Dans la zone montagneuse très accidentée de Cherchell, les accrochages avec l'armée française commencèrent avec l'arrivée, la mi-juin 1956, d'un groupe de treize hommes armés, chargés par le commandement de l'ALN de la zone 4 (Blida-Médéa) -plus tard wilaya IV- d'organiser le maquis dans cet espace rectangulaire, de 70 kilomètres de long et de 15 à 20 kilomètres de large, qui sépare la plaine du Haut Cheliff de la Méditerranée. Le premier objectif assigné à ce groupe "éclaireur" était de réaliser la jonction avec le maquis déjà actif de Ténès, à l'ouest, dans le cadre du plan général d'expansion de l'insurrection tracé par l'état-major de cette zone. Les deux chefs du groupe chargé de cette mission sont nés à Cherchell. Les anciens membres du MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques créé par Messali Hadj au mois d'octobre 1946), bien intégrés dans la population des montagnes, les aidèrent dans leur mission en prenant particulièrement en charge la campagne d'explication des objectifs de l'ALN: La lutte pour libérer le pays de l'occupation coloniale.
Au plan administratif, le territoire pris en charge était divisé en sept douars issus du démembrement, en 1863, des tribus des Béni Menacer et d'El Ghobrini. Les douars, habités exclusivement par des indigènes, étaient caractérisés par l'extrême morcellement de l'habitat, un habitat épars avec toutes ses singularités. Les populations, très conservatrices, vivant quasiment en autarcie, avaient toutes la même culture et pratiquaient la même religion.
Elles parlaient la même langue, le berbère. Elles avaient le même mode de vie archaïque caractérisé par leur façon de travailler la terre avec des outils rudimentaires (l'araire et la hache à la main), leur façon de consommer, de se soigner, de s'habiller, de se divertir, de construire leur maison (une hutte construite en pisé et en pierre couverte d'une terrasse faite d'un mélange d'argile et de branchages entrelacés avec une étable sous le gourbi).
La colonisation féroce fit que les montagnards, séparés de la zone littorale utile occupée par les colons, furent abandonnés à leur triste sort, l'administration coloniale ne s'intéressant qu'au prélèvement des impôts: "Pas d'école, pas de médecin ni dispensaire, pas d'électricité, pas de route", nous dit un ancien paysan de la fraction Taourira du douar Sidi Semiane, rencontré à Sidi Ghilès où il habite.
"Des gens vivant dans les ténèbres, sans les ressources de base minimales, soumis à l'arbitraire de l'administrateur civil et de son assistant servile, le caïd, désigné à la tête de chaque douar, témoigne Mohamed Younès, un maquisard né à Cherchell. Ses parents sont originaires du douar Bouhlal. Son compagnon d'armes, Mustapha Saâdoun, un vieux dirigeant du Parti communiste algérien (PCA), avait été frappé, à son arrivée au maquis au mois de juillet 1956, par la terrible pauvreté des montagnards.
Commissaire politique, il avait eu à arpenter tout le maquis. "Au douar Zatima, sur les hauteurs des monts de Gouraya, les gens vivaient à l'âge de pierre. À Sidi Ouchkine, la famine tuait en hiver. De ma vie, je n'ai vu une telle situation de dénuement. Pour éviter les rafales de vent, les gens vivaient sous terre comme des troglodytes. Livrés à eux-mêmes, ils étaient devenus des loups", nous a-t-il dit en 2008, quelques semaines avant sa mort. C'est dans ce douar déshérité de Zatima que les militaires français recrutèrent leurs premiers harkis en leur offrant une maigre solde.
"Au milieu de la désolation -où les enfants, vêtus d'une simple gandoura, marchaient les pieds nus- les garçons venaient à la vie pour garder des chèvres, puis adultes, aller travailler dans les riches fermes coloniales du littoral, ou bien être des hommes de peine à l'huilerie Buthon, dans la montagne de Dupleix, ou alors tailleurs de pierre au mont des Carrières, au sud de Fontaine-du-Génie", raconte le maquisard Mohamed Younès qui, enfant, partait rendre visite à ses grands-parents restés dans la montagne de Bouhlal.
"Des montagnards, parmi les plus costauds, réussissaient à trouver du travail, sur le littoral colonial, comme cantonniers au service des Ponts et Chaussées. Aux côtés d'autres travailleurs, certains, les plus conscients, avaient intégré le mouvement national. Ils furent les premiers moussebiline", témoigna Mustapha Saâdoun qui avait mené campagne, dans les années 1950, contre le recrutement des montagnards démunis de l'essentiel pour vivre, pour aller faire la guerre en Indochine et servir de "chair à canon" dans le corps expéditionnaire français.
