Alger, le contrebas de la Grande Poste, entre les arcades du boulevard Che Guevara et la
mer. L’arrêt d’autobus est adossé à un petit square appelé Sofia où quelques hommes et
de vieux bananiers dorment dans la touffeur de juillet. L’autocar qui mène à Aïn Benian
est déjà plein lorsqu’il arrive ‒ d’où vient-il ? Il ne va pas n’importe où, s’arrête Place
des Martyrs (qui s’appela Place du Gouvernement), longe la Casbah puis le quartier de
Bab-el-Oued par le sud, traverse Saint-Eugène, qui se nomme Bologhine, les Deux
Moulins, où mon oncle tenait un entrepôt de vieux métaux, franchit le Cap Caxine, suit
l’avenue du Président Ho-Chi-Minh, et file au long de la corniche vers Aïn Benian,
l'ancienne Guyotville.
Le cimetière grimpe depuis le bord de mer. J’ai, dans un livre avec moi, plusieurs
photos de la tombe de Jean Sénac.
Sénac disait Notre chemin procède par énigmes.
La porte du cimetière tient seulement par un cadenas ouvert. Dans les allées reprises par
la végétation, les tombes portent des noms et dates déjà anciens, Mazella, Franzoni,
Chazot, Sintès, 1947, 1956, 1951, 1922. Il faut monter un peu. Au dernier flanc, au
fond, une tombe ovale, la seule du genre, légèrement à l’écart des autres. La matière
dont elle est faite aussi est différente, de pierre brute. La tombe dessine un œuf sur le
sol, le petit muret tout autour monte à 60 centimètres. La tête semble avoir été relevée.
Dans le document que j’ai apporté avec moi, je lis : « Le 29 novembre, jour de son
anniversaire, Mireille, avec Hamid Nacer Khodja, a planté la tombe, absinthes, petits
iris bleus, thym, romarin, géranium… dessus, entre les pierres, et en prolongement,
ainsi qu’un petit figuier. J’ai demandé à Denis Martinez, peintre ami de Jean, de faire
une plaque de terre cuite carrée que nous mettrons au pied, scellée… ».
Je suis devant cette tombe, la tombe de Jean Sénac construite sur le modèle des tombes
kabyles du petit cimetière musulman tout près. Un large espace vide descend devant
elle. Il y a bien un figuier, des plantes en terre, plantes roturières surtout, mais de plaque
aucune, avec le nom Jean Sénac où j’aurais dû lire, comme sur la photo : Beni-Saf 29
novembre 1926 - Alger 1er septembre 1973. Il n’y a qu’un minuscule jardin sauvage
entre des pierres sèches sur un terrain en pente, devant la mer.
Jean Sénac est le poète qui un jour écrivit :
Cet homme était juste comme une main ouverte
on se précipita sur lui
pour le guérir pour le fermer
alors il s’ouvrit davantage
il fit entrer la terre en lui
Jean Sénac, poète dans la cité, dans la lumière exacte et brouillonne d’Alger, qui n’eut
pas toujours raison et travailla dans la ferveur et une franchise toujours plus dangereuse.
D’ailleurs, il n’y eut pas, tout au long de la vie de cet homme-là, de compagnon plus
constant que le danger. Danger des solitudes et des enfers, danger des libertés et des
ruptures, danger de la confusion, de la « guerre dans le cœur » et des lyrismes
exorbitants.
Ainsi, Jean Sénac, te voilà, toi, une fois encore sans nom, sans personne ! Quelqu’un
aura volé cette plaque. Un ballon l’aura cassée. Des coups de pieds ? Des coups de
haine sur la terre cuite ? Et même ? Ou rien. Le vent, du rien qui aura fendu le nom.
Liquidé les mots, les chiffres, les repères.
Ce que je pensais alors me sortit par des frissons sur les avant-bras. Sans doute
surgirent-ils à la deuxième syllabe du mot repère en même temps que l’écho de la
mince existence de Jean Sénac, de ses combats considérables et du vide inhabitable,
soudain, tout autour de nous.
L’autocar qui me ramena d’Aïn Benian était presque aussi plein que celui de l’aller.
