1D’emblée, Elaine Mokhtefi rappelle que le Parti communiste algérien (PCA) est interdit dès l’indépendance. Les communistes forment un mouvement clandestin, le PAGS. À la veille du coup d’État, en 1965, Henri Alleg accepte la fusion d’Alger républicain avec El Moudjahid et devient directeur de l’APS (Algérie Presse Service). Lors du coup d’État, Abdelhamid Benzine et d’autres communistes sont arrêtés et torturés.
2Dans les années 1960, Elaine Mokhtefi travaille dans l’équipe de rédaction de l’APS. Elle lit des informations en langue anglaise et rédige des éditoriaux chaque jour sur des sujets qu’elle choisit. Ses articles sont parfois cités par El Moudjahid ou même Le Monde. Au moment de l’indépendance, en 1962, il y avait peu de journalistes algériens (90 % d’illettrés dans la population algérienne). Par la suite, Elaine Mokhtefi travaille pour la RTA (Radio Télévision algérienne), pour la chaîne 4 en langue française, et elle réalise trois sortes d’émissions :
3- une sur la presse d’opinion (rappel des éditoriaux de journaux du monde entier, avec de nombreux articles sur la Palestine),
4- une sorte de magazine culturel, réalisé avec un copain (expositions de peinture…),
5- des interviews, dont elle conserve peu de souvenirs, même si elle en a réalisé beaucoup.
- 3 Voir l’article « Nelson Mandela avait bénéficié de “l’expérience algérienne dans la lutte anticolon (...)
6L’Algérie de cette époque reçoit de très nombreux Africains qui ne parlent qu’anglais, dont elle réalise des interviews qu’elle traduit en français. Ces personnes émanent de mouvements de libération et ont reçu des formations militaires, déjà données avant même l’indépendance. L’Algérie est aussi devenue une plateforme de médiatisation au monde entier des mouvements indépendantistes. Elaine rappelle que Nelson Mandela, une fois libéré et revenu en Algérie, a dit : « Je suis algérien. On a reçu beaucoup d’aide pour l’ANC3 ». Par ailleurs, le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) monte un bureau à New York pour influencer l’ONU, et Elaine se souvient qu’elle a aidé un jeune homme angolais, membre du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) , à se former à la représentation de son pays. Elle considère qu’à cette époque les hommes donnaient le meilleur d’eux-mêmes, avec un dévouement extraordinaire, pour le travail comme pour le militantisme. À propos du rôle de Cuba, Elaine Mokhtefi se souvient qu’en 1967, Cuba a convoqué à La Havane une réunion de l’Organisation latino-américaine de solidarité (OLAS). L’Algérie y était invitée, Josie Fanon y représentait El Moudjahid et Elaine Mokhtefi l’agence APS.
7Elle revient d’un séjour de deux semaines en Algérie après 44 ans d’absence. Invitée à faire deux conférences à l’université de Mostaganem, près d’Oran, elle a été très surprise de la qualité de l’anglais des étudiants, s’exprimant avec un parfait accent américain bien que la plupart d’entre eux n’aient jamais quitté l’Algérie. Elle avait été contactée sur Internet, il y a quelques années, par un doctorant algérien s’intéressant au mouvement des Black Panthers. Elle est restée en contact avec lui. Devenu enseignant d’université, il lui a demandé d’intervenir auprès de ses étudiantes de la section « anglais ».
8Anne Jollet lui demande si elle n’a pas eu de problèmes avec la sécurité. Elaine explique que pour la première fois de sa vie, elle était accompagnée d’une escorte de police, ce qui l’a embarrassée. Elle a eu un visa sans difficulté, mais ajoute : « J’étais interdite de séjour jusqu’à maintenant… ». Elle rappelle l’intervention de la consule algérienne à New York, une « femme admirable », dit-elle, qui lui a permis d’obtenir ses papiers.
9En 1974, Elaine Mokhtefi a été expulsée d’Algérie, en raison de son refus de travailler avec la sécurité militaire. Ainsi, de 1974 à 2018, elle n’est pas retournée en Algérie.
- 4 Monique Gadant fut enseignante à l’université d’Alger jusqu’en 1972. Elle a participé à la revue Pe (...)
- 5 Zorha Drif, Inside the Battle of Algiers : Memoir of a Woman Freedom Fighter [Zohra Drif, Andrew G. (...)
