« décembre 2020 | Accueil | février 2021 »
Rédigé le 22/01/2021 à 00:20 | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 22/01/2021 à 00:07 dans Lejournal Depersonne, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Mohamed Mahmoudi, la cinquantaine trapue, ouvre sa sacoche de cuir et dépose une liasse de documents sur la table calée en terrasse. Devant lui, le flot de passants s’écoule le long du trottoir de la rue Didouche-Mourad, au cœur d’Alger. De son dossier, Mohamed Mahmoudi extrait un courrier du ministère français de la défense daté de 2013. La missive se conclut par un sec : « Votre demande, dès lors, ne peut être que rejetée. »
Telle est la réponse que M. Mahmoudi a reçue de Paris après sa requête visant à être indemnisé pour avoir été contaminé sur un ancien site d’essais nucléaires français au Sahara. Lors de son service militaire, effectué en 1992 dans le sud saharien, M. Mahmoudi a passé neuf mois à garder un tunnel à Reggane, où la France avait conduit des expériences atmosphériques (1960-1961) avant de mener des essais souterrains à In-Ekker (1961-1966). Le soldat Mahmoudi revint de Reggane atteint d’un certain nombre de pathologies, notamment neurologiques, qu’il attribue à la rémanence radioactive sur place.
Sa demande a essuyé une fin de non-recevoir car elle ne répondait pas à l’un des trois critères ouvrant le droit à l’indemnisation, établis par la loi Morin de 2010 : être atteint d’une pathologie « radio-induite » ; avoir résidé sur un site d’expérimentation nucléaire (Sahara algérien, Polynésie française) ; et ce, durant la période des essais ou immédiatement postérieure (1960-1967 dans le cas algérien).
Avec son séjour à Reggane trois décennies après les essais réalisés dans la zone, M. Mahmoudi n’avait aucune chance de voir sa demande aboutir. Son cas – il n’est pas le seul à avoir été débouté – alimente le procès instruit en Algérie contre une France dénoncée comme sourde aux victimes algériennes de ses « crimes nucléaires » au Sahara, selon la formule d’Amar Mansouri, chercheur en génie nucléaire. Ce jour-là, à Alger, M. Mansouri accompagnait M. Mahmoudi pour le présenter au Monde. M. Mansouri est l’une des figures de la frange de la « société civile » algérienne qui s’active pour demander des comptes à la France.
De fait, un seul dossier algérien a été, à ce jour, agréé par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) créé par la loi Morin. Une seule indemnisation sur les 545 accordées au total, la proportion insignifiante parle d’elle-même. Discrimination ou désintérêt pour les victimes algériennes ? Au Civen, à Paris, on objecte que les rares dossiers reçus d’Algérie (52 seulement sur un total de 1 739) sont tous mal ficelés, incomplets, « à côté de la plaque », à l’image de celui de M. Mahmoudi.
Pourtant, des milliers d’Algériens – nomades ou villageois résidant à proximité de Reggane ou d’In-Ekker, ex-employés sur les sites durant la période concernée (1960-1967) – rempliraient, eux, les conditions et seraient aisément éligibles. Or leurs dossiers ne parviennent quasiment pas au Civen. « Il y a un biais quelque part, déplore Alain Christnacht, le président du comité. L’information n’est pas relayée sur place et nous n’avons pas en Algérie d’interlocuteurs comme en Polynésie française. »
Le problème naîtrait donc de l’absence d’encadrement politique ou associatif des victimes algériennes, pour l’essentiel des populations sahariennes laissées-pour-compte. Il existe certes quelques associations – l’Association du 13 février 1960 à Reggane ou l’Association des victimes de Taourirt à In-Ekker –, mais elles sont dépourvues de moyens et l’Etat algérien ne les aide à l’évidence pas à ficeler des dossiers répondant aux critères de la loi Morin.
Quant aux propositions de coopération franco-algérienne en la matière, elles ne trouvent guère d’écho. « Nous avons proposé d’aider matériellement les associations algériennes mais nous n’avons eu aucun retour », regrette Jean-Luc Sans, le président honoraire de l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), dont l’activisme a réussi à imposer la question de l’indemnisation dans le débat public en France.
Pourquoi donc une telle inertie algérienne sur cette question de l’indemnisation ? Un premier élément de réponse tient dans l’embarras qu’a historiquement suscité à Alger cet épisode des essais nucléaires, offense à la souveraineté algérienne concédée jusqu’en 1967. Le texte des accords d’Evian, signé en mars 1962, ne fait certes pas expressément référence à des expériences atomiques. La poursuite de celles-ci était toutefois implicitement contenue dans la clause autorisant la France à « utiliser » pour une « durée de cinq ans les sites comprenant les installations d’ln-Ekker, Reggane et de l’ensemble de Colomb-Béchar-Hammaguir ».
Dans le documentaire L’Algérie, de Gaulle et la bombe, de Larbi Benchiha (Aligal production-France 3, 2010), l’un des négociateurs du FLN, Redha Malek, résume ainsi l’état d’esprit résigné de la délégation algérienne face aux exigences des Français : « S’ils avaient quelque chose à faire exploser, qu’ils le fassent le plus vite possible et qu’on n’en parle plus. »
La France ne quittera pourtant pas totalement le Sahara au moment du démantèlement des sites nucléaires, en 1967. Elle négociera secrètement avec le régime de Houari Boumédiène le droit de conserver l’usage jusqu’en 1978 de la base B2-Namous pour y tester des armes chimiques, a divulgué en 1997 le journaliste du Nouvel Observateur Vincent Jauvert. En réalité, cette présence française à B2-Namous persistera jusqu’en 1986, selon les révélations du général algérien Rachid Benyelles dans un livre paru à Alger en 2017.
Ces secrets d’Etat ont longtemps conféré un statut de tabou, à Paris comme à Alger, aux activités résiduelles de la France au Sahara. En Algérie, l’affaire est restée d’autant plus sensible qu’au plus fort de la « décennie noire » (années 1990), ces baraquements sahariens ont été transformés en camps de détention de militants islamistes, dont un grand nombre a été ainsi contaminé, a révélé le documentaire At (h) ome (Les Ecrans du large, 2013), d’Elisabeth Leuvrey et Bruno Hadjih.
Il faudra attendre le milieu des années 2000 pour qu’Alger s’arrache à son silence sur le passif nucléaire français au Sahara, en écho à la mobilisation de plus en plus bruyante des associations de victimes en Polynésie française et dans l’Hexagone. Mais les autorités algériennes prennent bien soin que l’affaire ne leur échappe pas.
En février 2007, un colloque organisé sur le sujet à Alger par le ministère des moudjahidines est ainsi écourté. « Ça dérangeait trop, les médias commençaient à en parler », se souvient un participant, le militant antinucléaire Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements. Neuf mois plus tard, le dossier des essais nucléaires et chimiques est – pour la première fois – discrètement soulevé par la partie algérienne lors de la visite du président Nicolas Sarkozy à Alger.
