Afin de pouvoir analyser de façon rationnelle, sans subjectivisme, ni préjugés ni a-priori, les relations algéro-égyptiennes, il faut, en premier, présenter les acteurs.
Qui est Djamel Abdel Nasser ?
Il y a tellement d’articles, de publications, de livres à son sujet qu’il est superflu d’en ajouter un autre.
Toutefois, je vous donne le point de vue d’un grand journaliste, Jean Lacouture, qui a suivi les relations entre les deux pays et qui connaissait très bien Nasser.
Il écrit à son sujet : « Si on me demande de reconnaître en lui les vertus qui font un grand homme d’État, ma réponse est d’abord négative, sur le long terme et m’impose de le ranger plutôt dans une catégorie, qui est celle des héros, dans un sens positif et négatif à la fois. L’homme d’État instaure. Le héros entraîne. L’homme d’État régule. Le héros demeure dans un autre espace, celui de l’inspiration et de l’imaginaire. Ce qui fait l’extraordinaire intérêt du personnage et la carrière de Nasser, c’est que à l’inverse de précédents fameux, chez lui la démarche d’homme d’État a précédé l’élan patriotique.
Qu’en lui Cavour a précédé Garibaldi. »(1)
J’adhère entièrement à ce témoignage. Être à la fois Cavour homme d’État et Garibaldi le révolutionnaire, les deux artisans de la création de l’Italie moderne. Chapeau. Qui dit mieux !
La Révolution algérienne
Présenter la Révolution algérienne est pour moi une gageure, au-dessus de mes capacités, tellement elle est incommensurable, merveilleuse, magnifique, grandiose et je ne peux trouver les qualificatifs que cette Révolution mérite. Malheureusement, très peu d’historiens, analystes, hommes politiques s’y sont intéressés de manière rationnelle, désintéressée ou non partisane.
Que le lecteur m’excuse; il faudrait au minimum plusieurs dizaines de livres pour présenter correctement cette glorieuse Révolution.
Revenons au sujet des relations entre Nasser et la Révolution algérienne.
Pour pouvoir analyser sereinement cette relation, il est indispensable de citer certains événements antérieurs au 1er Novembre 1954.
– Création, après une réunion des 3 mouvements politiques du 15 au 22 février 1947, d’un Bureau du Maghreb arabe. Y ont participé Chadli Mekki, représentant le Parti du peuple algérien (PPA) Algérie, Habib Bourguiba, président du Néo Destour Tunisie, Allal El Fassi, président de l’Istiqlal Maroc, et ce, sous l’égide de la Ligue arabe et du légendaire Abdelkrim El-Khatabi.
– Au début 1952, Hadj Messali, de retour de La Mecque, fait une visite au Caire où il rencontre les responsables du Wafd, parti au pouvoir à cette période.
– En 1953 et 1954, Ferhat Abbas, en compagnie du professeur d’arabe au collège de Mascara Ahmed Tahar, membre de la direction de l’UDMA, est invité aux festivités du 23 juillet, marquant la prise du pouvoir en Égypte par Nasser et les Officiers libres.
Ces éclaircissements donnent une idée que le Caire était, déjà en ce temps là, une plaque tournante des mouvements de libération.
Dans le même ordre d’idées, il faut signaler certains changements radicaux en Égypte.
– Le 23 juillet 1952, un groupe d’officiers libres avec à leur tête Nasser force le roi Farouk à l’exil et désigne plus tard le général Mohamed Naguib comme chef d’État.
– Durant toute l’année 1954, Nasser est occupé par des événements internes et tout particulièrement la destitution de Naguib de son poste de président de l’État, l’abolition de la monarchie ayant été proclamée le 18 juin 1953.
– Le 26 octobre 1954, Nasser échappe à un attentat fomenté par les Frères musulmans, avec comme résultats la dissolution du parti des Frères musulmans et la condamnation et l’exécution de 6 de ses dirigeants.
Le 1er novembre 1954, Sawt El Arab, l’une des 3 stations de radio diffusion les plus importantes au monde avec la BBC (Grande-Bretagne) et la Voix de l’Amérique (États-Unis) annonce le déclenchement de la Révolution algérienne par la voix de Ahmed Saïd, un grand ami et militant de la cause algérienne.
