boumendjel. Elle-même avait soutenu une thèse sur l’histoire du nationalisme algérien avant 1956, et en particulier sur l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien, à laquelle Boumendjel adhérait), dont la contribution à l’indépendance se trouve souvent expurgée du récit collectif national. La famille Boumendjel, quant à elle, est à ce moment-là dans un urgent besoin d’histoire. Comme des milliers d’autres, ils sont ces endeuillés étrillés par une mort en creux. C’est le début d’une enquête longue de huit ans pour remonter le fil, et, surtout, éclairer toutes les aspérités de cette trajectoire qui fait justement d’Ali Boumendjel une histoire singulière. C’est-à-dire, une icône qui est précisément mort en 1957 pour ce qu’il représentait. Tout comme c’est justement pour la position qui était la sienne qu’Ali Boumendjel est aujourd’hui mobilisé par Benjamin Stora sur ce fil mémoriel ténu de la reconnaissance, tendu à mi-distance entre l’oubli et ce qui passe (parfois) pour de la contrition. Cette proposition intervient alors qu’en 2018, rendant hommage chez sa veuve Josette Audin au mathématicien Maurice Audin (d’origine européenne mais combattant pour l’indépendance), Emmanuel Macron avait reconnu un système - et promis une reconnaissance plus large par l’Etat français.
Deux ans et demi ont passé tandis que le nom de Boumendjel perce le silence. Un choix au diapason du rapport ? Pour certains, les recommandations Stora sont habiles, consensuelles et justes ; pour d'autres, le rapport demeure trop timoré, et au fond dépolitisé. Dans son rapport, l'historien affirme que “la repentance est un piège politique”. "Si la circulation même du mot “repentance”, qui tend à remplacer les excuses ou même le repentir, peut interroger, son usage par Benjamin Stora révèle toute sa position d'équilibriste : sur un fil, il a précisément été choisi par l’Elysée pour tenir ensemble les deux côtés de la Méditerranée. Et parce que, depuis des décennies, il creuse la question de cette mémoire à tiroirs. C’est-à-dire, non seulement celle de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, mais aussi la question du retour de ceux qui resteront “les Européens”, la place des harkis, ou, bien en amont, la colonisation de l’Algérie, puis sa départementalisation. Une mémoire offerte, béante, à tous les pièges de l’instrumentalisation, et de la communautarisation, commençait déjà à affirmer Benjamin Stora dans ses travaux précurseurs au début des années 90, à l’époque de son livre La Gangrène et l’oubli, qui reste un jalon important dans le débat public. Mais une mémoire qui n’en reste pas moins urgente, et qui, chez les familles de disparus algériens par exemple, crie non seulement l’oubli, mais encore l’omission, la dissimulation - et qui, pour ça, parvient mal à se panser. C'est à cet endroit précis qu'affleure le nom de Boumendjel.
Ali Boumendjel était un dirigeant nationaliste. Il n’a pas quarante ans quand il disparaît en 1957, enlevé par les parachutistes, à Alger, où il exerçait le métier d’avocat. Fils d’instituteur, frère d’institutrices, beau-frère d’instituteurs, Ali Boumendjel n’est pas algérois, mais natif de la région d’Oran, où son père officiait à l’école française. La conquête de l’Algérie par la France date de moins d’un siècle, quatre-vingt dix ans exactement, à sa naissance en 1919. Et après un temps de rejet et une vraie résistance à l’école du colon, l’enjeu de la scolarisation des enfants algériens était devenu une vraie revendication des Algériens qu'on dénomme "musulmans", c'est-à-dire colonisés. Boumendjel, qui maîtrise un français subtil tout en étant capable de plaider en arabe, est aussi le fruit de cette intersection-là.
Lorsqu’il passe sa licence de droit en 1943, Boumendjel milite déjà dans le giron du leader nationaliste Ferhat Abbas et de l'UDMA (qui se rallieront plus tard au FLN). C’est cette année-là justement que les siens gagnent explicitement la cause de la lutte de l’indépendance. Quand il devient avocat, il est seulement le 78ème avocat musulman, comme on distingue alors, à prêter serment. Quand l’armée française, en pleine bataille d’Alger, le fait prisonnier, Ferhat Abbas, l’UDMA et Ali Boumendjel ont déjà rejoint le FLN. Il n’est ni l’un des principaux leaders du FLN, ni même un membre du comité d’avocats du FLN que le pouvoir colonial comme les généraux ont dans le viseur. Il n’émarge pas non plus au parti communiste algérien, même s’il en est proche. Mais il est militant nationaliste et accepte de défendre des combattants de l’indépendance.
Un homme-frontière
Pris en même temps que deux de ses beaux-frères, Ali Boumendjel est surtout très célèbre pour apparaître comme “l’avocat des pauvres” et Malika Rahal raconte dans son livre qu’un jour qu’elle marchait dans Alger aux côtés du fils de Boumendjel qui lui ressemble, un ancien client est venu saluer bien bas le fils de l’avocat. Il est ce que l’historienne encapsule comme un “homme-frontière”, à l’intersection de plusieurs mondes : sans fortune aucune, il incarne malgré tout cette bourgeoisie algéroise intellectuelle ; il est acquis à la lutte pour l’indépendance mais malgré les menaces et l’étau qui se resserre autour de lui et de son frère aîné Ahmed (qui prolonge et articule la lutte depuis la métropole), il ne prend pas le maquis et poursuit son métier avec pignon sur rue. Son fils aîné a sept ans quand Boumendjel est emporté, trimballé au secret, et finalement retenu dans une caserne d’où la version officielle annoncera qu’il s’est jeté de la terrasse du sixième étage.
Ni sa famille, qui souligne que Boumendjel était croyant, ni ses proches dans les cercles militants ne croiront jamais à cette thèse du suicide dans ce qui devient aussitôt “l’affaire Boumendjel”. “Affaire” au sens du retentissement, et du scandale immédiat que fait sa mort. Ainsi, lorsque Malika, sa veuve, est convoquée devant un cercueil déjà fermé le jour d'obsèques-éclair, la mort de Boumendjel est déjà regardée pour ce qu’elle est : un assassinat. Les médias s’imposent à l'époque comme le canal de transmission privilégié par les militaires pour révéler des décès qu’on cache à l’administration coloniale elle-même. Et c’est dans la presse que l’arrestation du leader avait été confirmée. Dans les journaux, le pouvoir véhicule le scénario d’un suicide en même temps qu’il cherche à flatter l’étendue des rafles en train de se faire dans les milieux pro-indépendance.
A cette fin, les aveux spectaculaires qu’on se vante d’avoir obtenu de l’avocat Boumendjel font office de cocarde et de justification : c’est dire si les deux cents arrestations annoncées par Le Monde le 1er mars 1957 seraient justifiées, puisque Boumendjel aurait reconnu un leadership d’envergure dans l’appareil du FLN. On cerne bien, en lisant Malika Rahal, toute la part stratégique de l’entreprise : il s’agit aussi de museler la classe intellectuelle algérienne et la petite bourgeoisie algéroise non-européenne. En fait, d’intimer au silence et à l’obéissance, en montant en épingle le cas d’un homme qui est des leurs et qui n’occupe pas une position de combattant de terrain. Aux archives militaires, il existe une reproduction de deux feuillets manuscrits signés de Boumendjel où il annonce être “le chef de la région Alger-Sud pour les questions politiques”. Mais où l’on voit aussi qu’il endosse, à l’aube de sa mort, des fonctions dirigeantes dont les chercheurs considèrent qu’elles n’étaient pas les siennes - probablement pour protéger les véritables dépositaires.
"Doublement concernés"
Mais la presse n'annonce pas seulement la mort, en canal de diffusion de ce qui n'a sa place sur aucun registre administratif. Dans d'autres titres, le retentissement de sa disparition, aussi immédiat que bruyant, dit encore la position de passeur qu'occupait Boumendjel. Car cette disparition ne crée pas seulement une onde de choc dans les réseaux locaux. Dans l’édition des 24 et 25 mars 1957 de L’Echo d’Alger, on lisait : “Maître Boumendjel s’est suicidé”. Dès le 26 mars, la nouvelle arrivera dans la presse de métropole. De cette déflagration, Jean Daniel, le futur patron du Nouvel Observateur que Jean-Jacques Servan-Schreiber avait alors embauché à L’Express pour couvrir la guerre d’Algérie, racontera que c’est René Capitant, professeur de droit en poste à l’Université d’Alger, qui avait lancé l’alerte. Et aussi ceci, rapporté rétrospectivement dans un texte intitulé L’Honneur d’un soldat (que vous pouvez lire ici) :
Ali Boumendjel a été mon condisciple au Collège [majuscule, sic] de Blida, dans les classes animées par un grand professeur Marcel Doumerc. Il s’agit bien de lui. Or Ali, je ne connais que lui. Je sais qu’il y a partout des victimes du terrorisme. Partout des arrestations, des disparitions, des tortures, des exécutions. C’est la guerre. J’ai pris parti pour l’indépendance de l’Algérie. Comme Albert-Paul Lentin. Mais ses parents et les miens peuvent être victimes d’attentats. Nous nous sentons doublement concernés. Sauf que cette fois, pour la première fois, la victime a un visage, un homme avec lequel j’ai partagé des souvenirs, que j’ai revu et dont je suis persuadé qu’il n’a pu faire qu’une résistance propre. En tous cas, c’est l’un des miens. C’est lui que l’on a torturé pendant au moins deux semaines et dont on annonce le suicide. Je ne supporte pas. J’alerte d’abord mon journal et Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Il faut lire le livre de Malika Rahal pour prendre la mesure du rôle que jouera la trajectoire propre d'Ali Boumendjel dans cette histoire. Et en particulier dans le fait que cristallise, aussitôt et pour longtemps, une “affaire Boumendjel” : aller au collège à Blida, même pour un fils d’instituteur comme l’était Ali Boumendjel, est un itinéraire hors-norme. C’est là qu’il parlait un français subtil et lettré, là qu’il socialise aussi avec de futurs militants de l’indépendance, et là qu’il tisse, donc, son écheveau de relations personnelles, intellectuelles, et trans-Méditerranée.