« Les Algériens voulaient que l’on rouvre le dossier et que l’on fasse preuve de transparence, se remémore un diplomate français ayant participé à la visite. Nous avons trouvé leur demande légitime car il y avait eu des victimes en Algérie. A ce stade, il n’y a pas eu de revendication de compensation financière. »
Celle-ci est formulée plus tardivement mais sur un mode collectif. « On doit indemniser l’Etat algérien et ce dernier prend ensuite en charge ces victimes, résume l’ingénieur nucléaire Amar Mansouri. L’indemnisation doit être globale et non individuelle, ce sera plus pratique. » Là serait donc la raison de l’indifférence à l’égard des procédures du Civen, auxquelles Alger préférerait une négociation diplomatique s’insérant dans un accord politique global. « La question des essais nucléaires est une monnaie d’échange, c’est une carte à jouer », résume Bruno Hadjih, le coréalisateur du documentaire At (h)ome. Les victimes sahariennes attendent.
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/01/21/essais-nucleaires-alger-hausse-le-ton-apres-un-long-silence_6067082_3212.html?fbclid=IwAR00XyhJSEZ4SpVO8Xu-6DnZVflepS2N7rTLtPDBXGpgr_0Ph2LOWui6ebA
Rédigé le 21/01/2021 à 23:43 dans Culture, Guerre d'Algérie, Histoire, Poésie/Littérature, Souvenirs | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 21/01/2021 à 23:31 dans Lejournal Depersonne | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 21/01/2021 à 21:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 21/01/2021 à 21:04 dans Divers, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
La période que nous vivons aujourd'hui s'avère très propice à des manipulations de l'information tous azimuts. Pour ne pas en être les victimes passives, il est important de revenir sur des évènements passés qui ont joué un rôle très important dans la vie politique de notre pays. Pour tenter de démêler les fils du "piège informationnel" qui aboutit au processus de déconstruction de la IVè République, il est nécessaire de définir les termes d'une grille de lecture plus large, qui inclut à la fois les éléments politiques, militaires, diplomatiques ainsi que les jeux cachés des rapports de force entre puissances.
Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958 est un maillon important de la chaîne qui a mené à la chute de la IV° République et au retour au pouvoir du général De Gaulle. Présenté à l’époque et encore largement considéré comme une attaque disproportionnée menée par l’armée française en territoire tunisien, le bombardement de cantonnements du FLN en Tunisie et de positions de DCA hostiles ne semble pourtant être rien d’autre qu’un acte de légitime défense. Nous allons donc nous pencher sur la guerre informationnelle menée en premier lieu par le président tunisien Habib Bourguiba et sur l’impact de « l’affaire de Sakiet » sur les institutions françaises.
Contexte politique entre la fin de 1957 et le début de 1958
Fin 1957, début 1958, l’Algérie voit se jouer un jeu politique à quatre acteurs.
De son côté, la Tunisie a acquis son indépendance le 20 mars 1956. Si son président Habib Bourguiba présente un visage pro-Occidental, il soutient très activement le Front de Libération Nationale (FLN) algérien. A l’époque de Ben Bella, l’organisation extérieure de la rébellion était plutôt basée au Caire. Désormais, avec Omar Ouamrane, le FLN s’organise depuis la Tunisie et se dote d’une unicité de commandement et d’action qui jusqu’ici lui faisait défaut. Cette évolution n’est possible que grâce au soutien offert par Bourguiba au nouveau chef de la lutte indépendantiste algérienne. De plus, avec la défaite cuisante que les fellaghas viennent de subir dans le grand Alger, les indépendantistes voient en cette base arrière un moyen de réarticuler leur stratégie.
Contexte opérationnel autour de la frontière algéro-tunisienne
Le long de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie se déroule la « bataille des frontières ». Les forces françaises tentent d’endiguer le flot de plus en plus important d’hommes et d’armes qui transitent de la Tunisie vers l’Algérie. De la sécurisation de la frontière dépend en grande partie l’issue de la guerre menée par la rébellion au sein du territoire algérien. L’enjeu étant de taille, certaines des unités parachutistes rendues libres par la pacification achevée de l’algérois sont réaffectées le long de la frontière.
A la fin de l’année 1957, le FLN dispose de 7 bases en Tunisie, toutes situées le long de la frontière avec l’Algérie (Souk el Arba, Ghardimaou, Sakiet Sidi Youssef, Tadjerouine, Thala, Redeyef et Tozeur). Y sont basés 7 bataillons d’instruction de l’Armée de Libération Nationale (ALN) algérienne, avec de gros moyens matériels. Par ce simple fait, certains acteurs et observateurs de la guerre d’Algérie parlent de « cobelligérance de fait » de la Tunisie[1].
Seulement, l’aide tunisienne ne se limite pas à des facilités logistiques, techniques et territoriales. Le 7 septembre 1957 éclate « l’affaire du Kouif ». Des sapeurs français qui travaillent sur la barrière à 1km de la frontière, côté français, sont pris à partie. Les assaillants sont poursuivis sur 3 kilomètres en territoire tunisien et neutralisés. Sur les 15 attaquants abattus, les militaires français relèvent 3 réguliers tunisiens : un membre de la Garde Nationale et deux militaires. S’ensuivent de vives protestations de la part de la Tunisie dont le territoire a été violé.
Quelques jours plus tard à El Khemissi (territoire français), le poste du 135ème RI est pris à partie par des éléments FLN. Profitant de la diversion, des civils tunisiens pillent le village, enlèvent les algériens qui s’y trouvent, tuent les réfractaires (1 nouveau-né et une fille de 18 ans sont décapités). La garnison prend le dessus, poursuit les assaillants jusqu’en Tunisie et parvient à libérer la population des mains des tunisiens. L’armée peut bénéficier après coup du soutien ferme et entier de la diplomatie française à l’action militaire contre les protestations véhémentes de la Tunisie.
Il n’y a pas que les civils algériens et l’armée de terre qui ont affaire au FLN appuyé par la Tunisie. Les pilotes de l’armée de l’air qui effectuent les patrouilles le long de la frontière sont victimes de tirs quasi quotidiens depuis les postes frontières tunisiens. Pourtant tenus de rester dans l’espace aérien français, de nombreux appareils sont criblés d’impact de tirs venus de Tunisie et doivent se poser en urgence, quand l’avion ne s’écrase pas. La plupart du temps, ces tirs proviennent de Sakiet Sidi Youssef, un village tunisien qui fait face à celui de Sakiet, côté algérien. Ce poste est donc connu et repéré par les pilotes français. Le général Ely (équivalent de l’actuel Chef d’Etat-Major des Armées), soucieux d’apaiser les relations avec la Tunisie, demande aux pilotes d’éviter le survol de la frontière, pourtant tactiquement extrêmement important.
Suite aux rapports du général Salan (commandant les forces françaises de la X° région militaire – Algérie), le droit de suite est étendu par le gouvernement à 25km. Ainsi, conformément au droit international, les troupes françaises peuvent poursuivre des assaillants jusqu’à 25 kilomètres en territoire tunisien.
