Alors qu'on célèbre le déclenchement de la guerre de libération le 1er novembre, la chaîne publique France 2 diffusera, le 4 novembre prochain, un documentaire évoquant la période noire du gouvernement français en Algérie: «François Mitterrand et la guerre d'Algérie» d'après un essai de François Malye et Benjamin Stora Le doc est le résultat d'une enquête de deux ans, qui a d'abord abouti à un livre-choc du journaliste François Malye et de l'historien Benjamin Stora, qui révèle un pan obscur de la carrière politique de François Mitterrand. D'après le livre «François Mitterrand et la guerre d'Algérie» celui qui fut ministre de la Justice entre 1956 et 1957, au sein du gouvernement socialiste de Guy Mollet, contribua à guillotiner 45 militants du FLN, qu'ils aient eu ou non du sang sur les mains. Les auteurs ont recueilli des témoignages inédits, en France et en Algérie. Ceux d'acteurs de cette période, comme l'historienne Georgette Elgey qui fut témoin des événements en tant que journaliste, puis conseillère à l'Elysée à partir de 1982. Ceux aussi de personnalités de la politique ou de la presse, comme Robert Badinter, Roland Dumas, Michel Rocard ou Jean Daniel.
Pour la première fois, ils ont accepté d'aborder cet aspect méconnu de la vie politique de Mitterrand. Ce travail minutieux d'archives est l'aboutissement d'une étude de 400 pages de comptes rendus des séances du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de l'époque, celles du ministère de la Justice ou encore de l'Office universitaire de recherches socialistes et découvert des documents inédits, révèle l'historien Benjamin Stora, grand spécialiste de l'Algérie et désigné comme le binôme de Monsieur Chikhi, le DG des Archives nationales sur la question de la mémoire.
Les dossiers ont été préparés à la chancellerie Mitterrand à l'époque, vice-président du CSM, qui s'oppose à 80% des recours en grâce. Pendant 16 longs mois, François Mitterrand ne fait pas mystère de sa volonté d'abattre la résistance algérienne. «C'était véritablement très répressif, c'est incontestable. Mais c'était la vision qu'il avait de l'Algérie, il pensait que c'était la meilleure solution», se souvient Jean-Claude Périer, seul survivant du CSM de l'époque. Les deux auteurs notent aussi que l'ambitieux François Mitterrand, alors âgé de 40 ans, devait donner des gages aux durs du gouvernement s'il voulait durer. Ils soulignent qu'on peut lui reprocher, à ce moment de l'Histoire, «d'avoir accompagné, sans jamais le transgresser, un mouvement général d'acceptation du système colonial et de ses méthodes répressives».
Benjamin Stora précise qu'un autre historien, Jean-Luc Einaudi, avait déjà dressé, en 1986, une première liste des exécutions pendant la guerre d'Algérie, mais à laquelle personne n'avait accordé d'importance.
Amira SOLTANE
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/l-ecran-libre/france-2-revele-le-bourreau-mitterrand-durant-la-guerre-d-algerie-319413
Guerre d'Algérie, le dernier tabou de Mitterrand
Révélations. Un livre dévoile le rôle du ministre François Mitterrand pendant la guerre d'Algérie.
Par Laurent TheisLe 12 juin 1957 ne fut pas un bon jour pour François Mitterrand : Maurice Bourgès-Maunoury, son ex-collègue du gouvernement Guy Mollet, est investi de la présidence du Conseil. L'ancien garde des Sceaux espérait que le président Coty le désignerait. Dans cette perspective, il avait enduré les tempêtes dont le théâtre était l'Algérie. Parce qu'il avait l'oeil rivé sur Matignon, expliquent François Malye et Benjamin Stora*, attelage efficace de journaliste et d'historien, Mitterrand s'est accroché Place Vendôme parfois au-delà de tout. Pour soutenir leur thèse, et dissiper l'ombre entretenue sur un moment peu glorieux de la carrière du futur président, ils ne manquent ni d'arguments ni de documents.
Ministre de l'Intérieur lors du déclenchement de l'insurrection algérienne, Mitterrand avait pris la mesure de l'événement, organisant une répression sans faiblesse mais s'efforçant d'empêcher les exactions policières. Lorsqu'il entre pour la onzième fois, le 1er février 1956, dans une combinaison ministérielle, le ministre de la Justice de 39 ans, proche de Pierre Mendès France, pourrait incarner la figure libérale du maintien de l'autorité française en Algérie. Or, observent les auteurs, à partir de là, tout change. Non seulement le troisième personnage du gouvernement s'associe publiquement à toutes les décisions prises par le président du Conseil, Guy Mollet, mais il n'est pas le dernier à pousser à la rigueur dans les délibérations ministérielles. Il accepte que, pour juger des auteurs de crimes et délits commis en Algérie, les tribunaux civils soient dessaisis au profit de la justice militaire, ouvrant la voie aux procédures les plus expéditives.
