Pourrons-nous dire 58 ans après le cessez-le feu en Algérie, pourrons-nous dire un jour, la guerre est finie ?
Le jeune Emmanuel Macron, né 15 ans après l’indépendance de l’Algérie, semble le vouloir. Il faut espérer que le président de la République aura plus de doigté pour engager cette initiative qu’il n’en a eu pour les différentes réformes qu'il a entreprises depuis le début du septennat… elles n’ont guère pacifié la vie politique, sociale, économique en France… Quant à celles annoncées sur la laïcité, la sécurité globale ou le séparatisme...Sur les relations avec l’Algérie, une importante première pierre a été posée par le candidat Macron, en 2017, quand il a qualifié la colonisation française de crime contre l'humanité (1). Déclaration exacte en soi mais inacceptable, en Algérie, de la part d'un candidat à la présidence qui pouvait être soupçonné de rechercher là un soutien financier, politique...
Déclaration qui prend un tout autre importance quand Emmanuel Macron, président, reconnaît que, militant anticolonialiste, mathématicien et père de famille, Maurice Audin a bien été assassiné par l’armée française en juin 1957 (2). Et communiste.
Un pas supplémentaire est franchi quand il confie une mission à l'historien Benjamin Stora pour que « l'histoire de la guerre d'Algérie soit connue et regardée avec lucidité », soulignant que l’historien « devra rendre ses conclusions d'ici la fin de l'année »... et faire des propositions d'action (3). Nous y sommes
Au même moment, avançant, dans la presse algérienne, une entente avec le président français...(4), le président Abdelmadjid Tebboune a désigné, comme interlocuteur, son conseiller, le docteur Abdelmadjid Chikhi, directeur général du Centre national des archives algériennes et de la mémoire nationale. Réputé pour son intransigeance...
Cette question ne touche pas seulement les relations entre l'Algérie et la France depuis... Elle implique bien sûr un dialogue avec l'Algérie pour aller vers des relations apaisées. Mais aussi un retour sur soi-même des deux pays.
Emmanuel Macron confère à la guerre d’Algérie, « à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 » (3). Mais cette remise en question du comportement de la France de 1830 à 1962 ne peut être comparée à la reconnaissance par Jacques Chirac du rôle de l’État et de sa police dans la rafle du Vél'd'Hiv et de la Shoah. Dans ce dernier cas, il s'agissait d'un problème français volontairement nié par le Général de Gaulle et ses successeurs à la présidence de la République sous prétexte que la légitimité française était à Londres et non à Vichy. Que Vichy n'était qu'un régime de circonstance, condamné par l'histoire et l'énorme majorité des Français. Aujourd'hui.
La seule véritable opposition à cette reconnaissance était l'ombre imposante du Général et sa vision historique.
Quand il est question de l'histoire coloniale de la France, il ne s'agit pas de revenir sur le comportement indigne d'un régime ou d'un seul gouvernement. Et il ne s'agit pas de la seule Algérie. Mais d'une continuité historique de la politique de la France quelles que soient ses institutions. Quels que soient ses gouvernements successifs. Soutenus le plus souvent par nombre de Français. Comportements trop souvent en contradiction avec les fameuses valeurs dont elle se dit porteuse. Être le pays qui a proclamé La déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est malheureusement pas la garantie d'une politique exemplaire dans leur respect.
Il n'y a pas de peuple vertueux, il n'y a pas d’État vertueux. L'histoire est faite de conflits souvent guerriers. Et si les guerres sont toujours criminelles, toutes ne sont pas accusées de crime contre l'humanité.
S'agissant de la colonisation de l'Algérie, il s'agit d'une question beaucoup plus complexe qui touche deux peuples, deux États, profondément déchirés et construit ou modulé par ces événements.
La réconciliation franco-allemande est un précédent plus intéressant, ici, que la Shoah. Avec des points communs et d'importantes différences. La réconciliation franco-algérienne est, peut-être, encore plus nécessaire pour la France d'aujourd'hui, que la réconciliation franco-allemande. La stature d’Emmanuel Macron n'est pas celle du Général.
Lors de la Seconde guerre mondiale, la France, vaincue en 1940 par l'Allemagne nazie, se retrouvait, grâce au général De Gaulle et à quelques autres, du côté des vainqueurs 4 ans plus tard. A la table des 4 grands. Malgré la réticence de certains d'entre eux. La France avait perdu militairement et gagné politiquement et moralement. Elle était du côté de la liberté victorieuse. De la libération de la France, bien sûr, mais d'autres pays européens par la même occasion.