Le 11 janvier 1958 à 4 heures du matin, deux sections de la 12ème Compagnie du 23ème RI sont accrochées à proximité de la frontière. Elles sont en outre la cible de tirs de mortiers venus des hauteurs algériennes mais aussi tunisiennes. Une compagnie arrive en renfort, dégage les deux sections puis poursuit les assaillants (300 soldats de l’Armée de Libération Nationale) en Tunisie. En territoire tunisien, les fellaghas sont attendus et récupérés par des éléments réguliers tunisiens : une camionnette de la Garde Nationale, trois camions de transport et une ambulance. Ces éléments tunisiens font feu sur les avions français venus appuyer les troupes au sol. Côté français, 4 soldats ont été fait prisonniers et amenés en Tunisie et 14 morts sont à déplorer. Parmi ces morts, nombreux étaient des blessés qui ont été achevés puis mutilés. Le rapport d’autopsie par le médecin-colonel Lafforgue, directeur du service de santé de la 11ème Division d’Infanterie, évoque des corps affreusement mutilés et un acharnement indiscutable[2]. Un caporal-infirmer avec insignes croix rouge visibles a aussi été achevé.
Lorsque l’armée française intervient sur le territoire national, elle le fait en lien avec la gendarmerie. Il existe donc un rapport établi par le gendarme Brugal (brigade Gambetta) qui accompagnait les hommes du 23ème RI. Ce rapport fait état d’une cobelligérance non dissimulée de la part des troupes régulières tunisiennes : « Un fort parti rebelle, appuyé par un détachement de l’armée tunisienne, a attaqué le 11 janvier au petit jour un de nos éléments. Au plus fort de l’action, une section de gardes nationaux tunisiens, reconnaissables à leurs casquettes plates, est arrivée en camions, s’est installée le long de la frontière et n’a pris aucune mesure pour faire cesser le tir de la mitrailleur et du mortier installés près d’elle en territoire tunisien »[3].
Ni la diplomatie ni le gouvernement français ne protestent. Devant les corps de leurs camarades mutilés, les militaires se sentent abandonnés par les autorités politiques de la IVème République. Dans le même temps, les accrochages se multiplient aux abords de la frontière et les livraisons d’armes ne diminuent pas. Alors que la tension monte, le capitaine Bernon, chef du poste français de Sakiet prévient son homologue du poste tunisien de Sakiet Sid Youssef que plus aucun tir tunisien sur un avion français ne sera toléré. Il est même clairement signifié au fonctionnaire tunisien que l’armée prévoit de faire usage de son droit de riposte.
L’affaire de Sakiet Sidi Youssef
L’affaire de Sakiet Sidi Youssef elle-même débute le 8 février 1958, à 08h55 du matin avec le début de patrouille aérienne du lieutenant Perchenet (pilote du groupe d’outre-mer 86) à bord de son Marcel Dassault. A 09h05, il est pris à partie dans l’espace aérien français par des batteries anti-aériennes postées en Tunisie. Le pilote distingue nettement les départs de coups provenant de la tour du poste de douane et de la gendarmerie de Sakiet Sidi Youssef. Touché, il se pose en urgence à Telergma.
A 09h10, alerté dès les premiers tirs, le colonel Duval commandant le groupement tactique n°1 de Constantine demande l’application des directives de riposte prescrites par le haut commandement. La demande remonte la chaîne hiérarchique et à 10h00, le général Salan donne le feu vert à au général Jouhaud qui dirige à l’époque les Forces Aériennes Françaises en Algérie. A 13h00, le général Salan rencontre le ministre résidant, déjà au courant et qui approuve la frappe aérienne.
Le lendemain, 9 février à midi, le commandement reçoit le rapport de la frappe avec les photos aériennes accompagnées d’une carte des impacts. On y voit que les trois emplacements de DCA dans le village sont détruits à 80% par les Corsair (avions qui attaquent en piquet, pour plus de précision). Les emplacements étaient bien connus des aviateurs et repérés à l’avance. De plus, les pilotes affirment que le village était désert et les rues vides, et qu’ils n’ont pas opéré de straffing (mitraillage au sol). Sur le site de l’ancienne mine de plomb, les casernements de l’Armée de Libération Nationale sont détruits à 50% par les B26 et les Mistral.
Ainsi les bâtiments détruits sont : la gendarmerie, le poste de douane, le commissariat, le bureau de police FLN, ainsi qu’une partie de l’ancienne mine. En revanche, les deux écoles, le marché et la mosquée sont intacts.
Les réactions
Immédiatement, la Tunisie fait savoir qu’elle vient d’être la cible de l’aviation française. Sitôt la nouvelle répandue et l’indignation de plus en plus généralisée, le général Ely demande au général Salan de suspendre les consignes de riposte entrées en vigueur le 3 février. Ces nouvelles consignes découlaient des ordres gouvernementaux laissant l’initiative à l’armée de l’air pour riposter aux tirs de DCA tunisienne identifiée. De nos jours, on lit souvent que Chaban-Delmas, alors ministre de la Défense, avait donné un accord « oral » mais que l’attaque était inconnue de Félix Gaillard, alors président du Conseil. Ce qui semble logique puisqu’elle entrait dans le cadre normal des ripostes laissées à l’initiative des militaires par ces fameux ordres édictés par le gouvernement cinq jours auparavant.
Cette suspension ne calme pas l’indignation tunisienne. Les autorités évoquent de nombreux morts, au moins 70, et presque 150 blessés. Parmi ces victimes, une douzaine d’enfants relevant de l’école primaire et des civils algériens. Les fellaghas abattus sont comptés comme « civils » par l’administration tunisienne sous prétexte qu’ils ne portent pas d’uniforme. L’école est intacte, mais étant à proximité des batteries de DCA, des enfants auraient été touchés. Les civils algériens étaient, selon la version tunisienne, regroupés auprès des camions de la Croix Rouge qui dispensait une aide humanitaire. De leur côté, les pilotes français avancent que le rassemblement était éloigné du village et n’a donc pas été atteint.
Entre la version de l’armée française et celle des officiels tunisiens, la vérité sera difficile à obtenir. A peine cinq heures après le bombardement, l’entrée dans le village et dans la mine est interdite par l’armée tunisienne. En plus des pertes humaines, les tunisiens arguent des destructions de bâtiments civils. Or, ces bâtiments (gendarmerie, poste de douane …) servaient également de postes à la DCA. C’est la mise en œuvre d’une tactique devenue courante consistant à utiliser un bâtiment civil comme paravent, et parfois les civils comme boucliers.
Quoiqu’il en soit, la presse française locale réagit en faveur de l’armée. Parfaitement au fait de l’aide apportée par la Tunisie au FLN, les journaux algériens soutiennent une riposte qu’ils voient comme un signal fort envoyé à la rébellion et au régime Bourguiba. Le président tunisien rompt les relations diplomatiques avec la France et expulse 5 consuls français avant de rappeler son ambassadeur à Paris.
Un cas d'école exemplaire de guerre de l'information par le contenu
Profitant de cet incident, Habib Bourguiba dramatise l’attaque française et entend internationaliser le conflit. Il fait ainsi coup double : il fournit un prétexte aux puissances soucieuses de saper la présence française en Afrique du Nord de s’immiscer dans le conflit, et se confère une stature mondiale jusqu’ici inexistante.