Mères et grands-mères à couffins, vieux en turbans, le clin d’œil preste à l’Européen qui
revient, adolescents nombreux, étonnamment calmes, jeunes filles au front studieux,
discrets garçons aux pensées invisibles. Il y eut aussi une pénible attente dans les
bouchons sur la route, Alger débordant de voitures plus encore que de gens.
Je trouvai un graveur et chez lui un modèle de plaque d’une matière synthétique mais
revêtue d’une fine couche de métal doré.
On aurait pu afficher cela à la porte d’un bureau dans quelque administration ou pour
indiquer une direction sur un site, sur un chantier.
Au graveur, je donnai consigne du texte suivant, le même qu’à l’origine mais avec la
modification de date qu’avait proposé Jean de Maisonseul : « Ici est enterré le poète
Jean Sénac… Alger 30 août 1973 - le corps de Jean Sénac, assassiné dans-descirconstances-jamais-élucidées, a été découvert par la police le 31 août, dans son
appartement d’Alger. »
Je récupérai la plaque sans faute. Le petit soleil avait été reproduit à l’ordinateur, un peu
raide, avec six branches au lieu de cinq dans les signatures de Sénac et même sur la
plaque de terre cuite, mais au moins était-il là.
Le lendemain, je repris la route d’Aïn Benian. Alger et ses faubourgs étaient pris dans
une grisaille chaude. J’avais avec moi la plaque percée de quatre trous et quatre mètres
de fil de fer souple pour la fixer (je verrai bien !) entre les pierres.
Un petit homme avait l’air de m’attendre, c’est ce que j’imaginais. Il habitait la maison
près de la route, presque à l’entrée du cimetière, le logement du gardien, à ceci près
qu’il n’y avait plus de gardien depuis longtemps, comme si à part Sénac les morts
étaient bien trop anciens : on n’avait plus besoin de les garder. Mais, l’homme en
quelque sorte les protégeait, c’est lui qui m’avait conduit à la porte la veille en attendant
discrètement une pièce. Il était là aujourd’hui encore.
Dans son esprit, ma parole, j’étais devenu un habitué ! Je lui montrais ce que j’avais
apporté. Il me suivit jusqu’à la drôle de tombe kabyle, réfléchit puis me proposa d’aller
chercher un marteau et des clous. Bizarrement, le temps me parut très long.
L’homme revint, s’agenouilla.
Tous les deux nous avons choisi l’emplacement, tous les deux nous avons vérifié que
tout était droit. Il a planté l’un après l’autre les clous, tandis que je tenais la plaque.
C’était un petit travail important. Un petit bricolage qui voulait dissiper les
malentendus.
Une fois la plaque posée, l’homme s’est retiré. Il voulait me laisser seul. J’ai regardé la
terre sur le dessus. Un tas de choses vibrait. Je crois avoir vu des abeilles, des escargots,
des insectes qui sautaient, je ne sais pas. Il me semble qu’un rayon de soleil est venu se
coucher sur tout cela. J’ai posé ma main sur la pierre sèche. Un court instant, j’ai laissé
ma main l’envelopper.
Le gardien m’avait attendu à la porte du cimetière. Il n’y avait personne d’autre que lui.
Alors, tandis que je le saluais, une femme venue d’on ne sait d’où passa devant nous,
seule, âgée, un petit voile sur son nez, le laadjar, comme souvent les Algériennes.
Je vis à peine ses yeux mais ils pétillaient de malice. Le gardien me fit comprendre que
je devais l’aider aussi. La vieille saisit la pièce et continua à descendre vers la route
principale, celle des véhicules et de mon autocar, la Corniche. Sans se retourner, elle eut
cette phrase, lancée telle quelle, dans un semblant de Français mais comme en une
langue multiple: « Que Dieu le repose ! »
►
Il y a de cela des années, je trouvais chez un bouquiniste parisien un livre que je garde
sous les yeux. Son titre est on ne peut mieux simple : Poèmes. L’éditeur est Gallimard,
le directeur de collection se nomme Albert Camus et René Char en a signé la préface.
