Livres
Ultime preuve d'amour. Roman de Canesi & Rahmani. Editions Dalimen, Alger 2020, 271 pages, 1000 dinars
Alger, 1962, juste avant l'Indépendance. Inès, une Algérienne de seize ans et Pierre, un jeune pied-noir. Ils ont grandi ensemble. Voisins de palier dans un immeuble résidentiel (ce qui facilite les échanges de mots doux grâce aux balcons mitoyens) et ayant fréquenté les bancs des mêmes établissements scolaires... depuis le jardin d'enfants. C'est évident, ils s'aiment...et les parents ne le savent pas, bien-sûr. Le pas est franchi...dans une chambre de l'hôtel Aletti... avec la complicité d'un parrain gestionnaire...et sous l'œil réprobateur mais silencieux du liftier, Mohand.
Puis vint la grande rupture...avec une Indépendance qui s'annonçait proche et le terrorisme aveugle des ultras européens... Pierre, OAS contre l'avis de son père, un homme de gauche libéral et indépendantiste, est «exfiltré»... Inès, à la fibre nationaliste, découvre la réalité. N'empêche, elle n'oubliera jamais son premier pas de femme. Le temps passe. Plus de nouvelles, chacun faisant sa vie de son côté. Plus de trente années plus tard, Inès est devenue médecin, mère de deux enfants et épouse d'un cadre aimant, aimé et compréhensif du drame intérieur de sa moitié. Il l'avait su par hasard, par Mohand, bien avant le mariage. Pierre, devenu, lui aussi, médecin, est désormais bien loin. Mais, le hasard (?) va les faire se rencontrer sur le lit de mort de l'époux, alors atteint d'une maladie grave. Le reste est une sorte de «retour» aux origines. Pierre venu à Alger pour la première fois découvre un autre Alger, une autre Algérie...alors en pleine décennie rouge. Le nouveau terrorisme intégriste va lui «ouvrir» les yeux sur la société algérienne réelle et sur ce qu'ont enduré les Algériens durant le terrorisme OAS. Tout ça, c'est l'histoire d'amour... qui finira bien...en France, rassurez-vous. Mais tout ça dit sur fond d'une description (matérielle) assez noire d'Alger... comparativement à ce qui avait prévalu avant. Alger était devenue une ville du tiers -monde. L'hôtel Aletti, qui a pris des rides, n'a plus de liftier au beau costume rouge et discret et les ascenseurs sont en panne... Mohand n'a plus de dents ni de costume... Le Vendredi est devenu un jour sinistre...L'Algérie a beaucoup changé après le départ des Européens et de la France... devenue, forcément, bien meilleure. Un flot de détails où les auteurs prennent du plaisir de manière assez douteuse ! Ce qui fait rapidement penser au contenu du livre «Alger sans Mozart» des mêmes auteurs...et des «bons» livres écrits sur le Maroc («Siamoise» et «Villa Taylor»)
Les Auteurs : Un Algérien et un Français. Le premier, médecin anesthésiste et le second médecin dermatologue, tous les deux en permanence témoins, en direct, de douleurs humaines. Déjà auteurs, ensemble, de plusieurs romans dont le premier, en 2006, «Le Syndrome de Lazare» (sur l'arrivée du sida en France) a été adapté au cinéma par André Téchiné, sous le titre «Les Témoins». Le second livre, «La douleur du fantôme», a été édité en 2010. Leur troisième, «Alger sans Mozart» a été édité par les Editions Dalimen (Alger) en 2013 (Médiatic du jeudi 8 octobre 2015). «Siamoises», a été édité toujours par Dalimen en 2016. Quant au cinquième, «Villa Taylor» ( Editions Anne Carrière, Paris 2017) il n'a pas été édité en Algérie (mais présenté exceptionnellement in Mediatic)
Extraits : «Dans nos familles, la sexualité féminine n'existait pas hors mariage et, tant que nous n'étions pas officiellement engagées, il était impensable d'en faire état. Nous étions considérées comme des enfants alors que nous avions des corps et des désirs de femmes» (p 103), «L'argent est le fossoyeur des sentiments ; mon père n'avait rien, il ne nous a légué que son éducation, ses principes, sa droiture et des souvenirs. Son héritage n'a engendré aucun contentieux» (p 153)
Avis : Un véritable roman de gare... haut de gamme. Une histoire d'amour qui va traverser le temps à l'écriture fluide et simple...Une histoire «tirée par les cheveux», mais ça se lit vite, très vite. Au lieu de titrer sur l'hymen «offert», ils auraient du choisir un titre moins «cucul» et plus commercial : «Hôtel Aletti»
Citations : «Les militaires portent un fusil, ils peuvent s'en servir et tuer de façon anonyme. Ils sont utiles à leur pays, ils le défendent. Ils se ressemblent tous et ça leur enlève tout sentiment de culpabilité. Les tenues de combat ont sûrement été inventées pour ça» (p 38), «Les beaux endroits, ça donne de beaux souvenirs, de ceux qu'on aime retrouver. Tout est toujours question d'argent...La belle mémoire, ça s'achète aussi» (p 130), «On ne s'en rend pas toujours compte, mais la dégringolade se niche dans les détails «p 216), «J'ai toujours trouvé bizarre qu'un même cri (le youyou) célèbre les plus grandes douleurs et les plus grands bonheurs. Peut-être que chaque joie porte en elle le germe de malheurs futurs» (p 231), «Les riches sont capables de dépenser des fortunes pour des choses qui ne servent à rien, des choses qui leur font imaginer qu'ils vivent plus fort que les autres» (p 247)
Les matins de Jénine. Roman de Susan Abulhawa (traduit de l'américain par Michèle Valencia). Editions Media-Plus, Constantine, 2008 (Usa : 2006, France : 2008), 422 pages, 1.050 dinars.
