Algérie… Algérité… Algéritude
La rose des sables d'Algérie
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Algérie… Algérité… Algéritude
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Rédigé le 20/02/2021 à 19:43 dans Immigration, Lejournal Depersonne | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 20/02/2021 à 19:33 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 20/02/2021 à 15:34 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
«Je repense aussi aux livres de Mouloud Mammeri et de Benjamin Stora, aux films de Malek Bensmaïl, de Nadir Dendoune et de Dorothée-Myriam Kellou, à toutes les images d'archives regardées sur le site de l'INA et aux discussions avec Tassadit Yacine.»
Ce midi, je regarde le court-métrage de Bastien Dubois Souvenir souvenir, en mangeant une chorba et un couscous berbère, achetés au coin de ma rue, en plein coeur de la Goutte-d'Or, à Barbès dans le 18e (Paris). Je n'ai jamais véritablement répondu à la question du pourquoi, mais je fus comme aimantée par ce quartier en arrivant à Paris, il y a 5 ans. Je n'aurais pu vivre nulle part ailleurs dans la ville. Quand j'ai besoin d'être réconfortée, je sors marcher dans les rues, entrer dans quelques boutiques et discuter avec mes voisins pour me sentir tout d'un coup apaisée. Dans son film, Bastien Dubois aborde avec des dessins qui s'animent, son désir de faire jaillir la parole de son grand-père appelé pendant la guerre d'Algérie. Je pense alors à mon grand-père maternel, originaire de Touraine, ayant eu une expérience similaire, qui raconte parfois quelques bribes de cette histoire avec difficulté. Je ressens aussi ma famille paternelle - des juifs originaires d'Algérie ayant quitté le pays en 1961 et s'étant toujours considérés comme «juifs français», heureux descendants du décret Crémieux -je me rappelle alors de la chanson Barbès de Rachid Taha dont le clip fut tourné dans ces rues que je chéris tant, du récent film ADN de Maïween[1] qui évoque les croisements de ses origines franco-algériennes et les différents traumatismes qui en découlent, du livre d'Alice Zeniter L'art de perdre qui esquisse avec délicatesse et intelligence l'histoire d'une famille exilée sur trois générations suite à la guerre où le grand-père se plaça du côté des Français pour ensuite vivre toute une vie de culpabilités venant se poser sur les épaules de sa petite-fille Naïma. Je pense alors à mes origines à moi, seule «goy» dans la famille de mon père et seule, «métissée» dans celle de ma mère, puisque leur union ne tint pas longtemps après ma naissance et qu'ils refirent chacun leur vie dans leurs groupes respectifs.
La rencontre avec...l'Afrique du Nord
Moi, Yohana Benattar, toujours le cul entre deux chaises, le cul entre deux rives, parfait caméléon pouvant s'adapter à n'importe quel milieu. Ayant grandi dans l'arrière-pays niçois, il a fallu que je vive à Montréal pour rencontrer des personnes originaires d'Afrique du Nord et avoir envie de creuser cette partie de mon identité, jusqu'à me définir comme «méditerranéenne».
Je repense aussi aux livres de Kaouther Adimi, de Mouloud Mammeri et de Benjamin Stora, aux films de Malek Bensmaïl, de Nadir Dendoune et de Dorothée-Myriam Kellou, à toutes les images d'archives regardées sur le site de l'INA et aux discussions avec l'anthropologue Tassadit Yacine qui me fit vite comprendre que j'avais besoin de me rendre en Algérie pour panser mes plaies. Mes plaies, mais pas seulement, peut-être aussi les plaies de celles et ceux qui m'ont précédée et qui n'ont pas ou peu transmis leur histoire dans son intégralité, cette histoire tronquée ou vidée de sa partie algérienne, arabe, berbère, africaine. Je sens que cette francisation des juifs d'Algérie fut quelque part un cadeau empoisonné. J'ai peur de fantasmer ces origines méditerranéennes et de me laisser séduire par les sirènes de l'orientalisme, mais je sens pourtant, que ce «don» de citoyenneté et cette brutale rupture au moment de la guerre furent aussi une amputation de racines, d'histoires, de mémoire et de liens avec les autres habitants d'Afrique du Nord. Je sais que si j'aime tant traverser la Goutte-d'Or, c'est aussi pour me remplir par tous mes sens de cette histoire qu'on ne m'a pas entièrement racontée.
Les personnes qui creusent et qui fouillent
Comme beaucoup d'autres, je me sens petite-fille d'une histoire de violences et de dominations. Je me reconnais à différents endroits dans ces récits polymorphes. Je me sens prise par cet étrange héritage et ne sais pas exactement comment marcher dans ces eaux boueuses. Quand j'évoque tous ces artistes et chercheurs, ce n'est pas simplement pour faire une liste mais plutôt pour dire qui sont mes compagnes et mes compagnons de chemin, celles et ceux qui me donnent des forces et du courage.
La seule manière que je trouve, aujourd'hui, pour faire avec est justement celle de faire avec -faire avec une amie franco-algérienne un film sur son histoire et son travail entre les deux rives de la Méditerranée. Faire avec (dans mes rêves les plus fous) en coproduction franco-algérienne un documentaire sur le camp de Bedeau (Ras-El-Ma Sidi Bel Abbès) en Algérie où fut placé mon grand-père sous le régime de Vichy. Faire avec des artistes, des chercheurs et des amis, enfants et petits-enfants de cette histoire, des projets communs de recherche, de partage et de soin. Près de 60 ans après la fin de la guerre, bien que n'ayant pas pu me rendre en Algérie, car la circulation des Français en Algérie comme celle des Algériens en France reste toujours compliquée. Je me sens tellement reconnaissante de toutes ces personnes qui creusent, qui fouillent, qui créent et crient, d'avoir accès à toutes ces oeuvres lumineuses qui sont une nécessité à ma vie.Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je sens que j'ai besoin de travailler ce rapport à une vie «le cul entre deux chaises», non pas pour forcément les réunir, mais peut-être, simplement, pour pouvoir trouver une assise un peu moins bancale, un peu plus stable, et qui me permette ensuite de transmettre et partager cette histoire avec le plus de précision possible- malgré l'ambiguïté et la complexité dont elle est intimement composée.
Témoignage recueilli par Tassadit Yacine et Kamel Lakhdar Chaouche
20-02-2021
https://www.lexpressiondz.com/nationale/j-avais-besoin-de-me-rendre-en-algerie-pour-panser-mes-plaies-341118
A lire :
https://www.lapresse.ca/cinema/critiques/2020-12-24/adn/quelques-moments-de-grace.php
https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19590412&cfilm=280076.html
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Rédigé le 19/02/2021 à 22:30 dans Algérie, Culture | Lien permanent | Commentaires (0)
Isolé de son vivant, attaqué par les radicaux de tous bords, le prix Nobel de littérature mort accidentellement à 46 ans, le 4 janvier 1960, n’a cessé de nous accompagner. Pourtant, tout se passe comme si on le redécouvrait avec la relecture de « La Peste ».
À la fin des années 1950, on courait grand risque à monter dans une Facel Vega qui, tenant mal la route, pouvait échapper au contrôle de son conducteur. La presse avait déjà évoqué les faiblesses de ce modèle puissant, responsable de trop d’accidents malheureux.
Le 4 janvier 1960, Albert Camus, qui devait rallier Paris en train, son billet en poche, décide de remonter de Lourmarin (Vaucluse), après les fêtes de fin d’année, dans la Facel Vega de son vieux complice, Michel Gallimard. Rue de Valois, André Malraux, ministre de la culture, attend son retour pour le nommer à la tête d’un grand théâtre, l’Athénée.
À 13 h 54, après le déjeuner, aux abords de Villeblevin (Yonne), sur la Nationale 5, le bolide du neveu de son éditeur s’encastre à vive allure dans l’un des nombreux platanes, sentinelles impitoyables des longues lignes droites. Albert Camus meurt sur le coup ; Michel Gallimard, grièvement blessé, succombe cinq jours plus tard.
Autour de la voiture désarticulée, parmi les bagages éparpillés, quelqu’un ramassera la sacoche dans laquelle Albert Camus avait rangé le manuscrit, encore incomplet, du roman qui devait être son Guerre et Paix, le symbole éclatant de sa renaissance littéraire, après des années d’errements et d’impuissance. Le Premier Homme.
Albert Camus, prix Nobel de littérature 1957, fauché à 46 ans… Son cercueil, porté par les habitants du village, sera enterré à Lourmarin, dans une froide lumière d’hiver, sous les arbres dénudés du Luberon. L’émotion est considérable partout, en France comme dans le monde. « La disparition fulgurante d’Albert Camus ne fut pas seulement celle d’un homme mais aussi celle d’un possible qu’il représentait, l’existence du fait moral dans un monde dépouillé de sens », écrit Vincent Duclert, dans Camus, des pays de liberté, un bel essai paru récemment.
