De 1960 à 1966, la France a procédé à 17 essais nucléaires dans le désert en Algérie, provoquant des pollutions encore impossibles à estimer. Dans une étude, une ONG invite la France à faciliter au plus vite le nettoyage.
A la veille de la Journée internationale contre les essais nucléaires, le 29 août, l’ONG Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) publie une étude intitulée «Sous le sable, la radioactivité !», soutenue par la fondation Heinrich Böll des Verts allemands. Les auteurs y appellent la France à aider l’Algérie à dépolluer son territoire de la radioactivité inquantifiable provoquée par les essais nucléaires qu’elle a effectué entre 1960 et 1966 dans le Sahara. Une demande qui entend s’inscrire dans le cadre du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires que la France n’a pas ratifié et qui prévoit l’obligation d’apporter assistance aux populations touchées par l’essai d’armes nucléaires et de nettoyer les zones contaminées.
Les 17 essais nucléaires menés par la France en Algérie dans les années 60 sur fond de décolonisation sont l’un des dossiers qui empoisonnent toujours les relations entre les deux pays. «En raison de relations franco-algérienne tumultueuses, d’absence d’archives consultables, d’absence de registres des travailleurs locaux ayant participé aux essais, les données sur les conséquences des essais restent très parcellaires et incomplètes», peut-on lire dans le résumé de l’étude.
La France entre 1960 et 1966 n’a pas rapatrié ces éléments pour les traiter comme des déchets nucléaires dans les centres en France, mais a creusé des trous et a enterré tout ce matériel dans le sable
Sur RT France, Patrice Bouveret, l’un des deux auteurs de l’étude de l’ICAN, s’est exprimé le 27 août à ce sujet. «Il y a eu des accidents, des essais qui ont créé d’énormes quantités de laves radioactives à l’air libre», explique-t-il d’une part, ajoutant que «l’autre type de déchets est tout le matériel utilisé pour faire ces essais». «La France entre 1960 et 1966 n’a pas rapatrié ces éléments pour les traiter comme des déchets nucléaires dans les centres en France, mais a creusé des trous et a enterré tout ce matériel dans le sable», déplore cet expert qui alerte sur le risque pour les populations locales de contracter des cancers et d’autres types de maladies, même 60 ans après ces essais. «La France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni leur quantité», dénonce l’étude dont l’objectif est de pousser les autorités françaises à collaborer avec l’Algérie pour «assurer la sécurité des populations et la réhabilitation de l’environnement».
A Reggane et à In Ecker, dans le sud de l’Algérie, 11 des 17 essais nucléaires français, atmosphériques et souterrains, ont été effectués après l’indépendance de l’Algérie. Un article des accords d’Evian (18 mars 1962) – qui officialisaient cette indépendance après 132 ans de colonisation – permettait néanmoins à la France d’utiliser le Sahara algérien pour des expérimentations jusqu’en 1967.
Le sujet des déchets nucléaires français sera très probablement abordé par la mission sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie», confiée par Emmanuel Macron à l’historien Benjamin Stora en juillet. Avec l’historien Abdelmadjid Chikhi pour l’Algérie, ils sont chargés de travailler ensemble pour résoudre les désaccords liés à la mémoire franco-algérienne.
Rentrée littéraire 2020 – Fresque familiale et initiatique, le 5e roman d'Olivia Elkaim, Le Tailleur de Rélizane (Stock), paraît en cette rentrée littéraire 2020. Retraçant l'histoire de ses grands-parents et de leur exil, elle révèle avec une rare intensité une part de l'histoire de l'Algérie, de la France, mais aussi d'elle-même. Pour l'écriture de ce roman, elle a bénéficié d'une bourse du CNL.
Le livre
Relizane, pendant la guerre d’Algérie. Lorsqu’en pleine nuit, on frappe à la porte, Marcel, le grand-père d’Olivia Elkaim, craint pour sa vie et celles de sa femme et de leurs deux enfants. On lui enfile une cagoule sur la tête, il est jeté dans un camion et emmené dans le désert. Va-t-il être condamné à mort ou gracié ? Il revient sain et sauf à Relizane trois jours plus tard, et ses proches se demandent quel est le secret de ce sauf-conduit. À quoi a-t-il collaboré ? Quels gages a-t-il donné et à qui ? Viviane, son épouse, ses frères, sa mère, ses voisins, tous questionnent le tailleur juif. Mais il garde le silence. Quand un jeune apprenti arabe se présente devant son échoppe, Marcel comprend que tôt ou tard, il lui faudra quitter son pays natal.
Après ce début d’une folle intensité romanesque, Olivia Elkaim retrace l’histoire de sa famille, l’exil des siens, leur arrachement à cette terre africaine, et leur fuite chaotique vers une France où rien ne les attend - ni confort, ni sympathie, ni même aucune aide administrative.
Ces valeureux que le soleil caressait il y a peu, deviennent des réprouvés qui ne connaîtront que l’ombre d’une cave humide à Angers. Les grands-parents d’Olivia Elkaim, Viviane et Marcel, sont deux magnifiques personnages, entre Albert Cohen et Anna Magnani, qui ne cesseront de rêver d’échapper à cette triste France.
Au-delà de tout ce que nous savons du retour d’une famille pied-noire en métropole, au-delà du drame humain, familial, politique, souvent commenté par les historiens, Olivia Elkaim explore sa part algérienne, juive, lyrique, à la fois enchantée et hantée, que son père Pierre avait tenté en vain de lui transmettre. Par ce livre qui rend hommage à ses ancêtres, et à travers la photographie jaunie d’une grand-tante, retrouvée par hasard dans le cimetière juif de Relizane, elle se révèle aussi à elle-même.
Les premières lignes
Ils portent des fusils de chasse en bandoulière, des dagues fichées dans leurs ceintures. Ils cognent contre la porte vitrée, au troisième étage du 39, boulevard Victor-Hugo. Ils ont trouvé l’appartement dans le noir. Ils étaient bien renseignés.
Ils patientent dans la coursive.
Combien sont-ils ? Cinq, six, pressés les uns contre les autres, et un septième au volant du camion qui attend en bas, à l’angle de la rue du Fortin. Moteur coupé, phares éteints.
L’eau jaillit de la fontaine au milieu du patio. Son murmure se mêle aux chuchotements des hommes et à un cri autoritaire :
– Sors, Marcel !
Un silence épais lui répond.
Depuis des années, depuis cette Toussaint rouge où tout a basculé, les voisins ne font que 14somnoler. Ils guettent en s’agaçant dans leur lit jusqu’à l’aube. Mais cette nuit, ils font semblant de dormir, sourds aux bruits inhabituels dans la coursive.
D’origine algérienne, journaliste chargée de la bioéthique au journal La Vie, romancière, Olivia Elkaim est l’auteure entre autres chez Stock de Nous étions une histoire (Stock, 2014) et de Je suis Jeanne Hébuterne (Stock, 2017).
Pour paraître moins mesquins, les Républicains qui n’ont pas toujours le temps d’ouvrir un bouquin, viennent de sonner le tocsin en citant le film de Kubrick : « Orange Mécanique » rien que pour situer le niveau de la violence atteint par la France.
Une violence pour la violence nous disent les Républicains, gratuite ou fortuite… alors qu’elle n’est ni l’une ni l’autre. Ils ont l’impression de faire une découverte en enfonçant des portes ouvertes… Qui fait l’ange, fait la bête, car on le sait depuis belle lurette que le nouveau monde marche sur la tête… en gémissant sous le poids d’une dette contractée par ceux qui se le représentent, le monde, comme un miroir aux alouettes. Mais le réel n’est réel que lorsqu’on s’y cogne au point que les aveugles finissent par envier les borgnes… ceux là même qui grognent pour s’affranchir de leur besogne.
Premier grognard : un philosophe. Un philosophe qui monte au front pour nous signifier que la police ne rend pas à la cité un véritable service lorsqu’elle pratique les deux poids, deux mesures : d’une part, elle maltraite les Gilets Jaunes et d’autre part, elle bat en retraite lorsqu’elle affronte la racaille. Faut-il rappeler à cet ONFRAY qui défraye toutes les chroniques que la police en a peut être assez d’être injustement dénoncée. On n’arrête pas de la défaire de sa vertu. Elle ne se laisse pas faire, elle laisse faire le vice. Retour de bâton. Violence et passion. On lui reproche de crever l’œil de la canaille et de fermer les yeux sur la racaille. C’est de bonne guerre ! Maintenant on peut enfoncer le clou un peu plus dans le mur des cons en disant qu’il ne peut être question que de stratégie politique pour soumettre le peuple à la volonté de ses dirigeants… qui donnent libre cours aux impulsions qui abîment, pour mieux réprimer les soulèvements légitimes. Ça c’est de mauvaise guerre !
Deuxième grognard : c’est un politique que l’on peut aisément assimiler à un charognard parce qu’il nous ressort toujours le même étendard : Zemmour qui porte cette parole pour exprimer cyniquement ce ras-le-bol : ce sont des sauvageons, des ensauvagés, des individus en voie d’ensauvagement qui sèment le trouble dans nos rangs, qui divisent notre nation et qui désirent la mettre à feu et à sang. Il s’agit bien sûr des immigrés qui n’ont pas été polis par notre civilisation et qui sapent les fondements de notre pacte républicain… c’est l’invasion barbare ou arabe qui fera de tous les citoyens, tôt ou tard des zonards ! Gaffe à la gaffe… nous dit le PAF : le paysage audiovisuel français. Avec des chiffres à l’appui, le charognard nous démontre par A+B que la quasi-totalité des délinquants ne sont pas blancs. Ils sont arabes quand ils ne sont pas noirs… et musulmans quand ils ne partagent pas notre façon de voir.
Faut-il rappeler à ce charognard qu’il ne fait rien d’autre qu’espérer une guerre de civilisation… et que si par malheur elle avait lieu, il serait à coup sûr, du côté des perdants. En échec… et mat !
C’est le signe des temps, peut être le seul point non négatif de la mondialisation : les petits vont prendre le pas sur les grands… et les démunis vont prendre le pas sur les bourrés de munitions. Retournement de l’histoire qui va rendre toute identité dérisoire. La canaille est franco-française… mais la racaille est aussi franco-française… C’est la nouvelle lutte des classes… nous attendons tous leur rentrée avec ou sans masque, avec ou sans distanciation sociale… avec beaucoup d’impatience.
Durant l’été dernier, Gaïd Salah, exhibant tous les attributs d’un dictateur militaire, trônait effectivement à la tête de l’Etat, tandis que presque tout « le gang » de Bouteflika, était soit en prison, soit sur le point d’y entrer. Voici le dernier volet de notre série sur l’Algérie signée par Jeremy Keenan
Sous la pression croissante du hirak, Bouteflika démissionna le 2 avril et il fut remplacé par le chef d’Etat par interim Abdelkader Bensalah, qui devait reporter l’élection du 18 avril au 4 juillet. Deux jours plus tard, Gaïd Salah ordonnait le limogeage immédiat du général Tartag, qui avait comploté contre lui avec Saïd Bouteflika et Mediène. A la fin du mois, une brochette d’oligarques et d’anciens ministres de Bouteflika étaient arrêtés sur les ordres de Gaïd Salah pour corruption. Début mai, Saïd Bouteflika, Mediène et Tartag furent arrêtés, poursuivis pour avoir sapé l’autorité de l’armée et pour conspiration contre l’autorité de l’Etat. Ils furent rejoints à la prison El Harrach, une semaine plus tard, par les anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia et une dizaine d’anciens ministres de Bouteflika, qui purgent actuellement de long peines de prison ou ont fui le pays.
A l’été, Gaïd Salah, exhibant désormais tous les attributs d’un dictateur militaire, trônait effectivement à la tête de l’Etat, tandis que presque tout « le gang » de Bouteflika, comme Gaïd Salah les appelait désormais, était soit en prison, soit sur le point d’y entrer. Même si les élections du 4 juillet ont dû être reportées à cause de la marée d’opposition émanant du hirak, Gaïd Salah ne pouvait plus être délogé. Vers la moitié de l’été, il fut clair qu’il n’avait aucune intention de soutenir le hirak et qu’il insistait pour que les élections présidentielles se tiennent le 12 décembre, que le hirak soit d’accord ou pas.
Par une coïncidence extraordinaire, le premier jour d’emprisonnement de Mediène fut le début d’une chaîne d’événements rapide qui devait conduire à la mort de Gaïd Salah.
Tandis que les condamnations de Saïd Bouteflika, Mediène et Tartag à quinze ans de prison, le 24 septembre 2019, six ans et huit mois après l’attaque d’ In Amenas et quatre ans après le limogeage de Mediène, peuvent apparaître comme la sanction du pouvoir de Gaïd Salah à son zénith, cela ne dura pas très longtemps. Par une coïncidence extraordinaire, le premier jour d’emprisonnement de Mediène fut le premier d’une chaîne d’événements rapide qui devait conduire à la mort de Gaïd Salah.
Nommé ministre de la Justice en août, Belkacem Zegmati commença à enquêter sur les affaires de Bahaeddine Tliba. Tliba avait répliqué en faisant valoir son immunité parlementaire mais le 25 septembre, Zegmati ordonna la levée de son immunité et lui ordonna de comparaître pour répondre à des questions sur des soupçons de corruption. A ce moment-là, certains émirent l’hypothèse que Gaïd Salah avait, peut-être, abandonné Tliba. Cependant, on sut après coup que le général Bouazza Ouassini (désormais emprisonné), le protégé de Gaïd Salah, qui avait été rapidement propulsé à la tête du Directorat de la Sécurité intérieure (DSI) et du contre-espionnage, avait l’oreille de Zegmati et complotait contre Gaïd Salah, dans le but final, semble-t-il, d’être nommé à sa place.
Comprenant que le piège se refermait sur lui, Tliba prit la fuite pour la Tunisie fin septembre, tout en mandatant Saïd Bensedira, depuis Londres, comme porte-parole. A partir de la Tunisie, Tliba prit la mer pour Malte, fit l’acquisition d’un passeport Schengen et se débrouilla pour se rendre en Irlande. Il comptait dès lors, grâce aux bons offices de Bensedira, demander l’asile politique au Royaume Uni, soutenant qu’il était persécuté en Algérie à cause de son opposition aux régimes Bouteflika et Gaïd Salah. Peu après, Bensedira menaça de publier des rapports établis par Tliba détaillant les crimes commis par la famille Gaïd Salah. Bensedira fit savoir que Tliba était prêt à témoigner sur la participation des fils de Gaïd Salah dans la mort mystérieuse, en novembre 2014, de Mohamed Mounib Sendid, le wali (préfet) d’Annaba, et dans beaucoup d’autres crimes. Bensedira rendit aussi publique une vidéo menaçant de révélations explosives à partir des documents en possession de Tliba.
Tliba devait être stoppé. Les services secrets algériens réussirent à le piéger et le faire revenir de Malte en Tunisie, où il fut enlevé et ramené en Algérie sous bonne garde.
Une telle publication pouvait gravement porter atteinte à l’Algérie et à son armée. Tliba devait être stoppé. Les services secrets algériens réussirent à le piéger et le faire revenir de Malte en Tunisie, où il fut enlevé et ramené en Algérie sous bonne garde à la prison El Harrach.
Pour Gaïd Salah, le jeu était terminé. Le choc du départ de Tliba et des menaces de Bensedira, qui atteignirent Gaïd Salah pendant qu’il se trouvait à Oran, étaient de trop. On dit qu’il tomba malade puis fut hospitalisé. Selon le ministère de la Défense, il souffrait d’hypertension. Certains évoquèrent un accident vasculaire cérébral. Des généraux proches de Gaïd Salah, y compris Bouazza Ouassini dans son double jeu, Saïd Chengriha, qui devait remplacer Gaïd Salah en tant que chef d’état-major de l’armée et Abdelhamid Ghriss, secrétaire général du ministère de la Défense, étaient conscients des dégâts que les révélations de Tliba pouvaient causer à l’armée et à l’Algérie. Ils comprirent que Gaïd Salah devait quitter ses fonctions et ils commencèrent à préparer son retrait.
Gaïd Salah mourut le 23 décembre, officiellement d’une crise cardiaque, onze jours après l’élection présidentielle qu’il avait convoquée. Parmi les cinq candidats approuvés par le régime, Gaïd Salah avait jeté son dévolu sur Abdelmajid Tebboune. Mais Tebboune n’était pas le choix de Ouassini. Il était un ami de Gaïd Salah et, en tant qu’ancien Premier ministre, bien trop conscient du fonctionnement du régime pour être facilement manipulé par Ouassini. Pour cette raison, Ouassini préférait que l’élection soit truquée en faveur d’Azzedine Mihoubi, sans charisme ni expérience et supposément homosexuel. Un accord aurait été conclu entre Azzedine Mihoubi et Ouassini en faveur du départ de Gaïd Salah et de son remplacement par Ouassini. Le complot faillit réussir. A midi, les premiers résultats plaçaient Mihoubi loin devant les autres candidats. Toutefois, quand Gaïd Salah eut vent du complot d’Ouassini, il intervint immédiatement et ordonna que Tebboune soit déclaré vainqueur et Ouassini placé en résidence surveillée. Bien que la participation officielle ait été annoncée à 39,3%., elle se situait plutôt, selon les rapports des observateurs et les témoignages recueillis dans le pays, autour de 8%. Les Algériens avaient boycotté l’élection, comme ils avaient promis de le faire depuis le début. Tebboune fut, quoi qu’il en soit, investi en force en tant que dernier Président en date, illégitime et fantoche, de l’Algérie.
Les huit mois depuis l’investiture de Tebboune ont connu des développements significatifs, notamment l’apparition de la pandémie de COVID-19 et, comme on pouvait s’y attendre, une restructuration quasi complète des services de renseignement. Les hommes nommés par Gaïd Salah ont été remplacés par beaucoup de « professionnels » ayant travaillé avec Mediène, qui avaient été chassés par Gaïd Salah. Peut-être symboliquement, tandis que Bouazza Ouassini reste incarcéré en attendant le début d’un nouveau procès, le général Hassan devrait être libéré prochainement. Mediène lui-même, bien qu’officiellement toujours emprisonné, serait désormais en un lieu « beaucoup plus confortable » et en contact avec plusieurs de ses anciens officiers supérieurs qui conseillent désormais la Présidence Tebboune et occupent les positions les plus élevées dans les services de renseignement. Tandis qu’In Amenas conduisit à la « de-mediènisation » du système, les huit mois de la Présidence de Tebboune ont vu sa « re-mediènisation ».
Malgré la propagande de Tebboune sur sa volonté de dialogue avec ce qu’il appelle le « hirak béni », ses services de renseignement « re-mediènisés », plus brutalement professionnels, ont utilisé le prétexte de la crise du COVID-19 pour accroître la répression, le harcèlement, l’intimidation et l’emprisonnement des activistes du hirak, des journalistes indépendants et autres opposants réels ou imaginaires du régime.
Alors que la crise politique et économique s’amplifie et que la répression s’intensifie, la question primordiale est : où va désormais l’Algérie ?
Sauf miracle, l’économie se dirige inexorablement vers la banqueroute. Les réserves de change du pays seront épuisées vers la fin 2021.
Le retour du hirak, quand l’Algérie s’ouvrira à nouveau, vraisemblablement en septembre, donnera des indications sur sa stratégie. Il est possible qu’il encourage une désobéissance civile ciblée. Quant au régime, il est confus et sur la défensive. Quelle est, selon lui, la plus grande menace sur son existence : le peuple algérien ou l’économie ? Des deux, la trajectoire de l’économie est sans doute la plus prévisible. Sauf miracle, elle se dirige inexorablement vers la banqueroute. Les réserves de change du pays seront épuisées vers la fin 2021. Alors, malgré les protestations de souveraineté de Tebboune, un administrateur, que ce soit la Banque Mondiale, le FMI, la Russie, la Chine ou une bonne fée, devra entrer en lice. La banqueroute, quelle que soit la forme qu’elle prendra, sera une bénédiction déguisée pour la plupart des Algériens, en marquant le point final du régime, ainsi privé de toute crédibilité ou légitimité. De ces cendres, une nouvelle Algérie pourra renaître.
