Boualem Sansal : « Il n’y a plus assez d’intellectuels libres pour faire renaître l’islam »
Sansal imagine un nouveau prophète chargé d’apaiser les maux de l’humanité, et tisse une histoire qui résonne fortement avec l’actualité. Entretien.
Faut-il encore présenter Boualem Sansal ? Depuis son entrée fracassante dans l’univers de la littérature francophone en 1999 avec son premier roman, Le serment des barbares, l’écrivain algérien, ancien ingénieur venu sur le tard à l’écriture, n’a cessé de cumuler les succès avec des ouvrages exigeants et originaux.
En 2015, son 2084, la fin du monde, adaptation très personnelle sous forme de dystopie du célèbre 1984 d’Orwell, a même été un véritable best-seller en France comme dans le monde. Il lui a permis d’obtenir le prestigieux Grand prix de l’Académie française.
Pourfendeur régulier, dans ses essais comme dans plusieurs de ses livres de fiction, de l’idéologie et des agissements des islamistes, amoureux de son pays et critique féroce de son évolution et de son régime, il surprend à nouveau avec le sujet peu banal de son neuvième roman. Dans Abraham ou la cinquième alliance, il raconte en effet qu’un habitant de l’ancienne Mésopotamie considère que son fils Abram, qui ne porte évidemment pas ce prénom par hasard, est une réincarnation du patriarche Abraham et est appelé à devenir un nouveau prophète.
Celui-ci devra annoncer une « cinquième alliance » avec Dieu, après celles qu’ont autrefois conclues Abraham, Moïse, Jésus et bien sûr Mohammed, afin d’apaiser les maux de l’humanité. Ce qui entraine le « héros » du livre, accompagné de sa famille et de ses disciples, à refaire à l’identique, 4000 ans après, le périple d’Abraham à travers le Moyen-Orient. Il parcourt alors des territoires en pleine effervescence, puisque tout se passe il y a une centaine d’années, au moment de la Première guerre mondiale, de l’effondrement de l’empire ottoman et du califat ainsi que de la venue de colonisateurs occidentaux déterminés à asseoir leur domination sur toute la région.
Évoquant donc la Genèse, le livre prend souvent la forme d’un conte philosophique. Notamment quand le père d’Abram puis lui-même discutent à la manière socratique avec ceux qui les suivent dans leur « aventure » vers la Terre promise. Mais l’ouvrage, s’il est sérieux, n’est jamais ennuyeux et peut se lire d’une traite. D’autant que ce qu’il raconte résonne fortement avec ce qui se passe de nos jours, en Orient comme en Occident et, bien sûr, en Algérie.
Jeune Afrique : Abraham est un livre très ambitieux puisqu’il couvre nombre de champs : historique, géopolitique, religieux, philosophique… Même pas peur ?
Boualem Sansal : Quand je suis parti pour raconter cette histoire, je pensais que ce ne serait pas trop difficile. Puis, après avoir écrit 10 ou 15 pages, je me suis dit que l’entreprise allait me prendre 10 ou 15 ans vu l’ampleur du sujet. Mais heureusement, grâce notamment à la pandémie qui m’a interdit de bouger, de voyager à l’étranger, j’ai pu me mettre à travailler 10 à 15 heures par jour sans interruption. Et j’ai constaté que j’avançais bien, que ma mémoire sur ce sujet qui me passionnait depuis longtemps, depuis une bonne trentaine d’années en fait, fonctionnait bien.
Pourquoi avoir situé cette histoire il y un siècle et au Moyen-Orient ?
L’idée était de ressusciter dans un roman cet Abraham, à l’origine du monothéisme, que nous connaissons tous. Où ? Ma première idée fut de situer le récit dans une banlieue autour de Paris. Mais c’est au Moyen-Orient que cela s’est passé, alors autant respecter l’histoire.
Ensuite quand ? Là encore, ma première idée, celle de retenir la période actuelle, ne fut pas la bonne. En continuant à me documenter sur le personnage d’Abraham, j’ai constaté qu’à son époque, il y avait un contexte politique, des guerres d’empires opposant les Hittites, les Égyptiens, les Babyloniens, les Assyriens ou les Perses. Le mieux était donc de choisir une période pendant laquelle s’étaient déroulées des guerres d’empires au Moyen-Orient. La seule que j’ai trouvée se situe autour de la Première guerre mondiale, avec les empires ottoman, austro-hongrois, anglais, français, allemand qui intervenaient tous dans le conflit.
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27 décembre 2020 à 12h26
https://www.jeuneafrique.com/auteurs/r.de-rochebrune/
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