Au-dessus de la tombe, une simple stèle de pierre grise : Albert Camus 1913-1960. Le poète René Char dont, sur les photos, la haute stature domine le cortège funéraire, dira : « Avec celui que nous pleurons, nous avons cessé de parler mais ce n’est pas le silence. »
Après bien des hésitations de ses amis et un long travail de différentes versions et notations raboutées par sa fille Catherine, gardienne infatigable de ses écrits et de sa mémoire, Le Premier Homme paraît trente-quatre plus tard. L’histoire d’un orphelin, né pauvre, dont le père est mort à la guerre en 1914, « et personne ne lui avait parlé et il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, en force, en puissance, trouver seul sa morale et sa vérité ». Autant d’accents autobiographiques, en écho à son premier essai publié à 21 ans – L’Envers et l’Endroit –, dont la publication posthume révélera que Camus tenait là son grand œuvre. Une découverte éblouissante et douloureuse, tirée à 760 000 exemplaires.
Sartre, le « saigneur », l’exécutera dans sa revue Les Temps modernes.
Enterré, Camus l’avait déjà été par les fossoyeurs de Saint-Germain-des-Prés, après la publication de L’Homme révolté, en 1952. Son ami depuis des années, Jean-Paul Sartre, avait lâché ses chiens dans Les Temps modernes, sa revue alors fort influente, pour briser avec condescendance ce fils de pauvre qui ne pouvait, à ses yeux d’agrégé, se prétendre philosophe. Supérieur et méprisant, il avait jeté cet argument à la figure de Camus, sans doute déjà suspect devant ces beaux esprits de répéter que les stades de football et les théâtres avaient été ses seules universités.
De quoi fut-il accusé ? D’avoir dénoncé les dérives du marxisme, décrit le mécanisme implacable de ce totalitarisme sanglant et répressif, le système soviétique qui avait dénaturé l’élan révolutionnaire. Crime impardonnable aux yeux des thuriféraires de l’URSS. Les grandes manœuvres furent déployées contre cet irrégulier libertaire qui ne rentrait pas dans le rang.
« Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Albert Camus
Sartre, le « saigneur », l’exécutera dans sa revue et le rabaissera par des traits cinglants, utilisant ses affidés pour ostraciser cet « humaniste à la morale de Croix-Rouge ». Catherine Camus n’a que 7 ans au moment de « l’assassinat intellectuel » de son père. Elle le voit un matin se tenir la tête entre les mains, le regard triste. « Je suis seul… », lui dit-il, d’un air las.
C’est dans ce climat de règlement de comptes que Camus, rejeté par les apparatchiks marxistes et l’intelligentsia germanopratine retranchée au Café de Flore, reçoit, écrasé par la charge, l’annonce de son prix Nobel à l’automne 1957. Loin de le réjouir, cette consécration mondiale, qui le couronne à 44 ans, l’enfonce un peu plus. Il se sent embaumé de son vivant. Depuis des mois, il n’arrive plus à écrire, marine dans une sourde dépression, songe à en finir. Pourtant, son discours de Stockholm fera date.
On se souviendra longtemps de sa voix traînante de sépulcre, au léger accent couleur de soleil, distribuant des piques à ses ennemis, dépassant les vaines querelles par une formule très camusienne. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Son retentissement moral n’effacera pas les flétrissures. Dix ans après sa mort, un critique littéraire bien en vue dégainera à son tour un libelle dont on ne retiendra que le titre : Camus, philosophe pour classe terminale. Ultime pelletée de terre…
Si Camus, armé de son honnêteté, ne refusait pas la bagarre, il avait horreur des coups bas. Face à lui, une gauche marxiste s’arrogeant le camp dit du progrès l’attaquait par esprit de meute, et la droite conservatrice fustigeait le peu de patriotisme de cet enfant d’Alger. Toute sa courte vie, Albert Camus fut désigné comme un « traître » par les radicaux des deux bords, hostiles à son désir autant qu’à la nécessité, après les massacres et les attentats, de rendre conciliable ce que la guerre rendit inconciliable. La question algérienne sera la pierre de touche des jugements sans appel contre lui et de ses propres tourments.
Conscient du destin sanglant vers lequel basculait sa terre natale, il prôna le dialogue et un compromis.
Et quand, conscient du destin sanglant vers lequel basculait sa terre natale, il prôna en 1956 par un Appel pour une trêve civile une troisième voie vers le dialogue et un compromis, les deux camps, le FLN partisan du terrorisme pour arracher l’indépendance et les ultras de l’Algérie française, violemment arc-boutés sur les acquis de la colonisation, le chasseront de leur terrain d’affrontement. Condamnant cet homme de bonne volonté à un silence qu’il ne rompra qu’au lendemain du discours de Stockholm, lors d’une conférence de presse, poussé dans ses retranchements par un jeune étudiant kabyle l’accusant publiquement de ne pas prendre parti pour le FLN.
Que répond Camus, qui fut le premier journaliste expulsé d’Algérie pour avoir mené campagne en faveur des Arabes ? « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. » On ne voudra retenir que la dernière partie de la phrase pour mieux l’accabler, sans lui reconnaître l’humanité du propos, ni lui concéder la dignité de cette réponse.
Il passera dès lors pour « une belle âme », insensible au drame de son peuple, à l’urgence de se libérer du joug colonial et à l’inéluctable indépendance. Et comme il condamne le terrorisme du FLN, c’est donc qu’il est pour l’Algérie française… Emballez, c’est pesé ! Ce fut bien le procès le plus mal ficelé à son endroit mais aussi celui qui laissera le plus de traces.
Tous ces assauts, violents, ne pouvaient qu’atteindre ce partisan inlassable d’un « humanisme raisonné », qui avait su prendre les armes face aux nazis. Comment pouvait-on le traîner devant le tribunal de l’opinion, lui, le fils de pauvre, né le 7 novembre 1913, à Mondovi, orphelin de père, élevé par sa mère, sourde, illettrée, femme de ménage et sa grand-mère, femme rigide et intraitable ?
Fidèle à ses origines, il sera et restera la voix des humbles, des invisibles, des humiliés. Sauvé par l’école où deux enseignants, Louis Germain son instituteur à Alger, puis Jean Grenier, son professeur de philosophie au lycée Bugeaud, l’arrachèrent à la fatalité de sa condition sociale en lui ouvrant les portes de la culture, l’accompagnant sur les chemins de sa liberté. Le fameux vers de René Char, l’un de ses amis les plus proches, aurait pu être écrit pour le jeune Albert Camus : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »
« La honte » du regard porté sur lui par les autres, puis « la honte d’avoir honte »
Très vite, ce boursier, qui a connu « la honte » du regard porté sur lui par les autres, puis « la honte d’avoir honte », attire l’attention de ses professeurs qui distinguent l’élève hors du commun. Il dispose de tous les talents, écrit, se fait un nom dans la grande ville, dès ses premiers articles, mûr dans ses idées, charpenté dans ses convictions. Séduisant, solaire et rayonnant mais aussi pudique, modeste, perclus de doutes qui ne le lâcheront jamais.
Il éprouve un vrai bonheur à jouer, très bien, au football où il acquiert au milieu de ses coéquipiers, unis et complémentaires dans l’action, « le peu de morale » qu’il s’attribue et qu’il conservera comme le trésor de ses jeunes années algéroises. Le gardien de but qui court vers un destin de professionnel est terrassé par la tuberculose. Il frôle la mort à 17 ans. Il comprend que la vie ne sera qu’une brève aventure et qu’il ne doit pas passer à côté.
« Il y a ainsi une volonté de vivre sans rien refuser de la vie qui est la vertu que j’honore le plus dans ce monde », écrira-t-il. Comme il se sait en sursis, il ne traîne pas en chemin. Il vivra à fond ses engagements, sa création, ses amours. « Pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup ? » Une jolie formule qui recouvrira la souffrance de quelques cœurs brisés mais témoigne de la sincérité de ses attachements.
Il fait du théâtre sur le modèle du TNP de Jean Vilar, s’épanouit dans l’exercice de la mise en scène, fortifie ses amitiés et multiplie les conquêtes. Il n’a que 24 ans lorsqu’il rédige L’Envers et l’Endroit, vibrant récit autobiographique sur ses origines de pauvreté et de lumière, bréviaire destiné à le préserver des « deux dangers qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction ».
Chroniqueur judiciaire, position qui lui offre de sonder les obscurités de l’âme humaine, critique littéraire, reporter, journaliste de terrain, il signe, à 25 ans, une retentissante enquête sur « La misère en Kabylie » dont chaque phrase est un réquisitoire contre la colonisation. À la même époque, son Manifeste pour un journaliste libre, qui sera censuré, pose les quatre commandements d’un digne exercice de ce métier : la lucidité, le refus, l’ironie, l’obstination.