In Amenas fait désormais partie de l’histoire; sa couverture, au moins jusqu’à aujourd’hui, a été totale. Tamouret reste un secret bien gardé. Peu, si ce n’est aucun autre événement en Algérie, à l’exception des massacres des années 1990, n’a révélé les contradictions du régime avec autant de sévérité : l’infiltration, la manipulation et l’utilisation des groupes terroristes et la mascarade de la guerre globale contre le terrorisme ; le conflit entre la Présidence, l’armée et les services de renseignement ; la lutte entre les clans; l’absence d’enquête judiciaire dans un pays qui s’enorgueillit de sa Loi Fondamentale et de sa conformité avec les conventions judiciaires internationales, de façon seulement virtuelle apparemment ; et la bavure d’une prise d’otages créée de toutes pièces, aboutissant au meurtre des otages pour masquer sa propre culpabilité.
In Amenas fut le point le plus bas de l’histoire contemporaine de l’Algérie, dont elle n’a pas pu se relever. Et l’on peut se demander si la situation d’aujourd’hui serait différente si In Amenas n’avait pas existé. Les événements politiques extraordinaires de ces sept dernières années – l’ascension et la chute des généraux Gaïd Salah, Bouazza Ouassini, Ait Ouarabi (« Hassan ») et de plusieurs autres qui ne sont pas mentionnés ici –ne peuvent s’expliquer sans In Amenas. Par ailleurs, si les services de renseignement étaient restés sous la coupe de Mediène, il est peu vraisemblable que le pays aurait atteint le niveau de chaos qui a permis l’émergence du hirak, bien que le hirak aurait certainement été déclenché, tôt ou tard, par un autre concours de circonstances. Ceci n’est que spéculation. Toutefois, deux choses n’auraient pas changé : la nature fondamentalement répressive du système de sécurité algérien ainsi que l’économie du pays, deux dynamiques qui ont semé depuis longtemps les graines de leur propre destruction.
Ce quatrième et dernier article de la série écrite pour Mondafrique par Jeremy Keenan, à partir de son Rapport sur In Amenas : enquête sur l’implication et la couverture par l’Occident de crimes d’Etat algériens conduit le lecteur jusqu’à l’actualité la plus récente de l’Algérie. L’attaque d’In Amenas fut l’événement politique le plus fort en termes d’impact sur le cours et la forme de la politique clanique du régime depuis l’annulation des élections de janvier 1992 et le coup d’Etat qui s’ensuivit. In Amenas ne changea pas seulement l’équilibre du pouvoir politico-militaire dans le pays : aujourd’hui, plus de sept ans plus tard, les répercussions de cet épisode dramatique se font encore sentir.
Au moment de l’attaque d’In Amenas, en janvier 2013, le régime était dangereusement polarisé entre la présidence Bouteflika et l’armée, dirigée par le général Ahmed Gaïd Salah, d’une part, et le puissant Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), dirigé par le général Mohamed « Toufik » Mediène., de l’autre. Mediène était sans conteste la personne la plus puissante d’Algérie, le DRS étant devenu un Etat dans l’Etat redouté. Il ne s’appelait pas lui-même « le Dieu de l’Algérie » sans raison.
Depuis l’Indépendance en 1962, la tension entre la Présidence et les services de renseignement avait fréquemment surgi dans les luttes de pouvoir récurrentes à l’intérieur du régime. En 1987, le Président Chadli Benjedid pensait que la Sécurité Militaire (SM), l’ancêtre du DRS, était devenue trop puissante. Il la démantela donc partiellement, la réorganisant en deux organisations : la Délégation générale de la prévention et la sécurité (DGPS), sous les ordres du général Lakehal Ayat, et la Direction Centrale de la Sécurité de l’Armée (DCSA), sous les ordres de l’ancien commandant de la SM, le général Mohamed Betchine. A ce moment-là, Mediène était le président d’une structure éphémère et peu connue, le Département pour la Défense et la Sécurité, qui servait à coordonner les services de sécurité. Avec la démission de Betchine en 1988, Mediène fut nommé à la tête de la DCSA. Puis, en septembre 1990, le ministre de la Défense Khaled Nezzar nomma Mediène directeur du nouveau DRS.
En 1996, le Président Liamine Zeroual parvint à une conclusion similaire, c’est-à-dire que le DRS, et en particulier le général Mediène, était devenu trop puissant. Zeroual décida alors de le remplacer par le général Saïdi Fodil. La réponse de Mediène ne se fit pas attendre : Fodil périt dans un accident de la route.
Un an plus tard, Zeroual essaya encore, cette fois en décidant de nommer Mohamed Betchine, l’ancien chef de Mediène, au portefeuille de ministre de la Défense afin de se débarrasser de Mediène. A nouveau, les représailles de Mediène furent rapides et préventives. Il organisa des massacres de civils devant passer pour des actions terroristes commises par le Groupe Islamique Armé (GIA) à une échelle massive – à Raïs, Bentalha, Beni-Messous et ailleurs – semant l’horreur et la psychose aux portes d’Alger et renforçant la dépendance du régime à l’égard du DRS. Au même moment, il lança la machine du DRS pour détruire le business et la réputation de Betchine, le poussant, brisé, à la démission. Zeroual démissionna peu après, préparant la voie au soutien par l’armée et Mediène en particulier de l’accès de Bouteflika à la Présidence en 1999.
La rumeur était que Bouteflika nourrissait le projet de fonder une dynastie et de laisser le pouvoir à son jeune frère Saïd.
Le conflit entre Bouteflika et Mediène, qui dominait la scène politique lors de l’attaque d’In Amenas, filtra hors des frontières fin 2009, après ce qui était juste un peu plus qu’une rumeur, à la veille de la troisième victoire de Bouteflika à la présidentielle. La rumeur était que Bouteflika nourrissait le projet de fonder une dynastie et de laisser le pouvoir à son jeune frère Saïd. Selon cette rumeur, parvenue, semble-t-il, aux oreilles de Mediène, Saïd Bouteflika, dont les relations avec Mediène étaient plutôt froides, projetait de nommer Betchine, l’ancien supérieur de Mediène, en tant que conseiller à la sécurité et futur successeur de Mediène.
La réponse de Mediène fut de lancer ses enquêteurs sur l’implication des membres du clan Bouteflika dans ce qu’on appelait la corruption du deuxième niveau, concernant surtout les contrats de construction de l’autoroute est-ouest. Alors que ces avertissements étaient ignorés, Mediène passa à la vitesse supérieure en dirigeant ses investigations sur les niveaux massifs de corruption au coeur de la Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale, qui était dirigée à ce moment-là par un ami proche et homme fort du Président Bouteflika, le ministre de l’Energie et des Mines Chakib Khelil. A nouveau, le clan Bouteflika n’y prêta pas attention et le résultat fut, en janvier 2010, la supervision par Mediène de l’arrestation du président directeur général de la Sonatrach, de quatre de ses cinq vice-présidents et d’un certain nombre d’autres cadres supérieurs. Le scandale secoua tout le monde du pétrole. Mediène avait effectivement mis le régime à genoux.
La nomination du général Gaïd Salah comme chef d’état-major de l’armée en 2004 contenait les germes du conflit à venir entre Gaïd Salah et Mediène, qui éclorait au grand jour après In Amenas.
La réaction de Bouteflika entraîna le régime dans une direction encore plus risquée. En février 2010, il lança une ‘commission de sécurité indépendante’ pour enquêter sur certains dossiers restés non élucidés des ères précédentes, notamment le rôle joué par le DRS de Mediène dans les assassinats de Mohamed Boudiaf (1992), du premier président du Haut Comité d’État (HCE) et du général Saïdi Fodil (1996). La commission rapportant des preuves de l’implication du DRS dans ces assassinats, la situation devint explosive, menaçant les intérêts américains à un tel point que Washington dut intervenir, de la même façon que dans l’affaire du général Hassan (3), ordonnant la fin de l’enquête.
La nomination par le Président Abdelaziz Bouteflika du général Gaïd Salah en remplacement du général Mohamed Lamari comme chef d’état major de l’armée en 2004 fut une énorme promotion. Tandis qu’elle garantissait la loyauté totale de Gaïd Salah à Abdelaziz Bouteflika, elle contenait les germes du conflit à venir entre Gaïd Salah et Mediène, qui éclorait au lendemain de l’attaque d’In Amenas.
Mediène avait encouragé et assumé la nomination de Gaïd Salah, parce que les nombreuses faiblesses de ce dernier le rendaient vulnérable au chantage.
Mediène avait encouragé et assumé la nomination de Gaïd Salah, parce que les nombreuses faiblesses de ce dernier le rendaient vulnérable au chantage de Mediène. Gaïd Salah n’avait pas seulement été relevé de son commandement par le Président Boumediene après sa piètre performance à la bataille d’ Amgala (contre l’armée marocaine) en 1976, mais il avait aussi été rejeté de l’armée dans les années 1980 pour son homosexualité, bien que rapidement réhabilité grâce à ses relations avec la famille du Président Chadli. En 2007, Robert Ford, l’ambassadeur des Etats-Unis en Algérie, décrivit Gaïd Salah dans un télégramme au département d’Etat américain comme l’officier le plus corrompu de l’appareil militaire.
Mediène était pleinement conscient de l’homosexualité de Gaïd Salah et des délits qu’il commettait, ce qui rendait impossible pour Gaïd Salah de s’opposer à la main mise de Mediène sur l’armée. Des officiers supérieurs de la DCSA supervisaient presque toutes les décisions prises, à tous les niveaux, par la hiérarchie militaire.
Lors de l’attaque d’In Amenas en janvier 2013, Mediène était sans aucun doute au sommet de son pouvoir. Pourtant, les interrogatoires des trois terroristes capturés sur le site gazier par l’armée fournirent à Gaïd Salah les moyens de renverser la table une fois pour toutes. Gaïd Salah travailla, de façon systématique et prudente, au démantèlement du puissant DRS et de sa structure de commandement. Lorsque Mediène fut finalement démis de ses fonctions par Gaïd Salah, le 13 septembre 2015, il ne dirigeait plus qu’une coquille vide. La plupart de ses généraux les plus puissants avaient été transférés ou mis à la retraite et leurs directorats placés sous le contrôle de la Présidence ou de l’armée et le général Hassan, comme décrit précédemment, était sur le chemin de la prison.
En janvier 2016, le DRS fut officiellement rebaptisé Direction des Services de Sécurité (DSS). Mais ce nouveau nom ne fut pas adopté par la rue. La plupart des Algériens font toujours allusion aux services de renseignement, quelle que soit leur branche, sous le vocable de DRS. Le sigle est devenu synonyme de répression ou de sécurité d’Etat. L’une des raisons en est que la plupart des Algériens n’ont jamais vraiment compris que Mediène, une figure quasi mythique, et son DRS, avaient vraiment disparu. Et certains événements, discutés plus bas, laissent entendre qu’ils ont raison.
En 2016 et 2017, Gaïd Salah dépensa beaucoup d’énergie dans le développement de ses intérêts d’affaires familiaux, surtout en collusion avec Bahaeddine Tliba, un homme d’affaires corrompu et milliardaire
En 2016 et 2017, Gaïd Salah dépensa beaucoup d’énergie dans le développement de ses intérêts d’affaires familiaux, surtout en collusion avec Bahaeddine Tliba, un homme d’affaires corrompu et milliardaire, député d’Annaba, qui était impliqué avec Gaïd Salah et sa famille dans des affaires de racket foncier, d’extorsion de fonds, de trafic de drogue, de blanchiment d’argent, d’exploitation minière illégale, de mauvaise utilisation des fonds de la défense, de trafic d’influence et plus encore. Le DRS de Mediène ne pouvant plus surveiller le ministère de la Défense, Gaïd Salah utilisa sa position en tant que ministre de la Défense adjoint (gérant effectivement le ministère pour le compte du Président Bouteflika malade) non seulement pour donner plusieurs contrats de fournitures militaires à des membres de sa famille mais aussi pour détourner de grosses sommes à travers la surfacturation, la non livraison et autres moyens frauduleux, sur les contrats de fournitures de matériel militaire du ministère.
Pourtant, tandis que les élections présidentielles du printemps 2019 se rapprochaient, sans successeur en vue, la possibilité d’un cinquième mandat de Bouteflika devint une perspective de plus en plus menaçante. Gaïd Salah consacra, dès lors, l’essentiel des années 2018 et 2019 à renforcer l’assise de son propre pouvoir et son rôle potentiel de faiseur de roi. Un nombre sans précédent d’officiers supérieurs furent placés à la retraite et remplacés par ses propres fidèles. De même, toutes les branches des services de renseignement, à l’exception de certains services de coordination sous le contrôle du général Athman « Bachir » Tartag, qui rendaient compte directement à la Présidence, furent soumis à l’autorité des généraux et officiers supérieurs choisis par Gaïd Salah. La plupart des hommes de Mediène furent remplacés, certains étant déjà emprisonnés tandis que d’autres devaient suivre ce chemin par la suite.
Au début de 2019, le régime n’avait pas trouvé de solution satisfaisante au problème de succession, ce qui permettait au clan Bouteflika de progresser dans son projet de cinquième mandat. Bouteflika se trouvant médicalement incapable et pouvant mourir à tout moment, la cabale d’oligarques, de généraux, de ministres et d’apparatchiks corrompus qui soutenaient la Présidence Bouteflika ont pu continuer à voler le pays des richesses restantes et de continuer leur fuite en avant dans la crise économique et politique.
Le 22 février, des millions d’Algériens, pour lesquels la perspective d’un cinquième mandat de Bouteflika était aussi humiliante qu’intolérable sortirent dans les rues et, dans le cadre d’un mouvement de manifestations pacifiques baptisé hirak, intimèrent l’ordre de dégager à Bouteflika et à l’ensemble de son système. Cette situation se présentait aux yeux de Gaïd Salah comme un défi entièrement nouveau. Pour commencer, il fit le pari de soutenir le hirak.
Ce troisième article de la série écrite pour Mondafrique par Jeremy Keenan sur l’attaque du site gazier algérien d’In Amenas, en janvier 2013, à partir de son Rapport sur In Amenas : enquête sur l’implication et la couverture par l’Occident de crimes d’Etat algériens, l’auteur poursuit son implacable analyse d’un épisode aussi brutal que décisif de l’histoire récente de l’Algérie. Attaché à prouver que l’attentat est, en réalité, l’oeuvre du tout puissant service de renseignement algérien DRS, dont il signa la perte, Jeremy Keenan démontre ici comment l’Occident, soucieux de cacher sa collaboration occulte avec le DRS, lui accorda sa couverture.
Dès le début, il y eut des signes que l’implication du DRS dans l’attaque d’In Amenas allait être couverte par les alliés occidentaux de l’Algérie, en particulier les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France. Après les premières expressions d’indignation et le fait que beaucoup d’otages perdirent la vie à cause de l’action des forces armées algériennes, le Premier ministre David Cameron changea promptement de ton. Deux semaines après l’attaque, dès sa descente de l’avion au retour d’une visite de deux jours à Alger en compagnie de Sir John Sawers, le chef du MI6, il apparut au grand jour qu’il existait une sorte d’arrangement entre « l’Etat profond » du Royaume Uni et l’Algérie, les deux se définissant comme « du même côté » au sein de la guerre globale contre le terrorisme.
Le soutien infaillible et de longue date du régime algérien par le Royaume Uni a toujours été énigmatique. Bien qu’étant un pays pétrolier, l’Algérie n’est pas un partenaire commercial important du Royaume Uni et ne fait pas partie des 25 premiers partenaires du pays. De surcroît, le Royaume Uni se place très loin derrière la France et les Etats-Unis en termes d’influence sur l’Algérie. Pourtant, bien que ce soit les Etats-Unis et la France qui donnèrent leur feu vert au coup d’Etat militaire de 1992 et à la « guerre sale » qui s’ensuivit contre les islamistes, le Royaume-Uni, obéissant peut-être une fois de plus au coup de sifflet de Washington, leur emboîta le pas. Aucune autre raison logique, si ce n’est, peut-être, l’anti-islamisme, ne peut expliquer pourquoi trois ministres britanniques de premier plan – – Jack Straw (Secrétaire d’Etat), Geoffrey Hoon (ministre de la Défense) et Robin Cook (Secrétaire aux Affaires Etrangères) – prirent le risque de signer un faux certificat d’immunité d’intérêt public (PII), l’équivalent d’un parjure en faveur du régime algérien en 1998 (R.52).
La vérité sur l’attaque d’In Amenas aurait pu surgir lors de l’enquête ouverte devant la Cour de Justice royale de Londres, le 15 septembre 2014. Mais il n’en fut pas ainsi.
La vérité sur l’attaque d’In Amenas aurait pu surgir lors de l’enquête ouverte devant la Cour de Justice royale de Londres, le 15 septembre 2014. Mais il n’en fut pas ainsi. Le gouvernement britannique recourut, à nouveau, au rare instrument du PII pour empêcher la révélation des preuves. Le représentant légal du gouvernement au procès, David Bar Q, dit que le PII était requis pour des raisons de « sécurité nationale. » Pourtant, comme il est écrit dans le Rapport sur In Amenas (R.219), il s’agissait surtout de dissimuler la connaissance des preuves qu’avait le gouvernement, concernant par exemple le rôle joué par le général Hassan ou la transmission au département d’Etat américain des emails d’Hillary Clinton concernant Mokhtar bel Mokhtar (MBM).
Lors d’une audition de l’enquête préliminaire, la coroner, qui fut remplacée plus tard par un magistrat plus gradé, dit aux familles des victimes qu’elle allait élargir le champ de l’enquête, à la demande des équipes légales, pour enquêter sur tous les événements qui avaient conduit à l’attaque. Les familles, qui craignaient un enterrement de l’affaire, interprétèrent ces propos comme la promesse que toutes les pierres seraient retournées pour tenter de découvrir toutes les circonstances ayant conduit à l’attentat – en d’autres termes, qui avait décidé l’attaque et pourquoi (R.36).
L’enquête remplit, certes, ses obligations légales mais laissa de côté beaucoup de questions, notamment celle du « pourquoi ». Elle n’essaya jamais d’éclairer les mobiles de l’attaque.
Le devoir d’une enquête, en vertu de la Loi sur les Coroners et la Justice (2009), est d’établir l’identité des victimes et de préciser comment, quand, et où elles ont trouvé la mort. Il n’y a pas d’obligation légale concernant la question « pourquoi ». Ainsi, tandis que l’enquête établit méticuleusement les détails des événements à In Amenas et la cause précise des décès, la Cour n’essaya pas vraiment de comprendre le contexte du terrorisme au Sahara, les identités des terroristes et, finalement, leurs mobiles pour entreprendre cette attaque. Bien que l’auteur du Rapport sur In Amenas ait confié des preuves détaillées répondant à ces questions à la Police Métropolitaine, aux services de renseignement et au parquet, ces preuves ne furent pas versées au dossier. L’enquête accomplit, certes, ses obligations légales mais laissa de côté beaucoup de questions, notamment celle du « pourquoi ». Elle n’essaya jamais d’éclairer les mobiles de l’attaque et de découvrir qui étaient les vrais commanditaires.