C’est directement dans le prolongement de cette histoire-là que s’encastre sa mort, avec toute sa part d’inconnu. Mais aussi, la mobilisation à laquelle elle donne lieu, aussitôt, qui nous permet d’accéder à ce que Malika Rahal décrit comme “tout un entrelacs de relations amicales, intellectuelles ou professionnelles”. Ainsi, Pierre Mendes France ou François Mauriac témoignent leur sympathie à Ahmed Boumendjel, le frère d'Ali, et un ancien ministre du Front populaire écrit que le sort de l’Algérie lui évoque immédiatement le sort de Pierre Brossolette - journaliste, homme politique et résistant, Pierre Brossolette est mort en 1944, torturé par la Gestapo.
L’évocation de la torture, sous la plume de Jean Daniel, est centrale, car c’est à ce moment-là que, chez les intellectuels et les journalistes à Paris, sédimente une opposition radicale à la torture. Qui scellera largement le sort de la guerre d'Algérie dans l'opinion. La Question, de Henri Alleg qui connaissait bien Boumendjel à Alger et racontera le chaud-froid de l'annonce de sa mort sur le terrain, paraîtra un an plus tard, aux éditions de Minuit. En fait, le front d'opposition grossit chaque mois un peu plus. De Boumendjel, le médecin algérois convoqué parmi d’autres pour identifier le corps, décrira un visage déjà noir. Mais il n’a pu voir le reste de son corps
Rahal Malika, Ali Boumendjel (1919-1957) : Une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 295 p.
Le livre de Malika Rahal propose le portrait d’Ali Boumendjel, l’une des figures importantes de l’histoire contemporaine algérienne. Basé sur une méthode à la fois historique et biographique, le livre restitue un moment crucial de l’histoire de l’Algérie contemporaine, celui de la période charnière de la guerre de libération nationale.L’analyse des faits ne se focalise cependant pas sur le personnage d’Ali Boumendjel, mais tente également de décrire les contextes historique, sociologique, politique et intellectuel dans lesquels cet acteur social a émergé puis évolué pour devenir une figure politique et intellectuelle majeure dans le mouvement nationaliste pour l’indépendance de l’Algérie.Ce faisant, le livre propose une lecture historique très minutieuse d’une Algérie colonisée et rebelle.
2L’auteur a su prendre ses distances à l’égard de deux types de discours qui auraient pu constituer de véritables obstacles épistémologiques, d’une part le discours héroïque développé par les proches d’Ali Boumendjel et, d’autre part, la négation et/ou le silence du discours officiel, incarné par les autorités algériennes.
3Au plan empirique,la recherche est considérable. Le travail de terrain, qui s’est révélé une tâcheardue, a permis à l’auteur de recueillir des données fiables et utiles pour mener à bien la restitution des faits historiques liés au parcours personnel et militant d’Ali Boumendjel. Les multiples déplacements de l’auteur entre Alger et Paris lui ont permis de recueillir ces données des deux côtés de la Méditerranée, permettant une double mise en perspective du personnage et de son histoire. L’auteur a fouillé dans des sources orales et écrites, mémoires et archives, tant familiales qu’institutionnelles, et notamment, pour ces dernières, les archives de surveillance policière. De nombreux entretiens ont été réalisés avec des membres de la famille Boumendjel, qui forment le premier guide dans cette recherche, ainsi qu’avec ses compagnons de combat, ses anciens amis et condisciples du collège de Blida, des historiens (Henri Alleg, Mohamed Harbi…). Les archives de presse constituent également pour l’auteur une source non négligeable de faits et de « traces » concernant le personnage étudié. Mais malgré ce déploiement empirique et la volonté de restituer au plus juste la vie publique et privée d’Ali Boumendjel, M. Rahal s’est souvent heurtée à des difficultés majeures d’accès aux sources, à des problèmes de disponibilité et de fiabilité des données. Pour combler les lacunes, ou faute de données, l’auteur s’est attachée à comparer les versions qui lui ont été fournies ou, à partir d’éléments épars, à proposer des questionnements, des hypothèses ou des pistes heuristiques.
4Sa démarche, explicitée et analysée dans la première partie de l’ouvrage, constitue une approche « individualiste » de l’histoire contemporaine de l’Algérie pertinente et novatrice. En maîtrisant, sinon en gommant, la dimension héroïque d’Ali Boumendjel, « le héros martyr de la guerre de libération nationale », l’auteur évite les pièges d’une approche biographique classique et des illusions qui entravent souvent le processus de construction et d’analyse de l’historien.
5Dans une seconde partie, l’ouvrage évoque l’environnement familial d’Ali Boumendjel et son itinéraire de formation. Issu d’une famille paysanne originaire du village Taourit Menguellat en Kabylie, petit-fils de paysan, Ali Boumendjel est le fils de l’un des premiers instituteurs kabyles installés dans l’Oranie, à Relizane, où il est venu au monde en 1919. La famille Boumendjel a ainsi connu une mobilité sociale et géographique importante, passant de la famille paysanne en Kabylie à la famille d’instituteurs loin de la Kabylie. Cette « rupture » est fondatrice d’un environnement culturel et d’acculturation dans lequel Ali Boumendjel va évoluer et être socialisé. Par ailleurs, la profession du père va constituer un héritage culturel familial qui sera transmis tant aux filles (à l’exception de la soeur aînée), toutes devenues institutrices et ayant épousé des instituteurs, qu’aux garçons de la famille, Ali et son frère Ahmed ayant été également instituteurs au début de leurs carrières. C’est ce qui fait de cette famille, « une famille homogène ».
6Ali, comme son frère Ahmed avant lui, poursuit ensuite des études en droit à la faculté d’Alger et devient un avocat spécialisé dans le droit musulman. Il épouse Malika Amrane, originaire d’une famille également kabyle et devient père de trois garçons et d’une fille.
7C’est l’itinéraire de « l’avocat de la république algérienne » engagé qui est évoqué dans la troisième partie de l’ouvrage. Ali Boumendjel a vécu dans un milieu très politisé, caractérisé par l’activisme des étudiants et des associations. Son frère Ahmed était déjà l’avocat de Messali Hadj, leader du Parti du Peuple Algérien (PPA). Ali Boumendjel est lui-même un acteur politique engagé activement, depuis son jeune âge, dans l’action militante. Entre 1944 et 1945, il adhère à l’association AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), fondée en 1944, et au sein de laquelle la contribution de la famille Boumendjel a été conséquente. Il quitte cette organisation après les événements de mai 1945 qui entraînent la dissolution de celle-ci. Il s’engage ensuite dans la formation politique initiée et pilotée par Ferhat Abbas, l’UDMA (Union démocratique du Manifeste Algérien), créée en 1946 dans un contexte caractérisé par une recomposition du champ politique national et par l’ouverture électorale. Dans cette formation, Ali Boumendjel représente non seulement la jeune génération (contrairement à son frère Ahmed, de onze ans son aîné, qui représente l’ancienne génération), mais aussi la tendance de gauche. Il est responsable, dans un premier temps, de la section de Blida, puis de celle d’Alger.
8Son militantisme s’est également exprimé à travers son engagement dans la presse. C’est ainsi qu’Ali Boumendjel s’est investi d’abord dans le journal Égalité (organe de l’AML) dont il représente l’une des plumes importantes ; ensuite dans le journal LaRépublique algérienne (organe de l’UDMA) en tant que responsable et principal contributeur. M. Rahal souligne que l’engagement d’Ali Boumendjel dans la presse exprime sa volonté de participer à une réécriture de l’histoire de l’Algérie.
9La guerre de libération nationale constitue bien sûr une étape importante dans le parcours militant d’Ali Boumendjel. Dans cette phase décisive et charnière de l’histoire politique de l’Algérie, Ali Boumendjel s’est fait l’avocat de la révolution, entre 1954 et 1957, en défendant les victimes de la guerre auprès de la cour d’appel d’Alger. Il a participé par ailleurs à la révolution à travers ses activités internationales, notamment lors du Conseil national de la paix qui s’est tenu à Stockholm en 1956. Pendant la guerre, Ali Boumendjel occupe une position stratégique ; il est l’un des conseillers politiques de Abbane Remdane, figure politique centrale du FLN, notamment après sa prise en main d’Alger. Enfin, si Malika Rahal demeure prudente quant à l’engagement d’Ali Boumendjel au FLN (Front de Libération Nationale), en raison de la confusion des informations qu’elle a pu recueillir à ce sujet, la donnée principale est celle qui s’accorde au ralliement de Ferhat Abbas au FLN.
10La répression qui s’abat sur la capitale algérienne lors la bataille d’Alger (janvier 1957) touche de plein fouet les familles Boumendjel et Amrane. Ali Boumendjel est arrêté le 9 février 1957 et maintenu en détention pendant 43 jours dans les locaux des militaires français, jusqu’à son assassinat le 23 mars 1957.
11Dans une quatrième partie, M. Rahal s’attarde, à travers une approche historiographique et biographique très rigoureuse, sur ce que l’auteur appelle « l’affaire Boumendjel ». Les circonstances de sa mort (suicide ou assassinat ?) constituent en effet, comme pour des milliers d’Algériens, un « objet de débat ». À travers sa démarche historique, M. Rahal en arrive à démentir la thèse du suicide prônée et développée par le discours des autorités françaises de l’époque et par la presse métropolitaine. Elle met plutôt en lumière la perspective de la « liquidation » ou de « l’assassinat » dans un immeuble à El Biar, après de nombreux jours de torture. L’enquête sur les circonstances de la mort d’Ali Boumendjel a amené l’auteur à confronter de nombreux écrits, faisant la part des choses entre de nombreux avis et thèses divergents, émanant tant des historiens que de la presse. À travers une démarche qui vise à « dépasser la seule dimension politique au profit d’une vision plus large de sa vie », l’auteur extrait la mort d’Ali Boumendjel d’un mystère que l’historienne est parvenue à démystifier avec un œil vigilant. Une affaire d’homme et d’Histoire qui va intéresser les peuples de deux rives de la Méditerranée, en Algérie et en France.