10Anne Jollet évoque alors Monique Gadant, compagne d’Abdelhamid Benzine4. Elle ne la connaissait pas, mais en revanche elle nous parle d’un livre de Zohra Drif qui a été traduit en anglais. L’auteure a fait un voyage de promotion pour le présenter aux États-Unis, à Washington, aux universités de New York et de Yale, et elle ira très bientôt en Californie. Zohra Drif vit toujours à Alger et fut l’épouse de Rabah Bitat, ancien vice-président de la République algérienne. Elaine Mokhtefi relève l’intérêt de la deuxième partie de son livre, qui rappelle la vie de cette militante armée dans la casbah5. C’était une poseuse de bombes, arrêtée en 1957, mais qui en est sortie vivante. Être accompagnée par un avocat connu, Jacques Vergès, lui a permis de ne pas disparaître, de rester visible. La violence des organisations pieds-noires et de l’armée française était inimaginable. C’est l’occasion pour Elaine Mokhtefi de regretter le défaut d’enseignement de la guerre telle qu’elle s’est déroulée. Elle a remarqué que les jeunes rencontrés au cours de son récent séjour en Algérie en savent bien moins qu’elle sur l’histoire du pays. En France, cette guerre n’était pas reconnue comme telle, étant considérée comme de simples « événements », et cette opinion était admise par de nombreux pays. Elle rappelle que la guerre dura plus de sept ans, avec d’un côté une armée très puissante, aidée par les États-Unis dans le cadre de l’OTAN, et de l’autre des maquisards algériens armés seulement de vieux fusils.
11Anne Jollet évoque la différence entre l’Algérie, qui a combattu pour obtenir l’indépendance, et le Maroc, à qui elle a été octroyée. Elaine rappelle qu’en 1960, De Gaulle a lâché des territoires colonisés africains, mais voulait conserver l’Algérie, compte tenu notamment du potentiel que ce pays représentait. De Gaulle a donné l’indépendance à contrecœur, elle lui a été arrachée. Avec des données démographiques fausses, on cherchait à minimiser la population algérienne (7 millions au lieu de 9 millions), tout en grossissant celle des pieds-noirs (900 000 au lieu de 700 000 en réalité).
12Éloïse Dreure, spécialiste de la vie politique en Algérie dans les années 1930, a réalisé un questionnaire qu’Anne Jollet soumet à Elaine Mokhtefi.
13Anne Jollet (AJ) : Comment es-tu devenue une militante ?
14Elaine Mokhtefi (EM) : Vers l’âge de 20 ans, j’ai rejoint une organisation pour la paix dans le monde. Je suivais des études au Latin American Institute de New York, je parlais donc anglais et espagnol. Un jour, quelqu’un vint parler de cette organisation et évoqua toutes les désastreuses conséquences de la guerre, le sort des camarades qui n’en reviendraient pas. Cela provoqua chez moi une grande envie de militer pour la paix et j’ai alors commencé par distribuer des tracts. En 1951, je suis partie pour la France. J’avais envie de voir l’Europe, mais surtout la France, car j’étais très impressionnée par certains écrivains et surtout les peintres français. J’ai appris à parler français, car personne ne parlait anglais autour de moi. J’ai donc appris « sur le tas », en partie grâce à ma connaissance de l’espagnol. J’ai travaillé dans une agence d’architecture franco-américaine. Puis, faute de trouver du travail, je suis devenue traductrice ou interprète en accompagnement de voyages ou lors de conférences internationales. Je suis restée à Paris presque vingt ans.
- 6 La première conférence de l’Union des peuples africains eut lieu du 5 au 13 décembre 1958 à Accra ( (...)
- 7 L’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), créée à Paris en 1955 et dissoute par l (...)
15Dans les États-Unis des années 1960, Eisenhower étant au pouvoir, il était interdit aux Américains de travailler dans les organisations internationales, dont l’ONU, sans la délivrance d’une accréditation, la security clearance, délivrée par le gouvernement américain. Mais le bureau parisien de l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale, dont le président était argentin, ne reconnaissait pas cette accréditation et m’a embauchée. J’ai aussi travaillé pour l’Organisation mondiale de la jeunesse et j’ai organisé son congrès à Accra6, où se réunissaient des jeunes de tous les pays, sauf ceux du bloc communiste. Là, j’ai rencontré deux Algériens, dont Frantz Fanon, ambassadeur itinérant du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) en Afrique, et Mohamed Sahnoun, un représentant de l’UGEMA7. C’est à partir de là que j’ai milité pour l’Algérie. À Paris, il y avait continuellement des défilés contre la guerre et tout le monde avait un point de vue sur la guerre d’Algérie, mais à Accra ces deux personnes m’ont permis de m’exprimer de manière plus forte.