Préface de l'auteur. Extraits : «Bien que les personnages de ce roman soient imaginaires, la Palestine, elle, ne l'est pas. Pas plus que les événements et personnages qui apparaissent au fil du récit...», «L'affection et les encouragements de mes amis m'ont aidée plus d'une fois à surmonter mes périodes de doute, surtout lorsque les dettes et les refus de publication s'accumulaient»
Ein Hod...un village fondé en 1189 par un général de l'armée de Saladin...Plus de quarante générations ayant vécu et étant mortes dans ce village. Quarante générations de naissances, funérailles, mariages, danses, prières et genoux écorchés...de péchés et de charité, d'inimitiés et de pactes, de pluie et d'actes d'amour...de souvenirs, de secrets et de scandales gravés dans les mémoires. Une architecture, des vergers, des puits, des fleurs... Quarante générations, toutes englouties brusquement et brutalement par la notion du droit d'un autre peuple à s'installer dans un espace ainsi «libéré» et à le proclamer sien... Un autre peuple, venu d'ailleurs, composé d'étrangers juifs arrivés d'Europe, de Russie, des Etats-Unis et d'autres coins de la planète. Toute une histoire «enterrée vivante», à partir de l'année 48... une année expulsée de «la liste des années et des nations»
Ein Hod... 1940-1948 : un village et une famille heureuse... celle de Hassan Abulhedja et de Dalia... avec leurs enfants, Youssef, Ismail et Amel. Une cohabitation tranquille, fraternelle entre les communautés. 12 décembre 1947 -1948 : Les sionistes arrivent. Très bien armés... le massacre va alors commencer. Objectif : un véritable grand «remplacement» programmé... «de la Méditerranée au Jourdain !» Le petit Ismail, âgé de six mois, disparaît... enlevé et adopté par un couple de juifs récents immigrés et sans enfants. Le village va devenir rapidement un champ de ruines. Le long cauchemar du peuple palestinien commence... et Ein Hod va se peupler de peintres juifs venus de France et se bâtir une réputation de «paradis secret». Puis le camp de réfugiés de Jenine...un autre «dépotoir humain» comme tant d'autres jonchant la brève histoire d'Israël... En fait des camps de prisonniers ne disant pas leur nom.
Puis, une incessante appropriation de la terre palestinienne... ce que Amal appelait «l'impérialisme centimètre par centimètre».
Puis, la départ forcé vers Beyrouth, Jenine ayant été «vidée» de ses hommes... toute la famille ayant été massacrée... et Amal, orpheline envoyée à Jérusalem dans une école privée... Elle s'en ira ensuite aux Etats -Unis poursuivre de brillantes études et deviendra Amy. Palestine oubliée à cause du «rêve américain» ? Un peu, mais elle reste toujours hantée par l'amour de parents trop tôt disparus (dont un jeune frère... devenu Juif, rebaptisé David est élevé dans la haine des Arabes... mais qu'elle ne tardera pas à rencontrer) et le regret d'avoir «fui» sa Palestine.
Entre temps, c'est Beyrouth...puis les massacres de Sabra et Chatilla... Le cauchemar va continuer. Amal, citoyenne américaine, en visite chez son frère Youssef, à Jenine (ce qui en restait, en 2002), en compagnie de sa fille Sara, est tuée par un soldat israélien...