Il est probablement vrai que l’enquête de Londres, comme l’enquête judiciaire française, un peu plus tôt, aurait enregistré peu de progrès, même si elle avait essayé de répondre à la question du « pourquoi », simplement à cause de l’absence totale de coopération de la part de l’Algérie. L’Algérie savait qu’elle pouvait traiter ses alliés occidentaux avec dédain, puisqu’ils n’avaient d’autre choix que de garder le secret le plus total sur ce qui s’était passé à In Amenas. Il y avait deux raisons de nature à rassurer l’Algérie sur le silence de l’Occident. (R. 50).
Si la complicité entre l’Occident et le DRS algérien dans la promotion du terrorisme d’Etat était révélée au public, le château de cartes de la guerre globale contre le terrorisme pouvait s’écrouler.
L’une était que les alliés occidentaux de l’Algérie, notamment les Etats-Unis, et, dans une moindre mesure le Royaume-Uni et la France, auraient été accusés de complicité dans la promotion du terrorisme si l’implication du DRS dans l’attaque d’In Amenas avait été rendue publique. Depuis fin 2002, les Etats-Unis et le DRS algérien étaient liés à travers leur accord secret P2OG, décrit dans la première partie, pour aider à justifier et promouvoir la guerre globale contre le terrorisme. Les services de renseignement britanniques et le bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth (FCO) étaient tenus parfaitement informés de cette relation et parfois même, en furent les complices. La France, bénéficiant de beaucoup plus de renseignement de terrain en Algérie que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, fut informée du recours par l’Algérie au terrorisme d’Etat et du soutien occidental dont ce dernier bénéficiait pour atteindre les objectifs de la guerre globale contre le terrorisme initiée par les Etats-Unis. Si la complicité entre ces pouvoirs occidentaux et le DRS algérien dans la promotion du terrorisme d’Etat était révélée au public, le château de cartes de la guerre globale contre le terrorisme pouvait bien s’écrouler.
Sans surprise, les Etats-Unis jouèrent un rôle encore plus important que leurs alliés européens pour essayer d’empêcher la révélation de l’implication du DRS dans l’attaque d’In Amenas. Ils exercèrent des pressions sur l’Algérie pour qu’elle abandonne les poursuites contre le général Abdelkader Aït Ouarabi (alias général Hassan) -qui avait armé les assaillants d’In Amenas – du chef de « création de groupe armé », un crime de trahison.
L’affaire du général Hassan, comme elle fut appelée désormais, était extrêmement complexe et dura pendant presque deux ans, de son départ officiel du DRS en janvier 2014 jusqu’à son emprisonnement, en novembre 2015.
Les informations obtenues par le général Gaïd Salah, chef d’état-major, avec la capture des trois terroristes d’In Amenas lui fournit les munitions pour s’en prendre à son grand adversaire, le général Mohamed « Toufik » Mediène, chef du DRS. Toutefois, il lui fallait agir avec prudence et stratégie, car Mediène et son DRS étaient encore immensément puissants. Il patienta donc près d’un an avant d’agir. Le 13 janvier 2014, Gaïd Salah ordonna le limogeage du général Hassan, trois semaines avant son arrestation pour le crime de « création de groupe armé ». C’était la stratégie retenue par la Présidence et Gaïd Salah pour faire tomber Mediène.
La cause d’une si longue attente pour arrêter Hassan a peut-être été la volonté de protéger la réputation internationale de l’Algérie en évitant d’introduire le rôle joué par le DRS dans le système judiciaire et ainsi, dans le domaine public. Plus vraisemblablement, Gaïd Salah attendait davantage de preuves contre Hassan et le DRS. Quelle qu’en fût la raison, des preuves supplémentaires permettant de poursuivre Hassan furent mises au jour après les événements de Tunis, fin 2013.
L’intervention militaire de la France au Mali chassa beaucoup d’islamistes hors d’Algérie. Certains furent redéployés par le général Hassan en Tunisie.
L’intervention militaire de la France au Mali début 2013 chassa beaucoup d’extrémistes islamistes hors du pays. Certains de ceux qui étaient sous le contrôle effectif du DRS furent redéployés par le général Hassan en Tunisie. Vers la fin 2013, un certain nombre d’entre eux furent tués par l’armée tunisienne dans la région frontalière du Mt Chaambi. Une analyse des cartes SIM de leurs téléphones cellulaires révéla leurs communications avec des officiels du DRS à Alger, y compris leurs numéros de téléphone et leurs surnoms. L’armée tunisienne transmit l’information aux services de renseignement américains qui se tournèrent vers les autorités militaires algériennes, donnant ainsi, peut-être par inadvertance, encore plus de munitions à Gaïd Salah pour poursuivre le DRS.
L’arrestation de Hassan débuta une période de conflit vicieux entre l’armée et le DRS, au risque de faire éclater le régime. Mais Washington ne pouvait pas tolérer que son allié régional clé explose. Ni que les secrets des accords passés entre les groupes terroristes et le général Hassan et le DRS ne tombent dans le domaine public à la suite des tensions à l’intérieur du régime.
On ne sait pas quel genre de pression les Etats-Unis exercèrent sur leur allié. Ce qu’on sait, c’est qu’on n’entendit plus parler du général Hassan pendant dix-huit mois.
On ne sait pas quel genre de pression les Etats-Unis exercèrent sur leur allié. Ni quel genre d’accord fut conclu entre Mediène et ses ennemis à la Présidence Bouteflika et dans l’état-major de l’armée. Tout ce que nous savons, c’est qu’une réunion eut lieu au quartier général du DRS à Alger, en présence de représentants des services de renseignement américains et britanniques. Est-ce que cette réunion portait sur la déstabilisation de la Tunisie par l’Algérie, l’arrestation de Hassan ou les deux ? On ne sait. Ce qu’on sait, c’est qu’on n’entendit plus parler du général Hassan ou des charges retenues contre lui pendant dix-huit mois.
En août 2015, alors que le DRS avait été beaucoup affaibli et que beaucoup d’autres choses avaient changé en Algérie, Gaïd Salah fit un nouveau geste contre le général Hassan, l’arrêtant pour une deuxième fois le 27. Le même jour, avant même que les media n’évoquent l’arrestation de Hassan, James Clapper, le directeur du renseignement national américain (DNI), se rendit à Alger. Washington s’inquiétait des dommages que pourrait causer aux intérêts américains la révélation publique des activités du général Hassan au DRS, surtout se rapportant à l’attaque d’In Amenas. Le résultat de l’intervention de Clapper fut que les charges antérieures de « création de groupes armés » furent abandonnées à l’encontre de Hassan. Il fut poursuivi, en revanche, pour deux délits complexes en relation avec le mouvement des armes. Son procès, derrière les portes closes du tribunal militaire de Mers El Kebir, dura à peine dix heures. Ni la famille de Hassan, ni les journalistes ni aucun public ne furent autorisés à y assister. Hassan ne fut pas davantage autorisé à citer ses propres témoins en défense. Il fut ensuite emprisonné pendant cinq ans.
La deuxième et beaucoup plus pressante raison pour l’Occident de continuer à garder le secret avait trait aux relations entre l’attaque d’In Amenas et l’existence d’un camp d’entraînement d’Al Qaida non loin de là. Le camp d’entraînement, désigné, dans le Rapport sur In Amenas, par le pseudonyme de Tamouret, était situé dans la montagne de Tassili-n-Ajjer, à 260 kms au sud d’In Amenas, mais dans la même wilaya (préfecture) d’Illizi., et non loin de l’Oued Samene, où le DRS garda prisonniers certains des 32 otages européens kidnappés pendant l’opération sous faux pavillon d’El Para, en 2003. Tamouret était loin d’être un camp d’entraînement d’Al Qaida, même si c’est ainsi qu’il était présenté à ses potentiels clients terroristes du monde entier. Il était, en réalité, géré par le DRS.
Le camp fut créé vers 2004-05 et fut opérationnel jusqu’en 2008-09, date à laquelle il fut déménagé au sud-ouest, dans le Tassili-n-Ahaggar, avant d’être relocalisé entièrement dans le nord du Mali vers 2009.
Notre connaissance du camp, tel que détaillé dans le Rapport sur In Amenas (R.53-7), provient de trois témoins. Des rumeurs de camps d’entraînement terroristes dans le Sahara algérien circulaient déjà quand la confirmation de l’existence de Tamouret fut apportée par Bachir (pseudonyme), désigné dans l’enquête de Londres comme « témoin A », bien qu’il ne fût jamais autorisé à témoigner pour des raisons expliquées dans le Rapport sur In Amenas (R.119-28).
Bachir avait passé sept mois à Tamouret vers 2007. En 2008, il réussit à échapper à l’étau du DRS et à fuir en Europe.
Bachir avait passé sept mois à Tamouret vers 2007. En 2008, il réussit à échapper à l’étau du DRS et à fuir en Europe. Son témoignage, enregistré pendant les quatre années qui suivirent son évasion, fut corroboré par deux autres témoins, dont l’un avait pu situer et photographier les tombes et les cadavres des personnes tuées dans le camp.
Bachir a pu donner des détails sur les identités de la hiérarchie du camp. Abdelhamid Abou Zaïd, le chef DRS d’AQMI au Sahara, en était le responsable. Abdullah al-Furathi était en charge de l’entraînement, tandis que MBM, qui venait toutes les deux semaines, était décrit comme en charge de la « logistique. » Mohamed Lamine Bouchneb, qui devait plus tard conduire l’attaque d’In Amenas, et Yahia Djouadi (alias Djamel Okacha, Yahia Abou al-Hamman), un autre cadre du DRS qui remplaça Abou Zaïd à sa mort en 2013, mort lui-aussi en 2019, y étaient des visiteurs réguliers.
Bachir a également pu identifier certains officiers de l’armée et du DRS qui fréquentaient le camp, souvent quasi quotidiennement, parmi lesquels le général Rachid « Attafi » Lallali, le responsable du Directorat de la Sécurité Extérieure du DRS (DDSE) à cette époque.
Bouchneb était l’un des visiteurs les plus assidus au camp. Bachir l’a vu régulièrement en compagnie d’Abou Zaïd, de MBM quand il venait et des officiers de l’armée/DRS, surtout le général Lallali.
Toujours selon Bachir, le camp servait à endoctriner et entraîner de jeunes marginalisés, se situant à différents niveaux d’aliénation par rapport à leurs communautés en Afrique du Nord, au Sahel et même au-delà, pour commettre des atrocités dans des communautés algériennes avec lesquelles ils n’avaient pas de relations. Ils étaient généralement exécutés après avoir accompli leurs tâches, ou avant s’ils exprimaient la moindre once de désaccord.
Selon Bachir, les recrues du camp étaient le plus souvent au nombre de 270. La majorité étaient des Algériens, il a également croisé quelques Egyptiens, plusieurs Tunisiens, quelques jeunes du Maroc et de Libye, quelques uns venus du sud du Sahara, notamment du Nigeria, du Yémen et de Somalie et même, d’Asie centrale. A partir de ce chiffre, on peut estimer que 3000 personnes au total ont fréquenté le camp.
Le témoin a également fourni des informations précises sur les entraînements, notamment au tir et à l’égorgement.
Le témoin a également fourni des informations précises sur les entraînements, notamment au tir et à l’égorgement. Les tireurs d’élite jouissaient de davantage de liberté et de privilèges que les autres au sein du camp. L’égorgement, en arabe al-mawt al-baTii’ (« la mort lente »), était la manière de tuer la plus courante.
Des prisonniers, appelés à être tués dans le cadre de l’entraînement, étaient livrés au camp par l’armée algérienne/DRS sur la base d’un flux plus ou moins continu (4 fois par semaine en moyenne). Bachir a raconté comment 2 à 3 hommes en moyenne étaient exécutés dans le cadre de l’entraînement tous les 3 ou 4 jours. Parmi les personnes tuées figuraient des officiers et des soldats de l’armée ayant franchi la ligne ou jugés « suspects » ainsi que des « civils » ou criminels de droit commun venus des prisons. Parmi ces derniers, certains des milliers d’Algériens disparus aux mains du régime dans le cadre de la « sale guerre » des années 1990. C’est ainsi que Bachir dit avoir assisté à environ 180 meurtres pendant son séjour de sept mois au camp.
Il est inconcevable que les agences de renseignement américaines et britanniques, qui travaillaient main dans la main avec le DRS dans ces années-là, n’aient pas su ce qui se passait à Tamouret. Pire, Tamouret était certainement un grand atout pour les agences de renseignement occidentales. Car lorsque les recrues arrivaient au camp, leurs identités, y compris leurs photographies (et peut-être même leur ADN), étaient enregistrées par les officiers du DRS. Ces données étaient envoyées à Alger avant d’être ensuite transmises aux agences de renseignement américaine et britannique.
Tamouret a peut-être été une brillante opération de contre-terrorisme. Née d’un crime monstrueux.
Dans le cadre de la politique de contre-terrorisme menée conjointement par l’Occident et le DRS algérien, l’opération de Tamouret pourrait avoir permis de fournir à l’Occident les identités de centaines, peut-être de milliers de terroristes d’Al Qaida. Ceci pourrait expliquer comment tant d’attaques terroristes ont été éventées ces années-là. S’il en est ainsi, Tamouret a peut-être été une brillante opération de contre-terrorisme. Toutefois, son succès, si l’on peut le qualifier ainsi, est né d’un crime monstrueux : le meurtre de sang-froid de centaines, sinon de milliers, d’innocentes victimes. C’est pour cette raison que l’existence de Tamouret, et sa connaissance par les services occidentaux, seront toujours démenties.
Si l’auteur ou Bachir (« Témoin A ») avaient été autorisés à déposer dans le cadre de l’enquête de Londres, la Cour les aurait interrogés sur leur connaissance de la relation entre Bouchneb et le DRS, ce qui aurait inévitablement conduit à la révélation de l’existence de Tamouret. Avec l’armée d’avocats et de journalistes assistant aux débats, les secrets les plus odieux de l’une des opérations occidentales de contre-terrorisme les plus efficaces auraient fait les gros titres en quelques minutes. Ni l’Algérie, ni l’Ouest ne pouvaient se permettre de dire la vérité sur Tamouret. C’est pourquoi In Amenas ne fera jamais l’objet d’une véritable enquête approfondie – du moins pendant encore très longtemps.
Dans un premier article, Jeremy Keenan a présenté les preuves substantielles de l’implication du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) algérien dans l’attentat contre l’usine de gaz de Tiguentourine, près d’In Amenas, dans le Sahara algérien, le 16 janvier 2013. Ce second article répond aux questions sur le mobile du DRS, dirigé par le général Mohamed Mediène, dit Toufik, confronté à une perte d’influence face aux alliés occidentaux et à des tensions grandissantes avec le Président Bouteflika.
Lors des auditions, en septembre 2016, de l’enquête de Londres (qui sera évoquée en 3e partie) sur la mort de six citoyens britanniques et d’un résident britannique, plusieurs expatriés ayant survécu à l’attentat ont attiré l’attention des juges sur un conflit du travail qui durait depuis plusieurs mois sur le site. Ils imaginaient que ce conflit pouvait être lié aux événements et que les grévistes avaient communiqué des informations aux terroristes. Dans la négative, comment les assaillants s’étaient-ils procuré les détails du plan du site et les noms de certains personnels clé?
Pourtant, il n’existe pas de preuve permettant de relier le DRS à ce conflit social ni de preuve reliant l’attentat au conflit. L’enquête révéla d’ailleurs que la connaissance que les terroristes avaient de l’usine était relativement limitée. En fait, les informations en possession des assaillants, comme les noms de certains agents, pouvaient aussi bien être venues du DRS, dont nous savons maintenant qu’il était derrière l’attaque.
Beaucoup de commentateurs, comme les autorités algériennes, ont lié l’attaque à l’intervention militaire française au Mali, lancée le 11 janvier, cinq jours plus tôt. Ceci conduisit à répandre l’hypothèse que l’attaque d’In Amenas était la vengeance des terroristes contre l’Algérie pour avoir autorisé le survol de son territoire aux avions militaires français.
Le DRS aurait surtout été mécontent de ce que l’offensive française au Mali mettait en danger la vie de ses propres agents sur place.
Ceux qui soupçonnaient, ou même qui savaient, que le DRS algérien était d’une manière ou d’une autre impliqué dans l’attentat, soutenaient que le DRS était fâché par l’autorisation de survol de l’Algérie accordée par le Président Bouteflika à la flotte française pour attaquer les djihadistes du nord du Mali, car cette décision transférait effectivement le contrôle du Mali et du Sahel –arrière-cour du DRS – à la France. Le DRS aurait surtout été mécontent de ce que l’offensive française mettait en danger la vie de ses propres agents sur place, tels que Abdelhamid Abou Zaïd and Iyad ag Ghali.
Si le DRS peut en effet avoir été contrarié par l’assistance apportée par le Président Bouteflika à la France, ce qui pourrait accréditer la thèse d’une implication du DRS dans l’opération d’In Amenas pour se venger et mettre Bouteflika dans l’embarras à l’extérieur des frontières, la préparation et la mise en œuvre d’une telle opération sous faux pavillon par le DRS en si peu de temps paraît difficile, voire presque impossible. Il est donc plus vraisemblable que le mobile de l’attaque soit à rechercher dans les événements qui ont précédé l’intervention militaire de la France au Mali.
Mais une brève incidente est nécessaire pour expliquer les tensions existant entre le DRS et la présidence Bouteflika, le ressentiment du DRS contre l’intervention de la France au Mali et l’implication du DRS lui
Comme il sera expliqué dans la 4e partie, la tension entre le DRS et la présidence Bouteflika a été croissante pendant les trois ou quatre ans qui ont précédé l’attaque d’In Amenas. Pour le comprendre, il faut retourner en arrière jusqu’à l’histoire post-coloniale de l’Algérie. L’un des aspects les moins connus de l’accord post colonial conclu entre les services français et algériens était de confier au DRS la gestion du terrorisme en Afrique du Nord. C’est ainsi que fin 2011 et début 2012, le DRS prit l’initiative de soutenir une insurrection islamiste dans le septentrion malien afin de contrer la rébellion touareg en cours en faveur de l’indépendance de l’Azawad (l’appellation touareg pour désigner le nord du Mali.)
Tandis que la rébellion du Niger était largement apaisée en 2010, celle du Mali flamba de plus belle en 2011, avec le retour de centaines de Touaregs en colère et lourdement armés contraints de quitter la Libye.
Les rébellions touareg ont été récurrentes dans l’histoire post-coloniale aussi bien du Niger que du Mali, avec un dernier épisode dans ces deux pays en 2007. Toutefois, tandis que la rébellion au Niger était largement apaisée en 2010, celle du Mali flamba de plus belle en 2011, avec le retour de centaines de Touaregs très en colère et lourdement armés, contraints de quitter la Libye après la chute du régime de Kadhafi. Fin 2011, les rebelles touaregs du Mali ainsi renforcés, désormais organisés sous le nom de Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), menaçaient sérieusement l’Algérie, dont l’extrême sud est sensible à l’irrédentisme touareg.
La réponse du DRS à ce danger fut d’encourager la création, fin 2011, de deux nouveaux groupes terroristes islamistes à côté d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il s’agissait d’Ansar al-Dine, dirigé par Iyad ag Ghali, longtemps proche du DRS, et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Le plan du DRS était que ces trois groupes dont il contrôlait les chefs s’allient avec le MNLA puis l’absorbent politiquement et militairement dans une insurrection islamiste et, ainsi, détruisent durablement sa crédibilité.
Du point de vue algérien, la stratégie mise en oeuvre sur le terrain pour le DRS par le Groupement d’Intervention Spécial (GIS) du général Hassan (Abdelkader Aït Ouarabi), qui fournit aux insurgés armes, carburant et autres biens essentiels, fut couronnée de succès. Mais vers la fin 2012, la situation au Mali avait échappé au contrôle de l’Algérie, les insurgés menaçant la capitale, Bamako. Le 11 janvier 2013, cinq jours avant l’attaque d’In Amenas, la France répondit à la demande d’aide de Bamako en lançant une offensive militaire pour chasser les islamistes du Mali.