16Au bureau du GPRA à New York, il y avait Abdelkader Chanderli, auparavant cadre de l’UNESCO, Raouf Boudjakdji, de Blida, Marianne Davis, une jeune Américaine et moi-même, soit quatre personnes en tout. À l’époque, la France avait 93 employés à sa mission pour l’ONU, plus l’ambassade à Washington, et ils faisaient beaucoup de propagande. On a essayé de les contrer et on était quatre… Il y avait beaucoup de solidarité, avec des bourses pour étudiants étrangers payées par divers pays et des associations estudiantines américaines qui finançaient les études. Les pays communistes étaient très généreux et accueillaient des étudiants chez eux. Quelques-uns partaient en Chine ou dans des pays musulmans comme la Syrie, l’Égypte ou l’Irak. Les militants algériens en France collectaient beaucoup d’argent pour le FLN et certains Français jouaient le rôle de « porteurs de valises ». Ainsi, un réseau international permettait la collecte de sommes importantes, mais aussi d’autres tâches primordiales, comme cacher ou transporter des militants .
17AJ : Y avait-il de la solidarité aux États-Unis ?
- 8 Le 2 juillet 1957, John F. Kennedy, sénateur démocrate, prononce un discours retentissant où il dén (...)
18EM : Il y en avait peu, car aux États-Unis on ignorait qu’il y avait une guerre en Algérie. Pour les Américains, la France était le pays de l’amour, de l’art, de la mode et des droits de l’homme : le mal n’était pas possible. Il était très difficile de leur parler de la guerre d’Algérie. En 1957, quand Kennedy fit un discours devant le Sénat américain, ce fut un choc, car il se prononçait pour l’indépendance de l’Algérie8. Ensuite, il fit bien d’autres discours, mais jamais il n’en reparla, malgré nos interventions pour qu’il le répète, car il savait que c’était négatif pour son projet présidentiel.
19AJ : Y avait-il des liens entre les militants algériens et les militants américains ?
20EM : C’était très difficile. Chanderli a été invité à faire un discours lors de rencontres de juristes de tendance procommuniste. Mais aux États-Unis, dans les années 1950, de nombreux communistes ont été pourchassés et arrêtés avec le maccarthysme.
21AJ : Y avait-il d’autres liens avec des étudiants africains ou d’Amérique latine ?
22EM : Très peu. Nos appuis à New York étaient des gens de la communauté algérienne. Il y a eu, par exemple, des boxeurs algériens qui sont venus aux États-Unis, ou une femme algérienne qui tenait un restaurant algérien à Brooklyn, ou encore un étudiant algérien de Constantine, devenu militant du bureau FLN… Bref, peu de personnes, mais très fidèles et prêtes à agir. Il y avait une grande fermeture des États-Unis à la question algérienne. Cependant, les rapports étaient bons avec le New York Times. Un journaliste de ce journal à Tunis, Tom Brady, proposait presque tous les deux jours un article à la une sur la guerre d’Algérie, mais cela n’a pas eu d’effets sur la population. Cependant, c’était pour nous un signe de notre capacité à entretenir le sujet.
23AJ : Quels ont été les liens avec les autres mouvements de libération nationale ?
- 9 Miguel Arraes, gouverneur de la province de Pernombuco au Brésil, n’obtint pas l’asile politique en (...)
24EM : À mon avis, il y eut entre 25 et 30 mouvements de libération établis à Alger après 1962, comme l’ANC, le Zimbabwe, la Zambie, le Mozambique, la Guinée-Bissau, l’Angola. Il y avait aussi les représentants de l’opposition à Franco en Espagne, des Portugais, ceux des Canadiens français pour le Québec libre, des Guatémaltèques, des gens du Honduras, des Salvadoriens, des Argentins, des Brésiliens... Il y a eu des personnalités comme Miguel Arraes, gouverneur du Nordeste du Brésil9. Autorisé à quitter le pays après son arrestation, il a passé dix à douze années à Alger la France lui ayant refusé l’asile politique. Après la fin de la dictature au Brésil, il y est retourné et a été réélu gouverneur de Pernombuco. Ainsi, l’Algérie joua un grand rôle, d’où le titre de mon livre : « Alger, capitale du tiers monde ». Deux ou trois pays jouaient un rôle similaire, ainsi que les pays communistes.
25En 1962, je vivais en Algérie et il y avait très peu d’Algériens (une cinquantaine) titulaires d’une licence. Après 132 années de colonialisme, c’est incroyable ! Alors les gens venaient de partout, de Syrie, d’Égypte, de France, de Tunisie, du Maroc, pour essayer d’aider ce pays. Il y eut de nombreuses équipes médicales venant des pays de l’Est, de la Chine, de pays du Moyen-Orient, car il n’y avait pas de médecins ni d’enseignants, pas de cadres pour faire fonctionner les services comme l’électricité, pas de plombiers. Rien ! 9 millions d’habitants sans cadres. L’Algérie a donc ouvert les portes, ils ont fait venir des gens. Les possibilités de travail étaient énormes et on pouvait pratiquement choisir son métier.
26AJ : Y avait-il du racisme ou des discriminations ?
