Une Française opposée à la guerre, et un soldat, présent à la villa Susini, évoquent cette autre horreur : le viol.
Elle habite aujourd'hui la banlieue parisienne. Elle n'a pas oublié. Elle a retrouvé Malika, une Algérienne, elle aussi meurtrie dans sa chair.
" Qu'est-ce que l'on ressent après "ça" ? Un mélange de honte et de révolte, l'impression de ne plus être. Le vide. " Annick Castel-Pailler se souvient encore et toujours de cette nuit du 26 au 27 juillet 1957. Alger est en pleine bataille. Massu et ses hommes font la loi. La jeune Française de vingt-quatre ans est arrêtée, le 9 juillet, par quatre parachutistes, qui l'emmènent à Birtraria, à l'entrée d'El Biar, dans l'un des centres de torture. Pendant les dix-huit jours de détention elle ne subit pas la gégène, mais elle est meurtrie, blessée moralement, traumatisée. " C'est plus dur d'avouer d'avoir été violée que d'avoir été torturée. "
Seule face à une feuille de papier, Annick Castel-Pailler retranscrit noir sur blanc cette nuit de cauchemar. La veille, un jeune parachutiste la met en garde contre des soldats déchaînés, qui savent qu'une femme se trouve dans une cellule du centre. Le lendemain, la jeune prisonnière est réveillée en sursaut par le bruit fait par la chute du tabouret qu'elle a coincé contre le mur. Elle raconte : " Je suis couchée dans un angle de la pièce, allongée entre deux couvertures. J'entends quelqu'un qui s'approche et qui s'agenouille. C'est un para, il m'ordonne de me taire, m'assure qu'il ne me fera pas de mal. "Enlève tes couvertures et déshabille-toi", dit-il. " Annick refuse, tente d'alerter les CRS qui dorment dans ce lieu qu'ils doivent surveiller. " L'homme me plaque la tête contre le mur, met sa main sur ma bouche. Je résiste. Je crie encore. Il brandit son poing près de mon visage : " Si tu ne te tais pas, tous mes camarades vont venir après moi. " Je m'épuise. J'invoque ma faiblesse, mon peu de santé, mon mari, ma petite fille. Naïvement et vainement. Bientôt les couvertures que je serre contre moi sont arrachées. L'homme sort de la pièce et se vante de son " exploit " auprès des CRS, qui ne viennent me voir qu'après son départ. "
¶gée aujourd'hui de soixante-sept ans, Annick Castel-Pailler avait quitté sa Bretagne natale en 1953 pour se rendre en Algérie, où son mari, André Castel, est nommé instituteur. Quand la guerre éclate, un an plus tard, ce dernier, membre du PCA, prend les armes contre le colonialisme. L'épouse n'est pas communiste. Qu'importe, les hommes du lieutenant Charbonnier l'arrêtent le 9 juillet 1957, quatre jours après avoir embarqué son mari. Torturé dans le centre Birtraria, André Castel sera condamné aux travaux forcés à perpétuité. De sa cellule, Annick Castel-Pailler entend les injures, les cris, les hurlements provenant de la cave, " et les hommes torturés appelaient leur mère ".
Une semaine après son incarcération, on introduit une femme dans l'endroit où se trouve Annick. " Je vois arriver une jeune, une Algérienne, une loque humaine que l'on a remontée de la cave. Ses vêtements en désordre, soutenue par un policier, Malika - c'est son nom - s'abattit raide sur le lit de camp. Les yeux hagards, le visage décomposé, elle ne pouvait parler. Elle grelottait malgré la chaleur torride. Ses lèvres violettes étaient affreusement enflées. Ses mâchoires ne se desserraient pas. Je pus seulement lui presser deux grains de raisins entre les lèvres. " Torturée à l'électricité et à l'eau savonneuse qu'on lui a fait ingurgiter, Malika continue aujourd'hui encore à en subir les séquelles. Elle vit en Algérie. Annick a eu de ses nouvelles il y a seulement cinq ans de cela. Un jour, Elle reçoit un coup de fil chez elle, en France : " Je suis Malika, tu te souviens de moi ? " Annick ne se fait pas répéter deux fois le nom : " Je ne connaissais qu'une seule Malika. Depuis, on se téléphone régulièrement. Quand j'ai su que l'Huma voulait me rencontrer pour parler du viol, j'ai appelé Malika. Je voulais savoir si elle aussi avait été violée. Elle m'a dit que deux parachutistes avaient commis cette atrocité. Elle avait caché ça parce que, me disait-elle, "chez nous, tu sais ce que cela représente"... En fait, je me rends compte que sur les quatre femmes que j'ai vues dans ce centre, toutes ont été violées. Et Malika, à qui je pense souvent, je n'ai su que ces derniers jours qu'elle avait été torturée aussi de cette manière. Moi-même, j'ai beaucoup de mal à nommer cette chose. Je peux plus facilement l'écrire que la dire publiquement. "
Après trois semaines de détention au centre de Birtraria, Annick Castel-Pailler est transférée dans la prison de Barberousse. Là, elle fait la connaissance de prisonnières politiques à qui elle raconte son viol. On l'incite à porter plainte. " Je ne savais même pas que c'était possible. Je l'ai fait, bien évidemment. " Le parachutiste a été condamné, avec sursis, le 18 avril 1958. L'un des rares militaires à être passé au tribunal en ces temps-là. Annick Castel-Pailler écopa de trois mois de prison ferme. Trois jours après sa sortie de taule, elle est expulsée d'Algérie.
Mina Kaci
https://www.humanite.fr/node/246692
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