On ne pouvait rêver meilleure coïncidence. Alors que le peuple algérien est dans la rue pour manifester contre la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, les éditions Dupuis publient Le Dernier Atlas, une BD qui imagine une histoire alternative de l’ancienne colonie française. Prévue en trois tomes et conçue comme une série TV, cette uchronie met en scène des robots géants, responsables d’un désastre nucléaire dont l’Algérie ne cesse de payer le tribut.
Lorsque ces robots découvrent, bien avant 1956, comme dans la réalité, du pétrole dans le sol algérien, le général de Gaulle décide de conserver coûte que coûte la colonie en lui cédant plus de droits. En agissant de la sorte, le Grand Charles décale l’Histoire et la guerre d’Algérie d’une quinzaine d’années. Dans Le Dernier Atlas, « les événements d’Algérie » éclatent ainsi en 1968, portés par les révoltes estudiantines du mois de mai, et se terminent en 1976.
« C’est une bonne manière de montrer que l’on ne parle pas vraiment de la guerre d’Algérie telle qu’elle s’est passée dans le cadre historique », indique le scénariste Fabien Vehlmann, qui a imaginé son récit avec Gwen de Bonneval (scénario), Hervé Tanquerelle (dessin), Fred Blanchard (design) et Laurence Croix (couleur). Leur récit, qui se déroule de nos jours, suit de Nantes à Alger Ismaël, un voyou mélancolique embarqué dans une affaire qui le dépasse et charrie les non-dits de l’histoire.
Traumatisme « par écho »
La guerre d’Algérie, pour l’équipe du Dernier Atlas, est en effet une affaire personnelle. Le père de Fabien Vehlmann, pilote d’avion, y a participé: « Il n’était pas en lien avec les pires horreurs, mais il s’est rendu compte de l’usage de la torture. C’est un des rares trucs qu’il m’a dit: qu’il n’était pas fier de ça. » Sinon, il n’en parlait jamais, arguant: « Je n’en parle pas parce que tu ne pourrais pas comprendre ».
Raconter cette histoire, c’est aussi gérer ce traumatisme “par écho” – et cette culpabilité – en transformant les non-dits en récit national. Tanquerelle, dont le père a été envoyé sur place, mais n’a pas été directement touché par les événements, a lui aussi ressenti “presque un sentiment de culpabilité” en s’informant sur le sujet. Pour eux, il s’agit aussi de comprendre:
Malgré l’échec cuisant de la Guerre du Vietnam, le cinéma américain a réussi à produire, en direct différé, une multitude d’œuvres sur le sujet, portée notamment “par une jeunesse contestataire, ce qui était moins le cas en France”, précise Tanquerelle. La France a eu un peu moins de facilité à aborder la question – malgré quelques œuvres fondatrices comme Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier et La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier. Des titres qui évoquent le conflit d’un point d’un point de vue réaliste.
« Un déchirement fratricide »
« Le risque », estime Fabien Vehlmann, est ainsi « de ne parler qu’à des convertis, des gens qui veulent entendre parler de la guerre d’Algérie, c’est-à-dire une poignée de lecteurs ». Il poursuit: « Nous voulons en parler à des gens qui d’habitude ne se seraient pas intéressés à ce sujet, de manière à créer un début de dialogue. Cela implique de bien connaître le sujet et surtout de ne pas en faire le sujet central de l’histoire. »
Si la France a souvent été réticente à évoquer en fiction la Guerre d’Algérie, c’est en partie lié à sa proximité géographique. « Ce n’est pas faute de bonne volonté, c’est juste trop près, trop à vif », confirme le scénariste. D’autant que la France compte une forte communauté algérienne. « Il fallait du temps surtout parce qu’on était les méchants de l’histoire », poursuit le scénariste: « On s’est créé [après la Seconde Guerre mondiale] la mythologie nationale d’un peuple résistant face à l’oppresseur et là on a découvert que les Français étaient aussi les tortionnaires. » En abordant ce sujet, Fabien Vehlmann voulait parler du « problème de fond » de la Guerre d’Algérie:
« C’est une guerre civile qui n’a pas dit son nom. Les Algériens étaient présentés comme des Français jusqu’à ce que l’on perde la guerre. A partir de quoi, ils sont devenus des Algériens et c’est tout. Or, avant, on les considérait comme des Français. Et si ce sont des Français, c’est une guerre civile et il n’y a rien de pire qu’une guerre civile. C’est un déchirement fratricide. Ça fait penser à ces non-dits dans les familles. Je pense que l’islamophobie ambiante, un peu larvée est en partie issue de cet angle mort. »
La BD, pour Fabien Vehlmann, est ainsi l’outil parfait pour parler de ce sujet dans un pays encore traumatisé par ce sujet. L’objet du Dernier Atlas est ainsi d’éviter tout manichéisme, d’instaurer le doute chez le lecteur en le poussant à vérifier ce qui appartient ou non à la grande histoire et à dire: « c’est constitutif de notre histoire ».
Le Dernier Atlas, Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval (scénario), Hervé Tanquerelle (dessin), Fred Blanchard (design) et Laurence Croix (couleur), Dupuis, 232 pages, 24,95 euros.
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