À ce titre, toute personne sensée doit admettre que Nasser, occupé ou accablé par les problèmes qu’il vit ou qu’il subit, ne peut en aucun cas avoir la question algérienne comme priorité.
Cette question algérienne est gérée dans le cadre normal d’un pays bien administré et l’Égypte l’était en ce temps-là.
Malheureusement, toute la logique d’une analyse honnête et la rationalité ont été faussées par le livre de Fethi Dib, Gamal Abdel Nasser et la Révolution algérienne. Les objectifs sont clairs, faire de Nasser le mentor de la Révolution et par la même occasion imposer sa propre personne, comme l’un des gestionnaires et acteur principal de la Révolution algérienne.
C’est de bonne guerre, d’autant plus qu’il était réellement le vis-à-vis côté égyptien dans les relations avec les mouvements de libération de l’Afrique du Nord. Ce serait malhonnête de ne pas le lui reconnaître.
Mais le pouvoir dans l’État égyptien, à l’image de tous les États, est dans la verticalité des responsabilités.
Or, la structure du pouvoir en Égypte en ce temps-là était :
Président de la République Gamal Abdel Nasser.
Ministre de l’Intérieur Zakaria Mohieddine, l’un des Officiers libres.
Ministre à la Présidence Ali Sabri, l’un des admirateurs de la Révolution algérienne.
Directeur général des Moukhabarat colonel Salah Nasr.
Directeur de la Sécurité nationale lieutenant colonel Ezzat Suliman.
Directeur de la division du Maghreb arabe commandant Fethi Dib.
Lorsqu’on est président de la République, chef du gouvernement, président du Conseil de la Révolution (Officiers libres), on n’a pas assez de temps pour s’occuper de la gestion d’une division du Maghreb arabe.
Cet aperçu éclairera le lecteur et situera plus ou moins exactement le poids et les pouvoirs de Fethi Dib. Il était loin de la proximité de Nasser…
Lorsqu’il glorifie certains leaders et critique d’autres, c’est son appréciation personnelle et nullement celle de Nasser.
Le livre de Fethi Dib est un règlement de comptes avec ceux qui lui ont tenu tête ou ont été à l’origine de sa disgrâce. En février 1960, il est maintenu à son poste, mais les relations GPRA-Égypte passent par le général Kamel Eddine Rifaat ministre d’État à la présidence de la République. Les relations ont changé, en mieux, avec ce changement dans tous les domaines.
Si ses rapports avec Nasser sont au niveau de ce qu’il avance, pourquoi n’a-t-il pas été proposé ou imposé comme ambassadeur en Algérie après l’indépendance ?
C’est un livre qui ne peut en aucun cas être une source crédible sur les relations entre les 2 pays et qu’il faut lire avec un œil critique et responsable, mais ne pas prendre pour argent comptant toutes les inepties qu’il contient.
Maintenant que le lecteur est en possession d’informations à même de lui faciliter la tâche, j’aborde le volet des relations entre les 2 pays.
– L’information sur le déclenchement du 1er Novembre diffusée par Sawt El Arab est inestimable parce qu’elle a permis, entre autres, à tous les Algériens qui suivaient assidûment cette radio de voir leur vœu exaucé, à savoir prendre les armes pour recouvrer leur liberté et l’indépendance de leur pays. Enfin, nous avons osé…
Cette information donnée par Ahmed Saïd lui-même, le patron de Sawt el Arab, en primeur, a convaincu le pouvoir français que la décision du déclenchement, sa programmation, le contenu de l’appel du 1 Novembre, les objectifs visés, la synchronisation des attentats, le secret de leurs préparations ne pouvaient en aucun cas être l’œuvre de ces bougnoules d’Algériens. Jusqu’à ce jour, beaucoup de responsables français maintiennent cette thèse qui leur permet de minimiser leurs responsabilités, de ne pas avoir prévu ni avoir été au courant de ce déclenchement.
Il faut signaler au lecteur que l’ambassadeur de France à cette date nommait Couve de Murville qui est devenu ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre de De Gaulle.