Dans cette partie orientale du Dahra, l'occupation du sol par les troupes de l'armée française, venues de France renforcer les forces répressives, se fit par étape. Elle commença par l'est du massif montagneux.
Le 17 juillet 1956, le 3e bataillon du 22e bataillon du régiment d'infanterie s'installa au centre de colonisation de Zurich puis fixa un PC réduit au centre de colonisation de Marceau. Les maisons forestières lui servirent de postes avancés dans les montagnes. Le bataillon était rattaché sur le plan opérationnel au secteur Est dont le PC se trouvait à Miliana. Pour les stratèges de l'armée française, la vraie guerre se jouait dans ces montagnes farouches. Il fallait "pacifier" ce territoire, c'est-à-dire soumettre tout à leur contrôle.
Pour le petit groupe de l'ALN, arrivé dans la région au mois de juin 1956, tout commença à Adouiya, un lieu escarpé très difficile d'accès, situé sur l'axe Carnot-Dupleix, à 50 kilomètres au sud-ouest de Cherchell, loin des centres de colonisation de Marceau et de Zurich. Son installation fut facilitée par l'imam Sid Ahmed, un homme de culture doté de la confiance de la population. Les gens de Adouiya sont connus dans l'histoire du mouvement national pour avoir porté les candidats de la liste démocratique à la Djemaa, en 1946. Mustapha
Saâdoun, alors militant du Parti communiste algérien, fut pour beaucoup dans ce succès électoral. C'est de Adouiya que fut lancée l'opération de jonction avec le maquis de Ténès, à l'ouest.
La deuxième étape de l'extension de la guérilla dans la région fut Hayouna, un ensemble d'habitats dispersés au sommet d'un plateau très élevé, entre oued Sebt et oued Messelmoun. Située sur le versant de Gouraya, à mi-chemin entre la mer, au nord, et oued Chéliff, au sud, cette fraction du vaste douar de Bouhlal (4.000 habitants), offrait par son relief accidenté toutes les commodités pour l'implantation de l'ALN.
Le commando de l'ALN s'appuya sur l'organisation clandestine du MTLD présente au douar depuis longtemps. Ainsi, rapidement, les refuges furent trouvés pour servir de relais aux groupes armés en constants déplacements.
Des caches pour le stockage du ravitaillement furent aménagées chez des hommes sûrs, dotés de la confiance de la population, tels que Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaïdi, Mohamed Hamdine, M'Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenech. "La population était acquise à la cause. De cette société montagnarde sortirent les fida et les moussebiline dont le groupe armé avait besoin. Les femmes préparaient la nourriture. Nous étions comme un poisson dans l'eau", témoigna le doyen du maquis, Mustapha Saâdoun.
Le premier accrochage entre le commando de l'ALN et des éléments de l'armée française eut lieu le 18 juillet 1956, au maquis d'Aghbal, à six kilomètres au sud de Gouraya. Le commando, renforcé par de nouvelles recrues arrivées de la ville, notamment des joueurs de l'équipe de football du Mouloudia de Cherchell conduits par Ali Bendifallah, leur capitaine, venait de recevoir des armes de guerre sorties du lot capturé le 4 avril 1956 par Henri Maillot*.
Ce premier accrochage eut lieu sur le plateau de Saâdouna, au pied d'un des plus hauts sommets du Dahra oriental, Iboughmassen, à un lieu enclavé dans une épaisse forêt. L'embuscade fut tendue au col, à la fin d'une pente raide, boisée, caillouteuse. La 6e compagnie du 3e bataillon dy 22e R.I., accrochée alors qu'elle menait une opération de bouclage du djebel Gouraya, perdit plus de 50 morts. En se retirant, l'ALN emporta de nombreuses armes de guerre.
Douze jours après, le 31 juillet 1956, sur la piste qui borde l'oued Messelmoun, l'armée française fut une nouvelle fois accrochée. Là aussi, l'ALN récupéra des armes lourdes.
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- Henri Maillot est tombé au champ d'honneur le 5 juin 1956.
Mohamed Rebah Chercheur en Histoire
https://www.huffpostmaghreb.com/mohamed-rebah/dans-les-monts-de-cherche_b_5587210.html
La lutte dans les monts de Cherchell
Vers la mi-juin 1956, un groupe de douze soldats de l'Armée de libération nationale, partis des monts de Blida, fit son entrée dans la région montagneuse de Cherchell.
L'état-major de la zone du centre algérois (Blida-Médéa) dont le P.C était à Sebaghnia, dans les Beni Micera, avait confié, à ce groupe "éclaireur", la mission de porter la lutte armée dans cette partie algéroise du Dahra et réaliser, par-là, la jonction avec le maquis du sud de Beni Haoua, actif depuis un moment.