Le recueil porte un envoi manuscrit de Jean Sénac à Jean Négroni, comédien au TNP de
Vilar et lui aussi né en Algérie. Comme à son habitude, Sénac a dessiné sous sa
signature un soleil échevelé (avec toujours cinq rayons, pas plus !). L’envoi date de
septembre 1954, mais Sénac a retouché son texte huit ans plus tard : en février 1962, il a
rectifié lui-même à la main un mauvais accord de participe passé. Curieux hasard, car à
quelques semaines près les deux dates marquent l’une le début, l’autre la fin de la guerre
d’Algérie.
Celui qui sait,
Sa vie devient un bois d’épines
Nous étions vers 1975 lorsque j’achetais le livre. Il y avait là une musique qui
d’évidence avait des tonalités du plus grand Char (« Ah! Les tyrannies bienfaisantes de
Char et d’Éluard », avait lancé le linguiste Georges Mounin à Sénac). Mais, l’histoire
était différente. Au-delà du recueil Poèmes, j'avais découvert en Jean Sénac le fier culot
d’un poète mystérieusement assassiné à Alger, qu’il avait refusé de quitter, le défi
d’assumer son homosexualité au sein d’une société qui la tait et souvent la frappe dur,
un lyrisme aux multiples sources, un enthousiasme politique à la Maïakovski…
Voilà que j'entends Sénac réciter comme à l’église le nom des Pères historiques du
Front de Libération Nationale algérien, clamant, convoquant Ben Bella, Aït Ahmed,
Boudiaf, Krim Belkacem, Khider, Didouche, Ben M’Hidi, Rabah Bitat. J’écris, dit-il,
sous l’avalanche des noms. Il écrit sa guerre, ou plutôt la leur. Il dit apporter sa pierre,
baroque et délirante avant, soudain, d’implorer le pardon : Parler de soi est comme une
indécence.
Sent-on la complexité des choses et celle de l’homme ?
On doit les imaginer un peu plus qu’infinies.
Et Sénac, ses yeux en amande, sa couronne de cheveux autour de la calvitie, la barbe
qu’il appellera son maquis, Genêt et Ginsberg, Cavafy et Whitman, ses compagnons.
En juin 1947, du sanatorium de Rivet où il soigne une pleurésie, Sénac a écrit à Albert
Camus, de 13 ans son aîné. Camus est déjà largement reconnu comme écrivain,
journaliste et homme de théâtre. En 1942, a paru L’Étranger, et au début 1947 La Peste.
Depuis deux ans, Camus dirige une collection nommée Espoir, aux éditions Gallimard.
La première lettre de Sénac est celle d’un admirateur ému, empêtré dans sa propre
ferveur, mais chargée de sa propre ambition. Bien sûr, Camus ne sait rien de Sénac à
l’époque, mais les conseils qu’il lui donne en retour de courrier ‒ conseil de vie
davantage que d’écriture ‒ sont éminemment fraternels.
Il y a entre eux un vrai faisceau de ressemblances, à commencer par cette passion pour
l'Algérie. L’un et l’autre sont issus de familles pauvres. Ils n’ont pas connu leur père
(Lucien, le père de Camus, est une victime de la Bataille de la Marne en 1914) et ont été
élevés par une mère d’origine espagnole. La même maladie les a touchés aux poumons.
Ce qui plus tard les séparera ne sera pas de l’ordre de l’amour pour l’Algérie. Sénac
connaît-il le mépris de Camus pour la mentalité coloniale et ses révoltes contre les
injustices ? Sait-il l’engagement camusien à Alger Républicain, organe du Front
Populaire, à Combat et ailleurs ? Bien sûr. Une amitié puissante va naître. Camus écrit à
Sénac : « Il y a en vous comme une naïveté (comme Schiller parlait de l’admirable
naïveté grecque) qui est irremplaçable ».
L'été 1950, Sénac a déjà senti ce qui se prépare, il fréquente les milieux nationalistes, le
Parti Communiste ou Parti du Peuple algérien, qui maintenant dénoncent ouvertement le
système colonial. Bientôt, il note que « tout le monde a pris conscience du fait raciste et
colonialiste » et l’artiste, lui, doit « entrer dans la lutte quoi que ce choix lui en coûte ».
Déjà, il a commencé à mettre en garde les Européens d’Algérie, les dormeurs, contre
leur aveuglement. Il y a longtemps qu’il a donné parole aux humiliés. Après avoir vu
des policiers pourchasser rue de Chartres des petits mendiants qui dormaient dans la
rue, il a crié : « On a lâché sur eux les nerfs de bœufs du monde »…
Sénac écrit en péril.