Azzedine Kinzi, « Rahal Malika, Ali Boumendjel (1919-1957) : Une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 295 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 131 | juin 2012, mis en ligne le 21 novembre 2011, consulté le 12 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/remmm/7273
Créée le 11 février 1961, L’OAS a été le bras armé clandestin et meurtrier des ultras de l’«Algérie française» dans les derniers épisodes de la guerre, entre février 1961 et l’indépendance, en juillet 1962
Face au souhait désormais manifeste du gouvernement français et du général Charles de Gaulle de se désengager en Algérie, scellé le mois précédent par un référendum sur l’autodétermination, l’OAS est créée le 11 février 1961 à Madrid, dans l’Espagne franquiste.
Ses initiateurs sont des activistes anti-indépendantistes proches de l’extrême droite, Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, exilés à Madrid et rapidement rejoints par le général Raoul Salan.
Un long métrage retraçant la vie du militant anticolonialiste Fernand Iveton, guillotiné en 1957, est actuellement en préparation. Ce film retrace les dernières années de cet ouvrier communiste d'Alger qui prit part à la lutte pour l'indépendance algérienne et fut condamné à mort et exécuté par la justice française. Le film est basé sur le livre «Nos frères blessés» de Joseph Andras.
Cette coproduction franco-algérienne, dont le tournage devrait commencer en octobre 2018, se penche donc sur un des cas les plus emblématiques de la répression exercée par Paris contre les revendications algériennes alors que la France était gouvernée par les socialistes de Guy Mollet.
Le film est basé sur le livre De nos frères blessés, de l’écrivain français Joseph Andras, paru en 2016, et qui s’intéresse particulièrement «aux dernières années de la vie de Fernand Iveton, à sa rencontre avec sa femme Hélène, ou encore son procès», devant un tribunal militaire, a indiqué à l’APS (agence de presse algérienne) le réalisateur français Hélier Cisterne (réalisateur de Vandal en 2013 et de la série Le Bureau des légendes).
«Le tournage est prévu entre Alger et quelques villes françaises, a précisé le réalisateur, actuellement en repérage à Alger», rapporte le Huffpost. Ecrit avec sa compagne, Katell Quillévéré, le film va raconter «l'histoire de Fernand Iveton, une histoire d'amour pendant la guerre d'Algérie. Un film de guerre, sans guerre et sans militaire», dit Hélier Cisterne à La Dépêche..
Ce film aura le mérite de mettre en valeur une personnalté de la guerre d'Algérie. Fernand Iveton fut en effet le seul Européen (comme on disait à l'époque) exécuté outre-Méditerranée sur décision d"un tribunal, pendant la guerre d'Algérie.
Syndicaliste et communiste Fils d'un syndicaliste et militant communiste vivant dans le quartier populaire d’Alger, le Clos Salembier (aujourd’hui El Madania), Fernand Iveton, né en 1926, fut lui aussi militant. Engagé au sein du Parti communiste algérien (PCA), il intègre la lutte armée après les accords politiques entre ce dernier et le Front de libération nationale (FLN) en 1956.
Tahia El Djazaïr ! : Vive l'Algérie !
Hostile aux attentats aveugles et meurtriers, il accepte néanmoins de poser une bombe dans son usine de gaz, après la fermeture, dans un endroit isolé où personne ne serait blessé. «Il est repéré et dénoncé par un contremaître. Désamorcée, la bombe ne fera ni victimes, ni dégâts. De toute façon, de l'aveu d'un expert convoqué au tribunal, elle n'aurait pas "fait de mal à une grosse mouche"», raconte Culturebox dans une critique du livre qui sert de base au futur film.
Il est arrêté le jour même. «Du mercredi 14 au samedi 17 novembre, il subit les pires tortures au commissariat central d’Alger. La police tente de lui faire avouer les noms de ses complices (...) Le 25 novembre suivant, Fernand Iveton se retrouve au tribunal pour être jugé. L’assistance est chargée à bloc et des cris de haine et de mort s’élèvent dans la salle. Lors de cette parodie de procès, le militant est condamné à mort pour "tentative de destruction d’édifice à l’aide d’explosifs"», raconte le site militant Humanité rouge..
«Après un expéditif procès devant la justice militaire, il est condamné à la peine capitale. Les avocats entament les recours, puis les demandes de grâce auprès du trio Coty (à l'Elysée), Mollet (président du Conseil) et Mitterrand (garde des Sceaux). Sans succès: le tourneur Iveton n'a ni soutiens, ni relais dans les milieux politiques et intellectuels. Si des sections syndicales de la CGT se mobilisent, l'Humanité et le PCF ne plaident sa cause que du bout des lèvres. Le 11 février 1957, Fernand Iveton est réveillé à l'aube et conduit à la guillotine. Pour vaincre sa peur, il "hurle dans les couloirs : Tahia El Djazaïr ! : Vive l'Algérie !". Et toute la prison de clamer avec lui : "Tahia El Djazaïr !". Sa tête tombe à cinq heures dix. Il a trente ans à peine», rapporte Cutlurebox.
Pour immortaliser ce personnage, le choix de Hélier Cisterne s’est porté sur l’acteur français Vincent Lacoste. Il a choisi l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps pour incarner à l’écran sa femme.
«Le Service des renseignements est le Service des seigneurs», dit un dicton allemand.
Et les grandes nations ne font jamais faute de monter aux nues les exploits de leurs services secrets et n’hésitent pas à inventer à leurs héros, dans leurs récits historiques, comme dans leurs œuvres de fiction, que ce soit les films ou les romans, des exploits qui présentent d’eux une image de demi-dieux mythiques, immortels et n’obéissant à aucune loi naturelle, qu’elle ressortisse de la physique ou même de la frêle nature humaine.
Une guerre de libération lancée «au fond du puits colonial»
On constate qu’en Algérie aucune calomnie n’a été épargnée contre des services dont, pourtant, notre pays devrait se glorifier, car ceux qui les ont animés étaient des jeunes, sans expérience surgis, on ne sait comment, du puits du système colonial.
Il n’est pas utile de rappeler ici, avec force détails, comment la guerre de libération nationale a été lancée, mais seulement de souligner qu’elle a connu un commencement modeste, par un simple appel pompeux, sur deux pages dactylographiées, diffusé par des hommes pitoyables ayant à peine de quoi se payer des vêtements de friperie, et survivant au jour le jour grâce à la solidarité de leurs compagnons.
Le peuple algérien vivait alors, dans sa majorité, dans un état de déchéance qu’il est difficile d’imaginer maintenant, et les chances de ce groupe de «fous» tenaient plus du miracle divin que d’éléments objectifs garantissant la réussite de l’entreprise de libération nationale.
Il n’y avait ni suffisamment de moyens financiers, ni armes, ni munitions, ni experts militaires, donc aucun potentiel mobilisable permettant de créer ne serait-ce qu’une lueur d’espoir dans l’issue finale.
L’ennemi était non seulement la cinquième puissance mondiale et membre de la plus grande alliance militaire internationale, mais également un pays jouissant d’une aura civilisationnelle incomparable, et qui se trouvait, en plus, à une demi-journée de bateau de l’Algérie. On peut dire que la dernière phase de la résistance algérienne à l’occupant a commencé avec tout contre elle, et apparaissait vouée à l’échec.
Pourtant, quelque trois années plus tard, non seulement, comme l’avait alors prédit Larbi Ben M’hidi, un de ces «fous», le peuple algérien a fait de cet acte de désespoir qu’était la déclaration du Premier Novembre, un cri de guerre et le signal d’un soulèvement qui, malgré tous les avatars qu’a traversés notre pays depuis notre indépendance gagnée dans le sang et la souffrance, demeure un des évènements les plus importants de l’histoire, non seulement de l’Algérie, mais du Monde.
Les historiens, non seulement Algériens et Français, mais même étrangers à ce conflit sanglant et cruel, continuent de se pencher sur ce phénomène socio-militaire qu’a été la guerre d’un peuple misérable, inculte, contre une superpuissance riche, orgueilleuse et sûre d’elle-même, porteuse d’une culture et d’une civilisation riches et de valeurs universelles dont elle se proclame la patrie.
Une génération qui se prépare au grand départ sans espoir de retour
La génération d’Algériennes et d’Algériens, qui a pu donner vie à ce miracle, commence à connaître le sort que le temps réserve à tous les humains, et chaque jour apporte sa moisson de mauvaises nouvelles: elles vont certainement s’accélérer dans les jours, les mois et les années à venir, jusqu’à ce que cette génération de héros disparaisse et que leurs noms soient oubliés, même si la toponymie officielle va marquer le paysage de ces noms rattachés à des lieux symboliques, mais sans autre profondeur que les sons qui les composent.
C’est pour cette raison que, chaque fois qu’un homme ou une femme de cette génération des libérateurs de l’Algérie arrivent au terme de leur vie sur cette terre, il est indispensable de revenir sur leur vie, sur leur parcours et sur leur contribution, si marginale paraisse-t-elle, dans une guerre dont la cruauté est loin d’avoir été décrite, que ce soit dans les autobiographies, dans les études historiques académiques, ou dans les œuvres de fiction, films ou romans.
Parmi ces hommes et ces femmes, engagés dans la lutte de libération, certains sont plus prééminents que d’autres, quoique les sacrifices des uns et des autres soient égaux dans leur noblesse et dans le désintérêt qui les anime.
Zerhouni Yazid: un homme dont le destin se confond avec celui de l’Algérie
Zerhouni Nourredine, dit Yazid, dont on tentera ici de présenter une brève biographie, qui n’est pas à la hauteur de l’hommage qui doit lui être objectivement rendu, est trop connu pour qu’on prétende le présenter à la lectrice et au lecteur de ce modeste écrit.
Sa vie en fait se confond, dans ses détails, avec celle de l’Algérie qu’il a servie depuis l’âge de 19 ans, lorsque ce n’était qu’un projet. Symbole de la jeunesse lycéenne algérienne de sa génération, engagé volontaire dans la lutte armée, et l’un des premiers cadres des «services de l’ombre», il a occupé, depuis l’indépendance, des fonctions cruciales qui ont fait connaître son nom, d’autant plus qu’il a servi à divers titres tous les chefs d’Etat qui se sont succédé depuis l’indépendance.