Donc ce n’était pas un quelconque ambassadeur.
Les Égyptiens en ont profité et c’est de bonne guerre.
– Ils en ont payé le prix fort 14 jours après, soit le 14 novembre 1954, la France a annulé le départ d’une délégation financière qui devait discuter du financement du barrage d’Assouan. Cette décision a été le début de la crise entre Nasser et l’Occident en général et la France en particulier.
– Départ du Dina avec à son bord un chargement d’armes destinées à la zone 5 dirigée par Ben M’hidi, future Wilaya 5 et 5 Algériens dont Mohamed Boukharouba, futur Houari Boumediène.
– Livraison d’armes via la Libye à la Zone 1 future Wilaya 1.
– Soutien de l’Égypte à la Révolution à Bandung, sujet sur lequel je reviendrai pour plus d’éclaircissements.
– Nationalisation du canal de Suez avec une agression tripartite Israël/Grande-Bretagne/France préparée et programmée à Paris. La participation de la France est uniquement motivée par le soutien de Nasser à la Révolution algérienne.
– L’arraisonnement en zone internationale de l’Athos bateau avec un chargement d’armes à destination du FLN basé au Maroc.
– Inscription, tous les ans, de la question algérienne à l’ONU dont l’Égypte est l’un des auteurs.
– L’Égypte se démène, dans toutes conférences internationales, afin de promouvoir le FLN à défaut de le faire participer.
– Elle est le premier pays à demander, en 1956, la participation de toute la population égyptienne à verser un jour de son salaire à la Révolution algérienne. Cette initiative a permis de ramasser 170 millions de francs de l’époque intégralement versés au FLN. Nasser y participe en versant la totalité de son salaire mensuel.(2)
– Organisation du Congrès du 20 Août 1957. A mon humble avis, ce n’est pas Nasser, ni à plus forte raison Fethi Dib qui a demandé que cette réunion ait lieu au Caire. Les zizanies, les ambitions des uns et des autres, les résultats et les conséquences de cette réunion ne peuvent en aucun cas être imputables à l’Égypte ou à Nasser.
– Le choix du Caire comme siège du Gouvernement provisoire de la République algérienne est une décision souveraine du FLN. La preuve, un an plus tard, le GPRA a décidé de s’installer à Tunis sans incident grave. Une certaine tension dans les relations tout au plus.
– L’affaire du colonel Lamouri, sur laquelle je vous promets un article.
– L’affaire Allaoua Amira qui sera le sujet d’un article.
– L’Égypte a joué un grand rôle dans l’admission du GPRA dans le sommet de Belgrade en Yougoslavie, Mouvement des Non-Alignés, en septembre 1961, avec la participation du Président Benyoussef Benkhedda, une première dans les annales de la diplomatie internationale, un pays non encore indépendant membre créateur d’un tel organisme.
Benyoussef Benkhedda, désigné Président du GPRA lors du Congrès du CNRA du 9 au 27 août 1961, arrive au Caire le 28 août accompagné de Saâd Dahleb, MAE, et de M’hamed Yazid, ministre de l’Information. La délégation est reçue officiellement à l’aéroport du Caire par Zakaria Mohiedine, vice-président de la République égyptienne. Le lendemain, Nasser reçoit officiellement la délégation algérienne. Le 31 août, les deux délégations algérienne et égyptienne, se rendant au sommet de Belgrade, prennent le même avion officiel de la République égyptienne. À l’arrivée, Nasser et Benkhedda descendent ensemble de l’appareil où ils sont accueillis par le Président Tito. Ceci n’est pas une invention de l’esprit. Ceci est un fait historique, conforté par une photo d’archives ci-jointe où l’on voit bien Tito discutant avec Benkhedda en présence de Nasser au pied de l’appareil officiel égyptien.(3) Les archives existent en Égypte et en Yougoslavie et en feront foi pour ceux qui doutent de mon témoignage. En ce qui me concerne, ne vous en faites pas, j’ai de quoi me défendre.
