«Le service des renseignements est le service des seigneurs», dit un dicton allemand.
Et les grandes nations ne font jamais faute de monter aux nues les exploits de leurs services secrets, et n'hésitent pas à inventer à leurs héros, dans leurs récits historiques, comme dans leurs oeuvres de fictions, que ce soit les films ou les romans, des exploits qui présentent d'eux une image de demi-dieux mythiques, immortels et n'obéissant à aucune loi naturelle, qu'elle ressortisse de la physique ou même de la frêle nature humaine.
On constate qu'en Algérie, aucune calomnie n'a été épargnée contre des services dont, pourtant, notre pays devrait se glorifier, car ceux qui les ont animés étaient des jeunes, sans expérience surgis, on ne sait comment, du puits du système colonial.
Une guerre de libération lancée «au fonds du puits colonial»
Il n'est pas utile de rappeler ici, avec force détails, comment la Guerre de Libération nationale a été lancée, mais seulement de souligner qu'elle a connu un commencement modeste, par un simple appel pompeux, sur deux pages dactylographiées, diffusé par des hommes pitoyables ayant à peine de quoi se payer des vêtements de friperie et survivant au jour le jour grâce à la solidarité de leurs compagnons.
Le peuple algérien vivait alors, dans sa majorité, dans un état de déchéance qu'il est difficile d'imaginer maintenant, et les chances de ce groupe de «fous» tenait plus du miracle divin que d'éléments objectifs garantissant la réussite de l'entreprise de Libération nationale.
Il n'y avait ni suffisamment de moyens financiers, ni armes, ni munitions, ni experts militaires, donc aucun potentiel mobilisable permettant de créer ne serait-ce qu'une lueur d'espoir dans l'issue finale.
L'ennemi était non seulement la 5e puissance mondiale et membre de la plus grande alliance militaire internationale, mais également un pays jouissant d'une aura civilisationnelle incomparable, et qui se trouvait, en plus, à une demi-journée de bateau de l'Algérie. on peut dire que la dernière phase de la résistance algérienne à l'occupant a commencé avec tout contre elle, et apparaissait vouée à l'échec.
Pourtant, quelque trois années plus tard, non seulement, comme l'avait alors prédit Larbi Ben M'hidi, un de ces ‘fous,» le peuple algérien a fait de cet acte de désespoir qu'était la Déclaration du 1er Novembre, un cri de guerre et le signal d'un soulèvement qui, malgré tous les avatars qu'a traversés notre pays depuis notre indépendance gagnée dans le sang et la souffrance, demeure un des évènements les plus importants de l'histoire, non seulement de l'Algérie, mais du monde.
Une génération qui se prépare au grand départ
Les historiens, non seulement algériens et français, mais même étrangers à ce conflit sanglant et cruel, continuent à se pencher sur ce phénomène socio-militaire qu'a été la guerre d'un peuple misérable, inculte, contre une superpuissance riche, orgueilleuse et sûre d'elle-même, porteuse d'une culture et d'une civilisation riches et de valeurs universelles dont elle se proclame la patrie.
La génération d'Algériennes et d'Algériens, qui a pu donner vie à ce miracle, commence à connaître le sort que le temps réserve à tous les humains, et chaque jour apporte sa moisson de mauvaises nouvelles: elles vont certainement s'accélérer dans les jours, les mois et les années à venir, jusqu'à ce que cette génération de héros disparaisse et que leurs noms soient oubliés, même si la toponymie officielle va marquer le paysage de ces noms rattachés à des lieux symboliques, mais sans autre profondeur que les sons qui les composent.
C'est pour cette raison que, chaque fois qu'un homme ou une femme de cette génération des libérateurs de l'Algérie arrivent au terme de leur vie sur cette terre, il est indispensable de revenir sur leur vie, sur leur parcours et sur leur contribution, si marginale paraisse-t-elle, dans une guerre dont la cruauté est loin d'avoir été décrite, que ce soit dans les autobiographies, dans les études historiques académiques, ou dans les oeuvres de fiction, films ou romans.
Parmi ces hommes et ces femmes, engagés dans la lutte de libération, certains sont plus prééminents que d'autres, quoique les sacrifices des uns et des autres soient égaux dans leur noblesse et dans le désintérêt qui les anime.
Yazid Zerhouni: un homme dont le destin se confond avec celui de l'Algérie.
Noureddine Zerhouni, dit Yazid, dont on tentera ici de présenter une brève biographie, qui n'est pas à la hauteur de l'hommage qui doit lui être objectivement rendu, est trop connu pour qu'on prétende le présenter à la lectrice et au lecteur de ce modeste écrit.
Sa vie en fait se confond, dans ses détails, avec celle de l'Algérie qu'il a servie depuis l'âge de 19 ans, lorsque ce n'était qu'un projet. Symbole de la jeunesse lycéenne algérienne de sa génération, engagé volontaire dans la lutte armée, et l'un des premiers cadres des «services de l'ombre,» il a occupé, depuis l'indépendance, des fonctions cruciales qui ont fait connaître son nom, d'autant plus qu'il a servi à divers titres tous les chefs d'Etat qui se sont succédé depuis l'indépendance.
