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Lettre à Djamila Bouhired ~
Elles étaient belles ces «fellaghas» par Farouk Zahi
Farouk Zahi, Guerre d-ALGERIE
» Toute jeune, je mesurais la détresse de mes congénères. A Djemaâ Lihoud, lorsque nous rendions visite à ma tante qui habitait la Casbah, j’étais révoltée de voir des policiers coloniaux malmener des pauvres hères en quête de pitance quotidienne. Ils renversaient tous les étals de fortune sur leur passage.
Les petits vendeurs d’herbes aromatiques (hchicha m’katfa et autres) détalaient à toute vitesse quand la patrouille pédestre investissait les lieux. Cette hideuse image, ne m’a jamais quittée « .
Tel a été le propos de Hafsa Bentoumi née Bisker, lors d’une édition de l’émission » J’avoue que j’ai vécu » de la chaine 3 de la radio nationale. Cet alibi, est-t-il suffisant pour justifier la militance et l’activisme politique de cette femme ? Issue d’une famille lettrée qui pouvait aisément se fondre dans le magma assimilationniste que d’aucuns appelaient de leurs vœux à l’époque, elle s’est démarquée dès son plus jeune âge. Cette fibre sensible du nationalisme n’est assurément pas fortuite. Elle est la digne héritière de cette lignée des Bisker qui accueillait dans son fief de Bou Saada, à la fin du XIXè siècle, l’Emir El Hachemi Ibn Abdelkader El Hassani El Djazairi. Mohamed, son grand père, poète, journaliste, disciple de Ben Badis, Mohamed Abdou et Djamal Eddine El Afghani signait par cette métaphore » El Bou Saadi El Madhi « , ses articles caustiques dans » El Bassair » et » Echihab » que les Ouléma publiaient entre les deux Guerres. Son père, Aissa, qui enseignait les mathématiques et les sciences au cours complémentaire de sa ville, eut comme illustre élève Mohamed Boudiaf. Désigné comme inspecteur par l’association des Ouléma, il ralliait Alger. Il enseignait, en même temps, à l’école Sarrouy où il eut comme élèves : Amar Bentoumi, Oucharef, Kaddache, Gadiri et Derouiche, connus tous pour leur stature ultérieure. Hafsa, née le 7 mai 1933, raconte, non sans émotion, ses premiers pas avec la langue arabe et l’initiation coranique à l’école » Echabiba » de l’ex Rampe Valey des Oulémas et la langue de Voltaire à l’école de Fontaine Fraiche.
Le Cercle » Ettaraqi » animé par cheikh Tayeb El Okbi et dont le crédo était la lutte contre l’obscurantisme et l’ignorance alimentés par le fait colonial, avait sa profondeur populaire à Mezghena la rebelle. Au déclenchement de la 2è Guerre mondiale, la famille, sous tension, quitte la capitale pour Ain Hadjel où le père officie à l’école indigène. La petite fille y fera le reste de sa scolarité primaire dans cette école. De retour à Alger, où son père est affecté à l’école de la rue de l’Allée des Muriers à Belcourt, Hafsa est inscrite au Lycée de jeunes filles de Maison Carrée (actuel Ourida Medad) où elle obtient son brevet élémentaire. Son père est promu, quelques années après la fin du conflit mondial, en qualité de directeur de l’école Lucien Chalon de Bou Saâda. Elle se rappelle avec fierté, qu’il faisait passer le nombre d’écoles, de deux à quatre et tout pour en ouvrir de nouvelles dans les endroits les plus reculés. Il utilisait parfois de simples hangars, pourvu que ces enfants ne soient pas livrés, comme leurs géniteurs, à la déchéance de l’analphabétisme.
En 1951, elle obtient la première partie du Baccalauréat lui permettant ainsi, de s’inscrire au lycée Fromentin des hauteurs d’Alger, où elle obtient la deuxième partie en sciences élémentaires. Optant pour la filière médicale, son choix est contrarié par son père qui met en opposition l’astreignante carrière médicale et l’équilibre d’une famille. Elle dit ne pas regretter, puisque sa qualité de pharmacienne, plus tard, ne l’a jamais empêchée d’être à l’écoute et en contact permanent avec sa famille. Après une année d’enseignement à l’école de filles du Plateau (actuelle Ibn Khaldoun) de Bou Saâda, son père consent à lui trouver un stage dans une pharmacie. Elle se rappelle cet épisode épique où un caïd polygame, apostrophait son fils pour lui rappeler le nom de sa génitrice. » Ya tfoul, qui fach asmha mouk ? « . Accompagnée d’une bourrade dans les côtes, cette phrase assassine interpellait, durablement, la jeune stagiaire sur la condition féminine d’alors. Dès l’année 1953, elle s’inscrit au concours de pharmacie qu’elle remporte avec brio. Sa boulimie pour la lecture éveille en elle, ce besoin de s’informer sur les luttes que menaient, à l’époque, les nations subjuguées par les empires coloniaux. La cinglante déroute, en mai 1954, de l’armée française à Dien Bien Phù, donne à réfléchir à la jeune étudiante sur le mythe de l’invincibilité de l’armada coloniale. Dès le déclenchement de la lutte armée, la veille de la Toussaint, Hafsa cherche des contacts dans l’organisation naissance, mais néanmoins clandestine. Elle intègre, celle-ci, en juillet 1955.
Abane Ramdane la met en contact avec Nassima Hablal, responsable des femmes algérienne et Ysa Bouzekri future Mme Abane. En contact permanent avec Meriem Belmihoub (Mme Zerdani) et Fatiha Hermouche, elle distribuait des tracts et suscitait des recrutements pour le » Nidham « . Elle se rappelle de celles qu’elle a côtoyées, notamment, Turkia Dahmoun, Fatima Hamdiken, Fadila Mesli, Zoubida Ould Kablia et Ourida Medad.
