PARUTION DE “LES TUEURS” ET AUTRES INÉDITS AUX ÉDITIONS EL KALIMA
Ce dernier numéro des Petits inédits maghrébins (PIM) propose des textes rares de Mouloud Feraoun, notamment “À Alger, c’est la terreur”, dernière page du “Journal”, jamais publiée par les éditions du Seuil.
À Alger, c’est la terreur…, Les beaux jours, La vache des orphelins ou encore Ma Kabylie sont là des bijoux de Mouloud Feraoun, déterrés par les éditions El Kalima. En effet, pour ce onzième numéro des Petits inédits maghrébins (PIM) de la collection Jib, des textes rares de l’écrivain sont proposés aux lecteurs. Intitulé Les tueurs et autres inédits, cet ouvrage présenté par l’universitaire Safa Ouled Haddar nous plonge en premier lieu dans la vie et le parcours si intense et riche de l’auteur du Fils du pauvre.
Dans Témoignage d’une âme sensible, l’autrice dresse le portrait de ce monument de la littérature algérienne de langue française, dont les textes “retracent une bonne partie de l’histoire de l’Algérie”. De sa naissance à Tizi Hibel, son inscription à l’école, sa formation d’instituteur jusqu’à sa conversion en écrivain ; ces étapes de sa vie l’ont façonné et ont fait de lui l’“humaniste pacifiste” que l’on connaît à travers ses écrits qui dépeignent “sa Kabylie, son passé et ses traditions”.
D’ailleurs, son cursus et ses fréquentations l’ont “confronté” dès son jeune âge à deux univers : “Le monde du colonisé et celui créé par le colonisateur.” Homme de paix, il aspirait à “la création d’un monde où les deux cultures, celle du colonisé et du colonisateur, cohabitent et se complètent, mais dans l’égalité des droits et le respect de l’autre”.
Et cette idylle lui a valu des critiques, un certain “laxisme” par rapport à l’“engagement” dans la guerre de libération. Alors que son militantisme consistait “à former une jeunesse capable d’assurer un meilleur avenir à son pays grâce au savoir acquis sur les bancs d’école”. Concernant ces textes rares et pour certains inédits que nous retrouvons dans cet ouvrage, il est question de nouvelles, de contes, une dédicace à son ami écrivain Jules Roy ainsi qu’un poème-dédicace à Emmanuel Roblès. Ces œuvres ont été pour la plupart publiées dans des revues ou dans le journal des instituteurs de l’Afrique du Nord.
La nouvelle intitulée Les tueurs a été remise par les ayants droit à Emmanuel Roblès pour sa publication dans un numéro spécial de Celfan Review en 1982, consacré à l’auteur de La terre et le sang. Écrit à quelques semaines de son assassinat par l’OAS, ce texte “prémonitoire” raconte le meurtre par un agent de l’OAS de Djaffar, un directeur d’école aux Sources. Sur ces similitudes, il est expliqué que l’écrivain pressentait que son tour allait venir, car il avait reçu des lettres de menaces émanant de l’OAS.
Pour À Alger, c’est la terreur, c’est la dernière page du Journal – publié chez le Seuil en 1962 à titre posthume, après l’assassinat de Feraoun, qui selon l’universitaire a fait l’objet d’une troncature ou d’un oubli, alors qu’elle a “été transférée avec le reste du manuscrit” à Roblès. À ce propos, il est souligné que les raisons de cette omission sont inconnues, car les deux écrivains-amis ne sont pas présents pour la donner. Dans ce texte, il décrit minutieusement et d’une manière crue la violence qui régnait à l’époque de la guerre, et ce, à travers les cadavres de deux hommes retrouvés dans les rues de la capitale.
Extrait : “À Alger, c’est la terreur. Les gens circulent tout de même, et ceux qui doivent gagner leur vie ou simplement faire des commissions sont obligés de sortir, sortent sans trop savoir s’ils vont revenir ou tomber dans la rue.” Ces personnes tombées dans la rue, le premier cadavre retrouvé est celui d’un Européen dans un quartier arabe : “Quand quelqu’un tombe, le réflexe est toujours le même, on se sauve puis on revient par curiosité et on s’en va en se félicitant d’avoir soi-même échappé.”
Quant au deuxième, il a été balancé du 6e étage “retenu par une corde et une poulie”, un “spectacle” très amusant pour les pieds-noirs, un détail qui sous-entend que cet homme était un Arabe. Une situation qui démontre “l’indifférence” face à la mort ainsi que ses dégâts collatéraux sur les deux parties. Les tueurs et autres inédits est un ouvrage à découvrir, car il “constitue une bonne source de documentation sur l’histoire de l’Algérie coloniale”.
Mouloud Feraoun. Les Tueurs et autres inédits, collection Jib, éditions El Kalima, 2020, 112 pages, 600 DA et 13 euros.
Par Hana MENASRIA
le 20-12-2020
https://www.liberte-algerie.com/culture/feraoun-ou-la-chronique-dun-assassinat-annonce-351000
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