Comme déjà évoqué, cependant, même si le général Mediène, chef du DRS, fut effectivement furieux du droit de survol accordé à la France et de l’intervention française, le temps ne lui permettait pas de préparer et lancer l’attaque d’In Amenas. Les raisons ayant présidé à l’implication du DRS dans In Amenas doivent donc plutôt être recherchées dans les événements antérieurs.
La cause de l’attaque d’In Amenas est l’abandon progressif de l’Algérie, ou plutôt du DRS, par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et, à moindre échelle, par la France.
Le Rapport sur In Amenas a conclu que l’événement décisif qui avait été la cause de l’attaque d’In Amenas était un abandon progressif de l’Algérie, ou plutôt du DRS, par les Etats-Unis et le Royaume-Unis, et à moindre échelle, par la France (R.45). Durant les deux ans qui ont précédé la révolution libyenne de 2011, les relations entre l’Algérie et ses alliés occidentaux s’étaient tendues. La cause en était une histoire complexe commencée en 2003, quand l’Algérie, nouvel allié des Etats-Unis dans la guerre globale contre la terreur (GWOT), entreprit la première d’une série d’opérations sous faux pavillon permettant aux Etats-Unis de lancer le « second front » ou « front trans-saharien »de sa guerre globale contre la terreur.
Cette complicité profonde entre le Groupe américain, nouvellement créé, des Opérations Pro-actives et Préventives (P2OG) et le DRS algérien, a été planifiée à la fin de l’été 2002 et mise en oeuvre en février ou mars 2003, avec l’enlèvement de 32 touristes européens au Sahara algérien. L’opération était conduite par un officier du DRS, Abderrazak Lamari, plus connu sous le surnom d’ « El Para », bien que l’Algérie ait d’abord accusé Mokhtar bel Mokhtar, futur organisateur de l’attaque d’In Amenas dix ans plus tard. El Para et 64 « terroristes » séparèrent les otages en deux groupes. L’un fut libéré dans le cadre d’une opération héliportée extraordinairement bien organisée dans le massif d’Ahaggar, dans le Gharis, qui ne fit aucune victime parmi les otages. Le deuxième groupe d’otages fut acheminé au nord du Mali et libéré plus tard, contre rançon. Du point de vue de l’alliance P2OG-DRS, cette opération fut un succès remarquable
L’Occident s’inquiétait aussi de la nature et de l’échelle de l’implication du DRS dans des activités criminelles, notamment le trafic de drogue et les enlèvements, certains analystes parlant même d’Etat mafieux.
Même si les opérations sous faux pavillon d’El Para avaient aidé les Etats-Unis à légitimer leur guerre globale contre le terrorisme, elles plaçaient cependant les Etats-Unis et leurs alliés, particulièrement britanniques, dans une position éthique discutable de couverture du terrorisme d’Etat algérien. Vers 2010, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui à ce moment-là avaient développé des alliances anti-terroristes fortes avec le DRS, commencèrent à s’inquiéter de plus en plus de l’infiltration tellement profonde d’AQMI par le DRS que beaucoup de gens dans la région considéraient qu’AQMI et le DRS étaient finalement la même organisation. L’Occident s’inquiétait aussi de la nature et de l’échelle de l’implication du DRS dans les activités criminelles, notamment le trafic de drogue et les enlèvements d’otages, certains analystes parlant même désormais de l’Algérie comme d’un Etat « mafieux ».
Le problème, en permettant à une relation aussi dangereuse de se perpétuer et de se développer, n’était pas seulement que cela soulevait la question de la complicité des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne avec le terrorisme, mais aussi que les deux pays étaient devenus tellement dépendants du DRS en matière de renseignement qu’ils n’étaient plus capables de comprendre vraiment ce qui se passait dans la région.
Vers la mi -2011, les relations entre l’Algérie et l’Occident – surtout les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, se détériorèrent, alors que les alliés de l’OTAN commençaient à comprendre que l’Algérie soutenait en secret le régime de Kadhafi, par une aide militaire et logistique substantielle. L’année suivante, les mêmes pays furent contraints de lire les rapports prouvant l’implication du DRS, leur partenaire dans la lutte antiterroriste, dans le soutien à l’insurrection islamiste au Mali.
Des détachements de mercenaires envoyés par l’Algérie pour soutenir les forces de Kadhafi furent repérés, pour la première fois, dans la ville de Zawiyah.
Dès le début de l’intervention militaire de l’OTAN (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis) en Libye, en mars 2011, il y eut des rapports sur le soutien constant fourni par l’Algérie au régime de Kadhafi (R.208-15). Des détachements de mercenaires envoyés par l’Algérie pour soutenir les forces de Kadhafi furent repérés, pour la première fois, dans la ville de Zawiyah, où plusieurs furent capturés et identifiés. Le Conseil national de Transition (CNT) fit état, plus tard, de la capture de 15 mercenaires algériens et de la mort de trois autres dans des combats près d’Ajdabiya. Le CNT affirma également que le DRS employait beaucoup de membres de la sécurité privée de l’ex Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et les envoyait en Libye pour combattre aux côtés du régime de Kadhafi. Après la défection de pilotes libyens à Malte, au début du conflit, l’Algérie envoya 21 pilotes à la base aérienne de Mitiga, à Tripoli. Furent également rapportés de nombreux cas de transport, à bord d’avions militaires algériens, de mercenaires originaires de pays d’Afrique sub-saharienne. A en croire les données collectées par la tour de contrôle de Benghazi, 22 vols algériens furent opérés vers des destinations libyennes, en particulier Syrte et Sebha, entre le 19 et le 26 février. En mars, le CNT estimait à 51 le nombre de vols algériens ayant acheminé des munitions, des armes, des combattants algériens et des mercenaires à l’aéroport Mitiga de Tripoli.
La preuve finale du soutien de l’Algérie à Kadhafi apparut le 18 avril, lorsque des conseillers militaires français en mission auprès des rebelles libyens découvrirent que des jeeps et camions militaires de Kadhafi, abandonnés après une attaque de l’OTAN, portaient des numéros de série les identifiant comme vendus à l’Algérie par Alain Juppé. Cette preuve fut transmise à leurs alliés de l’OTAN mais elle aussi présentée à l’Algérie. Mourad Medelci, le ministre algérien des Affaires étrangères, fut « invité » à rencontrer la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton à Washington. Malgré la bonhommie du communiqué de presse officiel, Medelci fut fustigé pour le soutien de l’Algérie à Kadhafi.
Après cette réprimande, l’Algérie envoya l’un de ses plus durs apparatchiks, Sadek Bouguetaya, participer au rassemblement des tribus libyennes convié par Kadhafi le 8 mai. Dans un discours populiste, Bouguetaya fit part du soutien inconditionnel de l’Algérie à Kadhafi et condamna les opérations de l’OTAN en Libye. Il qualifia d’héroïques les efforts de Kadhafi pour se maintenir au pouvoir, ajoutant qu’il était sûr que le peuple libyen vaincrait la France, comme les forces révolutionnaires algériennes l’avaient fait en 1962.
La cause de la progression ridiculement lente de la campagne de l’OTAN contre Kadhafi était le remplacement par des blindés algériens de meilleure qualité du matériel libyen détruit par les frappes aériennes.
Au moment où Bouguetaya vilipendait l’OTAN à Tripoli, l’ambassadeur de Libye en Algérie annonçait publiquement que son ambassade venait d’acheter 500 véhicules « de classe militaire » à des marchands algériens, avec d’autres encore en perspective, pour soutenir les forces de Kadhafi.
Washington, Londres et Paris répondirent à la démonstration de bellicisme de l’Algérie en demandant à cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, l’émir du Qatar et proche allié de l’Algérie dans le Golfe, de convaincre l’Algérie de ne pas réapprovisionner Kadhafi en chars et véhicules blindés. Selon Robert Fisk, le correspondant de The Independent au Moyen-Orient, la cause de la progression ridiculement lente de la campagne de l’OTAN contre Kadhafi était le remplacement par des blindés algériens de meilleure qualité du matériel libyen détruit par les frappes aériennes. Mais la visite d’une journée d’Al-Thani à Alger ne suffit pas. L’Algérie persista dans son déni public de tout soutien à Kadhafi.
Encore pire pour les alliés de l’OTAN, à cause de leur implication antérieure dans des opérations terroristes clandestines à travers l’association du P2OG avec le DRS, les Etats-Unis n’eurent pas d’autre choix que d’avaliser les démentis algériens. L’humiliation suprême fut atteinte le 1er juin, lorsque le général Carter Ham, commandant d’AFRICOM, fut envoyé à Alger pour y prononcer un discours très médiatisé dans lequel il disait qu’il « ne pouvait voir aucune voir aucune preuve » du soutien de l’Algérie à Kadhafi.
En résumé, ni les Etats-Unis, ni l’Algérie ne pouvaient se permettre la révélation de leurs sales affaires au grand jour.
Le discours du général Ham faisait partie d’un accord global conclu lors de discussions entre des officiels français et américains de haut niveau et le DRS algérien. Ces pourparlers avaient deux objectifs. Le premier était de faire échapper le régime algérien au sort de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Egypte et bientôt, espérait-on, de Kadhafi, en l’encourageant à mettre rapidement en œuvre des réformes politiques significatives. L’autre était de réhabiliter effectivement le régime algérien auprès de l’OTAN et du Pentagone. L’accord était à la fois une réaffirmation de l’importance stratégique de l’Algérie pour les Etats-Unis et un rappel aux deux parties qu’ils partageaient trop d’opérations de renseignement clandestines récentes, à la lumière de leurs activités conjointes P2OG-DRS dans le GWOT, pour se fâcher. En résumé, ni les Etats-Unis, ni l’Algérie ne pouvaient se permettre la révélation de leurs sales affaires au grand jour. La substance de l’accord était que l’Algérie cessait de soutenir Kadhafi tandis que les Etats-Unis sauvaient l’Algérie de la condamnation internationale en réitérant l’absence de preuve énoncée par le général Carter Ham sur le soutien de l’Algérie à Kadhafi.
Après son soutien à Kadhafi et sa manipulation de l’insurrection islamiste au Mali, le DRS a sans doute compris qu’il tirait sur la corde de la coopération au-delà de ce que l’Occident pouvait accepter et que ses relations avec les puissances occidentales clé, en particulier le Royaume-Uni et les Etats-Unis, et peut-être même la France, devraient inéluctablement être réexaminées. C’est ainsi qu’il lança un avertissement à l’Ouest, sous la forme d’un article publié dans le journal algérien El Khabar le 12 novembre 2012 (R.47; 61-2; 136-42; 220-23; 246-50), tout juste deux mois avant l’attaque d’In Amenas. L’article, écrit par un journaliste connu pour ses liens avec le DRS, avait pour objet de mettre en garde l’Occident et de lui rappeler que l’Algérie était le seul pays de la région réellement capable de contrer le terrorisme. La principale histoire racontée par l’article – désinformation – décrivait comment les forces de sécurité algériennes avaient démantelé un réseau terroriste mené par Mohamed Lamine Bouchneb, qui devait peu de temps après conduire l’attaque d’In Amenas. Selon le journal, ce réseau menaçait des installations pétrolières/gazières dans la région de Hassi Messaoud. Autrement dit, le DRS rappelait à l’Occident qu’il était le gendarme de la région appointé par l’Ouest et qu’il n‘abandonnerait pas ce rôle facilement.
Les assaillants rencontrèrent une résistance imprévue des gendarmes qui gardaient le bus. Ne parvenant pas à s’emparer du bus, les hommes de Bouchneb commirent l’erreur de pénétrer à l’intérieur du complexe.
L’enquête de Londres ne permit pas de savoir si les services de renseignement britanniques avaient lu l’article d’ El Khabar ou s’ils n’avaient tout simplement pas compris qu’il s’agissait d’un avertissement. L’attaque d’In Amenas eut lieu telle que décrite par l’article. Bouchneb reçut l’ordre d’enlever des otages étrangers pendant qu’ils quittaient le site de Tiguentourine dans le bus sous escorte. On peut imaginer qu’ils auraient dû être emmenés au Mali et libérés à la faveur d’une opération de sauvetage militaire ou en échange d’une rançon, les deux stratagèmes utilisés avec tant de succès par El Para en 2003.
Pourquoi l’opération de Bouchneb échoua-t-elle? La réponse, semble-t-il, est que les assaillants rencontrèrent une résistance imprévue des gendarmes qui gardaient le bus. Ne parvenant pas à s’emparer du bus, les hommes de Bouchneb commirent l’erreur de pénétrer à l’intérieur du complexe à la recherche d’otages. Et bien qu’ils réussirent à trouver des otages, ils se trouvèrent rapidement assiégés par les unités de l’armée qui s’étaient déployées à partir d’In Amenas. Encerclés et pris au piège à l’intérieur du complexe, ils continuèrent à communiquer à travers des téléphones mobiles. Les preuves tirées de ces communications suggèrent que les attaquants croyaient faire partie d’un deal avec les forces de sécurité et pouvoir négocier une sortie du complexe sans encombre et un passage jusqu’au Mali.
Vraisemblablement, le DRS, qui avait pris le commandement du siège, voulait que les preuves de son implication soient détruites. Cela signifiait qu’il fallait tuer les 32 terroristes.
Ce que les assaillants ne savaient sans doute pas, c’est que le DRS et les commandants de l’armée conduisant le siège se disputaient le commandement supérieur. L’armée, en ce temps-là, ignorait complètement que l’attaque avait été orchestrée par le DRS, d’où l’insistance du général Athman « Bashir » Tartag, le commandant du DRS sur le site, pour assumer le commandement supérieur de la situation. L’armée ne savait probablement rien du jeu du DRS jusqu’à l’interrogatoire des trois terroristes faits prisonniers. De même, il est possible, après le matin du 17 janvier, le deuxième jour du siège, quand un hélicoptère tira dans la base de vie blessant Bouchneb lui-même, que les assaillants aient pensé qu’ils avaient été trahis. En effet, les pertes élevées en vies humaines, tant des otages que des terroristes, furent certainement la conséquence des ordres donnés à l’armée par le général Tartag d’ouvrir le feu sur les cinq véhicules – où se trouvaient les otages et les terroristes – tandis qu’ils essayaient, plus tard ce deuxième jour, de se précipiter de la base de vie vers la zone de production.
Le discours du gouvernement algérien sur le nombre élevé de morts fut que sa politique était de tuer tous les terroristes et de ne pas négocier avec eux, quel que soit le risque pour les otages. Plus vraisemblablement, le DRS, qui avait pris le commandement du siège, voulait que les preuves de son implication soient détruites. Cela signifiait qu’il fallait tuer les 32 terroristes. Si certains otages étaient tués pendant ce processus, on pourrait dire que c’était conforme à la politique du gouvernement. Malheureusement pour le DRS, trois des terroristes tombèrent dans les mains de l’armée, à laquelle ils expliquèrent le rôle qu’avait joué le général Hassan dans leur armement.
Dans la 3e partie, on expliquera pourquoi l’Occident dissimula les preuves de l’implication du DRS.