27EM : Non. Je n’en ai pas pris conscience. Il y avait très peu de juifs, mais il y en a qui ont fait la guerre dans l’ALN avant l’indépendance. Juifs et Algériens vivaient à proximité dans des villages. Dans son livre sur l’Algérie, mon mari raconte comment son père, boucher pendant la Seconde Guerre mondiale, leur livrait de la viande, comment le rabbin venait chez lui tuer en secret des animaux pour donner de la viande à la communauté juive, car les Français ne le permettaient pas. En quelque sorte, musulmans et juifs étaient solidaires dans leurs traditions.
28AJ : Quelle était la place des femmes ?
29EM : Elles avaient souvent milité pendant la guerre. J’ai travaillé avec des femmes algériennes, surtout au ministère de l’Information. J’ai participé à l’équipe qui a préparé le festival culturel panafricain de 1969, et de nombreuses Algériennes y ont travaillé.
30AJ : Pourquoi t’es-tu installée en Algérie ?
31EM : J’ai travaillé pour l’indépendance, c’était donc normal que je vienne là.
32AJ : Il n’y a pas eu de décalage culturel ?
33EM : Non. Je me suis bien adaptée et on était très gentil avec moi. J’ai bénéficié d’un appartement agréable, j’ai eu des boulots passionnants.
34AJ : Et c’est à ce moment-là que tu as rencontré ton mari ?
35EM : Je l’ai rencontré en 1972 et cela faisait dix ans que j’étais en Algérie.
36AJ : Le militantisme prend une place importante dans le couple, mais tu étais déjà très militante avant de le rencontrer. Après 1962, as-tu tissé des liens avec des Européens ou des Français restés en Algérie ?
37EM : Ou qui sont venus après l’indépendance ! Ou qui ont fui la France pour s’établir au Maroc, en Tunisie, auprès des Algériens. Il y eut aussi quelques déserteurs de l’armée française, des gens ayant refusé l’appel, partis alors au Maroc ou en Tunisie. Je suis devenue amie avec des Suissesses, ayant connu des Algériens en Suisse, militantes de l’UGEMA. L’organisation avait établi son quartier général en Suisse pendant la guerre. À l’université de Mostaganem, j’ai parlé aux étudiants de cette période et ils m’ont posé beaucoup de questions. J’ai été très surprise de constater qu’ils ne connaissent pas cette période. On leur enseigne la guerre de libération, mais pas la période qui l’a suivie.
38AJ : Dans cet après-guerre, quels étaient tes liens avec les communistes, avec des membres de l’ancien Parti communiste français ou du PCA ?
- 10 PAGS : Parti de l’avant-garde socialiste, fondé en 1965, reprenant l’héritage du PCA, disparu peu a (...)
39EM : J’ai connu par exemple Abdelhamid Benzine, des gens du PAGS10, d’organisations progressistes algériennes. J’ai connu pas mal de gens qui travaillaient avec des communistes, mais il n’était plus question alors de s’appeler « communiste ».
40AJ : As-tu perçu des luttes internes ?
41EM : Oui, c’était très sensible. Le FLN voulait éliminer toute autre pensée pour rester au pouvoir, pour contrôler la politique. Ainsi, alors que Ben Bella était au pouvoir, le PCA était éliminé en tant que tel, mais il y avait des organismes créés par le PCA. Il y a eu beaucoup d’Algériens progressistes, proches du Parti communiste.
42AJ : Se sont-ils retirés de la vie politique ?
- 11 Mohammed Harbi, ancien membre du FLN, conseiller de Ben Bella, est emprisonné de 1965 à 1968 après (...)
43EM : Quelques-uns ont été arrêtés et torturés, comme Mohammed Harbi11 ou Zerouane. Ils ont été emprisonnés ou surveillés pendant des années. Des communistes ou des proches… Ils sont restés dans la clandestinité, la discrétion.
44AJ : Et cela se sentait dans la vie à Alger ?
45EM : On le savait. Par exemple, mon mari, au moment de son départ d’Algérie, a eu une réunion avec des gens du PAGS. C’étaient de jeunes amis, il savait les contacter, mais il fallait rester très discret.
46AJ : Pourquoi est-il parti ?
- 12 Mokhtar Mokhtefi, J’étais Français-Musulman. Itinéraire d’un soldat de l’ALN, Alger, Barzakh, 2016, (...)
47EM : Pour me rejoindre en France après mon expulsion. Il avait eu beaucoup d’expériences malheureuses en Algérie. C’était un vieux militant, dès le lycée à Blida, et son livre raconte son histoire, de sa jeunesse jusqu’à l’indépendance12. Malheureusement, il est mort avant de raconter sa vie après 1962. Par rapport aux mémoires faits par des gens de l’armée de libération, ou ceux de dirigeants algériens, c’est probablement le seul ou un des rares à être strictement honnête. Il ne se présente pas comme un héros, il parle vrai. Il présente ses expériences dans l’armée de libération telles qu’elles étaient.