Il recommande déjà de « ne rien publier qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir ». Des années plus tard, il quittera Combat, que son engagement et ses articles tranchants avaient hissé au plus haut niveau, en invoquant l’incompatibilité entre l’argent et l’indépendance. « Les capitaux ne vont jamais sans servitude. »
C’est à Alger que s’ancre chez ce Méditerranéen son héliotropisme sensuel, son goût charnel des paysages, ses inclinations pour les femmes auxquelles le relient des passions parallèles, de ferventes complicités intellectuelles et le désir de graver par de longues lettres les heures passées qui en prolongent le plaisir et en augmentent l’attente. C’est à Alger que s’affirme chez cet agnostique le sens du tragique, que se forge son éthique de la liberté, que s’élabore sa philosophie de l’absurde.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Il entre, évidemment, dans la Résistance, journaliste à Combat le jour, clandestin la nuit, organisateur de l’ombre au péril de sa vie. Et trouve même le temps de finir d’écrire La Peste.
→ À LIRE. « La Peste », le grand livre du coronavirus
« Ses articles et ses éditos, irrigués par une réflexion déontologique plus que jamais nécessaire, restent très inspirants, note Maria Santos-Sainz, auteure de Camus, journaliste. La cohérence de son propos, résumée par son célèbre Ni victimes, ni bourreaux, et sa recherche obsessionnelle de la vérité dégagent une métaphysique de la dignité. Rendre visible l’inadmissible et la souffrance des humiliés. Soigner le langage, toujours chercher le mot juste, admirablement synthétisé par sa formule si souvent citée et si mal appliquée : “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.” Combat fut la courroie de transmission de son humanisme réconciliateur. »
Éditorialiste de choc à Combat, il impose un ton, un style et une lucidité qui forcent l’admiration.
Directeur de collection et membre du comité de lecture de Gallimard, éditorialiste de choc à Combat, l’organe de la Résistance qui tirait à 200 000 exemplaires après la Libération, Albert Camus impose un ton, un style et une lucidité qui forcent l’admiration. Au lendemain de Hiroshima, il est le premier à entrevoir le gouffre vers lequel plonge l’humanité. « Ses articles dans Combat sont magnifiques et méritent d’être lus en public au même titre que ses grands textes littéraires, comme Noces », soutient Agnès Spiquel, ancienne présidente de la Société des études camusiennes.
Ses écrits obligent les intellectuels du moment à se confronter à cette pensée de la mesure, ferme sur les principes, inflexible sur la recherche de la vérité et la dénonciation des injustices. Début du malentendu mais aussi de la différence de perception entre le vaste peuple de ses lecteurs et le carré de l’intelligentsia, acharné à le réduire en le cataloguant soit comme « fasciste » (mais oui !), soit comme un indécis.
« Camus nous apprend l’importance vitale de la nuance et de la réflexion, le recul, le pas de côté pour se défaire du schématique et du manichéisme, le temps du silence pour dépassionner les débats trop virulents. Il est l’éternel garde-fou contre les tentations extrêmes. »
Marylin Maeso
« Sa” pensée de midi”, qualifiée de “morale pour boy-scout”, rappelle Agnès Spiquel, ne correspond en rien à la caricature du juste milieu où on a tant voulu l’enfermer. C’est une morale exigeante, en équilibre fragile, en tension permanente avec des forces opposées. La conciliation, chez Camus, réclame d’écouter les raisons de l’adversaire et de dialoguer pour arriver à la possibilité de négocier. Et la mesure, c’est opposer l’éthique à l’efficacité, consentir à être moins efficace à court terme mais pour bâtir l’avenir sur des fondations solides. » Quand l’heure est aux excommunications, comment recevoir cet apôtre d’une justice équitable ? Camus trouve les mots pour se défendre. Et attaquer. « La démesure ? Une posture toujours, une carrière parfois. »
Marylin Maeso, professeure de philosophie à Orléans, auteure de L’Abécédaire d’Albert Camus, revient sur cette querelle capitale. « Camus a raison. L’excès fait vendre. C’est facile, intense, ne demande pas beaucoup d’efforts et assure une bonne image. L’époque actuelle, qui privilégie le jugement lapidaire à l’analyse, nous en inflige le spectacle tous les jours, sur les écrans et les réseaux sociaux. Camus nous apprend l’importance vitale de la nuance et de la réflexion, le recul, le pas de côté pour se défaire du schématique et du manichéisme, le temps du silence pour dépassionner les débats trop virulents. Il est l’éternel garde-fou contre les tentations extrêmes. »
Le destin de Camus est glorieusement et tragiquement lié à celui des Gallimard. Gaston Gallimard le porta sur les fonts baptismaux de l’édition et Michel Gallimard l’entraîna dans une farandole d’amitié qui les mena tous deux à la mort. Depuis, Gallimard, avec le soutien de sa fille Catherine Camus, maintient haut le flambeau de son héritage par une politique éditoriale exemplaire.
« Rien de ce qui touche à Albert Camus ne laisse indifférent. »
Alban Cerisier
Parution posthume du Premier Homme, deux publications de ses Œuvres complètes dans la Pléiade, de multiples éditions renouvelées en Folio, exhumation de ses Carnets, Conférences et discours, révélation de ses nombreuses Correspondances dont la dernière en date, celle, volumineuse et ardente (865 lettres…) avec l’actrice Maria Casarès, dont les ventes (60 000 exemplaires) se sont envolées.
« Rien de ce qui touche à Albert Camus ne laisse indifférent. Ce succès de librairie impressionnant atteste qu’il demeure une figure très présente dans notre culture », souligne Alban Cerisier, secrétaire général des Éditions Gallimard. Il fut même question, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de le transférer au Panthéon, projet recalé par ses enfants.
Au printemps 2020, l’engouement soudain pour La Peste, provoqué par la pandémie, ramène sur le devant de la scène l’éternel Albert Camus, plus actuel que jamais, envisagé comme un phare dans la tempête, éclairant par une description clinique l’enchaînement des événements qui nous emportent. Du déni à l’affolement, quand la vague invisible du virus submerge les corps et les esprits. « Camus montre comment l’obstination de quelques-uns quand tout semble perdu, la solidarité et l’engagement individuel au service du collectif deviennent la force de tous, pour tous », souligne Marylin Maeso.
Le recours à Camus renvoie aux années lycée, à la découverte émue de ses livres à l’adolescence, période de grandes questions philosophiques, ces futurs bagages existentiels. « Les réseaux sociaux fourmillent de ses citations, relève Alban Cerisier. Il accompagne nos vies, touche l’intimité de ses lecteurs. Par son refus des explications trop faciles, par son insistance à rappeler que chacun de nos actes nous lie à une communauté de destins, il nous aide à penser le monde. »
→ DOSSIER. La Croix L’Hebdo
Soixante ans après, sa mort marque la fin d’une époque. « Nous avions tellement besoin de ce juste, dira Ionesco. Il était, tout naturellement, dans la vérité. » Le 5 janvier 1960, lendemain de l’accident, le titre de l’édito barre la une de Combat, son ancien journal : « Une conscience contre le chaos ». N’est-ce pas, au fond, plongés dans le désarroi d’une catastrophe sanitaire, humaine, économique, en quête de repères, avides de solidarité et de fraternité, ce que les lecteurs de 2020 cherchent en ouvrant La Peste ?
https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Albert-Camus-leclaireur-temps-obscurs-2020-05-21-1201095332
Rédigé le 19/02/2021 à 21:38 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
A l’occasion des 50 ans de l’indépendance de l’Algérie nous permet de découvrir des images de Jean-Pierre Laffont qui fut, avec son épouse Eliane, un pilier historique des agences Gamma et Sygma. En revisitant ses archives, Jean-Pierre a exhumé des images faites dans sa jeunesse d’officier chargé de la vie d’un douar.
Au début de l’année, alors que j’exposais les photos, réalisées par mon père, du camp de harkis de La Londe-les-Maures dans le Var, il m’écrivait : « J’ai adoré les photos de ton père. Sous-bite (ndlr : jargon militaire pour sous-lieutenant), j’avais une harka en Algérie en 1961 jusqu’en avril 1962. Je viens de scanner une cinquantaine d’images que j’ai réalisées là-bas. »
Le jeune officier appelé crée une école, un dispensaire médical. Il fait de son mieux, avec cœur. Achète des fournitures scolaires à Oran sur sa solde, se démène pour ces citoyens de seconde zone que sont alors les algériens. Arrive le cessez-le-feu, l’indépendance et il doit ré-embarquer pour « la métropole » en laissant derrière lui ses harkis qui ne sont autorisés à le suivre qu’en abandonnant leur famille. Cruelles et inacceptables conditions. Jean-Pierre Laffont en restera marqué pour le restant de ses jours. Ses photos montrent déjà chez le jeune homme une belle maîtrise du cadrage et un sens du récit en images. Merci à lui et à Jean-François de ce témoignage émouvant.