Dans un premier article, Jeremy Keenan a présenté les preuves substantielles de l’implication du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) algérien dans l’attentat contre l’usine de gaz de Tiguentourine, près d’In Amenas, dans le Sahara algérien, le 16 janvier 2013. Ce second article répond aux questions sur le mobile du DRS, dirigé par le général Mohamed Mediène, dit Toufik, confronté à une perte d’influence face aux alliés occidentaux et à des tensions grandissantes avec le Président Bouteflika. Lors des auditions, en septembre 2016, de l’enquête de Londres (qui sera évoquée en 3e partie) sur la mort de six citoyens britanniques et d’un résident britannique, plusieurs expatriés ayant survécu à l’attentat ont attiré l’attention des juges sur un conflit du travail qui durait depuis plusieurs mois sur le site. Ils imaginaient que ce conflit pouvait être lié aux événements et que les grévistes avaient communiqué des informations aux terroristes. Dans la négative, comment les assaillants s’étaient-ils procuré les détails du plan du site et les noms de certains personnels clé? Pourtant, il n’existe pas de preuve permettant de relier le DRS à ce conflit social ni de preuve reliant l’attentat au conflit. L’enquête révéla d’ailleurs que la connaissance que les terroristes avaient de l’usine était relativement limitée. En fait, les informations en possession des assaillants, comme les noms de certains agents, pouvaient aussi bien être venues du DRS, dont nous savons maintenant qu’il était derrière l’attaque. Beaucoup de commentateurs, comme les autorités algériennes, ont lié l’attaque à l’intervention militaire française au Mali, lancée le 11 janvier, cinq jours plus tôt. Ceci conduisit à répandre l’hypothèse que l’attaque d’In Amenas était la vengeance des terroristes contre l’Algérie pour avoir autorisé le survol de son territoire aux avions militaires français. Le DRS aurait surtout été mécontent de ce que l’offensive française au Mali mettait en danger la vie de ses propres agents sur place. Ceux qui soupçonnaient, ou même qui savaient, que le DRS algérien était d’une manière ou d’une autre impliqué dans l’attentat, soutenaient que le DRS était fâché par l’autorisation de survol de l’Algérie accordée par le Président Bouteflika à la flotte française pour attaquer les djihadistes du nord du Mali, car cette décision transférait effectivement le contrôle du Mali et du Sahel –arrière-cour du DRS – à la France. Le DRS aurait surtout été mécontent de ce que l’offensive française mettait en danger la vie de ses propres agents sur place, tels que Abdelhamid Abou Zaïd and Iyad ag Ghali. Si le DRS peut en effet avoir été contrarié par l’assistance apportée par le Président Bouteflika à la France, ce qui pourrait accréditer la thèse d’une implication du DRS dans l’opération d’In Amenas pour se venger et mettre Bouteflika dans l’embarras à l’extérieur des frontières, la préparation et la mise en œuvre d’une telle opération sous faux pavillon par le DRS en si peu de temps paraît difficile, voire presque impossible. Il est donc plus vraisemblable que le mobile de l’attaque soit à rechercher dans les événements qui ont précédé l’intervention militaire de la France au Mali. Mais une brève incidente est nécessaire pour expliquer les tensions existant entre le DRS et la présidence Bouteflika, le ressentiment du DRS contre l’intervention de la France au Mali et l’implication du DRS lui-même au Mali. Le Président Abdelaziz Bouteflika Comme il sera expliqué dans la 4e partie, la tension entre le DRS et la présidence Bouteflika a été croissante pendant les trois ou quatre ans qui ont précédé l’attaque d’In Amenas. Pour le comprendre, il faut retourner en arrière jusqu’à l’histoire post-coloniale de l’Algérie. L’un des aspects les moins connus de l’accord post colonial conclu entre les services français et algériens était de confier au DRS la gestion du terrorisme en Afrique du Nord. C’est ainsi que fin 2011 et début 2012, le DRS prit l’initiative de soutenir une insurrection islamiste dans le septentrion malien afin de contrer la rébellion touareg en cours en faveur de l’indépendance de l’Azawad (l’appellation touareg pour désigner le nord du Mali.) Tandis que la rébellion du Niger était largement apaisée en 2010, celle du Mali flamba de plus belle en 2011, avec le retour de centaines de Touaregs en colère et lourdement armés contraints de quitter la Libye. Les rébellions touareg ont été récurrentes dans l’histoire post-coloniale aussi bien du Niger que du Mali, avec un dernier épisode dans ces deux pays en 2007. Toutefois, tandis que la rébellion au Niger était largement apaisée en 2010, celle du Mali flamba de plus belle en 2011, avec le retour de centaines de Touaregs très en colère et lourdement armés, contraints de quitter la Libye après la chute du régime de Kadhafi. Fin 2011, les rebelles touaregs du Mali ainsi renforcés, désormais organisés sous le nom de Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), menaçaient sérieusement l’Algérie, dont l’extrême sud est sensible à l’irrédentisme touareg. La réponse du DRS à ce danger fut d’encourager la création, fin 2011, de deux nouveaux groupes terroristes islamistes à côté d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il s’agissait d’Ansar al-Dine, dirigé par Iyad ag Ghali, longtemps proche du DRS, et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Le plan du DRS était que ces trois groupes dont il contrôlait les chefs s’allient avec le MNLA puis l’absorbent politiquement et militairement dans une insurrection islamiste et, ainsi, détruisent durablement sa crédibilité. Du point de vue algérien, la stratégie mise en oeuvre sur le terrain pour le DRS par le Groupement d’Intervention Spécial (GIS) du général Hassan (Abdelkader Aït Ouarabi), qui fournit aux insurgés armes, carburant et autres biens essentiels, fut couronnée de succès. Mais vers la fin 2012, la situation au Mali avait échappé au contrôle de l’Algérie, les insurgés menaçant la capitale, Bamako. Le 11 janvier 2013, cinq jours avant l’attaque d’In Amenas, la France répondit à la demande d’aide de Bamako en lançant une offensive militaire pour chasser les islamistes du Mali. Comme déjà évoqué, cependant, même si le général Mediène, chef du DRS, fut effectivement furieux du droit de survol accordé à la France et de l’intervention française, le temps ne lui permettait pas de préparer et lancer l’attaque d’In Amenas. Les raisons ayant présidé à l’implication du DRS dans In Amenas doivent donc plutôt être recherchées dans les événements antérieurs. La cause de l’attaque d’In Amenas est l’abandon progressif de l’Algérie, ou plutôt du DRS, par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et, à moindre échelle, par la France. Le Rapport sur In Amenas a conclu que l’événement décisif qui avait été la cause de l’attaque d’In Amenas était un abandon progressif de l’Algérie, ou plutôt du DRS, par les Etats-Unis et le Royaume-Unis, et à moindre échelle, par la France (R.45). Durant les deux ans qui ont précédé la révolution libyenne de 2011, les relations entre l’Algérie et ses alliés occidentaux s’étaient tendues. La cause en était une histoire complexe commencée en 2003, quand l’Algérie, nouvel allié des Etats-Unis dans la guerre globale contre la terreur (GWOT), entreprit la première d’une série d’opérations sous faux pavillon permettant aux Etats-Unis de lancer le « second front » ou « front trans-saharien »de sa guerre globale contre la terreur. Abderrazak El Para Cette complicité profonde entre le Groupe américain, nouvellement créé, des Opérations Pro-actives et Préventives (P2OG) et le DRS algérien, a été planifiée à la fin de l’été 2002 et mise en oeuvre en février ou mars 2003, avec l’enlèvement de 32 touristes européens au Sahara algérien. L’opération était conduite par un officier du DRS, Abderrazak Lamari, plus connu sous le surnom d’ « El Para », bien que l’Algérie ait d’abord accusé Mokhtar bel Mokhtar, futur organisateur de l’attaque d’In Amenas dix ans plus tard. El Para et 64 « terroristes » séparèrent les otages en deux groupes. L’un fut libéré dans le cadre d’une opération héliportée extraordinairement bien organisée dans le massif d’Ahaggar, dans le Gharis, qui ne fit aucune victime parmi les otages. Le deuxième groupe d’otages fut acheminé au nord du Mali et libéré plus tard, contre rançon. Du point de vue de l’alliance P2OG-DRS, cette opération fut un succès remarquable L’Occident s’inquiétait aussi de la nature et de l’échelle de l’implication du DRS dans des activités criminelles, notamment le trafic de drogue et les enlèvements, certains analystes parlant même d’Etat mafieux. Même si les opérations sous faux pavillon d’El Para avaient aidé les Etats-Unis à légitimer leur guerre globale contre le terrorisme, elles plaçaient cependant les Etats-Unis et leurs alliés, particulièrement britanniques, dans une position éthique discutable de couverture du terrorisme d’Etat algérien. Vers 2010, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui à ce moment-là avaient développé des alliances anti-terroristes fortes avec le DRS, commencèrent à s’inquiéter de plus en plus de l’infiltration tellement profonde d’AQMI par le DRS que beaucoup de gens dans la région considéraient qu’AQMI et le DRS étaient finalement la même organisation. L’Occident s’inquiétait aussi de la nature et de l’échelle de l’implication du DRS dans les activités criminelles, notamment le trafic de drogue et les enlèvements d’otages, certains analystes parlant même désormais de l’Algérie comme d’un Etat « mafieux ». Le problème, en permettant à une relation aussi dangereuse de se perpétuer et de se développer, n’était pas seulement que cela soulevait la question de la complicité des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne avec le terrorisme, mais aussi que les deux pays étaient devenus tellement dépendants du DRS en matière de renseignement qu’ils n’étaient plus capables de comprendre vraiment ce qui se passait dans la région. Vers la mi -2011, les relations entre l’Algérie et l’Occident – surtout les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, se détériorèrent, alors que les alliés de l’OTAN commençaient à comprendre que l’Algérie soutenait en secret le régime de Kadhafi, par une aide militaire et logistique substantielle. L’année suivante, les mêmes pays furent contraints de lire les rapports prouvant l’implication du DRS, leur partenaire dans la lutte antiterroriste, dans le soutien à l’insurrection islamiste au Mali. Des détachements de mercenaires envoyés par l’Algérie pour soutenir les forces de Kadhafi furent repérés, pour la première fois, dans la ville de Zawiyah. Dès le début de l’intervention militaire de l’OTAN (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis) en Libye, en mars 2011, il y eut des rapports sur le soutien constant fourni par l’Algérie au régime de Kadhafi (R.208-15). Des détachements de mercenaires envoyés par l’Algérie pour soutenir les forces de Kadhafi furent repérés, pour la première fois, dans la ville de Zawiyah, où plusieurs furent capturés et identifiés. Le Conseil national de Transition (CNT) fit état, plus tard, de la capture de 15 mercenaires algériens et de la mort de trois autres dans des combats près d’Ajdabiya. Le CNT affirma également que le DRS employait beaucoup de membres de la sécurité privée de l’ex Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et les envoyait en Libye pour combattre aux côtés du régime de Kadhafi. Après la défection de pilotes libyens à Malte, au début du conflit, l’Algérie envoya 21 pilotes à la base aérienne de Mitiga, à Tripoli. Furent également rapportés de nombreux cas de transport, à bord d’avions militaires algériens, de mercenaires originaires de pays d’Afrique sub-saharienne. A en croire les données collectées par la tour de contrôle de Benghazi, 22 vols algériens furent opérés vers des destinations libyennes, en particulier Syrte et Sebha, entre le 19 et le 26 février. En mars, le CNT estimait à 51 le nombre de vols algériens ayant acheminé des munitions, des armes, des combattants algériens et des mercenaires à l’aéroport Mitiga de Tripoli. La preuve finale du soutien de l’Algérie à Kadhafi apparut le 18 avril, lorsque des conseillers militaires français en mission auprès des rebelles libyens découvrirent que des jeeps et camions militaires de Kadhafi, abandonnés après une attaque de l’OTAN, portaient des numéros de série les identifiant comme vendus à l’Algérie par Alain Juppé. Cette preuve fut transmise à leurs alliés de l’OTAN mais elle aussi présentée à l’Algérie. Mourad Medelci, le ministre algérien des Affaires étrangères, fut « invité » à rencontrer la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton à Washington. Malgré la bonhommie du communiqué de presse officiel, Medelci fut fustigé pour le soutien de l’Algérie à Kadhafi. Après cette réprimande, l’Algérie envoya l’un de ses plus durs apparatchiks, Sadek Bouguetaya, participer au rassemblement des tribus libyennes convié par Kadhafi le 8 mai. Dans un discours populiste, Bouguetaya fit part du soutien inconditionnel de l’Algérie à Kadhafi et condamna les opérations de l’OTAN en Libye. Il qualifia d’héroïques les efforts de Kadhafi pour se maintenir au pouvoir, ajoutant qu’il était sûr que le peuple libyen vaincrait la France, comme les forces révolutionnaires algériennes l’avaient fait en 1962. La cause de la progression ridiculement lente de la campagne de l’OTAN contre Kadhafi était le remplacement par des blindés algériens de meilleure qualité du matériel libyen détruit par les frappes aériennes. Au moment où Bouguetaya vilipendait l’OTAN à Tripoli, l’ambassadeur de Libye en Algérie annonçait publiquement que son ambassade venait d’acheter 500 véhicules « de classe militaire » à des marchands algériens, avec d’autres encore en perspective, pour soutenir les forces de Kadhafi. Washington, Londres et Paris répondirent à la démonstration de bellicisme de l’Algérie en demandant à cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, l’émir du Qatar et proche allié de l’Algérie dans le Golfe, de convaincre l’Algérie de ne pas réapprovisionner Kadhafi en chars et véhicules blindés. Selon Robert Fisk, le correspondant de The Independent au Moyen-Orient, la cause de la progression ridiculement lente de la campagne de l’OTAN contre Kadhafi était le remplacement par des blindés algériens de meilleure qualité du matériel libyen détruit par les frappes aériennes. Mais la visite d’une journée d’Al-Thani à Alger ne suffit pas. L’Algérie persista dans son déni public de tout soutien à Kadhafi. Encore pire pour les alliés de l’OTAN, à cause de leur implication antérieure dans des opérations terroristes clandestines à travers l’association du P2OG avec le DRS, les Etats-Unis n’eurent pas d’autre choix que d’avaliser les démentis algériens. L’humiliation suprême fut atteinte le 1er juin, lorsque le général Carter Ham, commandant d’AFRICOM, fut envoyé à Alger pour y prononcer un discours très médiatisé dans lequel il disait qu’il « ne pouvait voir aucune voir aucune preuve » du soutien de l’Algérie à Kadhafi. En résumé, ni les Etats-Unis, ni l’Algérie ne pouvaient se permettre la révélation de leurs sales affaires au grand jour. Le discours du général Ham faisait partie d’un accord global conclu lors de discussions entre des officiels français et américains de haut niveau et le DRS algérien. Ces pourparlers avaient deux objectifs. Le premier était de faire échapper le régime algérien au sort de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Egypte et bientôt, espérait-on, de Kadhafi, en l’encourageant à mettre rapidement en œuvre des réformes politiques significatives. L’autre était de réhabiliter effectivement le régime algérien auprès de l’OTAN et du Pentagone. L’accord était à la fois une réaffirmation de l’importance stratégique de l’Algérie pour les Etats-Unis et un rappel aux deux parties qu’ils partageaient trop d’opérations de renseignement clandestines récentes, à la lumière de leurs activités conjointes P2OG-DRS dans le GWOT, pour se fâcher. En résumé, ni les Etats-Unis, ni l’Algérie ne pouvaient se permettre la révélation de leurs sales affaires au grand jour. La substance de l’accord était que l’Algérie cessait de soutenir Kadhafi tandis que les Etats-Unis sauvaient l’Algérie de la condamnation internationale en réitérant l’absence de preuve énoncée par le général Carter Ham sur le soutien de l’Algérie à Kadhafi. Après son soutien à Kadhafi et sa manipulation de l’insurrection islamiste au Mali, le DRS a sans doute compris qu’il tirait sur la corde de la coopération au-delà de ce que l’Occident pouvait accepter et que ses relations avec les puissances occidentales clé, en particulier le Royaume-Uni et les Etats-Unis, et peut-être même la France, devraient inéluctablement être réexaminées. C’est ainsi qu’il lança un avertissement à l’Ouest, sous la forme d’un article publié dans le journal algérien El Khabar le 12 novembre 2012 (R.47; 61-2; 136-42; 220-23; 246-50), tout juste deux mois avant l’attaque d’In Amenas. L’article, écrit par un journaliste connu pour ses liens avec le DRS, avait pour objet de mettre en garde l’Occident et de lui rappeler que l’Algérie était le seul pays de la région réellement capable de contrer le terrorisme. La principale histoire racontée par l’article – désinformation – décrivait comment les forces de sécurité algériennes avaient démantelé un réseau terroriste mené par Mohamed Lamine Bouchneb, qui devait peu de temps après conduire l’attaque d’In Amenas. Selon le journal, ce réseau menaçait des installations pétrolières/gazières dans la région de Hassi Messaoud. Autrement dit, le DRS rappelait à l’Occident qu’il était le gendarme de la région appointé par l’Ouest et qu’il n‘abandonnerait pas ce rôle facilement. Les assaillants rencontrèrent une résistance imprévue des gendarmes qui gardaient le bus. Ne parvenant pas à s’emparer du bus, les hommes de Bouchneb commirent l’erreur de pénétrer à l’intérieur du complexe. L’enquête de Londres ne permit pas de savoir si les services de renseignement britanniques avaient lu l’article d’ El Khabar ou s’ils n’avaient tout simplement pas compris qu’il s’agissait d’un avertissement. L’attaque d’In Amenas eut lieu telle que décrite par l’article. Bouchneb reçut l’ordre d’enlever des otages étrangers pendant qu’ils quittaient le site de Tiguentourine dans le bus sous escorte. On peut imaginer qu’ils auraient dû être emmenés au Mali et libérés à la faveur d’une opération de sauvetage militaire ou en échange d’une rançon, les deux stratagèmes utilisés avec tant de succès par El Para en 2003. Pourquoi l’opération de Bouchneb échoua-t-elle? La réponse, semble-t-il, est que les assaillants rencontrèrent une résistance imprévue des gendarmes qui gardaient le bus. Ne parvenant pas à s’emparer du bus, les hommes de Bouchneb commirent l’erreur de pénétrer à l’intérieur du complexe à la recherche d’otages. Et bien qu’ils réussirent à trouver des otages, ils se trouvèrent rapidement assiégés par les unités de l’armée qui s’étaient déployées à partir d’In Amenas. Encerclés et pris au piège à l’intérieur du complexe, ils continuèrent à communiquer à travers des téléphones mobiles. Les preuves tirées de ces communications suggèrent que les attaquants croyaient faire partie d’un deal avec les forces de sécurité et pouvoir négocier une sortie du complexe sans encombre et un passage jusqu’au Mali. Vraisemblablement, le DRS, qui avait pris le commandement du siège, voulait que les preuves de son implication soient détruites. Cela signifiait qu’il fallait tuer les 32 terroristes. Ce que les assaillants ne savaient sans doute pas, c’est que le DRS et les commandants de l’armée conduisant le siège se disputaient le commandement supérieur. L’armée, en ce temps-là, ignorait complètement que l’attaque avait été orchestrée par le DRS, d’où l’insistance du général Athman « Bashir » Tartag, le commandant du DRS sur le site, pour assumer le commandement supérieur de la situation. L’armée ne savait probablement rien du jeu du DRS jusqu’à l’interrogatoire des trois terroristes faits prisonniers. De même, il est possible, après le matin du 17 janvier, le deuxième jour du siège, quand un hélicoptère tira dans la base de vie blessant Bouchneb lui-même, que les assaillants aient pensé qu’ils avaient été trahis. En effet, les pertes élevées en vies humaines, tant des otages que des terroristes, furent certainement la conséquence des ordres donnés à l’armée par le général Tartag d’ouvrir le feu sur les cinq véhicules – où se trouvaient les otages et les terroristes – tandis qu’ils essayaient, plus tard ce deuxième jour, de se précipiter de la base de vie vers la zone de production. Le discours du gouvernement algérien sur le nombre élevé de morts fut que sa politique était de tuer tous les terroristes et de ne pas négocier avec eux, quel que soit le risque pour les otages. Plus vraisemblablement, le DRS, qui avait pris le commandement du siège, voulait que les preuves de son implication soient détruites. Cela signifiait qu’il fallait tuer les 32 terroristes. Si certains otages étaient tués pendant ce processus, on pourrait dire que c’était conforme à la politique du gouvernement. Malheureusement pour le DRS, trois des terroristes tombèrent dans les mains de l’armée, à laquelle ils expliquèrent le rôle qu’avait joué le général Hassan dans leur armement. Dans la 3e partie, on expliquera pourquoi l’Occident dissimula les preuves de l’implication du DRS.
Karima Lazali, Le Trauma colonial. Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale en Algérie, La Découverte, coll. Sciences humaines, septembre 2018.
Septembre 2018… C’est la date de publication de cet essai. De plus, l’auteur de ces lignes l’avait reçu avant, sous forme d’épreuves – durant l’été 2018, donc. Et voilà, ce n’est qu’aujourd’hui, en ce tout début de l’an 2020, que je me décide à en rendre compte. J’avais pourtant vraiment apprécié ce texte à la première lecture. Alors quoi ? Il est vrai que je fais partie d’une génération qui n’a pas été directement concernée par la guerre d’Algérie – guerre qui n’en était pas une, en France, jusqu’au 18 octobre 1999, lorsque fut promulguée la loi, votée quelques mois auparavant par l’Assemblée nationale, qui marqua sa reconnaissance officielle ; d’ailleurs cette loi s’adressait surtout aux anciens combattants, qu’elle « reconnaissait » comme tels et auxquels elle ouvrait donc des droits liés à cette condition. Je n’ai pas eu connaissance d’un quelconque « grand débat » ouvert à ce propos[1] – même si le sujet ressort de temps à autre dans les médias, par exemple lorsqu’un historien tombe sur un carton d’archives du fonds de la préfecture d’Alger – de l’époque de la dite « bataille d’Alger » : « Un rapide sondage me tire tout de suite, raconte-t-il[2], de la sorte de torpeur qui m’avait gagnée après des journées de consultation bien peu fructueuses. Ce que j’ai entre les mains, je le réalise tout de suite, est une archive rare et précieuse. Car, fait exceptionnel, l’appareil d’État colonial lui-même y documente indirectement mais avec précision et sur une grande échelle l’intensité et l’ampleur de la terreur qu’il a organisée. » Le carton contient en effet des centaines de fiches correspondant à des signalements de « disparitions » de « Français Musulmans », comme on désignait alors les colonisés des « départements français d’Algérie ». On ne saura probablement jamais pourquoi ces documents ont échappé à la destruction systématique des archives de leurs crimes par les paras du général Massu. Quoi qu’il en soit, cette découverte miraculeuse a abouti à la création du site 1000autres.org[3], lequel s’est mis au service des recherches sur ce que sont devenus ces « disparus[4] ».
Mais je n’ai pas répondu à ma question : pourquoi n’avoir pas parlé plus tôt de ce livre que je tiens pour excellent ? Je pense qu’il y a deux réponses – l’une plutôt, disons, « personnelle », et l’autre qui relève plus de la politique, via la mémoire collective (ou plutôt son absence). La première vient d’une amie à laquelle j’avais demandé son avis sur ce livre et qui m’avait répondu qu’elle le trouvait difficile à lire – elle se demandait même « à qui » il était destiné, estimant, si j’ai bien compris, que son abord un peu ardu en disqualifiait le contenu. Cette amie connaît bien mieux que moi l’Algérie, dont ses parents sont originaires : ce qui avait fourni un alibi commode à ma paresse naturelle… L’autre raison est plus « sérieuse » et concerne probablement beaucoup plus de monde. Elle tient en fait à cela même qu’analyse le livre : les blancs de la mémoire et de la parole qu’a engendrés, chez les colonisateurs et chez les colonisés, le « trauma colonial ». Karima Lazali utilise très souvent ce terme de « blanc », afin de nommer ce qui fut effacé, pire, rendu indicible par la terreur coloniale. Je n’en ai pas été victime, bien heureusement pour moi mais, comme on sait, les exactions du colonialisme n’ont pas touché que les colonisés, car elles ont fait et font encore retour, par effet boomerang, chez les colonisateurs[5]… et chez leurs « descendants » (au sens large). De ce point de vue, je pourrais dire que j’ai tendance, à l’instar de nombre de mes contemporains, à éviter ce sujet – et, retour à mon premier motif de procrastination, à le « laisser », voire à le « déléguer » aux « premi·ère·s concerné·e·s », c’est-à-dire aux descendant·e·s des colonisé·e·s : « En France, écrit Karima Lazali dans son introduction, il semblerait que le traitement de cette “affaire” [elle parle de l’héritage de la colonialité] repose sur le fantasme que l’histoire de la colonisation serait le seul apanage des historiens et des ex-“indigènes”[6]. » Où l’on voit une fois de plus que le « personnel » (en l’occurrence, la « première raison » de mon silence à propos de ce livre) est aussi politique. Mea culpa, donc.