Les deux chefs de l'escouade, nés tous deux à Cherchell, Ahmed Ghebalou, un jeune lycéen du lycée franco-musulman de Ben Aknoun, et Ahmed Noufi, coiffeur, qui venait de terminer son service militaire, s'étaient rencontrés à Chréa. Cette avant-garde militante avait été rassemblée dans les Beni Micera.
Elle était constituée de jeunes de condition modeste, originaires de différentes régions du pays : Mokrane, de Kabylie, Rachid d'Alger, Abdallah d'Oran, Ahmed de Chebli, Belkacem de Soumaa, Medihoum de Bouinan, Omar de Bir Ghebalou, Hadj d'Affreville, Hamid et Soufi. Dans l'escouade, Hamid et Soufi, qui avaient fait la guerre d'Indochine dans le corps expéditionnaire français, faisaient figure d'adjoints d'Ahmed Noufi, désigné chef militaire de cette unité d'élite par Amar Ouamrane, chef politico-militaire de la zone Blida-Médéa.
Rachid et Abdallah étaient des déserteurs de l'armée française. Hadj, ancien militant du PPA-MTLD, avait dirigé le groupe des Scouts musulmans algériens de sa ville natale.
Désigné chef politique du groupe, Ahmed Ghebalou, avait quitté les bancs du lycée franco-musulman de Ben Aknoun quelques jours après la grève de la faim observée, au mois de mars 1956, par les élèves de ce lycée, suite à une intoxication alimentaire.
Membre d'une cellule FLN à la Casbah d'Alger, il rejoignit le PC de l'ALN dans les monts de Béni Micera, au douar Ouzana, où arrivèrent d'autres lycéens après la grève lancée le 19 mai 1956.
Pour implanter les premiers jalons de l'ALN dans la partie ouest du Dahra oriental et assurer la jonction avec le maquis de Ténès, Ahmed Ghebalou, que nous appellerons désormais de son nom de guerre "H'Mimed", fixa son choix sur le douar de Adouiya à partir duquel l'extension de la lutte put se faire.
Considérée comme fraction du douar Beni Mileuk, Adouiya est située à plus de 50 km au sud-ouest de Cherchell, loin des casernes militaires implantées dans les centres de colonisation de Zurich et de Marceau.
Les conditions naturelles que présente le lieu choisi sont favorables. Du pic dénudé, on observe aussi bien la côte méditerranéenne que les hauts plateaux de l'arrière-pays. Adouiya est à mi-chemin de Dupleix, au nord, et de Carnot, au sud. Sid Ahmed, l'imam du douar, avait préparé le terrain. Venu d'Affreville, il avait une ascendance sur la population.
Le maquis naissant collait aux djebels Hanngout et Sidi Bernous, au sud-est de Ténès. L'organisation du douar fut confiée à Mustapha Saadoun qui venait d'arriver après sa sortie miraculeuse de l'encerclement du maquis de Beni Boudouane où ses camarades des Combattants de la libération, Henri Maillot, Djillali Moussaoui, Abdelkader Zelmatt, Maurice Laban et Belkacem Hannoun, tombèrent au champ d'honneur.
Pour Mustapha Saadoun, qui connaissait bien la région, tout était à faire : expliquer l'objectif de la lutte armée, recruter des moussebiline, organiser le ravitaillement, aménager les caches, construire des abris, mettre en place le réseau des liaisons et renseignements.
C'est de ces lieux escarpés que va se réaliser la jonction avec le maquis de Ténès où le travail mené patiemment par Abdallah Mokarnia et Rabah Benhamou dit Ali, avec l'aide de Gaston Donnat, directeur d'école, et le docteur Jean Masseboeuf, portait ses fruits.
Mustapha Saadoun les avait déjà rencontrés le 1er novembre pour voir avec eux les possibilités d'organiser la lutte armée dans la région ouvrière des mines de Bréira et de Beni Akil.
LES PAYSANS DANS LA LUTTE
La lutte s'étendit rapidement grâce à l'appui de paysans politisés, éclairés, comme les militants des kasma rurales du MTLD, Abdelkader Bouridje, Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaidi, Mohamed Hamdine, M'Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenech qui, avec l'aide de leurs proches, préparèrent les premiers refuges indispensables au repli des sections du commando en constants déplacements. Ils mirent en place les relais et assurèrent les caches pour le ravitaillement. Les contacts avec la population se firent par leur intermédiaire.
A chacun de ses passages dans les douars, Ahmed Noufi, appelé Abdelhak, renforçait l'unité de combat par le recrutement de paysans du terroir. Les habitants de Sidi Semiane, Beni Berri, Beni Bouaich furent les premiers à être représentés au commando.