Ouvrir pour voir :
http://jplaffont.photoshelter.com/gallery/ALGERIA/G0000pYoVaxFjLHM/C0000pHF7vaI5RFQ
https://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2018/11/eor-cherchell-avant-1962.html
À l'homme le plus pauvre
à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
à celui qui depuis sa naissance n'a jamais eu le
ventre plein
On ne peut cependant ôter ni son nom
ni la chanson de sa langue natale
ni ses souvenirs ni ses rêves
On ne peut l'arracher à sa patrie ni lui arracher sa
patrie.
Pauvre affamé nu il est riche malgré tout de son nom
d'une patrie terrestre son domaine
et d'un trésor de fables et d'images que la langue
des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte
la vie.
Aux Algériens on a tout pris
la patrie avec le nom
le langage avec les divines sentences
de sagesse qui règlent la marche de l'homme
depuis le berceau
jusqu'à la tombe
la terre avec les blés les sources avec les jardins
le pain de bouche et le pain de l'âme
l'honneur
la grâce de vivre comme enfant de Dieu frère des
hommes
sous le soleil dans le vent la pluie et la neige.
On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine
on les a fait orphelins
on les a fait prisonniers d'un présent sans mémoire
et sans avenir
les exilant parmi leurs tombes de la terre des
ancêtres de leur histoire de leur langage et de la
liberté.
Ainsi
réduits à merci
courbés dans la cendre sous le gant du maître
colonial
il semblait à ce dernier que son dessein allait
s'accomplir.
que l'Algérien en avait oublié son nom son langage
et l'antique souche humaine qui reverdissait
libre sous le soleil dans le vent la pluie et la neige
en lui.
Mais on peut affamer les corps
on peut battre les volontés
mater la fierté la plus dure sur l'enclume du mépris
on ne peut assécher les sources profondes
où l'âme orpheline par mille radicelles invisibles
suce le lait de la liberté.
On avait prononcé les plus hautes paroles de fraternité
on avait fait les plus saintes promesses.
Algériens, disait-on, à défaut d'une patrie naturelle
perdue
voici la patrie la plus belle
la France
chevelue de forêts profondes hérissée de cheminées
d'usines
lourde de gloire de travaux et de villes
de sanctuaires
toute dorée de moissons immenses ondulant au
vent de l'Histoire comme la mer
Algériens, disait-on, acceptez le plus royal des dons
ce langage
le plus doux le plus limpide et le plus juste vêtement
de l'esprit.
Mais on leur a pris la patrie de leurs pères
on ne les a pas reçu à la table de la France
Longue fut l'épreuve du mensonge et de la promesse
non tenue
d'une espérance inassouvie
longue amère
trempée dans les sueurs de l'attente déçue
dans l'enfer de la parole trahie
dans le sang des révoltes écrasées
comme vendanges d'hommes.
Alors vint une grande saison de l'histoire
portant dans ses flancs une cargaison d'enfants
indomptés
qui parlèrent un nouveau langage
et le tonnerre d'une fureur sacrée :
on ne nous trahira plus
on ne nous mentira plus
on ne nous fera pas prendre des vessies peintes
de bleu de blanc et de rouge
pour les lanternes de la liberté
nous voulons habiter notre nom
vivre ou mourir sur notre terre mère
nous ne voulons pas d'une patrie marâtre
et des riches reliefs de ses festins.
Nous voulons la patrie de nos pères
la langue de nos pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir
Ici et maintenant
nous voulons
libre à jamais sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
notre patrie : l'Algérie.
Jean Amrouche
Paris 1958
poèmes algérien
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Rédigé le 19/02/2021 à 16:45 dans Algérie, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
Une dizaine de prisonniers du Hirak ont été libérés vendredi en Algérie, après une grâce accordée par le président Abdelmadjid Tebboune, à la veille du 2e anniversaire du soulèvement de ce mouvement de contestation du pouvoir, selon des défenseurs des droits humains.
Libérés. Une dizaine de prisonniers du mouvement algérien de contestation Hirak ont retrouvé leur liberté, vendredi 19 février, après une grâce accordée par le président Abdelmadjid Tebboune, ont rapporté des défenseurs des droits de l'Homme. Cela intervient à la veille du deuxième anniversaire du début de ce soulèvement antirégime et qui a poussé l'ancien président Abdelaziz Bouteflika à quitter le pouvoir.
Le Comité national de libération des détenus (CNLD) a fait part sur Facebook de la libération d'une dizaine de prisonniers. D'autres sont attendues vendredi encore.
Selon le militant Zaki Hannache, engagé dans la défense des prisonniers d'opinion, ces libérations ont notamment eu lieu dans les wilayas (préfectures) de Bordj Bou Arreridj, Tebessa, M'sila (est), Saïda (ouest), ainsi que dans le Sud, à Tamanrasset et Adrar.
Jeudi 18 février, dans un discours à la Nation très attendu, Abdelmadjid Tebboune a annoncé une grâce présidentielle en faveur de dizaines de détenus du Hirak, perçue comme un geste d'apaisement à l'égard du mouvement de protestation.
"En tout, entre 55 et 60 personnes rejoindront à partir de ce soir ou demain leurs familles", a-t-il promis, en référence aux personnes graciées, sans divulguer de noms. Un tweet de la présidence algérienne a précisé que la mesure concernait les "auteurs de crimes liés aux technologies de l'information et de la communication".
Grâce présidentielle du 18 Février 2021: 11h 30: Badi Allal (Tamanrasset), Lahcen Ben Cheikh (Bordj Bou Arreridj),...
Devant la prison de Koléa, à l'ouest d'Alger, militants, journalistes et familles se sont réunis vendredi matin pour attendre les détenus libérés. Parmi les prisonniers de Koléa figure le journaliste Khaled Drareni, devenu le symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie. Il avait été condamné à deux ans de prison en septembre.
Avec AFP
https://www.france24.com/fr/afrique/20210219-alg%C3%A9rie-des-d%C3%A9tenus-du-hirak-lib%C3%A9r%C3%A9s-apr%C3%A8s-une-gr%C3%A2ce-du-pr%C3%A9sident-tebboune
Rédigé le 19/02/2021 à 12:13 dans Algérie, Culture, HIRAK | Lien permanent | Commentaires (2)
Si l’on prend la peine de lire attentivement le rapport Stora on comprend tout de suite que la France cherche une relation désormais tournée vers le futur, c’est-à-dire en termes terre-à-terre, des échanges commerciaux privilégiés. Les autres volets techniques évoqués font figure d’anecdotes, et c’est tout. En définitive, les archives tant recherchées par l’Algérie ne seront pas restituées dans l’immédiat.
C’est ce qui ressort encore d’une enquête livrée dans son édition du 16 février 2021 d’« Al Qods al-Arabi », dans laquelle y affirme, s’appuyant sur des données sur lesquelles il a eu un accès privilégié, que le secret sur les « Archives algériennes » ne sera pas levé de sitôt.
Le même propos a été rapporté il n’y a pas longtemps par un expert de la guerre d’Algérie, sur le site d’information OrientXXI. Sous le titre évocateur de « Les archives cadenassées de la guerre d’Algérie », l’auteur, y décrit le caractère de « secret d’Etat » des archives algériennes.
Dans la théorie, tout est simple, puisque la loi stipule que « Les archives produites par les autorités politiques (président de la République, membres du gouvernement ou exécutifs locaux) et par leurs cabinets dans l’exercice de leurs fonctions publiques ont un caractère public, au même titre que celles des responsables de l’administration, de l’armée et de la diplomatie ».
Mais dans les faits, les choses en sont tout autre. Preuve en est cette anecdote qui est arrivée à Madame Audin. En 2013, le président François Hollande remet à Josette Audin des copies de documents concernant son mari Maurice Audin, ainsi qu’une liste d’archives qu’elle peut aller consulter et copier. En fait, la décision du président n’est pas extraordinaire : la loi française reconnaît que la raison d’État permet de tamponner des documents du sceau « confidentiel », « secret » ou « très secret » afin d’en empêcher la consultation, mais durant cinquante ans seulement.
Mme Audin a beau courir à gauche, à droite, mais n’a pu recueillir que des « miettes » : journaux d’époque, photocopies sans importance décisive, etc.
Dans le cas de Maurice Audin, la consultation des archives nationales n’apporte donc pas grand-chose. Dans les archives de la présidence, celles de l’époque du général de Gaulle, on trouve une note de quatre pages en date du 4 août 1960, et même plusieurs versions successives de cette note, sans doute rédigée à la demande du général, au sujet de cette affaire Audin dont il entend vraisemblablement trop parler à son goût. Il suffit de lire les pages 3 et 4 de cette note pour comprendre ce qu’est la raison d’État.
https://www.typepad.com/site/blogs/6a00d834529ffc69e200d834529ffe69e2/post/compose
Rédigé le 18/02/2021 à 21:29 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
https://www.facebook.com/fifilamia.chellali/videos/2700456056684213
https://www.facebook.com/Mohdechounbikbachi/videos/791347654845285
C’est ce dos de lion couché qui porte sur ses contreforts les gros bourgs voisins méridionaux et orientaux de la capitale. C’est ce lieu d’où ont déferlé les fantassins en armes, tout comme l’ont fait ceux de l’Ouarsenis et du Djurdjura pour courir au secours d’Alger, désertée par les Janissaires en déroute le 14 juin 1830, quand les armées coloniales se sont répandues sur la grève de Sidi Fredj.