Il a été tour à tour responsables des service de renseignements extérieurs au ministère de la Défense nationale, puis, pendant une très brève période, directeur de la Sécurité militaire, ensuite, pendant 12 années, successivement ambassadeur au Mexique, au Japon et aux Etats-Unis, avant d'être nommé, après une brève période de traversée du désert,- par l'ex-président de la République, qui voulait rehausser son gouvernement avec un homme dont la réputation de serviteur de l'Etat n'était plus à faire,- ministre d'Etat ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, puis vice-Premier ministre, pour enfin être écarté définitivement.
Un homme à la hauteur de toutes ses missions
Un homme se définit plus par sa personnalité que par les titres qu'il a portés au cours de sa carrière, titres éphémères, tenus par d'autres avant lui et que d'autres tiendront après lui, et qui, malheureusement, malgré le prestige et la reconnaissance publique qu'ils traînent avec eux, ne constituent pas des preuves suffisantes des qualités personnelles de ceux qui les détiennent.
On peut affirmer, sans blesser, même à titre posthume, la modestie de Yazid Zerhouni, qu'il a été à la hauteur de toutes les fonctions qu'il a occupées, pendant les quelque 50 années de sa carrière au service de l'Algérie, depuis son engagement dans l'ALN en 1957, jusqu'à sa retraite.
Il n'y a pas un poste qu'il ait occupé et qui ait paru trop grand pour lui. Il a été un des stagiaires les plus brillants de l'Ecole des cadres que Abdelhafid Boussouf avait organisée à Oujda, entre septembre et décembre 1957, pour former des commissaires politiques affectés aux différentes zones que comprenait la Wilaya V historique, dont il était le commandant.
Mis à la disposition de l'état-major de la Wilaya V, dès la fin de son stage, Yazid fut chargé des opérations de recueil de renseignements sur le dispositif militaire ennemi, à la frontière algéro-marocaine, dans le but de faciliter le passage de l'armement et des hommes entre les territoire algérien et marocain. Cette tâche, extrêmement importante dans la poursuite de la guerre de libération, valut à Yazid de gagner rapidement une promotion bien méritée d'adjoint au responsable des renseignements militaires lors de la création de l'état-major Ouest.
Il fit, vers la fin de la lutte armée, un court passage à la base Didouche Mourad, dans la proche banlieue de Tripoli, en Libye, comme membre du groupe de travail chargé de la préparation du dossier militaire en vue des négociations de paix qui avaient commencé à Evian en mai 1961.Il rejoignit ensuite l'équipe de soutien aux négociateurs algériens.
L'indépendance acquise, il eut à veiller, dans des conditions dignes d'un roman d'espionnage, à la collecte des archives des services du Malg entreposées au Maroc et à leur transport vers l'Algérie.
Une attitude patriotique responsable lors de la crise de l'été 1962.
Dans l’équipe de soutien aux négociateurs algériens
Comme tous les volontaires de sa génération qui avaient été affectés dans les services de renseignements, il refusa de prendre position dans le conflit grave entre l'état-major de l'ALN et le Gpra, affirmant qu'il s'était mis, par son engagement, à la disposition du peuple algérien, pas au service d'une faction ou d'ambitions politiques d'une personne ou d'un groupe.
Rentré à Alger dès le mois de juillet 1962, et en compagnie de l'auteur de cet article et de feu Abdelkader Khalef, plus connu sous le nom de Kasdi Merbah, il décide de reprendre ses études supérieures, s'inscrit à l'université d'Alger et prend un chambre à la cité universitaire de Ben Aknoun.
Ce détail est d'une très grande importance historique, car il détruit la fiction entretenue d'une cabale montée par feu Boussouf pour soumettre le pays au pouvoir, si ce n'est au caprice, de l'Ex-Malg. Rien de plus faux que cela. Ce sont les bruits de bottes à la frontière Ouest du pays qui ont convaincu nombre d'anciens des services de renseignements pendant la Guerre de Libération nationale, à mettre leur expérience au service de la défense de la Nation et d'accepter de rejoindre le ministère de la Défense au lieu de poursuivre leurs études.
Il est regrettable que la réputation de la direction de la sécurité militaire,-créée essentiellement pour des raisons d'ordre défensif, dans une situation où le pays, encore faible, venait de sortir d'une longue et violente guerre, était menacé dans son intégrité territoriale,- ait été ternie, au corps défendant de ceux qui ne voulaient rien d'autre que de contribuer à la défense d'une indépendance chèrement acquise.
Il n'en demeure pas moins que l'Algérie avait besoin d'hommes ayant gagné leur expérience dans la lutte armée, pour se garder de ses ennemis extérieurs et de toutes leurs manoeuvres.
Les Mémoires de nombre de responsables militaires algériens contiennent des jugements tranchés et hostiles contre un service dont ne peut se passer aucune armée, mais qui a été conduit, tout comme ces responsables, à mener des activités dépassant le domaine des missions propres à une armée. Comme l'a si bien écrit George Orwell, et la citation n'est pas précise; «il faut des hommes durs qui veillent dans l'ombre, nuit et jour, pour assurer la sécurité et la tranquillité des citoyens». Il n'est pas question de rappeler ici la nature du système politique algérien auquel ces hauts gradés ont contribué aussi, sous la protection de la sécurité militaire qui leur a permis de jouir de leurs grades et de leurs positions et de vivre, dans la tranquillité, une retraite bien gagnée. Que serait-il arrivé si cette instance de renseignement n'avait pas existé?
Mourad Benachenhou
20-12-2020
https://www.lexpressiondz.com/nationale/un-devoir-de-memoire-338862
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