Leur point de ralliement était le foyer des étudiantes attenant à la faculté d’Alger et tenu par les Sœurs blanches. A la création de l’Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA), Abane les exhorte, Zoulikha Bekadour et elle-même, à postuler à des postes d’encadrement, chose qu’elles acceptèrent en dépit du contexte de l’époque. Il n’était pas aisé pour des jeunes filles, issues d’un milieu conservateur, de se » mélanger » avec des garçons. La noblesse de la cause, fit que le carcan sociologique fut levé avec bonheur et spontanéité.
- » Zoulikha et moi, furent plébiscitées respectivement en qualité de Trésorière et de Secrétaire générale de la jeune organisation présidée par Mohamed Seddik Benyahia. Depuis cet instant, l’intellectuel algérien dans sa grande majorité, épousait la cause de son peuple. » dit -elle.
La première épreuve que devait affronter l’organisation estudiantine naissance, fut celle où elle devait décider de l’arrêt des cours en mai 1956 pour marquer dans les faits son attachement à la lutte de libération nationale.
La réunion, eut pour théâtre la résidence universitaire » La Robertsau » du Telemly. Rejoints par les lycéens, les étudiants relativement peu nombreux, aboutir après des débats houleux à la décision consensuelle d’entamer la grève dès le 19 mai 1956 et l’abandon des cours.
- » Signataire du manifeste de la grève en ma qualité de Secrétaire générale et fichée par la police, Lamine Khène me recommandait expressément de me mettre au vert. Hébergés clandestinement, mes camarades et moi au nombre de 15 dans une famille française dont le père était surveillant général à l’école normale de Bouzaréah, nous quittions Alger pour Bordj Ménail dans un premier temps. Je rencontrais Salah Zammoun et M’Hamed Bougara à Palestro. Après le Congrès de la Soummam, je fus affectée dans le maquis de Berroughia où j’y rencontrais Ali Mellah qui me chargeait de former des infirmières pour le maquis près de Tlétat Ed Douairs. Les étudiants de médecine et de pharmacie, été automatiquement inclus dans le service de santé des unités combattantes. Ceci me permit de rencontrer Youcef Khatib, Hermouch, futur professeur de médecine à l’hôpital Ait Idir et Khoudjet Eldjeld, étudiant en chirurgie dentaire. Mes pérégrinations de soignante m’obligèrent à me déplacer du Djbel Sabbah aux monts de Ain Boucif, jusqu’à parfois aux confins de Paul Cazelles (Ain Oussera). J’hébergeais mes malades et mes blessés chez l’habitant et changeait de lieu et de nom à chaque déplacement, ce qui donnait l’illusion à l’ennemi que nous étions plusieurs. Il faut dire, honnêtement, que la population civile payait le prix fort. A chacun de nos passages, les populations des hameaux étaient massacrées sans état d’âme. Des parachutistes, en guise de jeu, éventraient des femmes enceintes et faisaient des paris sur le sexe du fœtus « .
En 1958, activement recherchée par les services de répression, on lui recommande de rallier la Tunisie. Son père Aissa, relevé de ses fonctions et expulsé, se trouve déjà à Djendouba où il prit un poste d’enseignement. C’est ainsi qu’elle rejoint, la Tunisie via la France et la Suisse. Attachée au bureau de l’UGEMA en Tunisie, elle active auprès des instances internationales à travers l’union générale des étudiants Tunisiens. Ces compagnons se rappelleront pour longtemps, la réplique de Hafsa à Bourguiba qui répondait de manière malveillante au mémorandum de Lamine Debaghine alors, Ministre des Affaires Etrangères du GPRA. (Gouvernement provisoire de la République Algérienne). Rentrée, définitivement au pays après l’indépendance, elle ouvre une pharmacie au boulevard de Provence à Bab El Oued. Elle la fermera pour une année en guise de protestation aux discours des nouveaux dirigeants politiques du pays. En 1983, elle s’élèvera avec d’autres moudjahidate contre le nouveau Code de la famille dont elles trouvaient certaines dispositions, iniques envers la femme
Mme Bentoumi Hafsa née Bisker, coule de vieux jours heureux auprès de ses petits enfants et ce, depuis, sa retraite professionnelle qu’elle a prise en 1989. L’animatrice de l’émission radiophonique, posait l’ultime question à son invitée :
- » Mme Bentoumi, quel est le secret de votre vivacité ? « .
- » Ecoutez, madame, à la vieille de mes quatre vingt ans, je pense avoir rempli ma mission. Lorsque je travaillais, rentrer à la maison à 17h et s’entendre interpellée par un » Maman ! « , était la plus belle reconnaissance pour moi. « .
Hafsa et les autres sont faites d’une pâte que seul, le Seigneur en détient le secret.
La plaque du célèbre nom de la rue, rue des Abdérames où se trouve la cache d'Ali la pointe
De gauche à droite, derrière : Djamila Bouhired, Yacef Saâdi, Hassiba Ben Bouali. Devant : Samia Lakhdari, Petit Omar, Ali la Pointe, une arme à la main, et Zohra Drif.
La porte d'entrée qui amène à l'endroit où se cachait Ali la Pointe, située au 5, rue des Abdérames.
54 ans après l'explosion, le reste des ruines de la cache d'Ali la Pointe.
Statue d'Ali la Pointe, à Miliana, sur la place qui porte son nom.
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