C’est ce djebel mythique où le prestigieux commando Ali Khodja, unité d’élite des combattants de la glorieuse ALN de la Wilaya IV, a écrit, les 4, 8 et 12 août 1957, des pages de légende parmi les plus illustres de la guerre de Libération nationale. Djebel qualifié de «pourri» par le général Jacques Massu dans ses mémoires en raison de la dérouillée qu’il y a écopé puisqu’il y a laissé plus de six cents morts dans les rangs de son armée !
Après le démantèlement de la première zone autonome d’Alger successif à l’arrestation de son chef Yacef Saâdi (23 septembre 1957) et la mort d’Ali La Pointe et de ses compagnons dans un refuge à La Casbah (8 octobre 1957), l’armée française a considérablement épaissi ses effectifs militaires dans les maquis, particulièrement les wilayas périmétriques de la capitale. La pression s’est particulièrement imposée sur la Wilaya IV, d’évidence en raison de sa contiguïté.
Dès lors qu’Alger a été éreintée et sa farouche résistance réduite, il ne se passait plus un jour sans que les armées coloniales en nombre, tous corps confondus, appuyées par des moyens aériens et terrestres considérables, ne se déploient comme la misère sur le monde à travers monts et talwegs. Un harcèlement permanent ! Il en sortait de partout. Les hélicoptères de transport, qu’on appelait les «bananes» (voir encadré), pondaient journellement des hommes en armes sur les crêtes et les pentes des reliefs les plus escarpés. Une crête occupée par l’adversaire était pour nous une bataille de perdue ! Le quadrillage était d’un tel maillage que la seule région de Ouled Moussa (ex-Saint-Pierre-Saint-Paul) était hérissée de pas moins de 58 postes militaires ! Une submersion asphyxiante qui nous contraignait à vivre en apnée.
Alors que depuis les premières actions d’Ali Khodja et de son commando nous avions appris à opérer et nous mouvoir au grand jour, la constriction exercée sur nous par l’ennemi nous astreignait à une position défensive. L’initiative nous avait échappé et sans une réaction salutaire, nous risquions de perdre tout le terrain laborieusement gagné politiquement et militairement, après de durs combats souvent coûteux en vies humaines.
Face à ce pressing mortel, le conseil de la Wilaya IV, alors présidé par le commandant Si M’hamed – qui assurait encore l’intérim du commandement après le départ pour Tunis du colonel Si Sadek – avait pris la décision historique et combien audacieuse de lancer une offensive généralisée contre les villes et villages relevant de sa compétence territoriale. Cette stratégie apparaissait comme la seule solution susceptible de desserrer l’étau létal qui nous étranglait.
L’extension de nos capacités de nuisance et l’élargissement de notre champ d’intervention, la multiplication des points d’impact de nos raids allaient nécessairement fragmenter les rangs de l’adversaire et modérer la compacité de ses énormes moyens.
Nous somme début août 1957, conformément à l’ordre du conseil de wilaya, toutes les unités combattantes que comptait la IV sont passées à l’action. Du fait de ma parfaite connaissance de la région de Tablat, de son relief et de ses installations militaires sensibles – je m’étais évadé de sa prison le 20 octobre 1956 – il échut au commando Ali Khodja, que je dirigeais depuis sa reformation à Boukrem en janvier 1957, la mission de mener une attaque et d’y faire le plus de tintouin possible pour y semer la panique dans les rangs et la peur dans les esprits.
Malheureusement, en arrivant de nuit aux abords de ce gros bourg qu’il était à l’époque, contrôlant une position stratégique sur l’axe routier Alger-Bou Saâda après le col des Deux Bassins, notre déconvenue a été grande quand nous avons constaté une concentration massive de troupes ennemies fortement équipées. L’armée coloniale s’apprêtait visiblement à lancer un de ces terribles et redoutables ratissages qui n’épargnait rien, ni les hommes ni leur environnement.
Audacieux mais surtout pas téméraires, nous avons évité l’objectif pour le contourner et nous diriger vers le nord, vers le massif de Bouzegza. Sans le savoir, nous allions à la rencontre de ce qu’un coup du destin va transformer en un véritable enfer sur la terre. Alors que nous faisions mouvement vers la région de Djebel Zima, au centre du triangle Khemis El Khechna-Tablat-Lakhdaria, éludant prudemment un affrontement défavorable pour nous contre un ennemi de loin supérieur en nombre et en moyens, les autres unités avait lancé des attaques foudroyantes sur toutes les cibles qui avaient été déterminées. L’écho a été puissant et à la hauteur de nos espérances. La section de Si Boualem avait opéré contre Palestro (aujourd’hui Lakhdaria) avec succès. Les djounoud avaient même pris le soin de vider une pharmacie, emportant médicaments et nécessaires de premiers secours. Cependant, jouant de malchance, lors de la retraite de nuit, l’infirmier de la section fut arrêté. Interrogé sur la destination du retrait de sa section, sauvagement torturé, épuisé, il finit par lâcher, tout à fait fortuitement, une destination : Bouzegza ! Il savait que c’était faux mais il pensait ainsi fourvoyer ses tortionnaires sur une fausse piste. Ce qu’il ne savait pas par contre, c’est que nous nous étions réfugiés dans cet endroit, convaincus que nous y serions à l’abri car loin des voies principales de communication. Il y a lieu de préciser qu’en 1957, les montagnes et les forêts d’Algérie n’avaient pas encore été balafrées de pistes, chemins et sentiers par les scrapers et les bulldozers du génie militaire.
Ainsi, ne sachant bien évidemment rien du sort cruel de l’infirmier malchanceux de la section de Si Boualem, nous pensions que nous étions loin d’une éventuelle opération des Français. La région de Djebel Zima où nous avions décidé de nous arrêter était traversée en son milieu par une ravine fortement encaissée. C’est un petit affluent de l’oued Corso, sec en cette période de l’été. Les versants de la montagne étaient inégalement couverts ; tandis que l’un présentait plutôt l’aspect d’un maquis plus ou moins buissonneux, l’autre qui lui faisait face était constitué de pierraille et de caillasse incandescente en ce mois d’août. Nous étions réfugiés dans les maisonnettes éparses de la dechra. Nous comptions les heures et, de manière générale, lorsqu’arrivait 13h, nous pouvions souffler car une attaque ennemie qui commençait à cette heure de la journée nous permettait souvent, après une résistance conséquente, de décrocher à la faveur de la nuit tombante. L’obscurité rendait l’intervention de l’aviation impossible et l’usage de l’artillerie inutile. Nous exploitions les ténèbres pour sortir du ratissage. Mais cela était valable pour les mois d’hiver, vu la courte durée du jour. En été, la nuit tombe tardivement. Ce qui faisait que ce n’est que sur les coups de 16h que la menace s’éloignait sans jamais disparaître et anesthésier notre vigilance. L’armée française ne sortait ordinairement pas une certaine heure passée. Alors, nous pouvions nous occuper des tâches d’hygiène et profiter de l’accalmie pour une petite toilette et/ou une lessive. Ce jour du 4 août 1957, il était approximativement 15h, tout paraissait tranquille. Subitement les cigales cessèrent de striduler…
Brusquement comme surgit du silence et jaillit du néant, un déferlement d’hommes et d’armes emplit, dans un grondement tumultueux, le ciel et la terre. Le versant, qui faisait face aux masures dans lesquelles nous nous trouvions, a été littéralement dévasté par les tirs de l’aviation.
De l’infirmerie tenue par Baya el Kahla, une infirmière digne de tous les éloges, où je rendais visite aux malades et aux blessés, j’observais le déluge de fer et de poudre qui s’abattait sur un espace qui ne mesurait pas plus de deux kilomètres carrés.
Des moyens démesurés, cyclopéens avaient été déployés contre ce qui en l’état de leur connaissance se voulait la simple section du capitaine si Boualem qui avait opéré son coup de force à Palestro.
Sur les crêtes qui nous faisaient face, les «bananes», tels des oiseaux d’acier géants pondaient, dans la chaleur et la poussière épaisse soulevée par les rotors qui fouettaient l’air dans un sifflement sinistre, des couvées entières de soldats armés jusqu’aux dents qui, cassés en deux, s’éloignaient des pales, avant de prendre position.
Une fois leur ponte au sol, les appareils frappés de la cocarde tricolore de l’armée colonialiste, amblaient, pour regagner de l’altitude dans le ciel irradiant, vibrant de réverbération, pour laisser d’autres autogyres épandre d’autres troupes.