Le 1er novembre 1954, le Front de Libération Nationale déclenche la guerre d’Algérie.
Rapidement, il prend contact avec la Fédération de France du FLN. Il rédige des tracts,
s’occupe de faire imprimer le bulletin de la Fédération, assure les liaisons entre le FLN
et le MNA, le Mouvement National Algérien de Messali Hadj, parti rival du FLN. Il
veut aider.
Fin 1954, Krim Belkacem lui transmet ce message à Paris: « Cher Jean, nous n’avons
pas besoin de vous dans nos montagnes, mais nous aurons besoin de vous dans le
Verbe ».
À mesure que le temps passe et que brûle l’Algérie, les relations entre Camus et Sénac
se compliquent, les deux en viennent bientôt aux invectives. Tandis qu’à Alger, Camus
lance son Appel à la Trêve Civile (1956), Sénac répète « la partie est perdue pour les
maîtres ». Le différend s’aggravera encore. Sénac lui dédie un poème :
Entre les hommes et vous le sang coule
et vous ne voyez pas.
Tantôt publiquement, tantôt dans ses carnets intimes, tantôt sans doute dans une
correspondance encore inédite aujourd’hui, Jean Sénac condamne Camus pour des
positions qu’il juge trop humanistes. La rupture est consommée début 1957, mais Sénac
ne retirera jamais à son aîné une « profonde et dramatique affection ».
En décembre 1957, devant des étudiants de l’Université de Stockholm où il vient de
recevoir le Nobel, Albert Camus a déclaré « Je crois à la justice, mais je défendrai ma
mère avant la justice ». Sénac lui transmets une lettre de trente pages et note dans un
brouillon non daté : « Camus a été mon père. Ayant à choisir entre mon père et la
justice, j’ai choisi la justice ». En avril 1958, dans un courrier, Sénac traitera Camus de
« Prix Nobel de la Pacification ».
Les deux hommes ne se reverront plus.
Mais gare aux contresens, ou pire ! Certains en sont encore à régler des comptes sur le
dos de l’un et de l’autre.
Qu’on sache donc cet aveu du hijo rebelle : « Chaque fois que je dirai un mot contre
vous, c’est un coup de couteau que je me donnerai ».
1965 : Le nouveau pouvoir arrivé par un coup d’État (« redressement révolutionnaire »
de Houari Boumediene succédant à Ben Bella) veut parfaire les instruments de la
souveraineté algérienne. L’Algérie des années 1970 connaîtra trois évolutions :
l’agraire, l’industrielle et la culturelle. Ce dernier domaine est confié de préférence à des
élites formées en langue arabe (le mot d’ordre est : toujours moins de France) aux
missions progressiste et nationaliste avec deux valeurs uniques, l’islam et l’arabité. Au
nom du discours idéologique officiel et de l’engagement révolutionnaire, de nombreux
livres et auteurs (algériens et étrangers) sont interdits, des idées sont réprimées, tandis
que, sous le manteau, circulent des publications clandestines.
Sénac ne peut se retenir de hurler contre le conformisme des fonctionnaires de la
politique. Et voici qu’avec le temps, il tente de séparer de plus en plus nettement ses
activités politiques et son rôle d’écrivain. Commence une succession de déceptions, de
démissions, de lâchages. « Quelle Algérie mythique avait-il construit en son cœur ? »
demande, sans condescendance, Jamel Eddine Bencheikh.
Je rêve d’assembler, comme dans la vie, poésie, érotisme et politique,
sordide et pureté, vice et vertu, grandeur et mesquinerie. Surtout ne pas
oublier les poubelles. Elles sont précieuses. Nos frontières.
Je marche dans Alger, aujourd’hui.
Je me rappelle la rue Michelet, le Parc de Galland, j’avais oublié le Sacré Cœur. Après
un petit tournant, la rue Élisée Reclus croise Didouche Mourad (ex-Michelet). Elle
s’appelle aujourd’hui Omar Amimour. C’est ici, au numéro 2, que Jean Sénac s’installa,
l’été 1968, tout près de l’escalier au-dessus du quartier Messonier, au fond de cette rue
courte, des plus banales, dans laquelle je lis seulement : Fédération algérienne des
Échecs.