– Une base logistique militaire avec un arsenal à Marsa Matrouh sous la responsabilité de Omar Haddad, ancien membre de l’OS, condamné à mort en 1947 par le pouvoir colonial, ayant participé à l’attaque de la poste d’Oran, connu sous le pseudonyme de Omar yeux bleus, action et pseudonymes que certains ont attribués à d’autres, réfugié au Caire depuis mai 1951.
– 1 heure d’émission en boucle par jour sur Sawt El Arab. Les Mohamed Hadj Hamou, Nafaa Rebbani, Adda Benguettat, Brahim Ghaffa, en français, et Ksouri Mohamed, Rabah Torki, Ali Meftahi et Abdelkader Benkaci, en arabe, ont été les vedettes de cette émission. Il y en a eu d’autres auparavant, mais mon témoignage ne porte que sur ce que j’ai vu ou vécu moi-même au Caire.
A l’image de tous les pays arabes, l’Égypte a aidé, dans la mesure de ses possibilités, la Révolution algérienne. Il y a eu des crises inhérentes, dues à des divergences ou des incompréhensions. Mais nier l’aide et le soutien de Nasser et de l’Égypte est immoral.
Un constat historique : lisez les livres, articles ou analyses sur Nasser dans les médias occidentaux de cette période. Aucun ne le ménage et tout particulièrement les médias français, toutes opinions politiques confondues. Une telle unanimité le présentant comme l’ennemi de la France confirme que Nasser et l’Égypte étaient bien des soutiens indéfectibles de la Révolution algérienne.
Telles sont au moins ma position, mon analyse et mon opinion et je demande au lecteur de ne pas en tenir compte mais d’avoir, en son âme et conscience, sa propre opinion. Mon rôle est de seulement témoigner.
Nasser a-t-il essayé d’interférer dans les affaires de la Révolution algérienne ? Oui
Y a-t-il réussi ? Non
Y avait-il eu des malentendus ? Oui
Y avait-il des crises ? Non
Nasser et l’Égypte ont-ils aidé la Révolution algérienne ? Oui
L’ont-ils fait de façon permanente ? Non.
Pourquoi ? La Révolution algérienne a toujours refusé de prendre position dans les conflits interarabes et ces conflits étaient monnaie courante en ce temps-là.
Un autre témoignage : la Révolution algérienne a connu plusieurs crises en son sein. Plusieurs responsables se sont retrouvés out, mais tous, sans aucune exception, n’ont jamais été matériellement abandonnés, ils continuaient à percevoir la même indemnité qu’auparavant. C’était l’un des principes de la Révolution.
J’aimerais que les lecteurs prennent conscience de la réalité des événements dans le contexte du moment pour avoir leur propre opinion et ne plus être prisonniers d’une martingale de rumeurs, de fausses informations, d’extrapolations malsaines dans le but de diviser et nuire et de ramener les faits à leur juste valeur. Dans ce contexte, l’Égypte et la Révolution algérienne avaient des intérêts mutuels à renforcer, sauvegarder et ce, pour le bénéfice des deux parties.
Soutenir le contraire est une aberration qui fait penser à l’adage : rabâcher des mensonges ne peut en aucun cas en faire des vérités.
Cet article n’est pas une opinion abstraite, ce n’est pas un débat d’idéologie ou un aperçu de l’Histoire ancienne. Il s’agit d’un témoignage à même d’éclairer le lecteur sur la marche de la Révolution algérienne.
Pour en finir, de mon point de vue personnel, le soutien du peuple égyptien à la Révolution algérienne a été total. Celui de Nasser était en fonction des aléas et des intérêts et circonstances politiques qui ont jalonné cette période. (L’inverse était vrai aussi). Il était plus que globalement positif. Je m’en expliquerai au fur et à mesure de mes contributions.
A. C. D.
Le prochain article aura pour titre et sujet : «Faysal et la Révolution algérienne».
1) Gamal Abdel Nasser par Jean Lacouture Éditions Bayard.
2) Histoire intérieure du FLN 1952-1962 Gilbert Meynier page 570 Casbah Éditions
3) Photo de l’avion présidentiel égyptien avec les trois chefs d’État.
Par Ali Chérif Deroua 22 août 2020
https://moroccomail.fr/le-role-de-legypte-et-nasser-dans-la-revolution-algerienne/
Les commentaires récents