Très vite, je me suis rendu compte, au regard de cette débauche d’hommes et de matériel, en observant les mouvements tout à fait improvisés des troupes au sol, que cette opération avaient en fait été préparée à la hâte et qu’il n’y avait dans tout ce remue-ménage aucune tactique élaborée préalablement. Pourtant, apprendrons-nous plus tard, cette expédition était directement commandée sur le terrain par le général Jacques Massu lequel s’était vu confier en janvier par Robert Lacoste les pleins pouvoirs de police. Il était accompagné des généraux Allard, de Maisonrouge et Simon.
A la manière d’une machine à coudre les avions surfilaient les flancs de la montagne.
Mais ils avaient à faire à des hommes aguerris qui avaient l’instinct de guerre des combattants les plus expérimentés. Les djounoud du commando avaient eu l’extrême intelligence militaire de ne pas bouger pour tenter une sortie ou essayer de décrocher.
S’ils avaient commis cette erreur, non seulement ils auraient été des cibles que l’aviation aurait vite repérées et taillées en pièces mais les hélicoptères au lieu d’atterrir sur le versant d’en face, auraient déposé les troupes sur la crête du même côté où nous nous trouvions.
Ainsi ont-ils laissé passer le bombardement intensif comme on patiente que l’orage se vide et jusqu’à ce que les «bananes» se soient éloignées abandonnant leur pondaison sur l’autre versant. Nous étions en face d’eux. A peu près deux cents mètres, à vol d’oiseau, nous séparaient. Mais il fallait une bonne vingtaine de minutes pour aller d’un point à l’autre. Dans le ciel plombé, les Pipers, tels des vautours, décrivaient inlassablement leurs cercles excentriques.
Nous étions hors de portée de leurs mitraillettes (voir encadré) mais pas des fusils. Tandis que mes vêtements séchaient, habillé d’une simple gandoura, je me trouvais à quelques enjambées des maisons où étaient répartis les membres du commando. Je les rejoint à toute vitesse, et enfilait promptement mon treillis encore humide.Nous avons encore temporisé un moment pour bien situer les positions de l’ennemi.
Puis, furtivement nous sommes sortis de nos abris et nous avons gagné la crête. Nous avions une vue synoptique de toute la région. A notre grande stupéfaction d’autres troupes escaladaient en ahanant la contre-pente.
Half-tracks, véhicules blindés, camions de transport de troupes… se dirigeaient vers le lieu où nous avions pris position.
A ce moment, j’ai réalisé que leur manœuvre, même impréparée, pouvait déboucher sur un encerclement qui nous serait fatal.
Je me souviens de ce chef de section, ô combien courageux, qui avait sorti le drapeau national, décidé à partir à l’assaut de cette nuée en armes. D’un geste je l’en dissuadais.
Il ne fallait surtout pas qu’ils nous repèrent. Pour l’heure la confusion était totale de leur côté.
Nous étions vêtus des mêmes treillis que nous portions de la même façon au point que nous poussions le détail jusqu’à mettre, comme eux, le col de la chemise sur le revers de la vareuse du battle-dress. Comme eux, nous étions coiffés de chapeaux de brousse, ces couvre-chefs de toile, dont un bord est relevé à l’aide d’un bouton pression. Et pour cause, tout comme notre «usine d’armement», notre «atelier de confection» était la «route goudronnée» où nous montions nos embuscades. Nous recevions rarement des équipements de l’extérieur et nous ne les portions jamais. Que ce soit les armes ou les tenues, je ne me souviens pas que le commando en ait un jour fait usage. Face à l’ennemi, peu économe en matériel de combat, nous disposions nous aussi de mitrailleuses 30 (voir encadré). Toutefois, comme elles consommaient des quantités de munitions trop importantes nous avons dû renoncer à leur emploi. En revanche, nous avions des FM BAR, fusils-mitrailleurs de l’OTAN, des FM 24/29, fusils-mitrailleurs français, des mitraillettes Thomson, d’un calibre 11.43, comme celle des films noirs américains, des MAT 49 françaises, des fusils MAS français, armes de précision, des fusils américains Garand, des carabines US, etc. Pour tout dire, le commando était armé de 9 fusils-mitrailleurs. A ma connaissance, aucune compagnie de l’armée d’en face n’en disposait d’autant. Si nous ne comptons que les armes de poing et d’épaule, conventionnelles s’entend, notre puissance de feu dans les engagements était souvent supérieure à n’importe quelle équivalence numérale française. Cela signifie aussi que chaque groupe avait un FM soit un total de trois par section !
Neuf fusils-mitrailleurs qui aboient de concert est d’un effet déconcertant sur l’adversaire !
Lors de nos diverses opérations et embuscades nous récupérions beaucoup d’armements. Nous gardions les meilleurs et nous donnions à nos frères, des autres secteurs et régions ou aux moussebiline, celles dont nous n’avions pas besoin. Comme nous ne voulions pas dépasser la katiba de 110 hommes, nous ne conservions que les armes requises pour un tel effectif…
Le petit incident du drapeau passé, nous nous sommes fondus dans terrain et observions les agissement des soldats à la jumelle.
Au bout d’un moment, nous avons compté à première vue deux compagnies environ qui arrivaient du sud là-bas vers Palestro. Une compagnie française est composée de quelque 140 hommes. Vu la distance qui nous séparait, nous avions présumé qu’il s’agissait de la section de Si Boualem qui repliait. Mais très vite nous nous sommes rendus compte qu’il s’agissait aussi d’unités ennemies. Nous les avons laissés venir à nous, toujours tapis, nous confondant avec le relief et la végétation de broussailles et d’épineux.
Subrepticement, avec un petit groupe de djounoud armés de mitraillettes nous allons à leur rencontre, laissant les fusils et six fusils-mitrailleurs sur la crête pour nous protéger d’un raid aérien éventuel.
Nous allions résolument vers l’affrontement, sans trop d’agitation. Les hommes sur lesquels nous allions fondre étaient comme nous, jeunes, mais visiblement sans expérience, ils étaient hésitants, bavards, s’interpellaient sans cesse. Ils se tordaient les chevilles dans la caillasse, se plaignaient, puis repartaient sans trop savoir vers où ils se dirigeaient. Ils nous aperçoivent mais ils sont persuadés que nous étions des leurs, vu que ne tirions pas. Mais une fois à portée de nos MAT nous les arrosons copieusement…
– Bon Dieu nous sommes des dragons ne tirez pas ! Hurlaient-ils.
– Mais alors que faites vous là-bas, si vous êtes des dragons Rejoignez-nous dans ce cas ! leur répondais-je, avec force gestes autoritaires, ajoutant ainsi à la confusion s’emparait d’eux.
– Vous êtes complètement barjos, vous avez abattu des hommes à moi, criait celui qui commandait la troupe. Alors qu’ils croyaient avoir affaire aux leurs, nous surgissions et en arrêtions par paquets dans cet embrouillamini total.
On les arrête par sections entières. «Levez les mains !» Délestés de leurs armes, paniqués, les prisonniers montent en courant la pente jusqu’à la crête où les cueillent les membres du commando restés en poste. Ils s’entassent, s’accroupissent dans les cours des maisons. Nous jetons en tas leurs armes et leurs munitions. «Quel pactole ! Jamais vu ça !» A un moment donné l’aviation a survolé le champ de bataille, mais pour opérer il faut qu’une distance nous sépare et comme nous étions vêtus des mêmes uniformes, du ciel, les pilotes ne pouvaient pas nous distinguer les uns des autres. De même pour l’artillerie qui ne pouvait pas pilonner, tant que nous étions rivés à eux. Nous ne leur laissions pas le temps de se positionner loin de nous et dégager un espace qui nous séparerait suffisamment pour permettre un bombardement aérien ou un tir de barrage de l’artillerie. Mais au bout d’un instant, les appareils reviennent et l’artillerie se réveille. Les uns mitraillent, l’autre canonne, sans distinction. A l’aveugle. Nous reculons et nous dégageons pour rejoindre les fusils-mitrailleurs et les fusils embusqués sur la crête et les laissons faire un carnage dans leurs propres rangs. Le combat se déroulait à la mitraillette. Habitués au terrain et à ses accidents, nous nous déplacions plus rapidement et utilisions le moindre escarpement pour nous placer hors de portée de leurs tirs. A la décimation causée par l’aviation et l’artillerie, qui s’acharnent sur leurs propres troupes, s’ajoutent les giboulées de nos fusils mitrailleurs qui entrent en action…
C’est une opération qui a débuté vers 15h et qui a duré jusqu’au début de la nuit.