48AJ : Il n’avait pas quitté l’Algérie pendant la guerre ?
49EM : Non, il explique qu’il a tout fait pour entrer dans l’armée de libération et a été le premier président de l’UGEMA après la guerre. Ce fut une expérience politique très difficile, avec beaucoup de déceptions, et mon expulsion en 1974 fut le dernier coup.
50AJ : Y avait-il durcissement du régime à ce moment-là ?
51EM : Il y avait trois groupes : l’armée et les services, les démocrates et les religieux. On ne se rendait pas compte à l’époque de la relativité de ces trois groupes. On vivait auprès de gens qui étaient encore des militants et croyaient que l’Algérie allait s’en sortir. On ne se rendait pas compte que les deux autres forces allaient déterminer l’avenir, ce qui fut évident dans les années 1990 avec la guerre civile.
52AJ : Quels ont été tes liens avec les Black Panthers ?
- 13 Elaine Mokhtefi, Algiers, Third World Capital…, ouvr. cit.
53EM : Je l’ai expliqué dans mon livre13. Actuellement je cherche un éditeur français et je me propose d’en faire la traduction. Barzakh va l’éditer en Algérie et sa directrice cherche actuellement un co-éditeur français. J’ai proposé mon texte en français à une dizaine d’éditeurs, mais je n’ai eu que des refus ou pas de réponse. Je me suis rendu compte que c’est comme aux États-Unis : on ne peut pas contacter directement un éditeur, il faut un intermédiaire.
54AJ : Pour revenir aux Black Panthers, quels ont été leurs liens avec l’Algérie ?
- 14 Ancien DAF (officier algérien déserteur de l’armée française), il est directeur de cabinet du minis (...)
55EM : Ce furent les premiers contacts avec un pays étranger pour les Black Panthers, car c’était la première fois dans l’histoire des Noirs américains qu’ils établissaient une base ailleurs qu’aux États-Unis. J’ai rencontré Eldridge Cleaver. C’était la vedette du mouvement fondé par deux Américains, Huey P. Newton et Bobby Seale. Eldridge a fait beaucoup de prison aux États-Unis dès l’adolescence, pour drogue, viol… quinze années en tout, en trois séjours, et il a été relâché. Quand Martin Luther King a été assassiné, il était déjà membre des Black Panthers. Il a appartenu à un groupe qui a attaqué des policiers en Californie. Il a été blessé, un de ses camarades a été tué, je dirais exécuté, et deux des policiers ont été blessés. Il a pu quitter la prison en attendant son procès, car il a été nommé candidat à la présidence des États-Unis par le parti Paix et Liberté (qui comprenait des Blancs et des Noirs). Le système judiciaire californien voulait qu’il rentre en prison après les élections, alors il a quitté le pays pour Cuba. Il est resté cinq ou six mois à La Havane dans la clandestinité. Mais un journaliste a révélé son existence, alors Cuba l’a envoyé en Algérie en lui disant qu’il y était attendu. Or, c’était une fausse information : les Cubains n’avaient rien dit aux Algériens. Par chance, il y a rencontré un représentant du Zimbabwe, Charles Chikarema, un de mes amis, qui m’a demandé d’aider Cleaver alors en difficulté à Alger. J’ai appelé un membre du FLN, Slimane Hoffman14, qui a été d’accord pour qu’il reste en Algérie et même pour qu’il donne une conférence de presse. La femme de Cleaver était enceinte de huit mois et c’était à quelques semaines du festival culturel panafricain de 1969, pour lequel je travaillais au ministère de l’Information. Alors, les Black Panthers ont été invités, ils sont venus des États-Unis avec beaucoup de littérature sur eux-mêmes. Et ils sont restés. Cleaver a fait une conférence de presse, rapportée dans la presse occidentale et américaine. Il est resté en Algérie de 1969 à 1973. Les Algériens ont aidé les Black Panthers à voyager au Moyen-Orient, mais en France ils ne pouvaient s’y rendre que clandestinement. En effet en 1973, Cleaver a pu aller à Paris. Par l’intermédiaire de Valéry Giscard d’Estaing, il a pu obtenir une carte de séjour. Cleaver était intelligent, parlait très bien, et après quatre années passées en Algérie, il pouvait tenir une conversation en français.
56AJ : A-t-il bénéficié d’une reconnaissance publique en Algérie ?
- 15 William Klein, Festival panafricain d’Alger 1969, 1969, film documentaire, 112 min.
- 16 William Klein, Eldridge Cleaver, Black Panther, 1969, film documentaire, 75 min.