Il a été tour à tour responsables des services de renseignements extérieurs au ministère de la Défense nationale, puis, pendant une très brève période, directeur de la Sécurité militaire, ensuite , pendant douze années, successivement ambassadeur au Mexique, au Japon et aux Etats-Unis, avant d’être nommé, après une brève période de traversée du désert - par l’ex-président de la République, qui voulait rehausser son gouvernement avec un homme dont la réputation de serviteur de l’Etat n’était plus à faire -, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, puis vice-Premier ministre, pour enfin être écarté définitivement.
Un homme se définit plus par sa personnalité que par les titres qu’il a portés au cours de sa carrière, titres éphémères, tenus par d’autres avant lui et que d’autres tiendront après lui, et qui, malheureusement , malgré le prestige et la reconnaissance publique qu’ils traînent avec eux, ne constituent pas des preuves suffisantes des qualités personnelles de ceux qui les détiennent.
Un homme à la hauteur de toutes ses missions
On peut affirmer, sans blesser, même à titre posthume, la modestie de Zerhouni Yazid, qu’il a été à la hauteur de toutes les fonctions qu’il a occupées, pendant les quelque cinquante années de sa carrière au service de l’Algérie, depuis son engagement dans l’ALN en 1957 jusqu’à sa retraite. Il n’y a pas un poste qu’il ait occupé et qui ait paru trop grand pour lui. Il a été un des stagiaires les plus brillants de l’école des cadres que Abdelhafid Boussouf avait organisée à Oujda, entre septembre et décembre 1957, pour former des commissaires politiques affectés aux différentes zones que comprenait la wilaya V, dont il était le commandant.
Mis à la disposition de l’état-major de la wilaya V, dès la fin de son stage, Yazid fut chargé des opérations de recueil de renseignements sur le dispositif militaire ennemi, à la frontière algéro-marocaine, dans le but de faciliter le passage de l’armement et des hommes entre les territoires algérien et marocain. Cette tâche, extrêmement importante dans la poursuite de la guerre de libération, valut à Yazid de gagner rapidement une promotion bien méritée d’adjoint aux responsables des renseignements militaires lors de la création de l’état-major Ouest.
Il fit, vers la fin de la lutte armée, un court passage à la base Didouche Mourad, dans la proche banlieue de Tripoli, en Libye comme membre du groupe de travail chargé de la préparation du dossier militaire en vue des négociations de paix qui avaient commencé à Evian en Mai 1961. Il rejoignit ensuite l’équipe de soutien aux négociateurs algériens.
L’indépendance acquise, il eut à veiller, dans des conditions dignes d’un roman d’espionnage, à la collecte des archives des services du MALG entreposées au Maroc, et à leur transport vers l’Algérie.
Une attitude patriotique responsable lors de la crise de l’été 1962
Comme tous les volontaires de sa génération qui avaient été affectés dans les services de renseignements, il refusa de prendre position dans le conflit grave entre l’état-major de l’ALN et le GPRA, affirmant qu’il s’était mis, par son engagement, à la disposition du peuple algérien, pas au service d’une faction ou d’ambitions politiques d’une personne ou d’un groupe. Rentré à Alger dès le mois de Juillet 1962, et en compagnie de l’auteur de cet article et de feu Abdelkader Khalef, plus connu sous le nom de Kasdi Merbah, il décide de reprendre ses études supérieures, s’inscrit à l’Université d’Alger, et prend une chambre à la cité universitaire de Ben Aknoun (Yazid a effectivement repris par la suite ses études supérieures, tout en assumant ses lourdes responsabilités, il a préparé et obtenu une licence en droit et un Master en relations Internationales).
Ce détail est d’une très grande importance historique, car il détruit la fiction entretenue d’une cabale montée par feu Boussouf pour soumettre le pays au pouvoir, si ce n’est au caprice, de l’ex-MALG. Rien de plus faux que cela. Ce sont les bruits de bottes à la frontière ouest du pays qui ont convaincu nombre d’anciens des services de renseignements pendant la guerre de libération nationale à mettre leur expérience au service de la défense de la Nation et d’accepter de rejoindre le ministère de la Défense au lieu de poursuivre leurs études.
Il est regrettable que la réputation de Direction de la Sécurité militaire - créée essentiellement pour des raisons d’ordre défensif, dans une situation où le pays, encore faible, venait de sortir d’une longue et violente guerre, était menacé dans son intégrité territoriale - ait été ternie, au corps défendant de ceux qui ne voulaient rien d’autres que de contribuer à la défense d’une indépendance chèrement acquise. Il n’en demeure pas moins que l’Algérie avait besoin d’hommes ayant gagné leur expérience dans la lutte armée, pour se garder de ses ennemis extérieurs et de toutes leurs manœuvres.
Les mémoires de nombre de responsables militaires algériens contiennent des jugements tranchés et hostiles contre un service dont ne peut se passer aucune armée, mais qui a été conduit, tout comme ces responsables, à mener des activités dépassant le domaine des missions propres à une armée. Comme l’a si bien écrit George Orwell, et la citation n’est pas précise : «il faut des hommes durs qui veillent dans l’ombre nuit et jour pour assurer la sécurité et la tranquillité des citoyens.»
Il n’est pas question de rappeler ici la nature du système politique algérien auquel ces hauts gradés ont contribué aussi, sous la protection de la Sécurité militaire qui leur a permis de jouir de leurs grades et de leurs positions et de vivre, en toute tranquillité, une retraite bien gagnée. Que serait-il arrivé si cette instance de renseignement n’avait pas existé?
Un diplomate hors carrière qui en a montré à bien des diplomates chevronnés!
Après son bref passage à la tête de la Direction de la Sécurité militaire, de 1979 à 1982, en succession à feu Kasdi Merbah, Yazid commence une brillante carrière diplomatique. Homme d’une grande curiosité intellectuelle, il apprend non seulement la langue du pays, mais s’intéresse également à son histoire et à sa culture. Le poste d’ambassadeur demande à la fois du doigté, du sens politique, et une certaine sympathie pour le peuple du pays d’affectation. Une partie de la mission est de tisser des relations avec tous ceux qui comptent dans le système politique et la société du pays. La capacité de nouer des liens d’empathie, en dépassant les barrières linguistiques et culturelles, comme les traditions propres à chaque pays, implique une capacité d’adaptation, mise essentiellement au service de l’Algérie.
Dans ses différents postes, de 1982 à 1994, Yazid a su se frayer un chemin parmi les hommes qui comptent dans ces pays, et a présenté de l’Algérie, au-delà de ses tribulations, et alors qu’elle était plongée dans la tourmente de la guerre civile et de l’assassinat en direct de son président, une image positive qui n’a pas été de peu d’importance dans la résolution des questions touchant les relations entre notre pays et ces pays. Il a reçu du Mexique et du Japon les distinctions honorifiques que ces pays accordent aux ambassadeurs étrangers qui ont été capables de gagner leur estime.
Un retour non sollicité aux affaires
Après son dernier poste d’ambassadeur à Washington en septembre 1994, Yazid est revenu à Alger avec la pensée de prendre sa retraite définitive. C’est l’arrivée de Bouteflika à la tête du pays en avril 1999 qui l’a remis dans le circuit de la prise de décision. A souligner que Yazid n’a ni sollicité ni intrigué pour reprendre du service.
Bouteflika avait besoin d’un homme d’expérience, et qui avait gardé une réputation nationale et internationale intacte, non seulement pour rehausser le prestige de son équipe gouvernementale, mais aussi pour s’assurer la collaboration d’un homme ayant une culture politique et intellectuelle reconnue.
Yazid , un homme d’Etat dont la seule motivation était de servir, et qui avait prouvé la sincérité de son engagement public pour la défense des intérêts permanents de l’Algérie, s’est trouvé, à son corps défendant, et pendant toutes ses années passées au gouvernement, pris entre sa loyauté professionnelle, qui lui interdisait toute critique publique ou privée sur le style de gouvernement du chef de l’Etat de l’époque, et ses profonde convictions quant à la définition de la bonne gouvernance.
Une collaboration difficile entre deux hommes aux principes et aux desseins divergents
Il faut souligner que sa collaboration avec Bouteflika n’a pas été des plus sereines, car souvent les décisions que le premier prenait ne correspondaient pas aux intérêts du pays selon la conception patriotique qui animait Yazid. Parmi les sujets qui donnèrent lieu à friction entre le chef d’Etat et son ministre de l’Intérieur, le plus sérieux fut la loi sur les hydrocarbures qui donnait une influence excessive aux multinationales, et suivant des termes que même le Koweït, pourtant sauvé par les Etats-Unis, avait refusé de concéder à ces multinationales.
Alors que tous les membres du gouvernement de l’époque avaient adopté une attitude veule et passive à l’égard de cet abandon de souveraineté sur la seule richesse du pays, Yazid a non seulement exprimé par écrit son opposition au projet de loi, mais avait présenté sa démission et quitté son bureau, pour bien marquer son rejet de cet texte concocté sous la coupe par un ancien employé d’une multinationale. Un autre sujet de friction a été la politique étrangère de Bouteflika. Alors que ce dernier voulait embrasser une politique de rentrisme à l’égard de certaines puissances, et à ouvrir, pour leur plaire, les portes de l’Algérie aux «Organisations non gouvernementales», les nouveaux instruments dont l’objectif est de jeter la confusion dans les desseins réels de leurs pays d’origine, Yazid s’y est fermement opposé, car sachant que la subversion prend des formes «humanitaires», pour mieux faire son travail de sape et de pénétration. De même, Yazid a marqué des grandes réticences quant à l’accord d’association avec l’Union européenne qu’il jugeait trop déséquilibré dans sa partie strictement politique comme dans sa partie commerciale.
Un autre sujet de conflit entre les deux hommes a été la prorogation des mandats de Bouteflika au-delà des 8 années prévues par la Constitution de 1996.
Dès la préparation du troisième mandat de Bouteflika, Yazid a soulevé le problème de passage du témoin à une nouvelle génération d’hommes politiques, et a estimé qu’il était temps que les hommes qui ont contribué à la guerre de libération laissent la place à des leaders capables de prendre en charge le destin d’un pays et d’un peuple qui avaient totalement changé et qui avaient besoin d’un nouveau souffle, d’un nouvel idéal, d’un nouvel horizon.
