Dans « Alger, capitale de la révolution », la militante américaine Elaine Mokhtefi témoigne des années d’effervescence qui ont suivi l’indépendance.
Alger, 1962. Le peuple libéré célèbre son indépendance de la France. Après huit années d’une guerre dévastatrice contre la puissance coloniale, l’Algérie retrouve l’espoir d’un avenir meilleur. Les rues de la capitale fourmillent de femmes, de jeunes, d’anciens combattants mais aussi d’étrangers. Parmi eux : une jeune Américaine, Elaine Klein, qui, comme beaucoup d’autres militants anticolonialistes, a rejoint l’Algérie pour aider à sa reconstruction.
La journaliste et traductrice y passera une dizaine d’années, qu’elle raconte aujourd’hui dans Alger, capitale de la révolution (La Fabrique éditions), précieux témoignage de ces années d’effervescence politique et militante. Elle y décrit l’état du pays au sortir de la guerre. Le gouvernement, alors dirigé par Ahmed Ben Bella, manque d’expérience pour mener des réformes de fond. « L’improvisation était la règle », reconnaît-elle. « Sur une population de 9 à 10 millions d’habitants, il n’y avait que 1 500 étudiants et quelque 500 diplômés de l’université pour faire fonctionner le pays. […] L’Algérie était une société rurale de gens sans moyens, dont plus de 90 % étaient analphabètes. »
Face à ce manque de cadres qualifiés, des renforts arrivent de Cuba, d’Egypte et d’URSS. « C’était extraordinaire ! », se souvient l’auteure, jointe par téléphone. Elle, l’Américaine, y rencontre celui qui deviendra son mari, Mokhtar Mokhtefi, ancien membre de l’Armée de libération nationale (ANL), décédé en 2015. « Je pensais passer ma vie là-bas », avoue-t-elle au Monde Afrique.
Du Vietnam à la Palestine
La jeune Elaine avait épousé la cause du peuple algérien avant même de se rendre sur place. En 1952, elle est en France et découvre ces ouvriers algériens « jeunes, sombres, maigres et pauvrement vêtus » qui participent au défilé du 1er-Mai. La vue de ces hommes et le sort qui leur est fait lui rappellent la condition des Noirs américains, victimes d’un racisme sans limite dans le sud des Etats-Unis, dont elle a été témoin. « A l’époque, je ne connaissais pas bien l’Algérie mais je comprenais les enjeux de la guerre », explique Elaine Mokhtefi.
Elle participe activement aux mobilisations anticoloniales, milite pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. « C’était évident pour moi que l’Algérie ne faisait pas partie de la France, malgré ce que disait De Gaulle », ajoute-t-elle. Elaine Mokhtefi reçoit une proposition pour travailler à New York au bureau du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et du Front de libération nationale (FLN) chargé des relations avec les Nations unies. Elle accepte sans hésiter.
En 1962, quelques semaines après l’indépendance, elle arrive à Alger, où se découvrent peu à peu les luttes internes au pouvoir algérien. Le 19 juin 1965, le colonel Boumédiène renverse le président Ben Bella. Malgré cette instabilité politique, l’Algérie continue d’accueillir les mouvements de libération et de soutenir les luttes anticoloniales dans le monde. « Les Algériens n’ont jamais oublié leur histoire coloniale et connaissaient les ravages de cette idéologie. Ils pensaient qu’à travers une mobilisation internationale, ils pourraient y mettre fin », explique Elaine Mokhtefi. Du Front national de libération du Sud Viêt Nam aux organisations de libération de la Palestine, en passant par les exilés politiques du Brésil, d’Argentine, d’Espagne, du Portugal et même de Tunisie et du Maroc voisins, tous trouveront à Alger un point de ralliement.
Traductrice des Black Panthers
Elaine Mokhtefi, qui a participé à de nombreuses réunions internationales, raconte ces années de rencontres, de combats et d’espoir. Elle redonne chair aux révolutionnaires d’alors. Parmi eux : Eldridge Cleaver, porte-parole des Black Panthers, accusé de tentative de meurtre aux Etats-Unis. Le célèbre militant ainsi que d’autres membres du mouvement afro-américain créeront à Alger leur « ambassade », une maison où ils reçoivent, écrivent, tournent des films pour défendre leur cause. Elaine travaillera pour eux comme traductrice, jusqu’à l’éclatement des Black Panthers.
En 1974, elle refuse de collaborer avec les services de renseignements algériens et doit quitter le territoire pour la France. La nonagénaire, qui vit aujourd’hui à New York, devrait faire son retour en Algérie cet automne, à l’occasion du Salon international du livre d’Alger, où elle présentera son ouvrage.
Loin de l’analyse politique désincarnée, ses mémoires racontent le bouillonnement de ces années révolutionnaires et l’histoire d’amour entre une jeune militante et un pays. « L’Algérie est devenu mon pays d’adoption, j’y ai passé ma jeunesse, j’ai épousé un Algérien », dit celle qui a suivi avec attention le récent mouvement de contestation en Algérie : « J’ai confiance dans le peuple algérien et je croise les doigts. »
Alger, capitale de la révolution. De Fanon aux Black Panthers, d’Elaine Mokhtefi, La Fabrique éditions, 288 pages, 15 euros.
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