Deux jours après le bombardement, le 10 février, les ambassadeurs des Etats-Unis, du Maroc, de la Syrie, de l’Iran, de l’Irak et de la Turquie ainsi que les premiers secrétaires des ambassades du Royaume-Uni, de RFA, d’Espagne, de Libye et de Belgique se rendent à Sakiet Sidi Youssef sur invitation du président tunisien. Les officiels tunisiens mènent l’inspection de la localité. Ils montrent aux diplomates les ruines des bâtiments détruits, mais aucun cadavre. D’après eux, ceux-ci sont déjà enterrés. Toutes les diplomaties représentées acceptent la version tunisienne des faits et condamnent unanimement l’action française.
Dès lors, la presse internationale se déchaîne, notamment la presse anglo-saxonne. A titre d’exemple, le New York consacre une dizaine d’articles au sujet en seulement deux semaines. Le ton y est systématiquement acerbe et les critiques de la France violentes. Ainsi, on peut lire que ce bombardement est une tragédie pour la France qui se déshonore, mais aussi pour les Etats-Unis qui ont fourni deux des trois modèles d’avions impliqués dans cette attaque. L’auteur se rassure en prétendant que cette action ne représente pas les aspirations du peuple français, ni même de son gouvernement, et rejette ainsi la faute de ce « massacre » sur les militaires. Il va jusqu’à demander à la France de faire amende honorable afin que les alliés puissent à nouveau être unis. Outre le thème du « massacre d’enfants » qui est largement repris, on peut également voir que le caractère civil des victimes ne fait aucun doute pour la presse américaine. Le climat international, déjà assez défavorable à la guerre menée par la France en Algérie, devient carrément hostile. Et Habib Bourguiba attise habilement cette hostilité du camp occidental envers la guerre coloniale française.
En France, si l’Aurore parle de la « lourde erreur de Sakiet », la presse soutient globalement l’action de l’armée. Le Figaro, mais aussi Le Monde présentent le bombardement comme un acte de légitime défense, et Paris Presse réserve même une page pour publier le rapport écrit par le général Salan. Globalement soutenue par la presse et l’opinion, l’action de l’armée est validée a posteriori par Félix Gaillard.
Quant à eux, les intellectuels de gauche, déjà acquis à la cause de l’indépendance algérienne, soutiennent la Tunisie et condamnent fermement les agissements de l’armée française. A l’image de Jean-Paul Sartre qui tente d’organiser une réunion publique de protestation le 14 février. Réunion interdite, comme celles prétendant soutenir l’armée, en raison des troubles à l’ordre public qu’elles risquaient d’occasionner.
Sur ces entrefaites, le président tunisien annonce déposer une plainte devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, ainsi que le blocus des troupes françaises encore présentes en Tunisie. Il demande en outre l’abandon de la base de Bizerte par l’armée française. La France dépose alors un dossier complet aux Nations Unies censé prouver « son bon droit ». Alors que l’affaire semble devoir trouver son épilogue devant l’ONU, dossier contre dossier et preuves contre preuves, la situation n’apparaît plus aussi favorable au camp tunisien. C’est ici qu’interviennent les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Ils proposent leurs « bons offices » aux deux protagonistes. Acceptée le 18 février, cette médiation induit l’ajournement du Conseil de Sécurité de l’ONU, pourtant disposé à statuer sur « l’affaire de Sakiet ».
Les manipulations informationnelles des Etats-Unis d'Amérique pour faire céder la France
Ces bons offices sont assurés en premier lieu par l’américain Robert Murphy. Ce diplomate, numéro 3 du secrétariat d’Etat américain est francophone et était consul à Vichy puis Alger. Pour l’épauler, le britannique Becley, spécialiste du Moyen-Orient. Bien qu’alliés de la France, les Etats-Unis et la Grande Bretagne n’ont pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, la réputation d’être des pays favorables au maintien des départements français d’Algérie. Si la France bénéficie de livraisons d’équipements militaires américains dans le cadre de l’alliance atlantique (armement qu’elle met en œuvre, on l’a vu, en Algérie), ses partenaires occidentaux, américains en tête, ne se privent pas pour armer et soutenir financièrement le FLN.
Le State Departement va jusqu’à qualifier le bombardement de « génocide » et ne n’hésite pas à stipendier l’acharnement de la France à conserver son Empire colonial. Si l’administration Eisenhower – président républicain - est favorable à l’indépendance de l’Algérie, il est en de même du côté des démocrates. Celui qui n’est en 1958 que le sénateur Kennedy ne cache pas sa proximité avec nombre de représentants du FLN. Suivant la ligne de conduite de son pays, Robert Murphy soutient clairement Bourguiba et met la France en difficulté pendant les négociations.
Lorsque débute la médiation anglo-saxonne le 25 février, Habib Bourguiba a réussi à internationaliser la guerre d’Algérie, et à s’offrir cette stature internationale qui lui faisait défaut. Et même si Christian Pineau (ministre français des affaires étrangères) entend clarifier les choses en affirmant que « les bons offices ne peuvent porter sur la question algérienne », c’est bien la politique tricolore en Algérie qui est jugée par le monde occidental. C’est donc au travers de l’offensive informationnelle d’abord menée et internationalisée par la Tunisie, puis amplifiée par les anglo-saxons, d’un bombardement limité effectué dans le cadre du droit de suite, que les alliés de la France vont tenter de l’atteindre. En point de mire, l’affaiblissement des positions françaises en Afrique du Nord.
A ce titre, le président américain Dwight Eisenhower fait pression sur la France. Il écrit même, fait rare, une lettre personnelle à Félix Gaillard pour le pousser à consentir à l’accord avec Habib Bourguiba. Dans cette missive, « Ike » se fait pressant, et en appelle au « bon sens » du français en lui laissant entrevoir la « situation dangereuse qu’un tel échec pourrait entraîner ». On ne saurait être plus clair. Le président du Conseil reçoit cette missive le 11 avril par l’intermédiaire du médiateur en chef Robert Murphy. Il est incité, le mot est faible, par ses alliés à accepter une conciliation où la Tunisie rejette chacune des quatre demandes françaises :
Loin de considérer ces demandes modérées, l’accord de sortie de crise ne prévoit même pas le bouclage de la frontière tunisienne. Pourtant le gouvernement français annonce l’accepter le jour même de l’entrevue entre Félix Gaillard et Robert Murphy au cours de laquelle ont été formulées les exigences américaines.
Les conséquences
Le 15 avril, le Parlement en vacances est convoqué pour entériner cet accord franco-tunisien sous patronage anglo-saxon. Déjà en difficulté, le gouvernement a officieusement attaché à ce vote celui de la confiance. C’est ainsi qu’advient la 20ème crise ministérielle depuis 1946. Le cabinet Gaillard tombe sous les votes défavorables de 150 communistes, 20 mendéssistes et 150 députés de droite (poujadistes, républicains et sociaux).
Pierre Pfimlin, qui remplace Félix Gaillard, doit être investi le 13 mai 1958. Un jour historique puisque, justement en réaction à son accession aux responsabilités, les partisans de l’Algérie française se révoltent. A la recherche d’un soutien politique ferme au « maintien de l’Algérie dans la France », ils profitent de l’instabilité chronique du régime pour tenter d’imposer un gouvernement qui leur soit favorable. A Alger, Lagaillarde et Ortiz s’emparent du Gouvernement Général avec l’appui des parachutistes du général Massu, les Comités de Salut Public se forment et le général Salan clame « Vive De Gaulle » au balcon du « GG ». C’est la fin de la IVème République.