On sait ce qu’il en fut, car notre pays continue à payer le prix d’un acharnement à s’agripper au pouvoir de la part d’un homme et d’une équipe mettant ses intérêts matériels au-dessus des intérêts de la Nation.
Retour sur les évènements de Kabylie du printemps 2001
On ne peut pas manquer d’évoquer un évènement tragique qui a eu lieu lors du passage de Yazid au ministère de l’Intérieur et qui lui a valu des critiques à la fois violentes et injustes.
Il faut reconnaître que ce poste ministériel est l’un des plus délicats, quelle que soit la nature du régime politique, et que dans ses attributions il couvre, en fait et d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement, toutes les activités quotidiennes et banales du citoyen comme de l’administration. Rien de ce qui se passe dans le pays n’est étranger au ministre de l’Intérieur qui est appelé, parfois, à intervenir dans des domaines qui ont peu de chose à voir avec ses compétences propres, mais qui peuvent influer sur l’opinion publique et porter atteinte à l’ordre public de manière marginale ou cruciale.
Il n’est nullement question ici de revenir sur toute la série d’évènements qui ont éclaté en Kabylie au printemps de 2001, évènements relatés dans le détail par un rapport préparé sous la présidence de feu le Professeur Mohand Issad, à l ‘intégrité morale et intellectuelle dont peuvent témoigner tous ceux qui l’ont connu, mais seulement de souligner que leur explication ne ressortit pas d’une politique délibérée de provocations suivies de répression, mais qu’ils ont été déclenchés et alimentés par une série d’actes graves commis par les forces de l’ordre en place localement, et condamnés officiellement, bien que des erreurs de communication aient effectivement eu lieu au sommet de l’Etat. Voici ce que disent les premières lignes du rapport «Issad.»
«Le 18 avril 2001, un jeune lycéen de 19 ans, Guermah Massinissa, reçoit dans le corps, à l’intérieur des locaux de la Brigade de gendarmerie de Béni-Douala, et d’après le rapport d’autopsie, trois des six balles de kalachnikov tirées en rafale par le gendarme Mestari. L’une des balles tirées a blessé un autre gendarme qui se trouvait à proximité.
Le jeune Guermah fut admis à la polyclinique de Béni-Douala, puis à l’hôpital de Tizi-Ouzou pour les premiers soins. Devant la gravité de ses blessures, il fut transféré à l’hôpital Mustapha à Alger. Il devait y décéder le 20 avril 2001 à 8h15.»
La suite du rapport entre dans les détails des incidents dramatiques qui ont entraîné malheureusement morts d’hommes et, marginalement, destructions de propriétés publiques et privées réparables.
Ce rapport souligne également que la responsabilité du ministère de l’Intérieur et de son titulaire, qui a, du fait de son portefeuille, eu à affronter l’opinion publique, à travers ses déclarations à la presse, ne l’a pas placé comme protagoniste activement engagé dans la gestion des faits ayant conduit à cette révolte d’une partie de la population.
Les forces de l’ordre locales avaient des attributions fixées par texte législatif et réglementaire mettant sur eux la responsabilité totale de la gestion du maintien de l’ordre. Les dépassements ou erreurs qu’ils ont commis dans l’exercice de leur mission sont strictement localisés et personnalisés. Cette série d’évènements a eu effectivement un écho défavorable auprès de l’opinion publique nationale, qui a condamné la violence arbitraire frappant la première victime du dérapage des services de l’ordre et a vivement ressenti la perte de vies humaines qui s’en est suivie, et a fait l’objet d’une couverture intensive de la part de la presse locale.
En tant que ministre, Yazid a lui aussi été d’une certaine façon victime de ces dépassements injustifiables, car il avait à prendre en charge l’explication à l’opinion publique de décisions locales malencontreuses et malheureuses. Mais en tant que membre du gouvernement il ne pouvait assumer plus que ce qui ressortissait de son domaine, c’est-à-dire veiller à corriger la série d’erreurs et d’actes arbitraires commis localement par les forces de l’ordre directement engagées sur le terrain.
Faut-il ajouter encore plus de détails à ce combien bref hommage à une personnalité qui a consacré toute sa vie au service de son pays, a fait preuve d’une loyauté sans failles envers les intérêts supérieurs de la Nation, au-delà de toutes considération de fidélité aux hommes qui ont présidé au destin de l’Algérie? Yazid a une vie riche et bien remplie et ces quelques pages, si longues paraissent-elles au lecteur, pourraient avoir omis l’essentiel, c’est-à-dire la description de la personnalité derrière ce nom, qui explique sa carrière prestigieuse et l’appel à lui dans les moments les plus difficiles.
Qu’il repose en paix! Ce qu’il laisse derrière lui comme souvenir d’un homme d’Etat constant dans ses principes et d’une personnalité gracieuse, généreuse, attentive, courtoise et modeste, et comme exemple aux générations futures suffit! Condoléances les plus sincères à son épouse et à ses enfants. Nous sommes à Dieu et à Lui nous revenons!
Monsieur le Président de la République Algérienne Démocratique et Populaire Présidence El-Mouradia Alger
Monsieur le Président Chadli Bendjedid
J'ai aujourd'hui l'honneur de m'adresser à vous pour vous demander de bien vouloir vous pencher sur la situation suivante.
Pour ne pas abuser de votre temps je ne me présenterai pas, ce qui d'ailleurs serait parfaitement inutile ayant combattu dans les mêmes rangs que vous, j'entrerai donc dans le vif du sujet.
En 1976 j'ai publié aux éditions Stock un ouvrage intitulé "On nous appelait fellaghas". Cet ouvrage que j'ai voulu être un véritable chant d'amour à notre peuple je l'ai dédié à tous les enfants d'Algérie. Je l'ai également voulu un hymne à la gloire de tous ceux qui sont tombés au champ d'honneur au nom de la patrie et de la liberté et pour une vie plus digne. Ce livre qui a fait l'unanimité de la critique de la presse internationale n'a soulevé de véhémentes protestations que par "Minute" et hélas par notre quotidien national "El Moudjahid". Et bien entendu "On nous appelait fellaghas" n'a pas été diffusé en Algérie et ceci à mon grand étonnement sinon à ma grande tristesse.
Cette année, j'ai publié un second ouvrage portant le titre "Et Alger ne brûla pas" toujours à la même maison d'édition.
Dans ce livre également et contrairement à ceux qui se complaisent à étaler leur curriculum vitae, et enjoliver, sinon à falsifier leurs faits d'armes, je me suis attaché à faire ressortir la grandeur du peuple algérien, son abnégation, son courage et ses sacrifices pour une vie meilleure sinon pour eux, du moins pour les générations futures.
Cet ouvrage, tout comme le premier n'a pas droit de cité dans notre pays. Pourquoi ? J'ai fait le tour de la question et n'ai pas trouvé de réponse.
Suis-je un harki ? Un traître ? Un contre-révolutionnaire ? Un déprédateur de mosquées ou un profanateur de cimetière ?
Pourquoi mes livres ne sont pas diffusés ? Et si je remonte un peu plus loin je poserai une autre question. Pourquoi m'a-t-on mis à l'écart de tous les secteurs vitaux de la nation ?
Ma seule ambition est que la jeunesse Algérienne apprenne l'histoire de leurs aînés. Néanmoins j'ai toujours précisé dans mes écrits, dans les interviews que j'ai accordés à la presse écrite, radiodiffusés et télévisée que je ne faisais pas œuvre d'historien mais que je contribuais à la vérité historique. Il serait criminel de laisser périr dans l'oubli la plus prestigieuse des luttes de libération des temps modernes que fut le combat du peuple algérien.
Je suis persuadé Monsieur le Président que vous comprendrez mon acharnement à vouloir faire connaître aux enfants d'Algérie ce que furent leurs aînés et leur noble et héroïque combat.
Dans l'espoir que mes livres seront un jour prochain à la portée de tous, je vous prie de croire Monsieur le Président à l'expression de ma profonde et respectueuse considération.
Témoignage d’un commandant et adjoint au chef d’état major de l’Armée de libération nationale en 60: « Pour la première fois depuis la fin de la guerre d’Algérie, un fellagha -, comme on disait alors, apporte le témoignage des combattants » de l’autre bord. Témoignage exceptionnel, venant d’un homme que ses frères de combat et les officiers français qui ont eu affaire à lui considèrent comme le chef le plus prestigieux et le plus courageux – il fut blessé treize fois – que l’Algérie ait compté. La carrière de Zerari Rabah, dit Si Azzedine, est fulgurante : maquis de Palestro dès 1955, chef du commando de choc Ali Khodja en 56, commandant militaire de la Wilaya IV (8.000 hommes) en 58 membre du C.N.R.A. (Conseil National de la Révolution Algérienne) et, adjoint au chef d’Etat-Major de l’Armée de Libération Nationale en 60, il prend en main en 1961 la zone autonome d’Alger. Jamais encore, la guerre du maquis en Afrique du Nord n’avait été évoquée avec une telle précision : technique de l’embuscade, conquête politique des villages, rôle des femmes dans la résistance, aménagement des caches, organisation des centres de soins, attaques de postes, accrochages, batailles sur les crêtes ou au fond des oueds. Mais il y a plus. L’histoire de Si Azzedine et celle de sa famille, nous rend sensibles les « pourquoi » de la révolution algérienne. Par l’ampleur et la vigueur de son récit, la richesse de ses informations, le livre du commandant Azzedine s’inscrit parmi les grands documents de l’époque contemporaine. »
Le commandant Azzedine, engagé dès la première heure dans la lutte pour l'Indépendance nationale de l'Algérie, s'est d'abord battu dans les maquis, à la tête des meilleures unités de l'armée de libération nationale. Figure héroïque de la Révolution dans son pays, chef militaire respecté et admiré par ses adversaires, il a évoqué ses souvenirs de maquisard dans On nous appelait Fellaghas, ouvrage salué par la critique internationale comme un document exceptionnel. Le commandant Azzedine poursuit ici son récit. Nommé (à 27 ans) par le gouvernement provisoire de la République algérienne responsable de la Zone autonome d'Alger, début 1962, il réorganise la capitale, la nourrit, lui rend ses structures économiques et sociales, la sauve de la destruction en démantelant l'O.A.S. Si Alger n'a pas brûlé, c'est grâce à lui et à ses compagnons, une poignée d'hommes hors du commun, dont il raconte avec passion l'ultime, effroyable et inédit combat pour la liberté.