Un événement heureux est cependant venu me sortir de ma torpeur : le hirak, ce « mouvement » de protestation qui s’est déclenché en Algérie le 22 février dernier à l’occasion de l’annonce, trois jours auparavant, de la candidature à sa réélection du Président Bouteflika[7]. Les Algériens, dépassant la peur de la répression féroce qui s’était régulièrement abattue sur les précédentes manifestations d’opposition, se sont mis à « vendredire », c’est-à-dire à descendre en masse dans les rues à travers tout le pays chaque vendredi. Le 3 janvier, ils ont « vendredisé » une quarante-sixième fois[8] – et il semble qu’ils et elles (plusieurs témoignages rapportent la présence importante des femmes dans les manifestations) étaient toujours aussi nombreuses et déterminées. Non content·e·s d’être là chaque vendredi, les étudiant·e·s manifestent aussi chaque mardi : ils « mardisent ». Ces innovations lexicales sont plus importantes qu’il n’y paraît au premier abord, particulièrement dans le contexte algérien. En plus de la question de la langue, le hirak a remis au premier plan la question de la mémoire, celle de la guerre d’indépendance, mais aussi et surtout celle des civils écartés du pouvoir par les militaires. Autant de thèmes abordés par Karima Lazali dans son livre – sans parler, bien sûr, du plus prégnant : celui des silences et des blancs, qu’ils soient « français » ou « algériens ». Précisément, il fallait bien que je sorte du mien !
Deux autres événements encore m’ont poussé à reprendre la lecture du Trauma colonial. Tout d’abord la vision du film Terminal Sud, de Rabah Ameur-Zaïmeche, récemment projeté par chez nous. Il décrit, en gros, les années de la guerre civile en Algérie, même si le flou y est volontairement maintenu sur la datation et les lieux des événements[9]. Ce film m’a fortement impressionné car il m’a fait ressentir physiquement ce que décrit Karima Lazali : le traumatisme engendré par des massacres réunissant bourreaux et victimes dans le même anonymat morbide – « Qui tue qui ? » était la question que tout le monde se posait durant les années 1990 en Algérie, tant les militaires avaient repris à leur compte les méthodes de leurs prédécesseurs français : enlèvements, disparitions, tortures, tous procédés recommandés par la « DGR[10] » et auxquels répondaient les atrocités commises par les dits « islamistes ».
Second événement : l’empêchement, en novembre dernier, de la projection du film Résistantes de Fatima Sissani par une coalition de circonstance de membres du Rassemblement national, de pieds-noirs et d’anciens harkis à Sainte-Livrade-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne. Le film est un montage d’entretiens avec des femmes algériennes qui ont combattu aux côtés des partisans de l’indépendance pendant la guerre d’Algérie. « Évidemment, cette horde d’ignares n’a même pas vu le film, a déclaré Fatima Sissani. Car alors ils auraient découvert qu’à aucun moment les harkis ne sont mentionnés et qu’il ne s’agit pas d’une apologie du FLN. » C’est moi qui souligne : bien sûr qu’il ne s’agissait pas du contenu précis du film. Mais quelle meilleure illustration que celle-ci pourrait-on trouver des séquelles du trauma colonial ? « Nous souhaitions donner la parole à des femmes engagées d’hier à aujourd’hui. Mais il semble malheureusement que l’Histoire soit encore trop douloureuse pour pouvoir engager un dialogue serein. », ont indiqué les organisateurs de la rencontre au cours de laquelle devait avoir lieu la projection. Effectivement, là est bien le problème. Je ne doute pas une seule seconde que des militants du Rassemblement national aient œuvré à répandre des rumeurs sur le film dans le but d’attiser l’amertume et le ressentiment des pieds-noirs et des harkis contre leurs (anciens) ennemis. Mais cette amertume, ce ressentiment existent, sans quoi les néofascistes auraient été bien en peine de mobiliser des troupes grâce à leur seule force de persuasion. L’amertume, le ressentiment existent, qu’on le veuille ou non[11], et ils persistent, entre autres, parce que la parole n’est toujours pas libérée, parce nulle part (ni en Algérie ni en France) on ne voit ni n’entend de tentative d’éclaircissement, et encore moins de dialogue contradictoire entre les anciennes parties prenantes au conflit. C’est pourquoi, me semble-t-il, il est urgent de lire et d’entendre les voix qui tentent de « démêler ces cheveux » qui cachent une guerre de bientôt deux siècles[12], pour paraphraser le sous-titre de Résistantes : Tes cheveux démêlés cachent une guerre de sept ans.
Karima Lazali est psychologue clinicienne et psychanalyste[13]. « L’idée d’écrire cet ouvrage, dit-elle au début de son introduction, est née de la comparaison entre mes expériences de psychanalyste à Alger et à Paris. Les outils usuels de cet exercice de libération subjective permettant au sujet de découvrir ses propres aliénations ne suffisaient pas à provoquer chez mes patients algériens une séparation des diverses injonctions de l’intime, du social et du politique. » À Paris aussi les patients de Karima Lazali souffrent des séquelles (peut-être faudrait-il dire plus que des séquelles) de ce qu’elle nomme « la colonialité » et qui désigne la longue période (cent trente-deux ans) de la colonisation française de l’Algérie. S’interdisant, en raison du secret professionnel, de citer directement ses patients, elle s’est tournée, afin d’illustrer et d’étayer les leçons qu’elle a tirées de son expérience clinique, vers des travaux d’historiens, des essais d’acteurs engagés tel Frantz Fanon et aussi vers les œuvres d’écrivains algériens de langue française parmi lesquels on citera Kateb Yacine, Mohammed Dib, Nabile Farès, Mouloud Mammeri…
Il est bien difficile de résumer pareil ouvrage. J’essaierai simplement d’en indiquer quelques axes qui forment, me semble-t-il, l’armature de son raisonnement.
Effraction coloniale
Tout commence par « l’effraction coloniale » (titre du chapitre 2) : on ne mesure pas assez ce qu’a représenté la conquête française de l’Algérie. Selon les historiens, c’est environ un tiers de la population qui a disparu suite aux massacres de masse et aux épidémies et famines qui s’en sont suivies. Soit environ un million de morts, dont huit cent cinquante mille « directement » assassinés par l’armée française. Voilà qui est vite dit. J’ai déjà recommandé naguère[14] la lecture du « livre essentiel », selon les termes de Karima Lazali, de François Maspero : L’Honneur de Saint-Arnaud, qui raconte l’histoire de l’un de ces officiers français qui pratiquèrent les « enfumades » – assassinant par asphyxie des centaines de personnes : hommes, femmes, enfants et vieillards, dans les grottes où elles s’étaient réfugiées – et je ne peux que me répéter : lisez, ce livre ou bien d’autres, mais lisez, car ces mots : « un million de morts », « un tiers de la population », sont bien faibles pour dire ce qui devrait être dit[15]… Et même si cela était dit, tout ne le serait pas encore. Ainsi, non contents de massacrer les populations rencontrées sur leur chemin, les colonisateurs ont-ils prétendu qu’elles n’existaient tout simplement pas. Comme ailleurs, aux États-Unis en particulier, mais aussi, entre autres, en Afrique du Sud puis en Palestine, on a raconté qu’il s’agissait de « terres vierges », sans habitants – ou alors en quantité négligeable et qui de toute façon ne travaillaient pas les terres et donc les occupaient en toute illégitimité.
« Une des spécificités de la conquête française de l’Algérie a été d’affirmer, contre l’évidence, que ce territoire était sans histoire ni culture, sorte de terre vierge à conquérir, écrit Karima Lazali. Ce qui a entraîné un phénomène particulier : l’impression – au sens premier de l’imprimerie de l’encre sur le papier – dans l’esprit des individus concernés, colons et “indigènes”, d’un blanc historique. L’héritage et la transmission de langues, de mythes, de poésies et de traditions se retrouvaient en déshérence. La désignation des autochtones par le terme d’“indigènes” témoigne de cet imaginaire d’un peuple dépourvu d’histoire, mythe fondateur de la colonialité. […] Ce travail d’effacement des langues et de l’histoire est un trait spécifique de la colonialité française en Algérie. Imposés au début du xxe siècle, les protectorats au Maroc en Tunisie n’ont pas fait l’objet par la France de la même entreprise d’éradication du passé “indigène”. »
Donc : primo, on vous tue ; deuxio, on ne vous a pas tué tant que ça puisqu’aussi bien vous n’existiez pas ; et tertio, au cas où vous auriez existé un petit peu quand même, on vous en ôte jusqu’au souvenir en vous confisquant votre nom. Oui, cela aussi : en mars 1882 est promulguée une loi sur l’état-civil, en même temps qu’est mis en place le « code de l’indigénat ». « L’administration coloniale décide alors de changer le système traditionnel de nomination tribale de chaque individu, jugé trop complexe pour bien identifier les individus. Ce système procédait par un enchaînement de noms, et un renvoi : nom du père, du grand-père, du lieu-dit, etc. Il s’agissait d’un nom qui faisait localité, au sens fort, liant par le père les générations à la terre et à l’histoire. Dans ce système ancestral, le nom du père (lui-même nom de son père, et du père de celui-ci, etc.) et la terre étaient des propriétés collectives, qui rendaient difficile une lisibilité par l’administration coloniale. L’autochtone s’y reconnaissait, alors que le colon s’y perdait. D’où la volonté d’imposer un système de nomination français, avec réduction au prénom et à un nom attribué par l’administration. Lequel était parfois référé au nom de la filiation, mais aussi souvent complètement décroché de toute trace historique et généalogique. » On voit bien le double intérêt de cette opération pour les colons : d’abord, s’y retrouver, savoir qui est qui selon une vision administrative de la « population », mais aussi, en brisant les liens entre le nom et la terre… s’approprier cette dernière, justement : « […] pour l’administration coloniale, cette loi répondait également à l’objectif d’identifier les biens, en particulier les terres de la propriété collective en usage dans le système traditionnel : l’individualisation par des noms fictifs facilitait les transactions immobilières et les expropriations de terres, engagées dès le début de la colonisation. »
Selon Freud, rappelle Karima Lazali, « le nom d’un homme est une partie constitutive capitale de sa personne, peut-être un morceau de son âme ». C’est pourquoi, poursuit-elle, « la destruction du nom est bien le meurtre de la matière du symbolique par la loi coloniale. Ainsi, les individus ont été massivement renommés, ou plutôt, a-nommés [je souligne], par l’administration hors référence à leur généalogie, au risque que dans une même famille, les descendants aient des patronymes différents, faisant des uns et des autres des étrangers à leur naissance et donc de potentiels sujets à l’inceste par la voie du mariage. Cette destruction des généalogies par des attributions de noms, hors histoire et ascendance, s’est parfois effectuée en donnant aux personnes d’un même village des noms commençant par une lettre de l’alphabet identique, afin de les contrôler de manière individuelle et d’éliminer définitivement le collectif tribal : les noms d’un premier village commençaient tous par la lettre A, ceux du suivant par la lettre B., etc. jusqu’au dernier village. […]
Il a suffi de treize années pour instituer cet état-civil. On imagine l’effroi et la sidération que cela a engendré quand on sait qu’en Algérie, les filiations étaient établies depuis des milliers d’années. Cette destruction est grave en ce qu’elle brise le lien à l’histoire et à la généalogie, faisant voler en éclat ce qui fait tenir la loi symbolique en organisant l’interdit de l’inceste par la reconnaissance des liens de ses membres. Le nom donné par l’administration coloniale devenait le marqueur de la destruction du vivant et du mort (l’ancêtre). Il était interdit, sous peine de sanctions graves, de ne pas utiliser ce nouveau nom donné qui correspondait à une bascule d’une position de sujet vers celle d’un objet à identifier, répertorier, traquer… »
Cet effacement, au sens propre (enfin, plutôt sale, immonde même) du terme, cette disparition organisée des ancêtres que l’armée avait déjà tués physiquement durant la conquête, comment imaginer que cela reste sans conséquences sur leurs descendants ?
La guerre des frères
La plus terrible de ces conséquences fut sans conteste la perte de la diversité – plus précisément peut-être, la perte de l’estime de la diversité que représentaient les peuples algériens d’avant la colonisation et, corollaire funeste, la méfiance de l’Autre, de tout Autre. La colonialité était devenue une sorte de bloc binaire colons/colonisés cimenté, voire bétonné par la haine de l’Autre. Le problème des Algériens était qu’ils n’avaient plus de terres (de lieux), d’ancêtres ni de traditions sur lesquelles s’appuyer afin de trouver la force de résister. C’est pourquoi ils eurent recours à l’arabe[16] et à la religion musulmane afin de retrouver « une communauté d’appartenance qui réinscrive de la dignité ». Ce qui était une manière de poursuivre, en quelque sorte, la dynamique coloniale en inventant de toutes pièces un « État-nation » qui n’avait jamais existé avant la conquête française. Et comme souvent dans ce type de structure, ce fut la logique de guerre qui l’emporta : les militaires s’emparèrent du pouvoir qu’ils n’ont plus lâché jusqu’aujourd’hui. Il commencèrent par marginaliser Messali Hadj, leader historique du nationalisme algérien, puis ils assassinèrent Ramdane Abane, dirigeant du FLN qui avait le tort de prôner la prééminence des civils sur les militaires dans l’organisation de la résistance, ce qui avait d’ailleurs été approuvé par le congrès du FLN dit de la « Soummam » en 1956. Il n’est pas indifférent de voir les « vendredistes » du 27 décembre rendre « un vibrant hommage », selon le journal El Watan, à Ramdane Abane[17].
Lorsque la jeunesse se révolta en 1988 (soit une génération qui n’avait pas connu l’intouchable « guerre d’indépendance »), les généraux survivants des luttes fratricides n’hésitèrent pas à leur tirer dessus. Ils surent aussi tirer parti de la résistible montée en puissance des islamistes en « organisant » une nouvelle décennie de terreur, ponctuée d’exactions et de massacres et dont on ne saura probablement jamais qui y a tué qui[18].
Et cette réitération du pire n’a pas oublié non plus les changements de noms : « En Algérie, dit-elle, beaucoup de noms patronymiques ont été a nouveau modifiés suite à des “erreurs” de transcription au moment du passage au passeport biométrique en 2009. L’aspect fictif des patronymes algériens s’est pleinement révélé à cette occsion du passage d’une langue (français) à l’autre (arabe), réitérant l’opération coloniale de destruction des patronymes. Les noms hérités durant la colonisation – afin de s’assurer une maîtise de la population et des terres – devenaient quasi méconnaissables lors de leur retranscription en arabe. Car l’état-civil algérien a continué à se référer aux codes de retranscription imposés par l’administration coloniale, c’est-à-dire à ce qui avait fait du lieu de la filiation un non-lieu. […]
L’impossible transcription des noms dans l’Algérie indépendante est […] une conséquence du procédé colonial, car le patronyme est porteur d’un héritage impossible. Désormais, le nom disloque au lieu de rassembler, de reconnaître et d’identifier. La mutilation des patronymes dans l’Algérie indépendante est une mémoire en acte de la destruction des noms sous la colonisation, témoignant d’une réitération de l’histoire. […] Cette mutilation des noms indique clairement la poursuite dans l’entre-soi de l’œuvre coloniale. »
Sur cette question essentielle du traitement colonial des noms, Karima Lazali cite Jean Amrouche : « Il faut comprendre, écrit-il, que la première condition nécessaire pour exister est d’avoir un nom qui vous soit propre, qui ne soit pas dérobé, usurpé ou imposé. Que de temps à autre des individus, cas exceptionnels et aberrants, déraciné du passé de leur race, parviennent à s’enraciner dans le corps d’une nation d’adoption, c’est parfaitement concevable. Comme il est concevable que des émigrés oublient leur pays d’origine que généralement ils ont fui pour de bonnes raisons. Mais assimiler sur place tout un peuple suppose la destruction progressive de ce qui le constitue comme peuple, c’est-à-dire proprement un génocide[19]. »
Karima Lazali conclut son livre, dont je n’ai donné ici qu’un aperçu – je devrais, en particulier, insister sur le fait qu’elle cite longuement de nombreux·ses auteur·e·s, algérien·ne·s surtout –, avec Frantz Fanon. Celui-ci avait eu l’intuition que l ‘indépendance ne signifierait pas forcément l’émancipation, mais pourrait s’accompagner d’un nouvel asservissement. « Effacement de la mémoire, disparition des corps, dessaisissement de l’être, tels sont les signifiants du véritable “pacte colonial” qui vise à maintenir les sujets fascinés et “envoûtés” (Fanon) dans une dimension anté-politique. » S’appuyant toujours sur Fanon, Karima Lazali poursuit un peu plus loin « […] il apparaît que la part colonisée du sujet est à la recherche de son désenvoûtement. […] Ici [Fanon] avance deux pistes : d’une part, le colonialisme est occupation des espaces, dont celui du “mental” ; d’autre part, ladite décolonisation ne peut avoir lieu sans une libération du sujet par lui-même, ce qui implique un collectif autorisant et accueillant. Il s’agit donc de permettre et de construire des mises en scène qui impliquent de la catharsis. » Lazali se réfère à l’action théâtrale de Kateb Yacine et d’Abdelkader Alloula (ce dernier fut assassiné durant la guerre intérieure). Mais on peut aussi se demander si ce « collectif autorisant et accueillant » ne pourrait pas aussi être celui des « vendredistes » et des « mardistes[20] » dont l’un des slogans est tout simplement « Istiqlal ! Istiqlal ! » (« Indépendance ! »), puis « Les généraux à la poubelle, l’Algérie aura son indépendance[21] » – c’est en tout cas le vœu que je forme en cette nouvelle année.
[1] Sauf à considérer celui qu’ouvrit l’adoption, par l’Assemblée nationale en février 2005, d’une loi « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » qui disait, entre autres, à son article 4 : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » (C’est moi qui souligne.) Ce texte suscita une levée de boucliers, si bien que cet article 4 fut modifié – la deuxième phrase citée ci-dessus fut enlevée. L’Appel des Indigènes de la République fut lancé à ce moment-là, contre une certaine ambiance « néocoloniale » qui se répandait alors dans la sphère politico-médiatique. On se souviendra aussi des émeutes qui eurent lieu dans les banlieues à la fin de la même année.