Quoiqu’en dise, la propagande militaire française relayée par les journaux colonialistes de l’époque qui ont fait état de prétendues dizaines de morts dans nos rangs, j’affirme, en tant que responsable de ce commando d’élite dont l’héroïsme et la bravoure ont été chantés par le peuple qui l’a enfanté, et déclare devant les vingt témoins de cette bataille et qui sont toujours en vie (voir leur liste), que nous avons relevé hélas la mort de moussebilin et de pauvres civils sans arme et que le commando n’a enregistré qu’un blessé. Un courageux déserteur de l’armée française que nous surnommions Ahmed El Garand, qui est arrivé chez nous armé d’un fusil de cette marque. Le journal parisien Le Monde parlera, au lendemain de cette débâcle, de plus de 600 morts parmi les hommes des 4 généraux !
Les combats rapprochés ont fait rage jusqu’à ce que tombe la nuit. Aussitôt Baya El Kahla, qui avait organisé les femmes de la déchra, me rejoint et nous informe des multiples possibilités de retraite qu’elles avaient aménagées. Elles nous donnent les mots de passe. Et à mesure de notre progression protégée par la nuit, nous rencontrions des femmes postées en éclaireuses pour ouvrir le passage et nous prévenir de la présence éventuelle de groupes ennemis et des embuscades qu’il pouvait tenter. Rapidement, nous sommes sortis de l’encerclement emportant avec nous une soixantaine d’armes, car c’est tout ce que nous pouvions porter. Nous avons laissé sur place des dizaines d’autres que la population du douar devait récupérer pour les donner aux sections ou aux djounoud de leur région ou de leur zone. Ce fut la défaite de Massu et de ses trois généraux. Sans avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il s’agissait d’une déconfiture, il ruminera jusqu’à la fin de ses jours son échec sur les cimes de Bouzegza. Je n’ai jamais raté l’occasion d’enfoncer davantage le clou en rappelant aux pires de ses mauvais souvenirs, comment il y mordit la poussière ! ça lui sapait son ego de grand stratège. Le fait d’avoir racolé quatre généraux comme lui, pour les convier à ce qu’il croyait être un pique-nique estival, ou une randonnée de montagne, ajoute à ses rots atrabilaires.
Il ignorait et il a compris que tout ce qu’il savait de la guerre révolutionnaire, c’était celle qu’il menait jusque-là contre le peuple désarmé. Que ce qu’il savait de la guerre tout court, c’était ce qu’il avait accompli sous le bouclier tutélaire et protecteur des alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Anglais dans le Fezzan en Libye en 1941 et Américain au sein de la deuxième DB de Leclerc en 1944. Les quatre généraux n’avaient rien cogité, rien préparé, convaincus qu’ils étaient, qu’ils allaient «casser du fell comme on va aux fraises». Le commando Ali Khodja leur a prouvé ce jour-là que la guerre n’est pas une promenade de santé. Ils avaient sous-estimé la combativité de leur adversaire, ils avaient méjugé la réactivité des djounoud de l’ALN, tout comme ils avaient surévalué leur capacité d’organisation qu’ils croyaient naturellement supérieures à celles des indigènes que nous étions.
Par ricochet, notre victoire revient aussi et indirectement à ce jeune infirmier courageux de la section de Si Boualem qui les a involontairement jetés dans un guêpier.
Le 4 août à Bouzegza, la victoire a été celle du remarquable commando Ali Khodja. C’est aussi celle de tous les moussebilin et de toute la population de la région de Zima.
Mais ce qu’on appelle la bataille de Bouzegza, ne s’arrête pas à la journée du 4 août 1957…
Le 8 août, soit trois jours plus tard, persuadée que comme la foudre qui ne frappe pas deux fois au même endroit, l’armée française ne repassera pas là où elle a déjà opéré, d’autant qu’elle en garde un souvenir plutôt affligeant.
Nous sommes donc revenus dans ce massif, après nous être reposés et repris des forces non loin de là. Mais ils ont eu exactement la même réaction et nous n’avions pas posé nos bardas que…
«El Askar ! El Askar !»
Des deux versants montaient des colonnes de soldats. Nous nous trouvions entre les deux. Armés et comme toujours en tenue impeccable, nous sommes sortis et nous nous sommes engagés en colonne tout comme eux sur un sentier qui allait en direction de taillis assez touffus pour nous permettre de décrocher. Les avions arrivaient derrière nous. C’étaient des T6, «es seffra» (jaune), armés de mitrailleuses 12/7, qui approchaient en piqué sans tirer. Leur altitude n’était pas fort élevée et leur vitesse modérée (environ 250 km/h). Nous distinguions parfaitement les pilotes qui jetaient des regards à partir de leur cockpit. Cette fois encore, notre sang-froid sera à l’origine de notre succès. Alors que les appareils menaçants arrivaient dans notre dos en hurlant, sans nous démonter, nous leur faisions des signes amis de la main pour leur signifier que nous étions «des leurs». Alors que les deux colonnes, nous «encadraient» mais à distance, les avions poursuivaient leur noria menaçante au-dessus de nos têtes. Tireront-ils, ne tireront-ils pas ? Au bout d’un moment, qui nous a semblé un siècle, nous nous sommes mis hors de vue, sous le couvert végétal avant de nous disperser. Aussitôt, les pilotes comprennent qu’ils avaient été leurrés. Cette fois-ci, il n’y a pas eu d’engagement et nous avons réussi à nous faufiler à travers bois et ravines pour nous éloigner du théâtre du ratissage. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous sommes revenus au même endroit le 12 août, croyant dur comme fer qu’un lieu que les Français ont ratissé, brûlé, bombardé, pilonné, «napalmé», serait le meilleur des abris. Mais la loi des probabilités a été bousculée et pour la troisième fois, en une semaine, nous sommes tombés nez à nez sur l’ennemi. Nous venions d’ouvrir les portes de l’enfer. Ce n’étaient plus des dragons, mais des paras. Tôt, les affrontements ont commencé avec l’engagement des ferka de si Boualem encerclé, sur une position qui lui était défavorable. Elles ont été pratiquement décimées, les pertes ont été considérables. Nous avons perdu des hommes tout comme nous avons enregistré une dizaine de blessés. Notre connaissance du terrain nous a sauvés d’un immense péril. Tout ce que l’ALN comptait dans cette zone de commissaires politiques, de responsables des renseignements, de chargés de la logistique, des agents de liaison, et toute la population avaient été sollicités pour nous permettre de sortir de la nasse avec le moins de dégâts possibles. Tirant les enseignements des deux précédents affrontements, cette fois les «léopards» ont mis pour ainsi dire le paquet et se sont ingéniés à tenter de redorer le blason terni des quatre généraux. Un feu roulant ininterrompu, des pluies de grenades, que nous réexpédions d’ailleurs, car dans leur hâte de se débarrasser de l’engin explosif, ils lançaient aussitôt la goupille retirée, ce qui nous donnait souvent le temps de les renvoyer à l’expéditeur. Ce que m’a appris mon expérience au maquis, c’est que si la peur est contagieuse, le courage l’est tout autant. Lorsque vous savez que vous pouvez compter sur ceux qui se trouvent à votre droite et à votre gauche, eux aussi sont convaincus qu’ils peuvent compter sur vous. Ce que j’ai appris à Bouzegza, c’est qu’au combat comme dans la vie, il ne faut jamais sous-estimer l’autre.
Liste des membres du commando
Ali Khodja encore en vie
– Zerari Rabah dit Si Azzedine
– Yahi Ahmed dit Ali Berianou
– Aït Idir Hocine dit Hocine
– Tounsi Djilali dit Abdelkader
– El Kahlaoui Abdelkader dit El Kahlaoui
– Rafaâ Louennass dit Rouget
– Kouar Hocine dit Hocine
– Blidi Abdelkader dit Mustapha Blidi
– Ben Salah Ammar dit Nachet
– Boulis Lakhdar dit Lakhdar
– Ladjali Mohamed dit Hamid Doz
– Rahim Mohand dit Bédja
– Si Athman
– Bachir Rouis dit Nehru
– Zerrouk
– Touhami Ali
– Nezlioui
– Kadi Mohamed-Chérif dit Chérif el Kbayli
– Hout Ahmed
Quelques action du commando Ali Khodja
– Juillet 1957 : accrochage à Djebel Belemou
(Bou Zegza)
– 05 mars 1958 : accrochage à Belgroun
– 1958 : accrochage à Eryacha
– 1958 : accrochage à Lemchata
– 15 mai 1958 : accrochage à Maghraoua – 1958 : accrochage à Hadjra Essafra – 1958 : accrochage à Zaouïa (Soufflat)
– 1958 : attaque d’un camp près de Aomar
– 17 octobre 1958 : accrochage à Souflat
– 22 octobre 1958 : accrochage à Ouled Sidi
Abdelaziz
– 06 janvier 1959 : accrochage à Tafoughalte
(en Wilaya III)
– mai 1959 : accrochage des commandos des zones 1 et 2 près de Batna
– 1959 : embuscade à Aïn Oulmane (Sétif)
– 1959 : embuscade à Boutaleb (Aurès)
– Août 1959 : accrochage à Champlain.
hassbetna khobza tohna aliha berraffale ya Khouya” ?