Histoire des derniers beys de Constantine (depuis 1793, jusqu' à la chute de Hadj-Ahmed). Un recueil d'articles de E. Vayssettes parus dans la Revue africaine 1859-1860, et présentés par Rebahi Abderrahmane. Grand Alger Livres Edition . Collection Histoire. Alger 2005. 218 pages 380 dinars.
Un livre d'histoire(s) assez instructif ! L'auteur des articles, écrits en 1857, n'a raté aucune occasion pour mettre en exergue, sans hésitation, la férocité des Turcs, « qui savaient, selon lui, manier beaucoup plus le sabre que la plume » et défendre « l'Arabe qui, courbé sous le poids du plus brutal despotisme, oublia entièrement les productions de l'intelligence, pour ne songer qu'à soustraire ses biens ou sa vie à la rapacité de l'oppresseur ». Il oublie d'ajouter que si les citadins ont fait le « dos rond » (encore que Constantine est réputée pour « ne devoir son salut, face aux sièges, qu'au courage de ses habitants et non point à l'initiative de ses chefs, toujours absents au moment du danger »), les ruraux et les montagnards ont été continuellement rebelles et ont livré des batailles épiques avec des victoires retentissantes.
Rebahi Abderramane, dans sa présentation et son avant-propos, n'y va pas, aussi, de « main-morte ». Pour lui, « avec une poignée d'hommes, les Turcs sont restés, pendant plus de trois cents ans, maîtres du pays » car leur force « reposait sur la concentration (entre les mains des conquérants) de tous les pouvoirs militaires, et sur l'exclusion sévère des indigènes de toute participation à l'autorité suprême ».... et « les trois siècles de domination turque furent un regrettable HIATUS dans l'histoire algérienne ».
Galerie des portraits (évidemment, légèrement ou très fortement retouchés par l'auteur initial pour les besoins de la cause coloniale) des 19 derniers beys de Constantine, un véritable royaume, jusqu'au 13 octobre 1837 - après le très fameux Salah Bey dont le règne avait duré vingt ans...et qui voulait même proclamer son indépendance - certains ayant duré un seul mois, d'autres quatre années avec une moyenne générale de deux ans. Presque tous ayant fini décapités, sur ordre du Dey. On ne plaisantait pas avec le pouvoir à l'époque: On avait donc le constructeur , juste et pacifique..qui faisait trop confiance à son voyou de fils, un corrompu et un pervers, le kourougli ferme et droit mais « pas de chance », l'aventurier, l'administrateur ferme doublé de guerrier intrépide...mais qui aimait le sang, le juste et bon qui se souvient de toutes les « crasses », le tyran sanguinaire, le débauché pervers, spécialiste des orgies et des tortures barbares... ( il n'a duré qu'un seul mois, heureusement), l'« occasionnel » (six mois), l'ignorant grossier et incompétent...qui ira jusqu'à inventer un instrument spécial destiné à « bien » couper les cous (la Chettabia), l'indolent se reposant sur ses adjoints cruels et voleurs, le revanchard qui finit (toujours) mal, le généreux sincère et naïf, le vieillard sénile et incapable qui délègue ses pouvoirs aux cupides (un mois de règne), le sévère (à la turque !) mais équitable (c'est selon !)....puis résistant contre l'occupation française....et qui mourut dans son lit, bien au chaud, à Alger, à 63 ans, en 1850 , ......avec une pension de 12.000 francs.
A méditer!
Avis : Pour méditation ! Chaque soir, avant de vous endormir, lisez un chapitre et faites connaissance avec un des beys.....Vous ne dormirez pas bien, c'est certain, mais, le matin, vous vous sentirez plus qu'heureux de vivre aujourd'hui dans une Algérie libérée (et/ou ayant échappé à) d' une tyrannie sanguinaire.....qui aurait pu durer.
La bataille de Constantine : 1836-1837. Essai de Badjadja Abdelkrim. Chihab Editions, Alger 2016, 171 pages, 850 dinars.
Ahmed Ben Mohamed Chérif (Hadj Ahmed Bey) est né en 1787 à Constantine. Son grand-père, Ahmed Bey El Kolli était un Turc ayant régné à Constantine de 1756 à 1771. Le père d'Ahmed Bey, Mohamed Chérif, était un Kourougli, qui fut khalifa (lieutenant) du Bey Hossein de 1792 à 1795. De même que son père, Mohamed Chérif, qui épousa une fille Bengana, Hadja Rokia qui donna naissance à Ahmed Bey.
La maison natale, Dar Oum Noum se trouvait à l'emplacement précis du Centre culturel de l'ANP (ex-mess des officiers), en face du Palais du Bey.
A dix-huit ans, il fut nommé Caid El Aouissi (chef des Haracta) par Abdallah Bey (1805)....C'est en août 1826 qu'il fut désigné par le Dey Hussein comme Bey de Constantine succédant ainsi au fantasque Bey Manamani.
27 juin 1830 : Les troupes françaises débarquent sur les plages de Sidi Fredj. Hadj Ahmed Bey se trouvait sur le champ de bataille avec ses hommes....mais, on n'écouta guère sa proposition d'une autre stratégie que celle de l'Agha Ibrahim , le gendre du Dey.
Août 1830, la ville de Bône (Annaba) est prise par les Français ....avec pour objectif, de s'en servir de base de départ pour la conquête de Constantine.
Première bataille de Constantine fin 1836 avec une armée française de 8.800 hommes... face à une armée algérienne de 9. 900 hommes environ (dont 2.400 défendant la ville). La stratégie constantinoise (défense de la ville, laisser venir l'ennemi, l'enfermer entre l'attaque, grâce à une troupe battant la campagne, et la défense) est payante et l'armée française essuie une très lourde défaite
Deuxième bataille, en octobre 1837...mais cette fois-ci, en raison surtout d'erreurs et de contradictions du commandement constantinois, l'armée française (forte de 13.000 hommes) entre dans la ville le 13 octobre face à une résistance populaire incroyable.
Ahmed Bey continuera la lutte plusieurs années de suite....jusqu'en 1848. Fait prisonnier, il mourra en captivité à Alger, le 30 août 1850. Il fut enterré à la zaouïa de Sidi Abderrahmane à Alger, laissant trois veuves et deux filles.
L'Auteur : Né à Constantine, conservateur des Archives de la wilaya de Constantine (1974-1991) , il a été directeur des Archives de la wilaya de Constantine, puis directeur général des Archives nationales de 1992 à 2001. Il a occupé plusieurs fonctions électives au sein des organes du Conseil international des Archives. Auteur de plusieurs ouvrages et communications.
Avis : L'ouvrage a déjà été publié dans des journaux (El Moudjahid puis An Nasr) en 1982, puis en 1984 (Editions Dar el Baath), mais il conserve intacte sa valeur historique. Beaucoup d'éclairages, bien des questionnements..... Polémiques en vue ?
Extraits : « Les deux chefs de la résistance de l'époque (Emir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey) commirent la même erreur que celle de nos premiers ancêtres, Massinissa et Syphax, deux princes berbères qui avaient choisi de s'entretuer au lieu de s'unir, en faisant alliance avec les deux impérialismes de l'antiquité : Rome pour le premier et Carthage pour le second. Résultats des courses tant pour l'Antiquité que pour le début de la période contemporaine : l'Algérie perdit son indépendance » (p 109), « Il y a trop de lectures sur l'Emir Abdelkader, et peu ou pas sur Hadj Ahmed Bey » (p 115),
Citations : « Les ignorants ne savent pas combien l'archive est le moteur de la mémoire, l'élément indispensable à l'écriture de l'histoire ; sans elle, pas d'histoire » (p 123) , « Le mythe des « héros » est dangereux, surtout le jour où des vérités vont apparaître pour éclabousser ceux que l'on croyait de preux chevaliers sans reproche » (p 148)
Les mémoires de Hadj Ahmed Bey (1774-1850). Etude de Djilali Sari. Anep Editions, Alger 2015. 211 pages, 650 dinars.
Hadj Ahmed Bey, unique bey fils d'une mère algérienne ( Hadja R'quya Bent Gana), a été le dernier bey de Constantine. Investi en 1826, il n'a jamais cédé aux offres de l'occupant contrairement aux deux autres beys (de Médéa et d'Oran), et il a mené la résistance jusqu'à fin mai 1849. Il y eut même une tentative de le remplacer par le Bey de Tunis. Il ne fut capturé que suite à un double traquenard. . Il fut interné (en résidence surveillée) à la ruelle Scipion (Bab Azoun Est/Alger). L'auteur , à travers une analyse de contenu fouillée et plus que rigoureuse, démontre que les « Mémoires « de Hadj Ahmed Bey », connues du grand public et surtout des chercheurs , ne sont, en fait, qu'une traduction en partie falsifiée des propos et autres confidences recueillies (sans témoins) par un officier des Bureaux arabes, le capitaine de Rouzé, seule personne admise à entrer auprès du chef désormais « prisonnier » à Alger. Déjà, au départ, un entrefilet du 6 mars 1849 (pp 139 et 140) parue dans le journal colonial Akhbar', annonce la couleur par un ton moqueur et folklorique. Il décrit un Ahmed Bey confiné en son domicile, « au milieu de son harem de treize femmes et qui mènent une existence assez triste...ne voyant de l'extérieur que le petit espace de ciel qui s'étend au-dessus de la cour » ....jusqu'au 30 août 1850, date de son décès.
Marcel Emeri, un chercheur -grand découvreur de documents au fonds des Archives, sans aucune mention, comme l'original du traité de la Tafna - qui a présenté les « Mémoires » en 1949 n'est pas plus totalement objectif. Il trouve que « le style du document et la tournure d'esprit du rédacteur (le capitaine de Rouzé) sont d'une allure tellement barbaresque (sic !) » qu'il est « obligé d'admettre que le bey Hadj Ahmed a dicté lui-même ses souvenirs ».