57EM : Il a eu des interviews par des journalistes. En 1969, quand les Afro-Américains sont venus pour le festival culturel panafricain, ils étaient très suivis par la population algérienne, plus que toute autre délégation. C’était dingue ! Les Américains étaient très populaires grâce à leur musique, leurs chanteurs… Ce festival fut un événement exceptionnel, extraordinaire ! Les rues, les théâtres, les salles étaient en effervescence, toute la population d’Alger était là, avec tous les étrangers en costume traditionnel, jusqu’à 3 ou 4 heures du matin, à danser tous les jours pendant deux semaines. Il y a eu une fantasia sur un champ de course et un séminaire sur la culture africaine. Il faut remarquer l’importance qu’a eue ce festival, qui a mobilisé la rue jour et nuit. Après les indépendances, les gens ne s’habillaient pas encore à l’européenne et portaient des costumes nationaux, pratiquaient des danses nationales, comme en témoignent plusieurs films. L’ORTF a fait un très bon petit film, où on me voit avec Archie Shepp. William Klein en a fait un autre, un peu long et ennuyeux15, mais qui reprend quand même exactement ce qui s’est passé. Il en a fait un autre sur Cleaver à Alger16. En France, on a refusé ce film, comme pour La Bataille d’Alger, qui n’a été montré que des années après. À l’époque, le sujet était clos.
58AJ : Même les anciens ont très peu témoigné. Une thèse récente, justement, montre que dans des couples maintenant âgés de 70 ans, l’épouse ne savait pas que son mari avait été en Algérie.
59EM : En effet, lors d’un voyage en Iran organisé il y a deux ans par une agence de voyages française, j’ai évoqué la guerre d’Algérie au cours d’un repas au restaurant et j’ai découvert que tous les hommes présents avaient fait cette guerre. C’était terrible. C’étaient des hommes de 70 ans.
60AJ : Les témoignages arrivent maintenant parce que les gens sont âgés ?
61EM : Il y a quelques années, un ancien soldat a raconté à la radio-télévision française les tortures pratiquées chaque jour dans la villa Susini, même contre des femmes. Des inconnues étaient prises dans la rue, employées de force comme prostituées, des choses horribles dont personne ne parlait. Il l’a raconté à la fin de sa vie.
- 17 Henri Pouillot, La Villa Susini. Tortures en Algérie, un appelé parle, Paris, Tirésias, 2001, rééd. (...)
62AJ : En France, l’histoire a été diffusée par les milieux militants comme le MRAP, la Ligue des droits de l’homme. Par exemple Henri Pouillot, un ancien appelé, en témoigne17.
63EM : Les langues se sont déliées à partir du moment où quelqu’un a commencé à en parler.
64AJ : Des gens ont été traumatisés après cette guerre entraînant isolements ou suicides. Aussi, il y a eu très peu de témoignages, comme si c’était un peu honteux d’en parler, car en plus c’était une guerre perdue.
- 18 Susan Fromberg Schaeffer, Buffalo Afternoon, New York, Knopf, 1989, 535 p. (rééd. 2004, Norton & Ci (...)
65EM : C’est une guerre qui a commencé après celle d’Indochine, une autre guerre perdue, qui avait duré dix ans ! Mais si les Vietnamiens avaient beaucoup d’armes, fournies par la Chine et l’Union soviétique, les Algériens n’en avaient presque pas. Il faut lire le roman Buffalo Afternoon18, qui évoque la terrible réalité de la guerre des Américains au Viêt Nam. La France a vécu la même chose.
66AJ : On peut regretter qu’il y ait eu très peu d’études.
67EM : Les militaires français hésitent à en parler, car ce sont des moments très durs, extrêmement pénibles. Quels seraient les effets de ces révélations en France ?
68AJ : En France, il y a eu la spécificité de cette guerre d’Algérie avec la présence des appelés du contingent. Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale était trop proche, ce qui explique la forte résistance pour ne pas partir en Algérie.
69EM : Il y a eu des manifestations d’appelés organisées par des syndicats.
70AJ : Des communistes arrêtaient les trains, l’UNEF, syndicat étudiant très puissant, est intervenue.
71EM : Le PCF n’était pas d’accord pour accorder l’indépendance à l’Algérie, car il était très inféodé à l’URSS. Il y eut un accord négocié en 1956 pour que le PCA intègre le FLN. Il faut lire le livre de Mokhtar Mokhtefi qui présente la vie en Algérie, à Blida notamment. Il rappelle le rôle d’un instituteur qui lui a préparé le chemin du lycée. Son père était boucher et Mokhtar a eu le goût pour l’éducation et l’instruction reçues au lycée, qui lui ont ouvert le monde, mais ont créé une rupture culturelle avec sa famille. Son père et sa mère ne parlaient pas le français et parmi ses cinq frères, un seul avait le certificat d’études. J’ai rencontré cet instituteur installé dans le sud-ouest de la France. Il nous a dit qu’il avait été banni par la communauté européenne de son village, car il allait aux réunions de Messali Hadj, dirigeant du nationalisme algérien. Il faisait tout pour que les deux communautés se mélangent, mettant côte à côte les enfants français et algériens dans la classe. Il était mal vu, car trop près des Algériens. C’est grâce à cet instituteur que mon mari a eu son instruction. Pour toute sa génération, je voyais bien que même après l’indépendance, lorsqu’il fallait discuter, c’était en français, car il ne pouvait pas le faire en arabe, n’ayant pas un niveau d’instruction suffisant dans cette langue. Il ne parlait qu’un dialecte algérien et son vocabulaire était insuffisant.