Arnault Ménatory
[1] Raoul Salan, Mémoires Fin d’un empire, Tome 3 : Algérie Française. Presses de la Cité, 1972
[2] Raoul Salan, Mémoires Fin d’un empire, Tome 3 : Algérie Française. Presses de la Cité, 1972.
[3] Raou
18 Januar'21
https://www.ege.fr/infoguerre/guerre-dalgerie-loffensive-informationnelle-qui-acheve-la-iveme-republique
Rédigé le 21/01/2021 à 20:48 dans colonisation, Guerre d'Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1)
Le rapport avait été commandité en juillet 2020 par un Emmanuel Macron souhaitant s’inscrire dans “une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algériens”. L’initiative en rupture avec la posture adoptée par les différents dirigeants de la cinquième république française rejoint la position du candidat Macron qui avait critiqué le système colonial en 2017 lors d’un déplacement en Algérie. Le travail de l’historien n’était pas facile. Vu des soldats, des officiers, des immigrés,des harkis, des pieds-noirs et des Algériens nationalistes, l’angle n’est pas le même. En France, rappelle le rapport, la guerre d’Algérie a longtemps été nommée en France par une périphrase: « les événements d’Algérie ».
La guerre d’indépendance algérienne fut, avec celle d’Indochine, la plus dure guerre de décolonisation française du XXe siècle. Comment comprendre l’âpreté de ce confIit ? Au moment où éclate l’insurrection du 1er novembre 1954, l’Algérie « c’est la France». Elle représente trois départements français. Beaucoup plus, donc, qu’une colonie lointaine comme le Sénégal, ou que la Tunisie, simple protectorat.
Près d’un million d’Européens, ceux que l’on appellera plus tard les « pieds-noirs » y travaillent et y vivent depuis des générations. Ce ne sont pas tous des « grands colons » surveillant leurs domaines. La plupart ont un niveau de vie inférieur à celui des habitants de la métropole. Il semble donc hors de question d’abandonner une population, et un territoire rattaché à la France depuis 1830, avant même la Savoie (1860). La découverte du pétrole, la nécessité d’utilisation de l’immensité saharienne pour le début d’expériences nucléaires ou spatiales vinrent s’ajouter à ces motifs dans le cours même de la guerre.
En Algérie, cette guerre se nomme « révolution ». Elle est toujours célébrée comme l’acte fondateur d’une nation recouvrant ses droits de souveraineté, par une « guerre de libération ». En France, la guerre d’Algérie se lit toujours comme une page douloureuse de l’histoire récente : pas de commémoration consensuelle de la fin de la guerre, peu de grands films.
A l’affrontement visible entre nationalistes algériens et Etat français, viennent ainsi s’ajouter d’autres guerres, entre Français, et entre Algériens. Mais pour un grand nombre d’historiens français, la responsabilité première du conflit se comprend par l’établissement d’un système colonial très fermé, interdisant pendant plus d’un siècle la progression des droits pour les « indigènes musulmans ».
Le passé colonial, et la guerre d’Algérie, constitue désormais en France l’un des points de cristallisation de la réflexion fébrile qui s’est nouée çà et là autour de l’« identité nationale », au sein d’une société française éminemment diverse dans ses origines. Ainsi en atteste la virulence de débats récents autour de la loi du 23 février 2005 sur « la colonisation positive », et des dangers de la « repentance », ou à propos des traumatismes laissés par l’esclavage. Les souvenirs de la colonisation ont laissé des traces fort inégales dans l’histoire coloniale et l’Algérie y occupe une place centrale par la longueur du temps de la présence française, (132 ans), la forte colonisation de peuplement européen, la découverte du pétrole et du gaz, l’expérimentation des essais nucléaires au Sahara, et la cruauté d’une guerre de plus de sept ans.
Au terme de son rapport, Benjamin Stora préconise la constitution d’une Commission « Mémoires et vérité » chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires. Egalement parmi les recommendations, la possibilité de facilité de déplacement des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.
-Constitution d’une Commission « Mémoires et vérité » chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires. Cette commission pourrait être constituée par différentes personnalités engagées dans le dialogue franco-algérien, comme Madame Fadila Khattabi, qui préside le groupe d’amitié France-Algérie de l’Assemblée nationale, comme Monsieur Karim Amellal, Ambassadeur, délégué interministériel à la Méditerranée, des intellectuels, médecins, chercheurs, chefs d’entreprise, animateurs d’associations (comme « Coup de soleil »). Un secrétariat général sera chargé d’assurer la mise en œuvre et le suivi des décisions prises par cette commission.
Cette commission pourrait notamment proposer :
– La poursuite de commémorations, comme celle du 19 mars 1962, demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accord d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie. D’autres initiatives de commémorations importantes pourraient être organisées autour : de la participation des Européens d’Algérie à la Seconde guerre mondiale ; du 25 septembre, journée d’hommage aux harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d’Algérie ; de la date du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France. A tous ces moments de commémorations pourraient être invités les représentants des groupes de mémoires concernés par cette histoire.
– Cette commission pourrait recueillir la parole des témoins frappés douloureusement par cette guerre, pour établir plus de vérités, et parvenir à la réconciliation des mémoires.
– Un geste pourrait être l’inclusion dans le décret 2003-925 du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie d’un paragraphe dédié au souvenir et à l’œuvre des femmes et des hommes qui ont vécu dans des territoires autrefois français et qui ont cru devoir les quitter à la suite de leur accession à la souveraineté.
– La construction d’une stèle, à Amboise, montrant le portrait de l’Emir Abdelkader, au moment du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022. Restitution de l’épée d’Abdelkader à l’Algérie.
– A la suite de la déclaration concernant Maurice Audin, la reconnaissance par la France de l’assassinat de Ali Boumendjel, avocat, ami de René Capitant, dirigeant politique du nationalisme algérien, assassiné pendant « la Bataille d’Alger » de 1957.
– À la suite de la déclaration d’amitié signée lors de la visite du Président de la République à Alger en 2012, un groupe de travail a été créé pour permettre la localisation des sépultures des disparus algériens et français de la guerre d’indépendance. Ce groupe pourrait poursuivre son travail, pour la publication d’un « Guide des disparus » de la guerre d’Algérie, disparus algériens et européens.
– Identifier les emplacements où furent inhumés les condamnés à mort exécutés pendant la guerre. A la fin des années 1960, dans un mouvement symétrique à celui qu’effectuait alors l’Etat français, l’Etat algérien a demandé à récupérer les corps des Algériens morts en France pendant la guerre. Or, les démarches entreprises sont inabouties. On pourrait se centrer sur la situation des condamnés à mort exécutés qui doit être distingués dans la mesure où il s’agit de décisions de justice et d’exécutions officielles, ce qui devrait permettre une identification plus aisée.
– La poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pause des mines aux frontières.
– L’achèvement des travaux du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXème siècle conservés au Muséum national d’Histoire naturelle.