Il reconnaît cependant que si les adversaires du Bey l'ont présenté comme un « tyran cupide et sanguinaire » (sur la base du seul document existant écrit par un homme qui le détestait, un certain Salah El Antri, Secrétaire du bureau arabe de Constantine , « médiocrement informé » ) , une opinion adoptée par les généraux (français )...... dans ses mémoires, on retrouve « un homme pondéré, pacifique, respectueux de la volonté du peuple exprimée par la voix des notables, généreux, autant qu'il est possible, envers ses ennemis ».....Et, d'ajouter que « bien que ce Turc n'était pas un ange et s'il avait été un tyran détesté, il n'aurait pas pu lutter pendant 18 ans contre nous.... et lors de sa reddition, en 1848, interné, quelques jours à Constantine, toute la population se cotisa pour le pourvoir en vêtement et en vivres »
L'Auteur: Géographe de formation, et historien, docteur d'Etat, il est professeur à l'Université d'Alger depuis 1966. Membre de plusieurs Unions scientifiques internationales, il a participé à différentes manifestations scientifiques nationales et internationales. Auteur d'un grand nombre d'ouvrages. L'essentiel de ses publications (pour la plupart traduites en arabe) est consacré à l'évolution du pays et au reste du Maghreb durant les décennies écoulées, en privilégiant l'approche interdisciplinaire. Quatre ouvrages sur Tlemcen. Son ouvrage phare est celui publié en 1975 (Sned puis Enag, en français puis en arabe): « La dépossession des fellahs, 1830-1962 ». (Voir article de l'auteur sur le sujet abordé in Le Quotidien d'Oran' du 30 décembre 2015)
Extrait: «En dépit d'une correspondance soutenue et bien argumentée, Istanbul ne manifeste aucun geste laissant espérer une probable assistance dans les meilleurs délais possibles. En fait, un silence prolongé et déstabilisant humiliant» (p 104)
Avis : A lire surtout par les étudiants en Histoire pour déconstruire les études historiques d'origine coloniale, pour affiner leurs approches méthodologiques et leurs analyses (critiques)
Citation : « Ils (les Français) n'ont aucun droit sur nos territoires dont chaque pouce est un bien hérité depuis des milliers d'années : nous sommes libres, comment se permettent-ils de nous vendre au gouverneur de Tunis ? Possèdent-ils quelque chose pour pouvoir le vendre ? » (Extrait de la pétition signée par 60 principaux chefs du Constantinois, et adressée au Parlement britannique, par Hadj Ahmed Bey, p 9)
Le jour de la capitulation de l’Allemagne, le 8 mai 1945, une manifestation de musulmans dégénère dans le Constantinois. La répression est terrible. La presse minimise les massacres. Et jusqu’à ce que la guerre éclate neuf ans plus tard, elle refusera de voir l’ampleur du mouvement nationaliste. Avec RetroNews, le site de la BNF.
P
C’est un jour de fête, la France et ses colonies célèbrent la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie. La 1re Armée française, qui a participé au débarquement de Provence et à la libération de la France, est composée à 90 % de soldats venus d’Afrique du Nord. Les Algériens ont, eux aussi, obtenu le droit de fêter ce 8 mai 1945 et de descendre dans la rue. A la condition − formelle − de ne pas exhiber de panneaux, de ne pas entonner de chants, de ne pas arborer le moindre signe nationaliste.
Mais, ce jour-là, à Sétif, dans le Constantinois, des fanions sont agités, des « Libérez Messali Hadj », du nom du leader nationaliste emprisonné à Brazzaville, sont criés. Un clairon scout musulman de 26 ans, Saâl Bouzid, brandit le drapeau qui allait devenir celui de l’Algérie indépendante (blanc et vert avec croissant et étoile rouges). En quelques minutes, la manifestation tourne au cauchemar. L’enchaînement des faits reste encore confus soixante-quinze ans après. Un gendarme tire sur le jeune scout et le tue. Cinq autres manifestants algériens sont blessés. Le cortège se transforme en émeute.
Les premiers articles parus n’expliquent quasiment rien de ce qui s’est passé. La presse française est mal informée et encore officiellement censurée, malgré la capitulation allemande. Quatre jours après l’armistice, « l’Humanité » fait des émeutes du Constantinois une révolte contre la faim. Et l’article a subi les ciseaux de la censure :
« Une dépêche de l’AFP [l’Agence France-Presse, NDLR] annonce que des événements graves se déroulent à Sétif, département de Constantine. La population musulmane, complètement affamée, a été facilement poussée par quelques provocateurs bien connus de l’administration à des violences : on compte des morts (10 lignes censurées). »
« L’Humanité », 12 mai 1945
La réalité ne sera connue du grand public que bien plus tard. Dans la foulée de la manifestation à Sétif, en représailles, des musulmans assassinent des civils européens avec des couteaux et des armes à feu, jusque dans les régions situées au nord de la ville, les Babors, en particulier Kherrata. On dénombre 102 victimes parmi les pieds-noirs, des victimes souvent mutilées, égorgées, émasculées, éviscérées, pieds et mains coupés. Parmi elles, des colons, des petits fonctionnaires, un curé du nord de Sétif, un élu de gauche, un ami de Ferhat Abbas, le leader nationaliste. Albert Denier, le secrétaire local du Parti communiste algérien (PCA), a eu les deux mains tranchées à coup de hache.
Portrait non daté du leader nationaliste Ferhat Abbas. (AFP)
Ce n’est que le 15 mai, près d’une semaine après les premières émeutes, qu’un communiqué du ministère de l’Intérieur est publié par la presse. Il attribue l’ampleur de la révolte à la famine, encore, et à l’agitation des leaders nationalistes, Messali Hadj et Ferhat Abbas :
« Le 8 mai, des bandes armées ont attaqué la population de Sétif et celle de Guelma, qui célébraient la capitulation de l’Allemagne. Les 9 et 10 mai, les agressions se sont étendues à des villages et à des fermes isolées, dans les régions de Sétif et Guelma. […] Les agressions ont été provoquées par des éléments du Parti du peuple algérien [le PPA, parti nationaliste fondé par Messali Hadj, NDLR] et par certains éléments du mouvement des “Amis du Manifeste” [initié par Ferhat Abbas, NDLR], qui ont lancé un ordre de grève générale pour le vendredi 11 mai. […] L’action d’une minorité d’agents provocateurs a été facilitée par les difficultés du ravitaillement en blé, dues à trois années successives de mauvaises récoltes, causées par la sécheresse. […] Le gouvernement veillera à la punition des coupables […] et demeure résolu à poursuivre l’application de sa politique d’accession progressive des Français musulmans d’Algérie à la citoyenneté française selon les principes posés par l’ordonnance du 7 mars 1944. »
« Combat », 15 mai 1945
La répression orchestrée par les autorités françaises dans le Constantinois est terrible. C’est la guerre. Le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, envoie l’armée. Huit cents soldats irréguliers recrutés dans les tribus marocaines et deux régiments de tirailleurs sénégalais sont mobilisés. Vingt-quatre chasseurs et bombardiers lâchent 41 tonnes d’obus. Le croiseur « Duguay-Trouin » tire à dix reprises dans la région du cap Aokas. Des automitrailleuses sont pointées sur les populations dans les villages. Des centaines d’Européens, arme au poing, s’enrôlent dans des milices civiles, autorisées un mois auparavant à Guelma.
Aujourd’hui encore, personne ne connaît le nombre exact de morts et de blessés parmi les musulmans. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire, Adrien Tixier, avance le chiffre « d’environ 1 500 » personnes tuées à l’été 1945. La statistique officielle, donnée l’année suivante par le général Raymond Duval, qui a réprimé l’insurrection, est de 1 165. Les estimations des historiens, très variables, oscillent aujourd’hui entre 7 000 et 15 000.
Le leader national Messali Hadj, en février 1949, au tribunal de Melun. (AFP)
Mais en cette mi-mai, dans les journaux, pas un mot ou presque sur la répression. La censure et le manque d’information continuent de faire leur œuvre. La presse reprend dans un bel ensemble la version officielle : la faim, et la « manipulation » de la population musulmane par des leaders nationalistes. « Comprend-on que, dans ce pays, où le ciel et la terre invitent au bonheur, des millions d’hommes souffrent de la faim. Sur toutes les routes, on peut rencontrer des silhouettes haillonneuses et hâves […]. Il n’y a pas une minute à perdre, ni un intérêt à épargner, si l’on veut sauver ces populations malheureuses », s’alarme ainsi Albert Camus dans « Combat ».