72Allison Drew : Il n’y a donc pas de station de radio en arabe ? Je sais qu’au sud de l’Algérie on parle arabe, pas le français, alors qu’à Alger on parle le français.
73EM : Si, il y a des stations en arabe et en berbère, ainsi qu’à la télévision, et il y a toujours des chaînes en français.
74AJ : Pourtant, l’enseignement universitaire est en arabe depuis 1962.
75EM : Quand je suis arrivée en Algérie, les gens ne parlaient pas français, sauf ceux qui étaient allés à l’école. Souvent, les femmes de ménage parlaient français. Aujourd’hui, les étudiants parlent un dialecte entre eux. L’enseignement se fait en arabe, mais pour certaines matières en français.
76AJ : L’arabisation est-elle assimilée à l’islamisation comme au Maroc ? L’arabe dialectal est la langue maternelle et l’arabe littéral ne l’est pas. La question qui se pose est le choix de la langue à étudier : l’arabe littéral, l’anglais ou le français ? On constate une imbrication des problèmes. L’arabisation est un facteur d’expansion de l’islamisation, avec l’étude de la religion, qui devient une épreuve au baccalauréat. Avec l’arabisation, on voyait l’aspect national, émancipateur dans le fait de reprendre sa langue. Mais en discutant avec les enseignants, on se demande s’il ne faudrait pas apprendre l’arabe dialectal, puisque c’est la vraie langue maternelle.
77EM : Mais au Maroc, ils ont le problème du Rif, où on ne parle pas ou mal l’arabe, même dialectal.
78AJ : Il faut aussi envisager la difficulté de la diffusion des livres. Peut-on traduire tous les corpus ? En a-t-on les moyens ?
79EM : Il y a aussi la fierté d’être capable de parler une langue correctement. Les enseignants considèrent que c’est possible avec le français ou l’arabe littéral et ne sont pas disposés à enseigner l’arabe dialectal à l’école.
80AJ : Ils sont en fait très divisés. Le panarabisme est en échec, mais il faut des outils pour apprendre l’arabe dialectal : chaque dialecte devrait avoir ses règles et produire des grammaires, des dictionnaires… Au Maroc, ce sont les universités riches et américaines, très chères, qui résolvent le problème : on y apprend les langues étrangères en tant que citoyen du monde riche. Il n’y a donc pas de solution dans l’immédiat.
81EM : À Alger, j’ai été hébergée dans un centre diocésain chrétien libanais, « Les Glycines19 », qui existe depuis les années 1960. On y donne des cours d’arabe littéral et dialectal. On y trouve une belle bibliothèque pour accueillir des chercheurs et de nombreux Américains s’y arrêtent. C’est un endroit que je conseille pour séjourner à Alger.
82Nous remercions vivement Elaine Mokhtefi de nous avoir si chaleureusement accueillies dans son domicile parisien. Près de nous, déposée simplement contre un mur, une de ses œuvres20 nous rappelle la richesse intellectuelle de cette artiste talentueuse, à l’humanisme inébranlable.
Donna (76,2x76,2 cm)
83Depuis cette interview, les éditions La Fabrique ont décidé de publier le livre d’Elaine Mokhtefi, traduit par elle-même en français (<https://lafabrique.fr/alger-capitale-de-la-revolution/>). Le titre en a été modifié : Alger, capitale de la révolution. De Fanon aux Black Panthers. Mais aussi, entre-temps, le mouvement populaire algérien s’est réactivé, avec des manifestations de masse bi-hebdomadaires depuis février 2019, conduisant à la démission du président Bouteflika. À ce jour (août 2019), la rue réclame une deuxième république et la démission des dignitaires du régime actuel. Ainsi, dès la parution de cette version en français en mai 2019, l’auteure est devenue pour de nombreux médias français une personnalité incontournable, éclairant la contestation algérienne actuelle grâce à son expérience vécue des premières années de l’Algérie indépendante. Effectivement, la lecture de son livre, dont nous n’avions pas connaissance avant cette interview, permet d’évaluer le potentiel révolutionnaire de cette population susceptible de revendiquer l’héritage des années de la « révolution du tiers-monde ». C’est pourquoi nous vous invitons à lire, à écouter, à voir Elaine Mokhtefi participer à des débats, être interviewée par des médias, à consulter les recensions de son livre, avis unanimes sur l’intérêt historique et culturel qu’il représente. Les Cahiers d’histoire sont heureux de participer à leur manière à la promotion d’un livre parti des États-Unis et du Royaume-Uni en 2018, ayant touché la France et le monde francophone en mai 2019, et bientôt l’Algérie en octobre prochain grâce aux éditions Barzakh. Touchés, comme bien d’autres, par le charisme d’Elaine Mokhtefi, nous relayons son discours d’espoir pour les dominés d’Algérie ou d’ailleurs.