– Voir avec les autorités algériennes la possibilité de facilité de déplacement des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.
– La mise en place d’une commission mixte d’historiens français, et algériens, pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962, pour entendre la parole des témoins de cette tragédie.
– Faire des quatre camps d’internement situés sur le territoire français des lieux de mémoire. A partir de 1957, des milliers d’Algériens ont été internés administrativement en France. Quatre camps les accueillirent : le camp du Larzac (Aveyron), celui de St-Maurice l’Ardoise (Gard), celui de Thol (Rhône) et celui de Vadenay (Marne). Le camp du Larzac fut le plus important. Celui de St-Maurice l’Ardoise a la particularité d’avoir vu s’y succéder, pendant la guerre, des suspects algériens puis des membres de l’OAS puis des harkis rapatriés et leurs familles. Des plaques, apposées à proximité de chacun de ces camps, pourraient rappeler leur histoire.
– Encourager la préservation des cimetières européens en Algérie (travaux, entretiens, réhabilitations des tombes), ainsi que les cimetières juifs (comme par exemple ceux de Constantine et de Tlemcen). Financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans « morts pour la France » entre 1954 et 1962 et enterrés en Algérie. Ces tombes ne reçoivent aucun soin spécifique de la part de l’Etat français puisqu’elles n’ont pas été regroupées au cimetière du Petit-Lac avec celles des autres militaires français. Avec l’accord des familles, un recensement de ces tombes et une aide pour leur entretien pourraient être proposées.
– La reprise des travaux du groupe de travail conjoint sur les archives, constitué en 2013 à la suite de la visite du Président de la République en 2012. Le groupe s’est réuni à six reprises, jusqu’au 31 mars 2016. Ce groupe de travail sur les archives devra faire le point sur l’inventaire des archives emmenées par la France, et laissées par la France en Algérie. Sur la base de ce travail d’inventaire, certaines archives (originaux) seraient récupérées par l’Algérie. Celles laissées en Algérie pourront être consultées par les chercheurs français et algériens. Le « Comité de pilotage » pourrai proposer la constitution d’un premier fond d’archives commun aux deux pays, librement accessible. Ce Comité pourrait également demander l’application stricte de la loi sur le patrimoine de 2008 en France. Concrètement, il s’agit de revenir dans les plus brefs délais à la pratique consistant en une déclassification des documents « secrets » déjà archivés antérieurs à 1970 – étant entendu qu’il revient à l’administration de procéder à la déclassification des documents postérieurs à cette date avant leur versement.
– La coopération universitaire pourrait, avant le règlement de la domiciliation des archives, trouver un moyen pour chacune des parties de montrer la volonté de transparence du passé commun. La France proposerait ainsi de donner chaque année à dix chercheurs, inscrits en thèse sur l’histoire de l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance dans un établissement universitaire algérien, de pouvoir effectuer des recherches dans les fonds d’archive en France.
– Le visa de chercheur à entrées multiples serait d’une durée de six mois, pouvant être prolongé de trois mois, ce qui correspond à une année universitaire. Le chercheur pourrait ainsi effectuer des allers retours en fonction des besoins de sa recherche. Ce visa pourrait être renouvelable.
– Afin que ces recherches puissent effectuées dans de bonnes conditions matérielles, un accord serait passé avec le Conseil national des œuvres universitaires pour mettre à disposition une chambre au sein d’une cité universitaire proche des lieux d’archive dans des modalités pratiques à approfondir. Enfin, ces étudiants pourraient bénéficier pendant leur séjour en France de la même bourse d’étude que les étudiants français inscrit en thèse ramené au prorata de la durée de séjour.
– En parallèle, des étudiants français, dans un nombre qui reste à discuter avec les autorités algériennes, devraient pouvoir bénéficier d’un visa à entrées multiples et d’un accès facilité aux archives algériennes concernant la même période.
– Favoriser la diffusion des travaux des historiens par la création d’une collection « franco-algérienne » dansunegrandemaisond’édition.Cela afindeposerdesbasescommunesauxmémoiresparticulières, de définir un cadre acceptable par tous, des deux côtés et de chaque côté de la Méditerranée.
– La création d’un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe, et de l’arabe vers le français, d’œuvres littéraires, et à caractère historique. Ce fonds pourra également prendre en charge les écrits de langue berbère.
– Accorder, dans les programmes scolaires, plus de place à l’histoire de la France en Algérie. A côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation -, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels).
– Aller vers la mise en place d’un Office Franco-Algérien de la Jeunesse, chargé principalement d’impulser les œuvres de jeunes créateurs (œuvres d’animations, court-métrages de fiction, création de plate-forme numérique pour le son et l’image).
– La réactivation du projet de Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, prévu à Montpellier et abandonné en 2014.
– A l’instar de la mesure instaurée par le Président de la République visant à inscrire donner à des rues de communes françaises des noms de personnes issues de l’immigration et de l’outre-mer, inscription de noms de Français particulièrement méritants, en particulier médecins, artistes, enseignants, issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France.
– L’organisation, en 2021, d’un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par certaines grandes personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze, Paul Ricoeur.
– L’organisation en 2021 d’une exposition au Musée national de l’histoire de l’immigration, ou d’un colloque, sur les indépendances africaines.
– L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie.
– La création d’une commission franco algérienne d’historiens chargée de d’établir l’ historique du canon « Bab Merzoug » ou « La Consulaire » , et de formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée ».
https://www.financialafrik.com/2021/01/20/les-recommandations-du-rapport-stora-pour-apaiser-la-question-memorielle-entre-la-france-et-lalgerie/
Rédigé le 21/01/2021 à 11:23 dans Culture, Guerre d'Algérie, Histoire, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 21/01/2021 à 10:38 dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)
Par souci pédagogique et en vue de simplifier l'approche conceptuelle du principe de la laïcité, au moins dans sa version originelle, j'ai organisé ma dissertation sur le sujet en quatre parties. Sans prétention d'expert en la matière, ma démarche vise simplement à mette à disposition de ceux que cela intéresse des éléments de discernement à même de lever des ambigüités, que d'aucuns entretiennent sciemment, à dessein dirions-nous, afin d'empêcher l'opinion publique de saisir la portée réelle de la compagne anti-foulard, ayant généralement l'islamophobie comme soubassement. Dans un premier article, paru dans le quotidien d'Oran le 05 décembre 2020 sous le titre ' L'antagonisme entre l'église et les souverains occidentaux à l'origine de la laïcité ', j'ai présenté un exposé concis de l'histoire de l'église catholique et ses relations conflictuelles avec le pouvoir temporel; préambule aux différentes dispositions réglementaires et accords qui ont finalement abouti à la première codification du principe de la laïcité (loi 1905 de séparation de l'église et de l'Etat). Le parcours historique menant à ce but - au prix de luttes acharnées entre les antagonistes, parfois sanglantes - a fait l'objet d'un second article, intitulé 'Le long et laborieux cheminement de la France vers la laïcité'', publié dans le même journal le 10 décembre 2020. Le troisième article, paru encore dans le quotidien d'Oran le 06 janvier 2021, sous le titre 'La laïcité française à l'épreuve d'un foulard'', a concerné essentiellement la question de l'interdiction, au nom de la laïcité, du port du voile dit islamique, ou son autorisation. Problème qui, depuis plus de deux décennies, suscite des débats à tout-va, où le plus souvent le passionnel prend quasiment le monopole de la parole, laissant l'intellect sans voix. La présente contribution portera quant à elle, exemples édifiants à l'appui, sur la compagne de mise à l'index des musulmans, voire l'ostracisme et le harcèlement qu'ils subissent, ciblant en particulier les femmes voilées. Actes que leurs auteurs s'emploient savamment à justifier par de prétendues 'valeurs laïques républicaines''.