« L’Algérie crève de faim, et l’hiver dernier elle a crevé de froid et de faim. Le printemps est venu, le froid s’est enfui, il ne reste plus que la faim, écrit “Ce soir”, quotidien créé en 1937 par le Parti communiste (PCF) et placé sous la direction de Louis Aragon et Jean-Richard Bloch. Toutes les littératures du monde, pas plus que la politique qu’on a faite jusqu’ici, n’y changeront rien. L’Algérie crève de faim ; entendez bien : l’Algérie, qui fournit des tirailleurs, des spahis et des zouaves, et de confortables bénéfices aux actionnaires des Grands Domaines de Kéroulis, ou de Chapeau de Gendarme, ou de la Société Algérienne de Produits Chimiques et d’Engrais, et aux gros colons qui ravitaillèrent Rommel avec zèle. »
« Ce soir », 15 mai 1945
Le quotidien « France-Soir », insiste, lui, sur le rôle des leaders nationalistes : « C’est l’agitateur Ferhat Abbas qui a suscité les troubles d’Algérie. Il dispose de fonds importants et d’armes d’origine mystérieuse. […] Fondé voilà quelques années, [son] parti fut d’abord un parti de revendications indigènes. Pendant que la France était occupée, il se fit plus agressif, prit une tendance nettement autonomiste et Ferhat Abbas publia bientôt un manifeste nationaliste extrêmement violent et antifrançais. »
« France-Soir », 13 mai 1945
Quelques journaux pointent aussi de supposées accointances des leaders nationalistes avec l’Allemagne nazie et la responsabilité des autorités « vichystes » en poste en Algérie. Comme dans « Ce soir » : « Le fait d’avoir réprimé la révolte des éléments nationalistes arabes ne règle rien. Le problème très grave et permanent de l’Afrique du Nord reste entier. L’émeute qui a ensanglanté la Kabylie, les régions de Sétif, de Philippeville, de Guelma n’est pas un phénomène spontané. Déclenchée à l’heure où le monde entier saluait l’écrasement de l’Allemagne hitlérienne, elle a été suscitée, entretenue, par ceux qui, là-bas, n’ont jamais accepté la défaite du fascisme. Par ceux qui, par exemple, ravitaillaient les armées de Rommel engagées en Libye. Les émeutiers se sont battus avec des armes étrangères, déclare-t-on. De quelles armes “étrangères” s’agit-il ? On voit bien lesquelles. »
« “Rétablir le calme”, punir les auteurs des crimes commis ces jours derniers est bien. Châtier les véritables responsables de l’émeute : voilà qui serait mieux, poursuit le quotidien communiste du soir. La justice doit frapper ceux qui ont manœuvré les éléments nationalistes, ceux qui les ont poussés à la révolte. L’administration algérienne qui a permis que de tels faits se produisent doit être enfin débarrassée de tous les fonctionnaires vichyssois demeurés en place. Ces saboteurs sont à l’origine du désordre économique qui a plongé l’Afrique du Nord tout entière dans la misère exploitée aujourd’hui par l’ennemi. »
« Ce soir », 18 mai 1945
Le 20 mai, on peut enfin lire le premier récit un peu détaillé de la révolte dans le Constantinois. Mais il insiste à nouveau sur la responsabilité des leaders nationalistes qui auraient manipulé la foule des musulmans. Ainsi, dans « Ce soir » : « Le mardi 8 mai, Sétif, qui a appris, la veille, l’écrasement définitif de l’Allemagne, s’apprête à célébrer la victoire. C’est jour de marché. Des milliers de musulmans viennent des campagnes environnantes. Parmi eux circule un mot d’ordre : rendez-vous aux environs de la mosquée d’où l’on partira en cortège pour manifester en l’honneur de la victoire. Les paysans musulmans voulant prouver leur attachement à la France, répondent à cette convocation. »
« A 9h30, le cortège s’ébranle et se dirige vers le centre de la ville, poursuit le journal. Mais parmi les manifestants se sont glissés des provocateurs du Parti du peuple algérien, voyous à la solde de l’Allemagne, assassins à gages, faux nationalistes, agents et complices des “Cent Seigneurs” européens. Des pancartes sont brandies portées par des indigènes en guenilles qui ne savent souvent même pas lire et qui croient proclamer des mots d’ordre d’attachement à la France alors que les inscriptions portent en réalité : “Vive l’Algérie libre !” “Libérez Messali !” et aussi “A bas le communisme !”. Des milliers de fellahs [paysans] suivent, croyant, eux aussi, célébrer l’écrasement de l’hitlérisme. Le cortège arrive en ville. Le commissaire de sûreté, entouré de plusieurs agents, arrête les manifestants et leur demande d’enlever les banderoles. Ceux-ci refusent, et c’est le drame que l’on connaît. »
« Ce soir », 20 mai 1945
Partout dans l’empire français, les revendications nationalistes, encouragées par cinq ans d’occupation allemande qui ont montré que la France n’était pas si puissante, et par la participation décisive des troupes coloniales à la victoire contre l’Allemagne, n’ont jamais été aussi fortes. Mais la métropole reste dans le déni. L’indépendance n’est pas même envisageable.
Les racines de la révolte du Constantinois comme la montée du nationalisme au sein de la population musulmane sont mises sous le tapis. L’aveuglement de la presse continue. Les journaux les plus progressistes, comme « les Lettres françaises », se contentent de plaider pour une meilleure assimilation et des conditions de vie plus acceptables pour les Algériens :
« Il n’est pas du tout sûr que les 8 millions d’Arabo-Berbères mangeront mieux sous Messali Hadj, même promu roi, que sous le gouverneur général Châtaigneau. Messali Hadj, son Parti du peuple algérien, le Parti du Manifeste et tutti quanti n’empêcheront ni la sécheresse, ni les sauterelles, et ne feront pas tomber la manne du ciel. Ils remplaceront des féodaux en veston par des féodaux en djellaba. Le fellah n’y gagnera rien. […] On doit, tout d’abord, perdre l’habitude de considérer l’indigène comme un être sans besoins. On doit, ensuite, prendre conscience de sa soif de dignité […]. On doit, en outre, se décider à traiter l’Algérie comme une personne majeure, partie prenante dans l’affaire française, et non comme une colonie. […] On doit supprimer le statut juridique indigène, les cours criminelles, les abus de pouvoir de certains cadis [juges musulmans] et oukils [avocats en droit musulman]. On doit en finir avec une politique des salaires qui offense la raison et injurie le simple bon sens (les gros colons obtiendraient un meilleur rendement s’ils payaient l’ouvrier indigène au même taux que l’européen). On doit détruire un grand nombre d’inégalités choquantes : l’inégalité de traitement des fonctionnaires, selon qu’ils sont Européens ou indigènes ; l’inégalité des allocations militaires accordées aux familles des mobilisés (car le tirailleur musulman se fait aussi gentiment trouer la peau que le Français chrétien) ; l’inégalité du rationnement (un Français touche 300 grammes de pain, un indigène 250). […] »
« Une ordonnance du 7 mai 1944 a promis le droit de vote à 80 000 musulmans algériens. Eh bien ! cette promesse-là, il faut la ternir, justement parce qu’il y eut les troubles de Sétif, poursuit l’hebdomadaire lancé en 1942. Sans doute la citoyenneté accordée à 80 000 Algériens musulmans (chevaliers de la Légion d’honneur, fonctionnaires, etc.) n’est-elle pas toute la solution de la crise. Il restera 7,9 millions d’hommes et femmes qui continueront d’avoir faim. Mais, dans un pays où l’on a mobilisé massivement, à qui l’on a demandé beaucoup de sacrifices, il faut savoir régler la note avec élégance. Ce serait le meilleur moyen de sauvegarder le prestige et l’autorité de la France en Algérie. »
L’article est signé Bernard Lecache, journaliste et fondateur en 1927 de la Ligue internationale contre l’Antisémitisme dont il est resté président jusqu’à sa mort (LICA, devenue LICRA – Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme – en 1979).
« Les Lettres françaises », 26 mai 1945
Même le Parti communiste est sur cette ligne. Le PCF participe au gouvernement provisoire et se montre peu offensif sur sa politique répressive, focalisant ses critiques sur les milices privées de pieds-noirs, les autorités françaises en Algérie et les grandes familles de colons. Son satellite sur l’autre rive, le PCA, affiche la même tonalité. « L’Humanité » en métropole, « Liberté » et « Alger républicain », les quotidiens communistes en Algérie, donnent des informations tronquées par la censure et condamnent les nationalistes algériens. La thèse algérienne de Maurice Thorez, alors secrétaire général du PCF, − une « nation en formation », un creuset latin, arabe et berbère − est défendue des deux côtés de la Méditerranée.
« Les renseignements qui nous parviennent ne font que confirmer l’urgence qu’il y a, dans l’intérêt de l’Algérie et de la France, à prendre enfin les mesures qui s’imposent pour instaurer véritablement en Afrique du Nord “l’ordre français”, écrit “l’Humanité”. Malgré les déclarations du ministre de l’Intérieur et du gouverneur général, des opérations de représailles, parfaitement injustifiées, se poursuivent en divers points d’Algérie.Des régions entières sont toujours privées de ravitaillement, ce qui ne peut que contribuer à pousser à bout les malheureuses populations musulmanes, déjà sous alimentées etdénuées de tout vêtement. Les provocations se multiplient de la part de certains fonctionnaires d’autorité, ayant à leur tête le fasciste Lestrade-Carbonel, le préfet de Constantine. Le plan des Cent Seigneurs et de leurs agents du gouvernement général ayant été dénoncé, tous les moyens sont maintenant utilisés pour accréditer la thèse officielle de “l’insurrection arabe”, justifiant des tueries plus terribles encore que celles de Sétif et de Guelma. […] »
« Il faut que le ministre de l’Intérieur et le gouvernement provisoire indiquent clairement où ils entendent mener l’Algérie, poursuit “l’Humanité”. Car il n’y a qu’un moyen de ramener le calme dans les territoires d’outre-mer : rompre définitivement avec une politique qui fait le jeu des fascistes contre la France. Il n’y a qu’un moyen : donner à manger aux populations affamées ; arrêter les traîtres et saisir leurs biens ; relever de leurs postes les hauts fonctionnaires dont la responsabilité dans les récents événements ne fait plus de doute pour personne, les Berque, les Balensi, les Lestrade-Carbonel ; faire cesser immédiatement toute répression à l’égard d’innocents ; enfin, appliquer non seulement en paroles mais dans les actes l’ordonnance du 7 mars 1944. Ainsi seulement pourra se forger cette union des populations algériennes, sans distinction de race, et du peuple de France, seule base possible d’un ordre véritable en Algérie. »
« L’Humanité », 29 mai 1945
Neuf ans plus tard, les attentats de la « Toussaint rouge » sonneront le début de la guerre d’Algérie qui conduira à l’indépendance, en juillet 1962. Les émeutes du Constantinois en avaient été une sorte de « séance d’entraînement ». Longtemps, la mémoire algérienne a gommé le 8 mai 1945 au profit de ce 1er novembre 1954, marquant l’entrée dans le mouvement indépendantiste du Front de libération nationale (FLN). Depuis une trentaine d’années, l’histoire officielle redécouvre la pluralité du nationalisme algérien et les figures de Messali Hadj et Ferhat Abbas, qui deviendra président du gouvernement provisoire de la République algérienne puis président de l’Assemblée constituante.
Il faudra attendre 2005 pour que la France condamne les massacres du Constantinois. Le 27 février, lors d’un discours à l’université de Sétif, prononcé quatre jours après l’adoption de la loi évoquant « le rôle positif » de la colonisation par le Parlement français, l’ambassadeur en Algérie, Hubert Colin de Verdière, qualifie les événements du 8 mai 1945 de « tragédie inexcusable ».
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