84Politis, article d’Olivier Doubre, 05/06/2019, « Elaine Mokhtefi, ambassadrice des luttes ». <https://www.politis.fr/articles/2019/06/elaine-mokhtefi-ambassadrice-des-luttes-40503/>.
85Diacritik, article de Christiane Chaulet Achour, 06/06/2019, « Elaine Mokhtefi, Karim Amellal. Mémoires d’Alger. La nostalgie peut-elle être constructive ? ». <https://diacritik.com/2019/06/06/elaine-mokhtefi-karim-amellal-memoires-dalger-la-nostalgie-peut-elle-etre-constructive/>.
86franceinfo.tv Outre-mer 1, article de Philippe Triay, 07/06/2019. Le journaliste a assisté la veille à la présentation du livre à la librairie Libertalia : « L’assistance est sous le charme d’une dame de 90 ans » et constate « la remarquable lucidité » et toute la mémoire de l’auteure « jusque dans les moindres détails ». Il rend compte essentiellement de ce que dit Elaine Mokhtefi de Frantz Fanon. <https://la1ere.francetvinfo.fr/frantz-fanon-aux-black-panthers-alger-capitale-revolution-livre-elaine-mokhtefi-718874.html>.
87Huffpost, article, 17/06/2019, « La journaliste américaine, Elaine Mokhtefi, témoigne dans un livre de sa vie algéroise. » Extrait : « Ses mémoires témoignent de l’effervescence des luttes anticoloniales des années 1960, vécues dans l’intimité des grandes figures de l’époque ». <https://www.huffpostmaghreb.com/entry/la-journaliste-americaine-elaine-mokhtefi-temoigne-dans-un-livre-de-sa-vie-algeroise_mg_5d0783eee4b0dc17ef0cff3a>.
88France Culture, Savoirs, par Camille Renard, 25/06/2019, « Alger la révolutionnaire, de Frantz Fanon aux Black Panthers, par Elaine Mokhtefi », recension audiovisuelle (4’21) et interview (33’). <https://www.franceculture.fr/histoire/alger-la-revolutionnaire-de-frantz-fanon-aux-black-panthers-par-elaine-mokhtefi>.
89TV5 Monde, Chronique Africultures, 17/05/2019, présentation par Alice Lefilleul, journaliste, du livre de mémoires d’Elaine Mokhtefi (3’20) : « Alger est au centre du monde, au croisement des idéaux décoloniaux, là où naît un monde post-impérialiste. (…) Ce texte est un trésor d’informations historiques, extrêmement vivant, (…) une description d’Alger avec beaucoup de détails, les occupations quotidiennes des gens, des lieux (…) des photos permettent de plonger dans une époque bouillonnante. (…) Un beau témoignage sur l’engagement politique, l’indignation face à tout type d’injustice et une belle déclaration d’amour à l’Algérie et à Mokhtar (son mari) ». <https://www.youtube.com/watch?v=7HrlnO0I-Fk>.
90Pangaïa productions, mise en ligne de l’interview d’Elaine Mokhtefi par Nicolas Norrito, à la librairie Libertalia, 12 rue Marcelin-Berthelot, 93100 Montreuil (<http://www.editionslibertalia.com>), le 06/06/2019 (43’15). Les Cahiers d’histoire étaient présents et ont soutenu l’initiative. <https://pangaia.fr/tag/pangaia/>.
91Arrêt sur images.net, émission présentée par Louisa Yousfi, 08/06/2019 (67’) : « Entremêlant la grande histoire avec la petite, les événements avec les anecdotes, le récit d’Elaine Mokhtefi est un véritable document d’archives raconté comme un récit d’aventures ». <https://www.hors-serie.net/Dans-le-Texte/2019-06-08/Alger-capitale-de-la-revolution-id360>.
92Canal U, CHS, Mondes contemporains. Dès septembre 2017, Elaine Mokhtefi est interviewée en tant qu’ancienne organisatrice du Festival panafricain de 1969 à Alger, dans le documentaire réalisé par Jeanne Menjoulet, « Histoire de l’Algérie, les années 1968 » (43’). <https://www.canal-u.tv/video/chs/histoire_de_l_algerie_les_annees_1968.37685>.
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