Un fourre-tout qui ouvre la voie, toute béante, aux dépassements les plus improbables et à la banalisation de la violence et de la stigmatisation dont sont victimes des gens dont le seul tort est d'afficher leurs convictions religieuses, sans perturber l'ordre public ni exprimer la moindre revendication d'ordre politique ou autre. Hélas, les vulgates des nouveaux 'prêtres de la laïcité et de la liberté d'expression'', de plus en plus nombreux à officier dans les médias et autres forums, sont en train de prendre des tournures insoutenables, parfois terrifiantes. Est-il besoin de rappeler que la montée du racisme, avec ce qu'il peut charrier comme tragédies humaines, commence toujours .par la parole autorisée et donnée abondamment aux promoteurs de la haine, à l'image d'Eric Zemour et compagnie.
C'est en particulier sur le plateau de la chaine de télévision Cnews, où ils semblent passer plus de temps que chez eux, que ces énergumènes viennent allègrement déverser leurs nauséabondes logorrhées. L'histoire nous apprend que le type de discours qu'ils confessent et les déviances qui les caractérisent constituent généralement le socle des fractures sociales. Lorsque des faits religieux, secondaires et sans réel impact sur le vivre ensemble, deviennent un casus belli pour ouvrir le feu sur tout ce qui a trait au culte religieux d'une partie de ses concitoyens, le pire est à craindre. Toutes proportions gardées, ce phénomène s'inscrit bien dans les schémas classiques des glissements vers l'effroyable; des dérives qui produisent inexorablement le radicalisme, géniteur de la ségrégation sociale, des troubles sociaux, des guerres civiles, du terrorisme et aussi des tyrannies idéologiques telles que le fascisme, le stalinisme, le nazisme, l'antisémitisme, l'anti-islam, etc. A ne pas s'y méprendre, les conflits majeurs germent souvent des petits débordements ou malentendus, entretenus et alimentés au fil du temps pour atteindre des dimensions hors mesure, incontrôlables. Et ce n'est pas les exemples de dérives à répétition qui manquent en ces temps de déliquescence intellectuelle, mais aussi morale et politique. On peut citer à propos l'affaire, largement relayée par les médias et les réseaux sociaux, de cette mère voilée, accompagnant son fils, qui a été prise à partie de manière humiliante par un élu du parti d'extrême droite RN (Rassemblement National de Marine le Pen), sous les yeux effarés de son enfant, au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté le 11 octobre 2020. Une exécrable délation publique, bête et méchante. Le député et président du parti de droite Les Républicains (LR), défiant tout entendement et aussi les lois de 'sa république'', préconise quant à lui l'interdiction pure et simple du voile pour les femmes accompagnatrices des écoliers ; arguant que : « à partir du moment où on l'interdit à l'école, pour moi, ça vaut pour tout le temps scolaire ». Question rhétorique : A quel moment commence ou s'arrête le temps scolaire ? Le LR propose même une loi « tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation ». Rien que ça ! Il s'agit en fait d'une demande de réactivation de la circulaire Chatel (ministre de l'éducation sous Nicolas Sarkozy) de mars 2012, interdisant aux parents d'élèves accompagnateurs de porter des signes religieux ostentatoires.
Il convient de rappeler à ces 'super-républicains'' que la dite circulaire fut remise en cause par le Conseil d'Etat en décembre 2013, en soulignant que les parents ne sont pas des agents auxiliaires du service publique pour être soumis à la neutralité religieuse. La liste des actes de discrimination, de provocation, d'agressions verbales ou physiques, et autres violences morales faites aux musulmans, les femmes voilées en particulier, dépasse le domaine de l'incident isolé ; le problème se pose désormais en réel fléau social pour la France. Citons encore quelques cas qui en disent long à ce sujet.
Le 18 octobre 2020, deux femmes musulmanes voilées ont été victimes d'une agression à caractère raciste à Paris. Alors qu'elles se promenaient en famille tranquillement à proximité de la Tour Eiffel, elles ont été poignardées suite à une altercation avec deux femmes. Autre fait, lors de la séance parlementaire d'audition des acteurs associatifs, le 17 septembre 2020, dans le cadre de l'enquête sur l'impact de la covid-19 sur la jeunesse, des députés de la droite et une élue du parti La République en Marche ont quitté la salle pour protester contre la présence d'une étudiante en hidjab, vice présidente de l'union nationale des étudiants de France. La présidente de la commission d'enquête a réagi en précisant, séance tenante, que l'interdiction de signes religieux ne s'applique qu'aux membres de l'assemblée et qu'à ce titre la représentante des étudiants n'a transgressé aucune loi. Interpellé quelques jours après l'incident, le président de l'assemblée nationale, abondant dans le même sens, a déclaré : « Dans cette maison, on s'habille librement, on s'indigne librement ». Le paroxysme de l'acharnement, qui pourrait être nominé au hit parade du harcèlement xénophobe, est atteint avec l'épisode du 'Hidjab sportif'' proposé à la vente en février 2019 par le groupe Decathlon (entreprise française de grande distribution d'articles de sport et de loisirs). L'entreprise, accusée, entre autres, de 'se soumettre à l'islamisme'' et de 'trahir les valeurs républicaines'', subira une pression inimaginable, agrémentée d'insultes et de menaces sans précédent, l'obligeant à renoncer à la commercialisation de son produit.
Un important marché, très juteux, fut ainsi sacrifié sur l'autel de l'intolérance. Pourtant, la croix, la kippa, les santons (figurines ornant les crèches de noël) et autres articles en lien avec la religion sont vendus librement, sans qu'on s'en offusque. De même, il n'a jamais été interdit à quelqu'un de pratiquer du sport en portant une croix ou un quelconque signe religieux. C'est dire que l'affaire Décathlon, en plus d'être un regrettable piétinement des droits, est une violence de trop faite à la liberté des femmes musulmanes. De telles attitudes discriminatoires, extrémistes, sont beaucoup moins répandues, voire insignifiantes, en dehors de l'hexagone.
A titre illustratif, en 2018, l'équipementier sportif Nike a mis sur le marché un voile de sport dit islamique, « le Nike Pro Hijab », sans provoquer de réactions hystériques comme en France. On va clore la série noire avec une cerise, du reste putréfiée, sur le gâteau. Dans une émission de télévision, l'inénarrable Robert Ménard, maire de Béziers, déclare : « comment peut-on lutter contre l'islamisation sans lutter contre le voile ». Ce qui est admirable dans cette absurdité, ânerie serait le mot juste, c'est qu'elle nous enseigne que la conversion à l'Islam, prétendu danger imminent pour la république laïque, peut se réaliser par simple exhibition d'un foulard.