Que reste-t-il de Bouzegza et de ses illustres batailles menées par les moudjahidine contre l’armée coloniale sinon que ce djebel surnommé par le général Massu “la montagne pourrie” ? Une montagne qui est en train de pourrir réellement et pour de vrai. Ce que le napalm lâché par les avions français n’est pas parvenu à détruire, des centaines de kilos de TNT que des entreprises algériennes lâchent chaque semaine sur les lieux ont réussi à défigurer le site historique. Plus de sept entreprises spécialisées dans la production des agrégats dont quatre privées et une étrangère participent à ce qui est considéré désormais dans la région comme une opération autorisée de dévastation. La fameuse grotte d’Ifri connue sous le nom Ghar Ifri qui avait abrité l’unité d’élite des combattants de la glorieuse ALN de la Wilaya IV dirigée par le commando Ali Khodja a été intégré dans le périmètre des 26 hectares donnés en exploitation. Au lieu d’être classée comme monument historique, la grotte qui porte encore sur ses parois des graffitis faits par les baïonnettes des moudjahidine est réduite tristement à un vulgaire bloc de pierre. Déjà, elle a connu des modifications notamment au niveau de sa porte d’entrée. Selon un cadre d’une entreprise opérant sur les lieux, la société qui exerce dans ce périmètre a jugé utile d’agrandir, sans souci ni état d'âme, l’entrée principale de la grotte pour permettre une meilleure circulation de ses ouvriers et des engins. Des citoyens de la région travaillant sur les lieux affirment que seulement 700 à 800 mètres séparent le théâtre des opérations ou des explosions du cœur de Ghar Ifri. À cette allure, la grotte disparaîtra dans deux à trois ans, indique un ancien moudjahid qui prédit la disparition du pic de Bouzegza dans dix à quinze ans. Pour illustrer ses propos, notre interlocuteur nous a tout bonnement invités à bien examiner la montagne qui n’est plus Bouzegza de l’année 1969. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, la montagne n’est plus la même. Ses traits et ses lignes légendaires que les Algérois accrochés sur les hauteurs contemplaient depuis leurs balcons commencent à fondre entraînant dans leur passage la mémoire et une partie de l’histoire d’un peuple. Une opération d’anéantissement qui se poursuit dans l’indifférence générale. Récemment les restes de 12 squelettes dont on n’a pas jugé faire des tests ADN pour déterminer s’ils appartiennent à des moudjahidine, ont été transférés dans un cimetière à Kharrouba. Les responsables ont imputé, sans aucune preuve scientifique, ces ossements à d’anciens habitants de la région. L’affaire a suscité de nombreuses interrogations chez les moudjahidine et la population mais les voix qui se sont élevées ont été aussitôt étouffées. De nos jours, on ne badine pas avec “l’économie” même si ces carrières d’agrégats rapportent beaucoup plus à leurs propriétaires pour la plupart des privés, qu’à l’État algérien. D’ailleurs, les populations de Bouzegza et de Keddara qui subissent chaque jour les bruits insupportables des explosions et la poussière suffocante des camions aimeraient bien connaître le chiffre d’affaire réalisé par l’État algérien dans ces opérations. Les responsables comme les moudjahidine à tous les niveaux sont interpellés sur ce cas Bouzegza, où les lois semblent avoir été laissées de côté, voire bafouées, notamment la loi n° 91-16 du 14 septembre 1991 relative au moudjahid et au chahid. Celle-ci considère à juste titre comme symbole et monument de la guerre de Libération, tout ce qui a trait à la guerre de Libération nationale tels que les sites de regroupement, les lieux de bataille, les bâtiments, les refuges, les précipices, les grottes, les hôpitaux fixes et mobiles, les vestiges, les prisons, les lieux de détention, de concentration, d'exécutions collectives et les lieux de surveillance, et d'une manière générale tout ce qui a trait directement à la guerre de Libération nationale. L’article 41 de cette loi précise que “l'État œuvre à la protection et à la classification des monuments de la guerre de Libération et de ses symboles, ainsi qu'à leur préservation de toute déformation dégradation ou destruction comme il veille à leur entretien.” Quant à l’article 42, il stipule que “toute atteinte aux monuments de la guerre de Libération et à ses symboles est sanctionnée conformément à la législation en vigueur, notamment le code pénal”. M.T Liberté IL Y A 60 ANS LA BATAILLE DE BOUZEGZA La bataille de Bouzegza est une bataille qui s'est déroulée durant la Guerre d'Algérie dans la région berbérophone du massif d'Adrar Azegzaw (Djebel Bouzegza), dans la partie orientale de la région atlassienne. Les 4, 8 et 12 août 1957, le commando Ali Khodja de l'Armée de libération nationale de la wilaya IV. affronte les unités de l'Armée française commandées par le général Massu en personne accompagné de trois généraux. Malgré le nombre de ses soldats et les moyens considérables qu'elle met en œuvre, l'armée française subit un lourd échec. Le commandant Azzedine a déclaré qu'un article du quotidien Le Monde paru le lendemain de cet événement a fait état de pertes françaises de l'ordre de 600 morts, blessés et disparus, les combattants de la Wilaya IV déplorant selon lui seulement quelques blessés. |
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Rédigé le 18/02/2021 à 19:57 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
Bugeaud, la corde au cou... D. R.
Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire, et M’hamed Kaki, président de l’association Les Oranges, ont lancé une pétition adressée à l’Etat français pour que «pas une rue, pas une avenue, pas une école» ne porte le nom du maréchal Bugeaud, «bourreau des Algériens et ennemi de la République». Les auteurs de la pétition estiment que les statues du gouverneur général de l’Algérie durant les premières années de l’occupation française « doivent disparaître».
«Bugeaud, ce sont les enfumades recommandées à ses officiers en des termes très clairs sur le but poursuivi : la destruction physique des indigènes», soulignent Le Cour Grandmaison et Kaki qui rappellent que Bugeaud a donné l’ordre à ses subalternes de «fumer à outrance comme des renards [ces] ces gredins [s’ils] se retirent dans leurs cavernes». «Saint-Arnaud, Montagnac et Pélissier, pour ne citer que ceux-là, se sont exécutés avec zèle. En particulier le colonel Pélissier qui, le 18 juin 1845, a anéanti une tribu entière – celle des Ouled Riah – dont les membres désarmés s’étaient réfugiés dans les grottes du Dahra, proches de Mostaganem», poursuivent-ils.
«Bilan : près de mille morts. Bugeaud : bourreau des indigènes algériens qu’il a massacrés, déportés et razziés en détruisant parfois complètement leurs oasis et leurs villages livrés aux flammes de ses colonnes infernales ? Assurément. Il fut aussi un ennemi acharné de la République qu’il a combattue les armes à la main pour défendre la monarchie de Juillet. Vaincu, il a poursuivi la bataille en rédigeant un traité de la guerre contre-révolutionnaire en milieu urbain», rappellent encore les auteurs de la pétition, selon lesquels donner son nom à des rues ou à des écoles est «une insulte permanente à l’émancipation des peuples et aux Algériens en particulier, et à la République qu’il a toujours haïe». C’est aussi «une offense inacceptable faite aux héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale victimes de discriminations mémorielles qui s’ajoutent à toutes celles qu’ils subissent par ailleurs», concluent Olivier Le Cour Grandmaison et M’hamed Kaki.
Ce n’est pas la première fois que des voix s’élèvent en France pour retirer les statues de ce criminel de guerre. En 2017, des anticolonialistes avaient appelé à se défaire des statues et des plaques en l’honneur de ce maréchal et de revenir sur les non-dits du passé colonial français. De nombreux internautes l’avaient désigné comme une «grosse crapule», un «boucher en uniforme», un «criminel de guerre qui ne mérite ni statue ni rue à son nom en France».
En 2019, l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie demandait à la maire de Paris de retirer le nom de Bugeaud d’une avenue de la capitale française. Dans un message posté sur les réseaux sociaux, le chroniqueur exhortait Anne Hidalgo de débaptiser cette rue du fait des enfumades pratiquées à l’encontre des populations algériennes durant la colonisation. «Et, donc, il existe une avenue Bugeaud à Paris 16, du nom du maréchal auteur des odieuses enfumades en Algérie, qui scandalisèrent les Français à l’époque et que défend aujourd’hui Eric Zemmour !» avait ironisé Jean-Michel Aphatie, avant de s’interroger : «Quand donc Anne Hidalgo va-t-elle débaptiser cette avenue hideusement nommée ?»
Février 18, 2021
https://www.algeriepatriotique.com/2021/02/18/une-petition-en-france-pour-retirer-partout-le-nom-du-bourreau-des-algeriens
Rédigé le 18/02/2021 à 17:27 dans colonisation, Culture, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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