Le premier armement, rudimentaire, s'était enrichi d'armes provenant du lot détourné le 4 avril 1956 par Henri Maillot, ramenées avec lui par Mustapha Saadoun, ainsi que d'armes lourdes pris sur l'ennemi lors des premières embuscades des 18 et 31 juillet 1956 et de fusils de chasse cédés par les paysans.
Dans chaque douar, devenu secteur dans l'organigramme de la région, les moussebiline étaient choisis et recrutés par les membres du "comité des trois" élu conformément aux directives du Congrès de la Soummam, tenu au mois d'août 1956 à Ifri, en Kabylie. Ils avaient pour mission d'organiser le réseau de renseignements.
Ils montraient ainsi aux bergers comment observer les mouvements de l'ennemi. Sans le travail plein d'abnégation de ces paysans sans arme, l'ALN n'aurait pas réussi sa progression. Ils procédaient également à la constitution de groupes de fidas pour commettre des sabotages.
L'ARMEE COLONIALE
C'est ce commando de l'ALN, doté d'armes hétéroclites, qui eut à faire face au 3ème bataillon du 22ème régiment d'infanterie de l'armée française, venu de l'extérieur avec une haine terrible pour les autochtones.
Arrivé dans la région à la mi-juin 1956, ce régiment eut pour mission, selon la cartographie établie par les officiers de renseignements, de quadriller le secteur englobant toute la commune-mixte de Cherchell avec ses sept douars. Le travail cartographique avait précédé son arrivée : le territoire, organisé en deux quartiers, Cherchell et Gouraya, découpé en plusieurs sous-secteurs avec des postes militaires aux postes névralgiques.
Les soldats du contingent avaient accompli leur service militaire en Métropole, en 1952. La troupe était composée d'ouvriers, paysans, employés. Ils avaient appris à l'école que "la race la plus parfaite - leur race - est la race blanche" ; Le territoire qui s'étendait devant eux leur était totalement inconnu.
Ils se rendirent vite compte que la population autochtone dont ils venaient envahir le territoire leur était hostile.
Dès son arrivée, le 3ème bataillon s'installa dans les riches centres de colonisation de Zurich et de Marceau, une zone favorable à la vie humaine : sol argileux favorable à la culture des céréales, bonnes terres à vigne, possibilité d'irrigation, circulation aisée.
En foulant le sol algérien, que connaissaient les soldats métropolitains de l'Algérie ? A l'école, ils avaient appris certes que ce pays constituait trois départements intégrés à la Métropole. Que leur avait-t-on dit de la situation de ces gens des montagnes vivant "dans les ténèbres, sans les ressources de base nécessaires, soumis à l'arbitraire de l'administrateur civil et de son assistant servile, le caïd.
Que leur avait-t-on dit de ces montagnards abandonnés dans la pauvreté terrible par l'Administration coloniale préoccupée uniquement par la collecte des impôts : pas d'école, pas de médecin ni de dispensaire, pas d'électricité, pas de route sauf celle réservée au garde-champêtre" comme témoigne Mohamed Younès, moudjahid de cette région de ses ancêtres.
Que connaissent-ils de ces gens du douar Zatima, par exemple, qui "vivent, comme le souligne le commissaire politique de l'ALN, Mustapha Saadoun, dans une misère noire, dans le dénuement le plus complet. A Sidi Ouechkène, par exemple, la famine tue en hiver. Pour s'abriter des rafales de vent, les gens vivent sous terre comme des troglodytes".
Que sont-ils venus faire en Algérie ? "Pour défendre les intérêts des colons cupides", témoignent les ouvriers vendangeurs exploités.
LE PREMIER ACCROCHAGE
Fraîchement installée à Gouraya, dans la résidence d'été du gouverneur général transformée en caserne, la 6ème compagnie du 2ème bataillon venue en renfort au 3ème bataillon, connut le 18 juillet 1956 ses premières pertes.
Partie pour une opération de ratissage, au douar Aghbal, dans les monts de Gouraya, elle tomba, à Saadouna, dans une embuscade bien préparée par Abdelhak. La compagnie, surprise, perdit, pour sa première intervention, une cinquantaine de soldats.
En fait, précise Mustapha Saadoun, "ils s'étaient entre-tués sous les tirs de l'aviation venue à leur secours".
En ces années 1956 et 1957, l'initiative était à l'ALN.
Moham ed Rebah Chercheur en Histoire
https://www.huffpostmaghreb.com/mohamed-rebah/la-lutte-dans-les-monts-de-cherchell_b_9324730.html
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