Ce qui revient à dire que si un non musulman croise une femme voilée, ou portant un foulard dit islamique, il risque la conversion, véhiculée par des ondes magico-magnétiques que le foulard chargé d'Islam émet. Ma foi, on aura tout vu dans la France de ces débuts du XXIème siècle; c'est à se demander comment font ces gens pour garder l'ai sérieux. J'ai beau essayer, mais j'ai du mal à comprendre une conception, on ne peut plus irrationnelle, qui invite à interpréter la laïcité, sensée garantir la liberté de conscience, comme principe imposant aux croyants de dissimuler leur religiosité. N'est-ce pas là une atteinte flagrante au droit humain fondamental, aux droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garanties et aussi une violation de l'esprit et de la lettre de la laïcité; qu'on détourne lamentablement de sa vocation pour l'ériger en instrument d'exclusion des convictions religieuses de l'espace public. Prosaïquement parlant, la laïcité prend dès lors des allures d'une néo-religion qui persécute les anciennes ; une cynique inversion des rôles. Disons le franchement, il s'agit au premier chef ni plus ni moins que d'empêchement de toute visibilité publique de l'Islam.
La situation se corsant crescendo ces derniers temps, on est en droit de se demander jusqu'où peut aller l'intolérance et le racisme lorsqu'un foulard, fut-il islamique, offenserait les regards, froisserait les sentiments et bafouillerait les 'valeurs'' plus que les images de tous ces malheureux SDF et autres misères humaines, auxquelles le monde 'civilisé'', donneur de leçons, est devenu quasiment insensible. Il est ahurissant qu'un simple foulard puisse déclencher une avalanche de lois et autres dispositions réglementaires. Certains 'intellos'' radicaux et leurs adeptes, légitimes représentants autoproclamés d'un monde dit libre et démocratique, qui ne finit au demeurant pas de se déshumaniser, obnubilés par leurs sentiments haineux et discriminatoires, passent leur temps sur les plateaux des télévisions et autres supports médiatiques à fustiger les musulmanes voilées.
Celles-ci sont mises en demeure de se défaire de leur foulard, c'est à dire de leur pudeur religieuse ou culturelle, pour s'intégrer dans la société aux traditions et consciences conformes au modèle de leurs détracteurs. Autrement dit, elles doivent se fondre dans le moule de normalité que ces derniers veulent imposer en dépit du droit et du bon sens. En réalité, de tels procédés ne sont rien d'autre que l'expression d'une idéologie qui n'admet point que l'on sorte de son schéma de pensée et de sa façon d'être. Ses adeptes, enfermés dans leur nébuleuse, ne peuvent pas concevoir la vie sociale en dehors des frontières des quartiers de leur ' francité pure''. Voués au culte messianique d'une France qui de ses lumières irrigue le monde, ils développent une incurable allergie à une grande partie du monde dit 'étranger à leurs valeurs civilisatrices''. Par moments, je suis tenté de tout mettre sur le compte de leur 'impéritie intellectuelle'', mais la constance de leur discours et leur acharnement ostentatoire me rappellent vite à l'ordre. Pour satisfaire leurs caprices xénophobes, faisant fi de tout le reste, ils sombrent dans une haine qui participe à éteindre les lumières dont la France se revendique depuis deux siècles : liberté, égalité, fraternité. Tous ces dépassements et autres dévoiements que l'on s'autorise, sous couvert de liberté d'expression, de laïcité et de démocratie, portent à croire - en ce qui concerne les partisans du rejet de l'autre bien entendu; la généralisation serait injuste, déplacée et intellectuellement malhonnête envers tous les autres citoyens français, il faut séparer le bon grain de l'ivraie - que Voltaire (écrivain et philosophe français du XVIIIème siècle) avait en partie raison de dire : « Les français ne sont pas faits pour la liberté, ils en abuseraient ». En tout cas, pour le moins, tout esprit libre et ouvert au monde, tout être épris de nobles valeurs humaines, s'offusque forcément du rejet de l'autre et de l'atteinte à ses libertés fondamentales, en raison de son appartenance, de ses opinions politiques ou de ses croyances. Mais à la noblesse des sentiments on devrait joindre les actes de dénonciation, voire de condamnation, de l'immoral et de la violation des droits humains.
A point nommé, évoquons cette phrase du poète français Charles Baudelaire : « Il est bon de hausser la voix et de crier haro sur la bêtise contemporaine ». Formule qui trouve son plein sens à l'endroit de la coterie des Eric Zemour, Robert Ménard, Jean Messila, Elisabeth Levy, Marine le Pen et leurs acolytes.
Cet essaim d'oiseaux de mauvais augure, annonciateur du péril musulman - migrant d'un média à l'autre pour prêcher la peur et l'angoisse chez les uns et le désarroi chez d'autres, pensant faire œuvre utile pour la société française - passe le plus clair de son temps à présenter l'Islam comme une antinomie accolée à n'importe quoi, à tout et à rien. Autrement dit, une religion qui serait incompatible avec la modernité, avec l'émancipation de la femme, avec les droits de l'homme... la litanie pourrait s'allonger d'avantage. Mais avant tout, la question est de savoir si au moins ces 'maitres penseurs'' se sont donné la peine d'étudier et de comprendre l'Islam ?
Ou alors, sont-ils simplement aveuglés par leur haine maladive de cet Islam ? Hélas, c'est rare où ce genre de personnes peut avoir à la fois un œil, une oreille et un esprit ouvert pour appréhender correctement les choses ou les apprécier à leur juste valeur. Au fond, la problématique ne se pose pas en termes de compatibilité des valeurs véhiculées par la religion musulmane avec celles de la république; c'est plutôt le sens que d'aucuns veulent donner à ces valeurs qui crée la polémique et la zizanie. En d'autres termes, le problème, pomme de la discorde, est dans l'interprétation dévoyée des concepts. Et c'est justement dans ce creuset de lectures, non innocentes, que se joue malheureusement la parodie de procès des musulmans.
Nonobstant ce qui peut se concerter dans la sphère peu accessible des décideurs, les plaidoiries se passent sous forme de bavardages médiatiques où des rhéteurs, les mêmes qu'on invite le plus souvent, et autres phraseurs automates, imposent leurs théories biscornues. Etant presque toujours en terrain conquis, ils arrivent à rendre péremptoires leurs audaces sur n'importe quel sujet. Ils n'y réussissent évidemment pas par le seul exercice d'un supposé talent d'orateurs, mais surtout en raison de l'absence de vis-à-vis de qualité intellectuelle à même d'apporter la contradiction, savamment argumentée, nécessaire à un débat sérieux et constructif. La nature ayant horreur du vide, Il appartient alors aux bonnes consciences encore taiseuses, les musulmanes en particulier, de se manifester pour le combler afin d'éviter le pire pour les musulmans de France et d'ailleurs, Inchallah.
par Tahar Benabid*
Professeur - Ecole Nationale Supérieure de Technologie
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5297836
Rédigé le 21/01/2021 à 10:19 dans Culture, Islam | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires récents