[3]http://1000autres.org/sample-page : « La disparition de Maurice Audin est signalée à la préfecture par Josette Audin le 27 juin [1957], puis à nouveau par Louis Audin, son père, fin juillet. Quelques semaines plus tard, une “affaire Audin” éclate en métropole, qui permet à l’opinion de connaître, au-delà de ce sort tragique, le phénomène des “disparitions” et son mécanisme, dont le jeune universitaire membre du Parti communiste algérien est aujourd’hui encore le symbole unique. Maurice Audin ne fut qu’un parmi beaucoup d’autres. Mais, dans leur immense majorité, les proches d’Algériens victimes comme lui des parachutistes ne furent pas seulement confrontés à une police et à une justice qui fonctionnaient alors comme des auxiliaires zélés de la répression militaire. Socialement et politiquement déjà “invisibles” du fait de la situation coloniale, suspectés de terrorisme, ils ne disposèrent pas de relais dans une opinion française métropolitaine fort peu soucieuse de leur sort. Pour eux, les parachutistes ont, en somme et jusqu’à aujourd’hui, parfaitement réussi leur disparition. » L’État français (par la voix du président de la République) a reconnu en 2018 sa responsabilité dans la disparition et la mort sous la torture de Maurice Audin, qui était devenu un symbole parce qu’il était blanc (on disait alors : « européen ») et communiste, et surtout grâce aux efforts de quelques intellectuels courageux, particulièrement Pierre Vidal-Naquet qui publia en 1958 L’Affaire Audin (éditions de Minuit, rééd. 1989).
[4] Au passage, je ne peux pas manquer de relever que « disparus » et « disparitions » nous font immanquablement penser aux dictatures militaires du cône sud de l’Amérique latine – Argentine, Chili… Et il n’est pas anodin de relever que les bourreaux des patriotes algériens accomplirent par la suite de fructueuses carrières dans la formation des tortionnaires de ces pays-là. Cette histoire est racontée par Marie-Monique Robin dans Escadrons de la mort, l’école française (éd. La Découverte/Poche, 2008).
[5] Ce que montrait très bien l’excellent livre de Jérémie Piolat, Portrait du colonialiste (La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2011).
[6] Sauf quand « le politique » s’en mêle : « […] en France, l’éventualité du trauma colonial se renverse parfois en capitalisation pour le politique : les “bénéfices de la colonisation” pour les sujets ex-“indigènes”. » (Introduction, p. 13.)
[7] Plus précisément : « Le 9 février 2019, la confirmation de la candidature de M. Bouteflika, grabataire, à un cinquième mandat présidentiel provoquait une onde de colère et d’indignation. Alors qu’articles, montages photographiques et textes rageurs foisonnaient sur les réseaux sociaux, c’est à Kherrata, le 16 février 2019, que ce qui allait devenir le Hirak a démarré. Dans cette petite ville de l’Est algérien, théâtre des massacres du 8 mai 1945 commis par l’armée française et ses supplétifs européens contre la population musulmane, des jeunes sont sortis dans la rue pour protester contre la réélection annoncée du président. Le 19, son portrait géant accroché à la façade de la mairie – conformément au culte de la personnalité imposé à la population – était arraché et déchiqueté par la foule. Trois jours plus tard, le vendredi 22, après qu’un appel anonyme à manifester eut circulé sur les réseaux sociaux, débutait dans tout le pays, jusqu’aux villages les plus reculés, un mouvement qui déboucha à la fois sur la démission de M. Bouteflika et sur l’annulation du scrutin prévu le 18 avril. » Arezki Metref, « Hirak, le réveil du volcan algérien », Le Monde diplomatique, décembre 2019. La publication de cet article, qui est une sorte de « récapitulatif » très instructif sur le hirak, a valu à ce numéro d’être interdit en Algérie. On peut le lire en ligne sur le site du journal.
[8] D’ailleurs, je note que je ne suis pas le seul à me taire beaucoup sur l’Algérie : en effet, si je ne me trompe pas, mon hebdo en ligne préféré, lundi matin, a parlé du hirak… une seule fois ! (le 22 mars dernier)
[9] On peut lire : 2018, sur certaines pierres tombales lors d’un enterrement, comme l’on reconnaît sans doute possible la Camargue et la région du delta du Rhône vers la fin du film, au point qu’un critique a pu parler de « Françalgérie », un peu comme on dit « Françafrique ».
[10] Sur la DGR, ou doctrine de la guerre révolutionnaire, voir Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort…, op. cit. ; également, sur le site de Lundi matin, les articles de Jérémy Rubinstein : « Les dérives d’une absence (d’analyse) », 4 février 2019 et « La doctrine de guerre révolutionnaire popularisée. L’influence des romans de Jean Lartéguy en Argentine », 27 novembre 2017.
[11] Dire cela n’est en aucune façon les approuver ni les justifier. Ne faisons pas du Valls « à l’envers », qui disait qu’« expliquer [le contexte, les motivations des attentats du 13 novembre 2015], c’est déjà vouloir un peu excuser »…
[12] On se souvient que la conquête française de l’Algérie a débuté en 1830.
[13] Elle exerce à Paris et à Alger, respectivement depuis 2002 et 2006.
[15] Il faut ajouter à ce sinistre bilan les crimes commis ensuite par ces même sabreurs contre le peuple français en juin 1848, en décembre 1851 (coup d’État de Napoléon dit « le petit »), durant l’écrasement de la Commune par les Versaillais et encore en Algérie en 1871, durant la terrible répression du soulèvement des « indigènes » dirigé par El Mokrani. Avant d’exporter, au xxe siècle, leur savoir-faire en Amérique latine, les militaires français l’avaient aussi exercé, un siècle auparavant, contre leur propre peuple. Notons au passage que les premières générations de ces militaires auront servi sans états d’âme successivement une monarchie (Louis XVIII puis Charles X en 1830, Louis-Philippe jusqu’en février 1848, l’éphémère Deuxième République jusqu’en décembre 1851, l’Empire jusqu’en 1870 et enfin la Troisième République). Qu’importe le régime, pourvu qu’il y ait du civil désarmé à massacrer (pardon, à « comprimer », comme disait des musulmans, en tordant un peu la bouche, ce cher hérault de la démocratie : Tocqueville !)
[18] Ce sujet mériterait évidemment un plus long développement – c’est le cas dans Le Trauma colonial où il fait l’objet d’un chapitre entier et revient à différentes reprises dans les autres. Je me borne à reprendre ici les chiffres que donne le livre : 200 000 morts et de 15 000 à 20 000 disparus – ces derniers relevant essentiellement des services de sécurité de l’État. La question a été officiellement « réglée » en 2005 par une loi dite « de réconciliation nationale » qui « blanchit » les bourreaux des différents camps (il semble qu’il y ait eu, comme durant la guerre d’indépendance entre les patriotes, de sérieux accrochages entre différentes factions islamistes) sans se préoccuper plus de faire la lumière sur les victimes, ce qui condamne leurs proches à un « deuil impossible ». Ici encore, il faut souligner que le hirak est animé avant tout par des jeunes nés après la « décennie noire ».
[19] Jean El Mouhoub Amrouche, Un Algérien s’adresse aux Français. Ou l’histoire de l’Algérie par les textes, 1943-1960, L’Harmattan, 1994.
[20] Entre autres choses à relever sur le hirak, il y a le rôle des supporters de foot, à propos desquels j’ai pu lire ici ou là qu’ils auraient été à l’origine des manifestations, dont ils assurent dans une certaine mesure le service d’ordre, et dont ils avaient inventé les chants et les slogans avant, au cours des matchs de foot… (Voir à ce sujet Mickaël Correia, « En Algérie, les stades contre le pouvoir », Le Monde diplomatique, mai 2019, lisible en ligne.) Pour reprendre les termes de James C. Scott dans La Domination et les arts de la résistance, ce sont eux, les supporters, qui pouvaient laisser affleurer en public le « texte caché » des dominés, depuis leurs « sites cachés » que sont les tribunes des stades… (https://antiopees.noblogs.org/post/2019/12/16/la-domination-et-les-arts-de-la-resistance/ Il semble aussi que la victoire de l’Algérie à la Coupe d’Afrique des nations soit venue à son tour mettre de la joie dans les manifestations, lesquelles, fait notable, n’ont cédé jusqu’ici à aucune des provocations, pourtant nombreuses, des services de sécurité qui auraient bien aimé en finir avec cette contestation par les moyens habituels : soit un massacre de plus et la terreur recommencée.
Dans cette série de 4 articles écrits pour Mondafrique par Jeremy Keenan à partir de son Rapport sur In Amenas: enquête sur l’implication et la couverture par l’Occident de crimes d’Etat algériens (2016), le professeur invité à l’école de droit de l’Université de la Reine Marie à Londres (QMUL) raconte une histoire passionnante, à l’arrière plan d’une prise d’otages et d’un siège interminable qui ont marqué l’histoire récente de l’Algérie : celle des services de renseignement algériens à l’intérieur d’un pouvoir conflictuel et de leur collaboration, souvent trouble, avec l’Occident. Socio-anthropologue, Jeremy Keenan est spécialiste du Sahara-Sahel sur lequel il travaille depuis 1964. Le Rapport sur In Amenas a été publié par l’Initiative Internationale sur les crimes d’Etat (ISCI), logée à l’école de droit de la QMUL. On peut le consulter en entier par le lien suivant : http://statecrime.org/data/2016/11/KEENAN-IN-AMENAS-REPORT-FINAL-November-2016.pdf
(Les notes renvoyant à davantage d’informations dans le rapport sont indiquées par un R suivi du n
Le mercredi 16 janvier 2013, l’énorme plateforme gazière de Tiguentourine au Sahara, gérée par la joint venture de production réunissant la compagnie nationale algérienne de pétrole, Sonatrach (51%), BP (24.5%) et Statoil (renommée Equinor) (24.5%), est attaquée par des terroristes. Tiguentourine est située à peu près à 50 km à l’ouest-sud-ouest de la ville d’In Amenas et à 78 km de la frontière libyenne. In Amenas se trouve à 1 583 km par la route d’Alger, 731 km du gisement de pétrole de Hassi Messaoud et 246 km au nord de la capitale de la wilaya (préfecture), Illizi. Au moment de l’attaque, Tiguentourine fournissait environ 12% de la totalité de la production de gaz naturel de l’Algérie.
En ce 16 janvier 2013, plus de 130 des 800 employés travaillant sur le site sont des expatriés de près de 30 nationalités différentes. Les autres sont algériens. Lorsque l’armée algérienne a repris le contrôle de l’usine, le 19 janvier, près de 80 personnes étaient mortes: 40 expatriés, 29 des 32 terroristes et 9 ou 10 Algériens, parmi lesquels au moins un garde.
En quelques secondes, deux balles s’écrasèrent sur le pare-brise. Paul Morgan fut le premier à mourir.
L’attaque a commencé à 05h47 (Central European Time), lorsqu’un bus transportant 12 expatriés, dont deux pilotes qui se rendaient à l’aéroport d’In Amenas ou en ville pour renouveler des documents administratifs, a été pris à partie. Le bus se trouvait au centre d’un convoi de 5 véhicules: 3 de la gendarmerie, transportant chacun quatre gendarmes armés, et le véhicule de sécurité liaison, avec à son bord Paul Morgan, l’un des officiers de sécurité qui quittait le complexe pour rentrer chez lui en Angleterre le jour-même, ainsi que son chauffeur. Le véhicule de Morgan était le deuxième du convoi, suivant le véhicule de tête des gendarmes et devançant le bus. Alors qu’ils approchaient du check-point, Morgan a allumé la lumière intérieure de l’habitacle, pour que les gardes en faction au check-point puissent le reconnaître. En quelques secondes, deux balles s’écrasèrent sur le pare-brise. Paul Morgan fut le premier à mourir.
Une fusillade s’ensuivit entre les assaillants armés et les gendarmes qui escortaient le bus. Elle dura environ 45 à 60 minutes. Bien que criblé de balles, le bus ne fut pas pris et aucun de ses passagers ne mourut. A un certain moment, certains des assaillants, comprenant, peut-être, que le bus était trop bien défendu, s’éloignèrent et s’introduisirent à l’intérieur de Tiguentourine, après des échanges de coups de feu avec les trop faibles forces de sécurité qui défendaient le site. Certains pénétrèrent à l’intérieur de la Base de Vie (BdV) à l’extrême sud du complexe; d’autres se dirigèrent vers la zone de production, où se trouvent l’Installation Centrale de Traitement (CPF) et la Base Industrielle d’Opérations (IBO), trois kilomètres au nord de la BdV et reliée à celle-ci par une route goudronnée.
Vers 07h00, ou juste avant, alors que les assaillants se trouvaient tous désormais à l’intérieur de la plateforme, les soldats de la base militaire d’In Amenas arrivèrent sur place et commencèrent à encercler l’usine, prenant au piège les 32 terroristes à l’intérieur de son périmètre.
Quatre jours de cauchemar pour les otages et pour ceux qui essayaient de rester cachés pendant que les terroristes les traquaient.
Le siège de quatre jours qui suivit fut un cauchemar pour les otages ainsi que pour ceux qui essayaient de rester cachés pendant que les terroristes les traquaient. Lorsque l’armée algérienne reprit le contrôle des lieux, 80 personnes étaient mortes.
L’enquête sur la mort de six citoyens britanniques et d’un résident britannique tués pendant l’attaque débuta à Londres le 15 septembre 2014, vingt mois plus tard, et s’acheva le 26 février 2015. Au fil des trente jours d’audience, presque chaque seconde terrifiante des quatre jours de siège fit l’objet d’une enquête légale attentive et minutieuse. .Les actes d’héroïsme, d’extraordinaire courage, de tragédie, de souffrance, de mort, d’évasion, de survie et même d’amour, qui firent souvent pleurer le public, furent tous bien documentés.
Toutefois, nonobstant les preuves rapportées par plus de 70 témoins, l’enquête londonienne évita scrupuleusement la question clé, échappant, selon elle, à ses attributions, portant sur le commanditaire de l’attaque et son mobile. A l’instar des media dominants, la cour fit sienne la thèse d’une attaque d’In Amenas par des membres d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), sous le commandement du célèbre terroriste algérien Mokhtar ben Mokhtar (alias Belmokhtar, MBM). La seule preuve en était la désinformation produite par les autorités algériennes, soutenant que MBM avait revendiqué sa responsabilité dans l’attentat.
Pourtant, les autorités algériennes avaient, jusqu’à l’audience de Londres, refusé toute coopération, prétextant de leur intention de mener leur propre enquête judiciaire. Cette dernière ne vit jamais le jour, sans surprise pour ceux qui connaissent l’Algérie.
Une précédente enquête judiciaire en France n’avait pas davantage bénéficié de la coopération algérienne. La Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) française n’a jamais reçu l’autorisation de pénétrer en Algérie et les demandes de coopération judiciaire sont restées sans réponse. Dans son livre In Amenas, Histoire d’un piège (2014), Murielle Ravey, qui a survécu à l’attentat, écrit que le manque de transparence entre Alger et Paris était pharamineux. (R.67-9).
Des deux associés de Sonatrach, BP n’a jamais ordonné d’enquête et a gardé le silence. A l’inverse, Statoil a mené une enquête dont le rapport a été rendu public en septembre 2013. Mais le mandat des enquêteurs évitait scrupuleusement de soulever la question du mobile de l’attentat et de son commanditaire. Le mandat, rédigé de façon à ne pas fâcher les Algériens, était ainsi libellé : « Il est important dès le début de préciser que ce sont les terroristes [désignés par Statoil comme étant AQMI et Mokhtar Belmokhtar] et personne d’autre qui portent la responsabilité de cet attentat vicieux et tragique. »
Ainsi, au moment où l’enquête de Londres s’est achevée, plus de deux ans après l’attentat, les questions de « qui » avait ordonné l’opération et « pourquoi » n’avaient toujours pas trouvé de réponse. La désinformation et le refus de coopérer de l’Algérie, approuvés par les services de renseignement américain, britannique et français, renforcèrent la version officielle de l’attentat qui en attribuait la responsabilité à MBM et AQMI.
Les premiers soupçons sur l’implication du DRS ont surgi immédiatement, tout simplement parce que la majorité des incidents terroristes depuis 2002 était le fait d’une collusion entre le DRS et les groupes armés.
Toutefois, après quatre ans d’enquête, l’auteur du Rapport sur In Amenas, page 281, éclaire d’une lumière sensiblement différente les mobiles de l’attaque. Et révèle que MBM et AQMI n’ont guère été que des pions.
Dès la nouvelle de l’attentat, des suspicions d’implication des services secrets algériens – à travers le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) – étaient apparues. En réalité, n’importe quel spécialiste de sécurité connaissant bien l’Algérie devait immédiatement soupçonner une collusion entre le DRS et les assaillants, tout simplement parce que la majorité des incidents terroristes en Algérie depuis 2002/3 (comme dans les années 90) impliquait une collusion entre le DRS et les terroristes (R.42-5).
C’était justement le problème sur lequel John Schindler – officier supérieur américain du renseignement (R.42-4) – avait essayé d’attirer l’attention des gouvernements et services de renseignement occidentaux en juillet 2012 et, de nouveau, à la veille d’In Amenas. Le 10 juillet 2012, Schindler publia un article intitulé « La laide vérité sur l’Algérie » ( The Ugly Truth about Algeria, R43), qui décrivait comment le DRS, pendant plus de deux décennies, avait créé ses propres terroristes et les avait utilisés pour conduire ses propres opérations.
Le GIA était une création du DRS; utilisant des méthodes soviétiques d’infiltration et de provocation, l’agence l’organisa pour discréditer les extrémistes. La majorité des leaders du GIA était des agents du DRS, qui ont jeté le groupe dans la fuite en avant des crimes de masse, tactique brutale qui discrédita le GIA partout en Algérie. Ses opérations majeures furent l’oeuvre du DRS, y compris la vague d’attentats commis en France en 1995. Certains des massacres de civils les plus spectaculaires furent commis par des unités militaires spéciales se faisant passer pour des moujahidine ou par des unités du GIA contrôlées par le DRS. (R.43)
Le fait que les assaillants d’In Amenas avaient pu traverser sans se faire repérer l’une des zones militaires les plus sûres d’Algérie, protégée, selon l’armée algérienne, par environ 7 000 membres des forces armées, était suspect. Tout aussi suspect était le fait que les autorités algériennes donnèrent cinq versions différentes en cinq jours du trajet emprunté par les terroristes. (R.42).
Mais la base la plus solide, à ce moment-là, du soupçon d’implication du DRS résidait dans les déclarations des autorités algériennes affirmant que l’attentat avait été organisé par MBM et conduit, sur le terrain, par Mohamed Lamine Bouchneb (alias Tahar). Les deux hommes étaient connus de l’auteur pour être des agents du DRS. MBM avait conclu dix ans plus tôt un accord avec le DRS, dont l’auteur fut le témoin, aux termes duquel il s’engageait à ne pas attaquer les compagnies étrangères de gaz ou de pétrole ni leurs installations en Algérie. Les emails de l’ancienne Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton ont confirmé par la suite que MBM avait conclu un accord encore plus récent, moins d’un an avant l’attentat, avec le DRS (voir plus bas.)
Bouchneb, qui fut tué pendant le siège, était connu de l’auteur pour avoir été le responsable des enlèvements et du trafic de drogue autour d’Illizi (Djanet), dans la région du sud-est de l’Algérie et au Fezzan libyen voisin. Il était aussi connu pour être un visiteur fréquent du camp d’entraînement d’Al Qaida à Tamouret, géré par le DRS, au sud d’In Amenas.
Toutefois, la preuve la plus flagrante de l’implication du DRS n’apparut que près de trente mois plus tard, en août 2015, six mois après la fin de l’enquête de Londres.
Lors du siège d’In Amenas, l’armée algérienne avait capturé trois terroristes. Mais on ne sut rien de leurs dépositions jusqu’en août 2015.
Lors du siège d’In Amenas, l’armée algérienne avait capturé trois terroristes. Selon certaines sources, ils auraient été pris à l’intérieur du site; selon d’autres, ils se seraient échappés mais auraient été rattrapés ultérieurement par une unité de l’armée à l’extérieur. Leurs noms, probablement faux – – Derouiche Abdelkader (alias Abou al Barra), Kerroumi Bouziane (alias. Redouane) et Laaroussi Ederbali – ont été publiés par le quotidien algérien El Watan, proche du DRS, et ainsi portés à la connaissance des autorités britanniques et américaines (R.153f.).