L'Auteure : Née en 1967 en Palestine. Parents dans un camp de réfugiés de la guerre des Six-Jours, en Jordanie et dans la partie occupée de Jérusalem-Est. Vit aux Etats-Unis. Premier roman (Prix Best Books Award 2007, catégorie fiction historique)
Sommaire : Préface/Arbre généalogique/Prélude1/Al-Nakba/Al-Naksa/Zaman ya Zaman/Al-Ghourba/ Qalbi fi Beirout/Baladi /Nihaya o Bidaya/ Glossaire/ Bibliographie
Extraits : «Hasbi Allah wa niamal wakil. Tout comme les pays arabes qu'il maudissait, Yahya ne se porta pas au secours de ses frères attaqués. En secret, il se disait qu'Ein Hod serait épargné si les villageois ne «s'en mêlaient pas». Il croyait que l'offre de paix sincère faite par les Palestiniens aux juifs assurerait la continuité de leur vie» (p52), «N'importe quel réfugié du camp aurait pu raconter la même histoire, celle de gens que l'on avait dépossédés, dépouillés de tout ce qui faisait d'eux des êtres humains, puis jetés comme des ordures dans des camps dont même les rats n'auraient pas voulu. Privés de droits, de maison, de nation, tandis que le monde nous tournait le dos, ou acclamait les usurpateurs qui exultaient en proclamant la création d'un nouvel Etat auquel ils avaient donné le nom d'Israël» (p 115), «Pourquoi est-ce que tu l'as tabassé ?, demanda Amal. David baissa les yeux et tenta d'expliquer que la force s'imposait à vous sans que vous la sollicitiez. Dès qu'on lui donnait libre cours, elle se faisait elixir, et l'impunité vous procurait un frisson d'audace» (p 159), «Des autorisations spéciales étaient nécessaires pour se faire soigner, pour exercer une activité commerciale, pour étudier à l'université, de sorte qu'un individu se retrouvait avec une pile de petits cartons roses, jaunes et verts, froissés et déchirés par les doigts en sueur qui les serraient, les dépliaient, les vérifiaient et les repliaient» (p 174)
Avis : Formidable livre : Intense, beau, puissant, brillant, émouvant, bouleversant, poignant, déchirant. A lire et à faire lire sans délai...pour que les mentalités... de ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas savoir les souffrances du peuple palestinien, ceux qui doutent encore... changent. Une fin heureuse...un peu, à mon sens «tirée par les cheveux»... avec une cohabitation tranquille... une Américaine, un Israélien, un Palestinien... «vivant en frères et sœurs» sous l'œil compréhensif de l'oncle David-Ismail... aux Etats-Unis, en Pennsylvanie... «dans une monde sans occupation militaire et de liberté». En Palestine, le cauchemar continue.
Citations : «Un instant suffit à broyer un cerveau et à changer le cours d'une vie, le cours de l'histoire» (pp 59-60), «Un arbre n'est la propriété de personne... Il t'appartient à titre temporaire, comme tu peux lui appartenir. Nous venons de la terre, nous lui donnons notre amour et notre travail, elle nous nourrit. Quand nous mourons, nous retournons à la terre. D'une certaine manière, c'est elle qui nous possède. La Palestine nous possède et nous lui appartenons» (pp 96-97), «Nous naissons tous avec les plus grands trésors dont nous disposerons au long de notre vie. L'un est notre esprit, l'autre notre cœur. Et les outils indispensables de ces trésors sont le temps et la santé» (p 211), «Les grossièretés arabes ne sont souvent qu'allusions gratuites à l'anatomie de parentes, simple mention de la partie intime de leur individu» (p. 274), «Une semaine après le massacre de Sabra et de Chatila, le magazine Newsweek décida que le fait le plus important des sept jours écoulés était la mort de la princesse Grace de Monaco» (p 333), «La cicatrisation des blessures et la paix ne pouvaient commencer qu'une fois que l'on avait reconnu ses torts» (p 360), «Pourquoi la dignité et l'honneur s'accrochent-ils à la pierre et au sol ? Génération après génération, les hommes éventrent la terre, construisent des monuments en fouillant ses entrailles pour marquer leur époque, pour façonner leur rêve, à savoir se croire importants dans un univers à l'immensité fabuleuse, pour arracher du sens à un parfait hasard, pour atteindre à l'immortalité en s'emparant d'une terre immortelle, en la foulant, en la creusant» (p 376).
Par Belkacem Ahcene-Djaballah
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5295941
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