45 décapitations
Surtout, et c'est la grande révélation de ce livre, le garde des Sceaux laisse sans broncher aller à la guillotine des nationalistes algériens, qu'ils aient ou non du sang sur les mains : 45 décapitations en 500 jours. Les dossiers sont préparés à la chancellerie, où le garde des Sceaux donne un avis de poids. René Coty a rejeté 45 fois la grâce, pour laquelle Mitterrand s'est prononcé 8 fois seulement. Parmi les guillotinés, un nom est attaché comme une macule à celui de Mitterrand : Fernand Iveton, militant du Parti communiste algérien exécuté le 11 février 1957.
À partir de mars, le garde des Sceaux prend ses distances avec les pratiques illégales des militaires en Algérie. Il aurait songé à démissionner, dira-t-il plus tard. Il est resté jusqu'au bout. Dualité, voire duplicité ? En 1981, président de la République, il fait adopter l'abolition de la peine de mort ; en 1982, il impose à sa majorité l'amnistie pour les généraux putschistes d'Alger de 1961. "François Mitterrand se pardonnait-il ainsi les fautes, morales et politiques, qu'il avait commises durant ces cinq cents jours ?" concluent les auteurs. On dira plutôt qu'il s'était conduit comme les politiciens ordinaires de l'époque, à la remorque d'événements trop grands pour eux.
EXTRAITS :
Dans le clan des durs
L'Algérie est le principal sujet abordé par Guy Mollet ce 15 février 1956. Le président du Conseil, leader de la SFIO, le parti socialiste, est assis à la droite de René Coty, au sommet de la table en U où se tiennent les quinze autres membres du gouvernement présents, ministres et secrétaires d'État. À la gauche du président de la République, Pierre Mendès France, puis Jacques Chaban-Delmas, ministre des Anciens Combattants. Enfin, à la droite de Guy Mollet, François Mitterrand. Cette position ne doit rien au hasard, puisqu'il est le troisième personnage du gouvernement. (...) Devant lui, il a posé un dossier. (...)
C'est maintenant Max Lejeune qui parle. Le secrétaire d'État à la Défense nationale, chargé de la Guerre (c'est à-dire des opérations en Algérie), fait partie des quinze socialistes du gouvernement. C'est un dur, un partisan convaincu de l'Algérie française. (...)
Max Lejeune donne alors les chiffres que François Mitterrand, en tant que ministre de la Justice, vient de lire dans son dossier. Deux cent cinquante-trois condamnations à mort ont été prononcées contre des nationalistes algériens, dont 163 par contumace. Quatre-vingt-dix d'entre eux se trouvent dans ce qu'on appellera bien plus tard les "couloirs de la mort" des principales prisons d'Algérie. "Les peines de 55 d'entre eux, insiste Max Lejeune, ont été confirmées par le tribunal de cassation d'Alger. Des sentences doivent être exécutées", conclut-il d'une voix ferme. Sous cette phrase soulignée par Marcel Champeix qui débute la septième page de ses notes, les avis des ministres concernés tiennent en un mot.
Gaston Defferre (ministre de la France d'outre-mer) est contre.
Pierre Mendès France, "contre également".
Alain Savary (secrétaire d'État aux Affaires étrangères chargé de la Tunisie et du Maroc), contre.
Maurice Bourgès-Maunoury, pour.
Le dernier à se prononcer est François Mitterrand. "Pour", dit-il.
L'oubli
Bien des années après l'indépendance de l'Algérie, lorsque la gauche commence sa marche inexorable vers le pouvoir, François Mitterrand explique, en 1977, que, s'il était resté au pouvoir, il aurait sans doute fini par donner l'indépendance à l'Algérie : "Nous avons échoué car le temps n'était pas venu. De Gaulle avait retardé l'heure mais fut présent au rendez-vous. Je n'essaierai pas d'avoir raison contre le calendrier. J'ajouterai seulement qu'on ne peut juger 1954 sur les données connues de 1977 et dire : "Comment se fait-il que des hommes de gauche au pouvoir en 1954, comme Mendès ou Mitterrand, n'aient pas décrété tout de suite l'indépendance de l'Algérie ?" (...) Âgé de 40 ans en 1957 et homme politique déjà expérimenté, François Mitterrand n'a-t-il pas raté le grand rendez-vous de la décolonisation algérienne ?
François Mitterrand et la guerre d'Algérie, de François Malye et Benjamin Stora (Calmann-Lévy, 300 p., 17 euros). Sous le même titre, un film des mêmes auteurs, réalisé par Frédéric Brunnquell, sera diffusé sur France 2 le 4 novembre.
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