Je me sais condamné par le rire des foules
À des heures sans pain
Il a signé un recueil du pseudonyme Yahia El Ouahrani (Jean l’Oranais), comme pour
imiter les authentiques chefs de guerre algériens.
Il travaille pour le ministère algérien de l’Éducation, dans la presse, à la radio, mais
reste un gaouri, un étranger.
Des intellectuels, tels Mostéfa Lacheraf, lui reprochent de ne pas prendre assez de recul
vis-à-vis du pouvoir.
Personnalité connue, notamment de la jeunesse étudiante, il revendique sans honte le
droit à un érotisme minoritaire et débridé.
Il fréquente sans prudence des marginaux, des voyous, sûrement des traîtres aussi. Il
évoque des déceptions, des impatiences et affirme sa fidélité aux éblouissements.
Longuement et sans ménagement, il analyse la situation politico-culturelle de l’Algérie
dans un article L’Algérie, d’une libération à l’autre, que Le Monde Diplomatique
publie en août 1973. Comme d'habitude, il critique à haute voix.
Et le voilà bientôt lâché, Sénac, peu à peu sans soutien aucun. Il vit dans un dénuement
presque total et date ses courriers d’Alger-Reclus. Il appelle son logement sa cave-vigie.
Il poursuit ses chasses nocturnes qui le laissent seul et saccagé moralement et parfois
physiquement lorsqu’à plusieurs reprises il est agressé.
Depuis 1971, il a dit à ses proches :
Ils me tueront ou bien ils me feront assassiner. Ils feront croire que c’est
une affaire de mœurs. Mais je ne quitterai jamais en lâche ce pays où j’ai
tant donné de moi-même. Ils feront de moi un nouveau Garcia Lorca.
L’heure est venue pour vous de m’abattre, de tuer
En moi votre propre liberté, de nier
La fête qui vous obsède
Dans un essai lumineux, l'écrivain Rabah Belamri cite un texte de Sénac d’août 1972 :
Cette nuit, dans ma minuscule cave, après avoir franchi les ordures, les
rats, les quolibets et les ténèbres humides, à la lueur d’une bougie, dix ans
après l’indépendance, interdit de vie au milieu de mon peuple, écrire. Tout
reprendre par le début …
Le 30 août 1973, dans les petites heures de la matinée, Jean Sénac est assassiné dans sa
cave-vigie. Le médecin légiste constate un décès suite à une blessure au crâne suivie de
cinq coups de couteau portés à la poitrine.
Les rapports de police sont imprécis, ambigus. On ne saura jamais si le crime a eu lieu
sur place ou si le corps a été déplacé. Parmi les journaux, seul El Moudjahid, organe du
FLN, annonce le 5 septembre la nouvelle puis quelques jours après l’arrestation d’un
jeune délinquant, Mohammed Briedj. Plusieurs amis de Sénac rencontrent le jeune
homme. « Ils eurent tous la conviction qu’il avait lui aussi été une victime » (J.P.
Péroncel-Hugoz). D’un coup monté s’entend. Briej fut rapidement libéré et le dossier
classé.
Sénac au jour, espiègle et dénudé, dressé contre les impostures (les siennes comprises,
assurément), les morales tièdes, le mensonge qui tue. Sénac à la nuit, amant du mystère
et désirant, dévasté, double douloureux de lui-même.
Fous rires, folles larmes. Et, du jasmin pour le regard.
Éric Sarner
http://www.revue-secousse.fr/Secousse-17/Carte-blanche/Sks17-Sarner-Senac.pdf
Éric Sarner est né en 1943 à Alger. Vit entre Paris, Berlin et Montevideo (Uruguay). Poète, écrivain et
documentariste, auteur d'une douzaine d'ouvrages de genres différents, dont récemment : en poésie, 22
Figures au passage (Les Venterniers, 2015), Cœur chronique (Le Castor astral, 2013- prix Max-Jacob
2014) ; en prose, Un voyage en Algéries (Plon, 2012), Sur la Route 66, petites fictions d’Amérique
(Hoëbeke, 2009). Comme cinéaste, il a signé une vingtaine de documen
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