22 novembre 1963. L’Opéra d’Alger fait salle comble avec Antigone, une pièce mythique de Sophocle. Soudain, un message à voix basse circule de bouche à oreille dans la salle. C’est une autre tragédie. Kennedy est victime d’un attentat à Dallas. Antigone qui se joue sur scène allait perdre de son intensité pour un drame plus grave et malheureusement réel. La stupeur accablante qui s’empare du public donne la mesure du charisme de cet homme que le monde vient de perdre. Pour nous, J.F. Kennedy était un ami puissant et sincère qui avait engagé de son prestige en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
Il était 19h30 à Alger, ce soir de novembre 1963, et 12h30 dans ce Texas du bout du monde. A Dallas, le cortège présidentiel traverse la ville au milieu d’une foule en liesse suivi en direct par des millions de téléspectateurs. Des coups de feu retentissent, John Fitzgerald Kennedy, 35e président des Etats-Unis est assassiné sous les yeux effarés du monde entier. Une scène surréaliste qui marquera les esprits à jamais. Un tournant poignant dans le destin d’un pays, que l’Algérie connaîtra à son tour des années plus tard, avec l’assassinat en direct du président Mohamed Boudiaf.
Trois jours après, lors des obsèques, le président Ben Bella décrète une semaine de deuil national. Une des plus belles places de la capitale est baptisée au nom de John Fitzgerald Kennedy. Un geste fort en symbole du président algérien, souhaitant ainsi rendre hommage et fixer dans la mémoire collective une estime indéfectible envers JFK. Et pour cause : alors qu’il était sénateur du Massachusetts, John F. Kennedy surprend l’Amérique et le monde par un discours retentissant en faveur de l’indépendance de l’Algérie le 02 juillet 1957 au siège du Sénat à Washington. La prise de position inattendue du jeune et charismatique sénateur fait front face à la posture officielle des Etats-Unis, allié historique de la France. En étant favorable à l’émancipation des colonies, Kennedy se distingue de la politique eurocentrée d’Eisenhower.
«Il faut que les Etats-Unis usent de leur influence pour aboutir à l’indépendance de l’Algérie», dit-il.
Les conséquences pour l’Algérie militante sont considérables et l’opinion internationale se range davantage en faveur de la cause indépendantiste. De son côté, la IV e République française, sous le gouvernement de Félix Gaillard, subit de graves revers politiques et diplomatiques.
C’est la première fois qu’un point de vue diamétralement opposé à celui de l’establishment américain est proposé au Congrès. A la fin des années cinquante, le monde est au cœur d’une guerre froide Est/Ouest. En Algérie, la guerre de Libération nationale fait rage. Sur le front diplomatique, l’équipe du FLN est en état d’alerte permanente au siège des Nations unies pour soutenir le message de la lutte. M’hamed Yazid, en binôme avec Abdelkader Chanderli, sentit d'instinct la veine d’un futur président des Etats-Unis en la personne du sénateur J.F. Kennedy. L’intuition des deux diplomates algériens va s'avérer juste. Plus tard, alors qu’il est candidat à la présidence américaine, JFK se prépare à affronter Eisenhower dans un face-à-face décisif. Yazid va orienter Kennedy sur un terrain que son rival maîtrise peu. Ancré dans une perception binaire du monde, Eisenhower ne savait que peu de choses sur l’affrontement qui minait les fondements de l’empire colonial français dans ses derniers soubresauts. Pour Eisenhower, «les rebelles algériens sont des communistes soutenus par les Soviétiques», M’hamed Yazid et Chanderli n’auront pas de mal à déconstruire cette idée par des arguments forts auprès de JFK. Cette maîtrise du sujet international lui permettra de se démarquer davantage face à son adversaire républicain.
A l’été 1962, c’est l’indépendance de l’Algérie. JFK vivra l’événement comme une victoire personnelle. Il dira «l’indépendance de l’Algérie et la création de ce grand nouvel Etat représente le travail dévoué et courageux du peuple algérien et de ses dirigeants […] je les félicite», avant d’ajouter «c’est une satisfaction très particulière pour moi d’exprimer ces mots de bienvenue à nos amis algériens... Maintenant ce grand projet est enfin atteint». Jackie Kennedy ne fera pas taire son enthousiasme non plus. Les archives de la JFK Presidential Library and Museum ont immortalisé un moment émouvant de l’histoire, le 15 octobre 1962. On surprend alors la First Lady accompagnée de son fils John-John, tenter d’observer de loin son époux, accueillant à la Maison-Blanche le nouveau président de l’Algérie libre, Ahmed Ben Bella. En dépit des différences de points de vue entre les USA et l’Algérie, les deux nations entretiennent des relations historiques d’amitié qui remontent aux liens entre l’Emir Abdelkader et Abraham Lincoln. En 1860, le président américain offrit à l’Emir une paire de colt en guise de message de sympathie. De nombreuses artères de différentes villes des USA portent le nom d’Alger. Une ville, Al Kader, est dédiée à l’Emir Abdelkader.
Aujourd’hui encore, l’Algérie et les USA ne partagent pas les mêmes points de vue sur de nombreux dossiers internationaux, mais l’amitié n’en est pas, pour autant, altérée. Un cas, sans doute, rare dans l’histoire des relations internationales.
57 ans après la disparition tragique de JFK, le peuple américain est de nouveau face à son destin dans une course à la présidence aux multiples rebondissements.
«Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays,» disait-il. Un message jamais périssable.
Par Rachid Lourdjane
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