Mais on ne sut rien de leurs dépositions, au moins publiquement, jusqu’en août 2015. Les raisons de ce secret seront expliquées dans la IVe partie. Pour le moment, il nous suffit de dire que leurs confessions touchaient au plus profond de la structure du pouvoir algérien. Au moment d’In Amenas, le clivage politique principal à l’intérieur du régime se situait entre la Présidence de Bouteflika et l’armée, d’une part, et le DRS commandé par le puissant général « Toufik » Mediène, de l’autre. Les relations étaient glaciales entre le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, et le général Mediène.
Les trois terroristes avouèrent qu’ils avaient été armés par le général Abdelkader Aït Ouarabi (alias Hassan), commandant le célèbre Groupement d’Intervention Spécial (GIS), la force de frappe du DRS. (voir IIe partie) et le Service de coordination opérationnelle et de renseignement antiterroriste (SCORAT). Cette information fournit au général Gaïd Salah les munitions dont il avait besoin pour entreprendre le démantèlement du DRS puis la chute et l’emprisonnement du général Hassan d’abord et du général Mediène, enfin. (voir IVe partie).
La Présidence et le commandement de l’armée sachant que le DRS se trouvait derrière l’attaque d’In Amenas, il n’est pas surprenant que l’Algérie ait manifesté aussi peu de désir de coopération, aussi bien dans le cadre de l’enquête judiciaire française que britannique, sans jamais s’impliquer non plus dans sa propre enquête judiciaire de façade.
Les premiers à parler publiquement de l’implication du DRS furent deux anciens capitaines du service. Ils affirmaient que le général Mediène avait ordonné l’attentat.
Pourtant, même avant que ces aveux ne soient rendus publics, il y eu plusieurs déclarations, dans les mois qui suivirent l’attentat, qui, bien que ne rapportant pas de preuve définitive de l’implication du DRS, commencèrent à en faire germer le soupçon. Les premiers à parler, sur les réseaux sociaux, furent Haroune Hacine, un ancien capitaine du DRS, et Ahmed Chouchane, un ancien capitaine et instructeur du GIS commandé par le général Hassan (R.75). Ils affirmaient que le général Mediène avait ordonné l’attaque d’In Amenas parce qu’il était furieux de l’autorisation de survol accordée par Bouteflika à la France pour attaquer les islamistes dans le nord du Mali, dont les chefs – Abdelhamid Abou Zaïd et Iyad ag Ghali – travaillaient avec le DRS.
L’éditeur François Gèze et le journaliste Nicolas Beau, directeur de publication de Mondafrique, accordèrent quelque crédit à cette thèse. Beau cita une interview, rapportée par Gèze, dans laquelle le colonel Ali Benguedda (surnommé ‘Petit Smaïn’), assistant de feu le général Smaïn Lamari, chef de la sécurité interne du DRS et du directorat du contre-espionnage, confirmait comment le DRS entraînait et gérait les groupes islamistes et encourageait leurs actions violentes pour apparaître, aux yeux de ses soutiens occidentaux, comme un partenaire incontournable dans la lutte contre le terrorisme. C’est précisément ce qu’écrivait en 2012 l’officier américain John Schindler. Gèze et Beau évoquaient eux-aussi la colère du DRS contre l’intervention française au Mali.
Le premier anniversaire de l’attaque fit l’objet d’un torrent d’articles dans la presse algérienne dont deux au moins, par inadvertance, apportèrent de nouvelles preuves de l’implication du DRS. L’un, écrit par Salima Tlemçani, connu pour ses liens étroits avec le DRS, contredisait la plupart des informations officielles : le nombre de terroristes impliqués dans l’attaque, le nombre de terroristes capturés et le nombre de morts. A la première lecture, l’article pouvait apparaître comme une tentative délibérée de semer la confusion dans les enquêtes française et britannique. Toutefois, à la deuxième lecture, l’article apparaissait plutôt comme une tentative d’éclabousser l’armée, qui, à l’insu du public, était en possession des aveux des terroristes capturés et s’apprêtait déjà à démanteler le DRS et isoler son chef tout puissant, le général Mediène (R.70-4).
Trois jours après l’article de Tlemçani, l’agence de presse Xinhua publia un article(R.74), sourcé auprès des opérations militaires françaises dans le nord du Mali, qui nommait 10 individus basés dans le septentrion malien n’ayant pas « été directement impliqués dans l’attentat mais ayant sponsorisé l’opération à travers leur contribution stratégique et logistique. » Ce que ne savait pas Xinhua, c’est que certains d’entre eux étaient liés, d’une manière ou d’une autre, avec le DRS. Par exemple, Sultan Ould Badi était directement placé sous la protection du général Rachid (‘Attafi’) Lallali, le chef de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) du DRS.
Trois ans après l’attentat, des interceptions audio semblent démontrer que les terroristes croyaient bénéficier d’une certaine protection de l’armée algérienne.
Le pays qui perdit le plus de ressortissants dans l’attaque fut le Japon. Dix employés de la compagnie japonaise JGC Corp furent tués. Le 5 décembre 2015, près de trois ans après l’attentat, le journal japonais Nikkan-Gendai affirmait s’être procuré des interceptions audio surprises lors de l’assaut final des terroristes par l’armée algérienne à l’intérieur du site de Tiguentourine. Les interceptions, certifiées authentiques, révèlent que les terroristes croyaient bénéficier d’une certaine protection du commandement militaire algérien. L’un d’eux, Abdoul Afman, dit ces mots: « L’armée a violé son serment et nous a déçus! Ils (l’armée algérienne) ont frappé les véhicules transportant les otages et nos amis, et tout le monde est mort! » Un certain Abderrahmane crie: « Le gouvernement algérien n’a pas de parole. » (R.189).
C’est en mars 2016, plus de trois ans après In Amenas, que le dernier clou sur le cercueil de l’implication du DRS dans l’attentat fut rendu public, quand Wikileaks publia les emails privés de la Secrétaire d’Etat américaine de l’époque, Hillary Clinton (R.195). Pendant le siège, madame Clinton reçut deux emails, les 17 et 19 janvier (2013), de Sidney Blumenthal, l’ancien conseiller à la Présidence de Bill Clinton que madame Clinton continuait d’employer à titre privé en tant que Secrétaire d’Etat. Dans le premier mail, Blumenthal informait madame Clinton que le gouvernement Bouteflika était surpris et désorienté par l’attentat d’In Amenas, ayant conclu un accord secret avec MBM en avril 2012 selon lequel MBM cantonnerait ses opérations au Mali ou aux intérêts marocains dans le Sahara occidental mais seulement avec « l‘encouragement » du DRS (R.197-202). Le deuxième email confirmait que le DRS avait reçu l’ordre [de la Présidence et/ou du gouvernement) de rencontrer MBM ou ses lieutenants dans le nord de la Mauritanie pour découvrir pourquoi « MBM avait violé son engagement et lancé des attaques à l’intérieur de l’Algérie ». (R.200).
Il faut noter deux choses concernant ces emails. Tout d’abord, l’auteur pense que l’accord entre MBM et le gouvernement Bouteflika en vigueur en avril 2012 est la continuité de l’accord conclu par MBM avec le DRS dans la période 2001-2003, dont l’auteur a été le témoin. Deuxièmement, la raison pour laquelle la Présidence et le gouvernement sont surpris par la violation de cet accord par MBM est qu’ils ne savent pas que MBM, précisément, n’a pas, en réalité, violé son engagement. Au moment où Blumenthal envoie ses emails à Hillary Clinton, les 17 et 19 janvier, l’armée ne connaît pas encore le rôle qu’a joué le général Hassan dans l’armement des terroristes. Il n’est donc pas étonnant que la Présidence soit surprise d’apprendre, par ses services de renseignement – le DRS – que MBM est derrière l’attaque. En fait, la Présidence n’a alors aucun moyen de savoir que le DRS–qui était effectivement un Etat dans l’Etat – a parrainé l’attentat, du moins jusqu’à la fin de l’interrogatoire des trois terroristes capturés par l’armée, à une date ultérieure au deuxième email de Blumenthal le 19 janvier.
Même si nous avons désormais des preuves écrasantes du fait que c’est le DRS, et non MBM et AQMI, qui ordonna l’attentat d’In Amenas, il reste deux questions essentielles: Quel était le mobile du DRS pour ordonner cette attaque ? Et pourquoi l’opération fut un désastre ?
Ces deux questions trouveront leur réponse dans la IIe partie de notre série.
Comment, au travers des deux conflits mondiaux, les États-Unis, puissance mineure au début du siècle, s’affirment comme la puissance majeure du xxe siècle ?
Origines de la décolonisation
Les origines sont multiples. La guerre de 39-45 a joué un rôle d’accélérateur déterminant.
La colonisation a été brutale et a fonctionné surtout au profit des métropoles.
Les puissances coloniales sont affaiblies et déconsidérées. En 1945 les puissances coloniales sont surtout des pays vaincus qui ne semblent pas avoir les moyens de reprendre le contrôle de leurs colonies.
La charte de l’Atlantique (août 1941) a posé comme principe fondamental le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
La charte de San Francisco (juin 1945) crée l’ONU. L‘ONU devient une tribune pour les campagnes anti-coloniales. Les peuples colonisés s’y font entendre.
Les deux Grands, EU et URSS, soutiennent la décolonisation.
Dans le monde arabe, en mars 1945 se constitue une ligue arabe.
En Asie les mouvements nationalistes sont plus puissants et plus anciens. En Inde, le Parti du Congrès mené par Gandhi se prononce dès 1942 pour un départ « aussi vite que possible » des Britanniques (c’est le slogan « Quit India »).
Réactions variées des métropoles :
Face à ces évolutions, les puissances coloniales ont eu des réactions très variées :
La Grande Bretagne :
C’est la plus grande puissance coloniale et c’est elle qui accepte le plus facilement la décolonisation. Une volonté de décoloniser en douceur pour maintenir des liens avec les colonies, d’où la création du Commonwealth à travers lequel GB et anciennes colonies restent liées. Peu de guerres coloniales.
La France :
La France a plus de mal que l’Angleterre à se séparer de son empire colonial. En 1945, les Français pensent encore que la France ne pourra pas être une grande puissance sans son empire. La France a mis du temps à évoluer. Elle a connu des situations très variées : décolonisations à l’amiable ou guerres très meurtrières.
Partout où ils étaient nombreux les colons furent un frein à la décolonisation et ont bloqué toute évolution pacifique vers la décolonisation. Le meilleur exemple reste l’Algérie avec son million de pieds-noirs.
Les décolonisations négociées
En Asie Britannique
Les britanniques savent se retirer à temps pour éviter les guerres ouvertes.
En Inde, une indépendance dramatique
Une volonté d’indépendance ancienne.
Le 15 août 1947, l’Inde et le Pakistan deviennent officiellement indépendants. C’est l’aboutissement de longues et douloureuses tractations entre le colonisateur britannique et les Indiens mais plus encore entre les Indiens eux-mêmes .
Résistance non violente menée par Gandhi. Indépendance le 15 août 1947 mais partition du pays entre l’Union Indienne bouddhiste et le Pakistan musulman qui deviennent deux états rivaux.
Le 30 janvier 1948, six mois seulement après l’indépendance, le Mahatma Gandhi est assassiné par un extrémiste hindou.
La partition de l’Inde est le partage des territoires de l’ex-territoire colonial des Indes britanniques, au moment de l’indépendance, le 15/août/1947, en deux nations indépendantes, l’Inde et le Pakistan .
Partition de l’Inde (1947)
Cette séparation était une exigence de Muhammad Ali Jinnah, le leader de la Ligue musulmane qui craignait qu’une Inde unique ne devienne un état hindou. Elle est refusée cependant par Gandhi et dans un premier temps par les leaders du Parti du Congrès. Tous s’y résoudront sous la pression de Lord Mountbatten qui veut mener l’affaire le plus rapidement possible.
Le tracé définit un Pakistan formé de deux parties séparées géographiquement, le Pakistan oriental, devenu aujourd’hui le Bangladesh, et le Pakistan occidental, le Pakistan de nos jours, toutes deux à population majoritairement musulmane. L’Inde, quant à elle, est constituée des régions à majorité hindoue.
Le dispositif de la partition est fortement controversé et il est largement responsable d’une grande partie de la tension que le sous-continent indien connaît depuis sa mise en place.
La guerre d’Algérie : la plus violente des décolonisations (1954-1962)
L’Algérie est française depuis 1830. Ce sont des départements français avec 1 million d’Européens (pieds-noirs).
Revendications pacifiques anciennes mais répression de la France (ex. à Sétif le 8 mai 1945, répression sauvage de manifestations) qui refuse toute évolution.
D’où formation d’un parti indépendantiste : le FLN. A la Toussaint 1954, le FLN déclenche une série d’attentats. Mendès et Mitterand déclarent : «l’Algérie, c’est la France». Début de la guerre d’Algérie.
Envoi du contingent. Succès militaires français. Mais malaise grandissant en métropole (question de la torture, manifestation d’intellectuels contre la guerre, Français soutenant le FLN ).
Faiblesse du pouvoir politique à Paris et crise du 13 mai 1958 qui entraîne le retour de de Gaulle.
De Gaulle au début indécis (“Je vous ai compris”), puis, à partir du 16 septembre 1959, c’est le début d’un long processus vers l’indépendance. Réactions violentes en Algérie des colons et d’une partie de l’armée : putsch des généraux (1961) puis OAS.
18 mars 1962 : accords d’Evian. Indépendance de l’Algérie.
Très complet sur guerre d’Algérie http://www.memo.fr/article.asp?ID=CON_DEC_005
La Guerre d’Algérie
Les origines du conflit
L’Algérie est un département français depuis 1848
Entre-deux guerres, des mouvements nationalistes sont nés, réclamant la reconnaissance de l’identité musulmane, le droit de vote aux musulmans, ou encore une répartition des terres plus juste.
L’Algérie est fortement mise à contribution durant la seconde guerre mondiale
8 Mai 1945 :
Emeutes à Sétif en réponse à l’arrestation de Messali Hadj (leader du « parti populaire algérien »). Répression disproportionnée et meurtrière par l’armée française.
De 1950 à 1954, la société musulmane se paupérise. Il y a 8,5 millions de musulmans contre 500 000 européens, qui possèdent la terre et empêchent tous les projets de réformes d’aboutir.
L’administration locale est quasi-inefficace par manque de fonctionnaires.
1954 – 1958 : la IV° République face à la crise Algérienne
1954 :
Création du FLN (fusion de tous les groupes indépendantistes algériens), qui réclame l’indépendance et commence l’insurrection dans les Aurès. 1er attentats en novembre (la Toussaint rouge)
1957 :
Les pleins pouvoirs sont accordés au général Massu pour briser la guerre « par tous les moyens ».
C’est le début d’une torture systématique et légale. Malaise politique en France. La presse dénonce la torture et l’opinion publique se lasse de l’Algérie. Cependant, il n’y a qu’un seul parti s’opposant à la guerre : le PCF
Début 1958 : Revirement de l’opinion publique (le contingent est en Algérie depuis bientôt 2 ans). La IV° République est accusée d’être impuissante, les activistes gaullistes présentent de Gaulle comme l’ « homme de la situation ».
13 Mai 1958 : – L’armée et les colons font un putsch à Alger et proclament la création d’un « comité de salut public ».
1°Juin 1958 : De Gaulle est investi chef du gouvernement.
2 Juin 1958 : Il obtient les pleins pouvoirs pour réformer la constitution.
De Gaulle rétablit l’autorité politique et civile en Algérie. Il fait des promesses de réformes aux musulmans. Et lance une grande offensive militaire pour affaiblir le FLN.
15 Septembre 59 – Automne 60
4 Novembre 1960 : Discours de De Gaulle, la république algérienne existera un jour.
Les colons, furieux, manifestent. Contre manifestation du FLN qui tourne à l’émeute et casse le mythe selon lequel « le FLN ne représente qu’une minorité ».
Janvier 1961 : Référendum, ¾ des français sont prêts à laisser l’Algérie s’autodéterminer.
Juillet 1961 :
Création de l’OAS, qui sème le trouble (assassinat du maire d’Evian,…) Une guérilla urbaine est engagée entre OAS et FLN, en Algérie et en métropole. Mars 1962 : L’armée tire sur les colons à Alger.
18 Mars : Accords d’Evian signés, 90% des français les approuvent .
Mai : Retour des pieds noirs (« la valise ou le cercueil ») . 1° Juillet 1962 : L’Algérie est indépendante.
L’après décolonisation
En une trentaine d’années à peine (1945-1975), les empires coloniaux ont disparu. Certaines décolonisations se sont déroulées pacifiquement, comme en Afrique noire française ; d’autres ont tourné au drame, comme en Algérie où la guerre d’indépendance a duré huit ans.
La décolonisation a soulevé d’immenses espoirs : le « tiers-monde », comme l’on disait désormais, allait s’unir, peser sur les affaires du monde, s’enrichir ; encore trente ans après, la plupart de ces espoirs ont été cruellement déçus.
Devenus indépendants les nouveaux États doivent établir de nouvelles bases politiques et économiques.
L’Inde se dote rapidement d’une constitution. Nehru et le parti du Congrès dirigent la plus grande démocratie du monde. Mais le pays est marqué par de grandes inégalités sociales et une forte croissance démographique (360 millions d’habitant en 1950, 550 en 1970); il est touché à plusieurs reprises par de graves famines. Le gouvernement indien engage une réforme agraire puis la « révolution verte » qui favorisent la paysannerie aisée mais permet au pays d’atteindre l’autosuffisance alimentaire au début des années 1970.
En Algérie, le nouveau pouvoir est rapidement accaparé par le FLN. L’armée conserve un rôle majeur dans la vie politique ; elle contribue au renversement du président Ben Bella en 1965.
Boumediene qui lui succède, engage des réformes économiques en vue d’industrialiser le pays : nationalisation des entreprises, planification de l’économie. L’agriculture reste le point faible de l’économie dans un pays majoritairement rural et dont la population croît très rapidement (11 millions d’habitants en 1960, 18 en 1980).
Une nouvelle place dans le monde
En 1955, 29 pays africains et asiatiques se réunissent à Bandung (Indonésie). Ils se prononcent pour la poursuite de la décolonisation et déclarent leur indépendance à l’égard des Grands sur la scène internationale.
Le non-alignement est réaffirmé lors de la conférence de Belgrade en 1961 : les 25 participants refusent un monde partagé en deux blocs et souhaitent donner un rôle au tiers monde. Les conférences suivantes des non-alignés réunissent un nombre croissant d’États (75 en 1973 à Alger).
L’unité et le non-alignement du tiers monde ne résistent cependant pas aux recherches d’alliances et d’aide auprès des deux Grands. En 1971, l’Inde signe un traité avec l’URSS, tandis que le Pakistan est soutenu par les États-Unis.
Les pays du tiers monde partagent souvent les mêmes problèmes de développement : malnutrition, analphabétisme… Leurs dirigeants dénoncent une organisation inégale de l’économie mondiale : leurs pays sont réduits à être des pourvoyeurs de matières premières au profit des grands pays consommateurs.
Au sommet d’Alger en 1973, les non-alignés revendiquent un nouvel ordre économique international prenant en compte les intérêts des pays en développement. Peu après l’ONU rédige une «déclaration des droits et des devoirs économiques ». Mais le développement devient de plus en plus inégal ; certains pays s’enfoncent dans sous-développement tandis que d’autres connaissent une rapide croissance dans une économie mondialisée.
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