En Algérie, la France a gagné militairement mais perdu politiquement et moralement. L'Algérie obtenait sa libération, et incarnait la liberté des peuples, contre la France, contre sa politique coloniale et ses méthodes répressives.
La France se retrouvait en 1945 surévaluée, en 1962, dévaluée.
Hier la réconciliation devait se faire entre deux pays européens, ayant connu de multiples conflits. L'un, apparemment au faîte de sa puissance, vainqueur, à la tête d'un empire, légitime politiquement et historiquement, 1789, démocratie, déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'autre écrasé militairement et moralement mais dont on avait connu et pouvait redouter la capacité économique, industrielle. Les deux pays, ayant connu les conséquences catastrophiques de leurs confrontations répétées, avaient intérêt à joindre leurs forces complémentaires. En attendant...
Après la Seconde Guerre mondiale, les divers gouvernements et De Gaulle revenu au pouvoir ont pensé qu'il ne fallait pas répéter les erreurs commises à la fin de la Première. Qu'il était possible d'établir des relations égalitaires, et peut-être un peu plus, entre la France, sûre d'elle même et dominatrice, sa place politique, son Empire et l'Allemagne, affaiblie physiquement et moralement, qu'il ne fallait pas humilier davantage, qui devait être réintégrée dans le monde démocratique, en profitant de sa faiblesse temporaire...
Les deux pays pouvaient penser avoir tout à gagner à cette alliance...
Les choses sont très différentes aujourd'hui, pour l'Algérie et la France. Même si l'intérêt des deux peuples est d'avancer ensemble.
En France, la guerre avec l'Algérie n'est pas finie. Une partie de la droite française n'a pas accepté l'indépendance de l'Algérie. Ni la fin de l'Empire (5). Et, au-delà de la droite, beaucoup n'arrivent pas à se faire au changement de situation au niveau mondial. L'Empire français n'existe plus et l'indépendance algérienne en est le symbole et partiellement la cause. L’imaginaire européen n'a pas remplacé l'imaginaire impérial. D'autant que, si certains pouvaient penser que l'Europe allait se construire autour d'un couple égalitaire mais dont la France serait la tête politique, il est apparu rapidement que la puissance économique de l’Allemagne mettrait en question cette rêverie.
En Algérie, les traces de la colonisation, de la conquête à la lutte pour l'Indépendance, loin d'être effacées, sont entretenues par le nationalisme gouvernemental comme moyen de construire, de consolider l'unité nationale. De légitimer le gouvernement autoritaire en place. De pallier les échecs socio-économiques.
Dans de multiples occasions, quand le gouvernement a des difficultés, il n’hésite pas à accuser les opposants d’être le parti de l’étranger, d’être manipulés par l’étranger, autrement dit par la France. En symétrie, les opposants ne se privent pas de mettre en cause le soutien de la France au gouvernement en place.
Il est certain que les gouvernements français suivent attentivement l'évolution de la situation et ne sont pas indifférents à ce qui se passe en Algérie. Ils ne peuvent cependant être tenus comme responsables de tout et de son contraire...
Il y a beaucoup de questions, de difficiles questions, à traiter pour aboutir à une véritable entente entre les deux pays. Mais le vrai problème reste la volonté des politiques et leur légitimité pour assumer devant leur peuple un profond remaniement de leur roman national.
Il n’est pas certain que le jeune président français, élu par défaut, dont l’autoritarisme dans les réformes entreprises divisent profondément la société française…
Il n’est pas certain que le vieux président algérien en butte à une partie importante de la société algérienne en recherche d’un changement profond...
Il n’est pas certain que les actuels présidents algérien et français aient une autorité, une légitimité suffisantes pour entreprendre cette réconciliation pourtant nécessaire. Et encore moins le temps pour la mener à bien.
Ce ne sont, probablement, que les premiers balbutiements d'une longue - nouvelle - histoire aux multiples rebondissements.
1 - En voyage à Alger, Emmanuel Macron. « La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ». Le Figaro 28 novembre 2017
Le blog de Paul ORIOL
21/12/2020
http://pauloriol.over-blog.fr/2020/12/algerie-france-une-histoire-a-reconstruire.html
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