Analyse critique du texte de Kamel Daoud « Ma guerre avec la guerre d’Algérie », paru su le New York Times le 15 octobre 2018.
Dans cette analyse critique du texte de Kamel Daoud « Ma guerre avec la guerre d’Algérie », paru dans le New Work Times le 15 octobre 2018, l’accent sera mis sur sa représentation de l’image de la guerre de libération nationale, de ses acteurs et sur son commentaire de la déclaration du Président français, Emmanuel Macron, concernant la criminalisation de la colonisation, qu’il qualifia de « crime contre l’humanité », ainsi que le style avec lequel il les avait abordés.
Il n’est pas question, ici, de faire le procès de Kamel Daoud sur ses errances de journaliste écrivain outre-mer et son instrumentalisation grossière par une certaine élite intellectuelle et médiatique parisienne. Pour cela, Ahmed Bensaada a définitivement clos le sujet. En mettant kamel Daoud à nu, dans son essai « Cologne, contre-enquête », publié aux éditions Frantz Fanon en juin 2016. D’ailleurs, Kamel Daoud n’est pas le seul intellectuel à avoir été débusqué par Ahmed Benssada dans cet essai dévoilement. Ce sont tous ces intellectuels nord africains qui ont élu domicile sur la rive gauche parisienne, et qu’il qualifie de bons supplétifs des intellectuels néoconservateurs et néocolonialistes de la pensée, qui dominent la place médiatique française. A l’image des harkis pendant la guerre de libération nationale, ces supplétifs de la pensée, ont pour tâche de constituer une caution alibi pour légitimer et renforcer le discours néocolonialiste. Ahmed Benssada, n’est pas d’ailleurs le seul à avoir dénoncé la complicité de ces intellectuels avec ce discours néo colonialiste qui prédomine dans l’ancienne métropole coloniale. Beaucoup d’autres intellectuels, aussi bien des anciens colonisés que des intellectuels issus des anciens pays colonisateurs européens, opposés à cette nouvelle forme de colonialisme sournois, avaient eux aussi dénoncé « ces nègres de service », comme les appelés certains d’entre eux. Mais Kamel Daoud, conscient de cette posture humiliante et dégradante, investit tant d’efforts à se justifier, par l’ajustement de son style d’écriture et même pendant ses prises de parole publiques. Allant jusqu’à marteler qu’il vit à Oran et non pas à l’étranger. Même sur le papier qu’il publia sur le New York Time, et qui est discuté ici, il n’hésitera pas de le signer en précisant le lieu : ORAN, ALGERIE, bien écrit en lettres majuscules, pour bien se faire entendre à ce propos. Alors qu’en vérité, il bénéficie d’un titre français de séjour visiteur. Statut accordé aux nantis financièrement, et aux personnes se trouvant dans son cas, et qui équivaut à un titre de résident permanent.
Son style se distingue généralement par des généralisations essentialistes et un usage sélectif de l’information, destinés à réconforter l’orientation de son discours. Ainsi, dans son texte « Ma guerre avec la guerre d’Algérie », il use de généralisations outrancières envers les anciens combattants de la guerre d’indépendance, pour anéantir chez son lecteur toute possibilité d’empathie et de considérations pour leur engagement et leur sacrifice. « Quand j’étais enfant, l’une des façons de faire rire autour de soi était de moquer les vétérans de guerre et leur propension à exagérer ou inventer leurs faits d’armes passés pour bénéficier de privilèges au présent. » Notons que l’objet des moqueries n’est pas formulé au conditionnel, celui qui désigne des vétérans parmi d’autres, sujets à propension d’exagérer ou d’inventer leurs faits d’armes, mais tous les vétérans de guerre ! En fait, ce qui est visé ici, c’est la sincérité même de l’esprit de la lutte armée pour l’indépendance qui est mis en doute. Il va de soi que toute guerre produit ce phénomène chez certains de ses vétérans, qui ont tendance à l’exagération et à l’invention de faits d’armes imaginaires. Encore que, dans le cas algérien, cette guerre n’en était pas une. C’était plutôt une révolution menée les mains nues par un peuple spolié de ses terres et dépouillé de tous ses droits contre un empire colonial, possédant une armée parmi les plus puissantes au monde. Le combat inégale se soldant par la victoire sur l’ennemi avait prédisposé beaucoup de vétérans vers la propension à l’exagération et à l’invention de faits d’armes. Non pas systématiquement pour des calculs de privilèges comme il le rapporte avec exagération, mais souvent par euphorie, d’avoir reconquis leur liberté et leur dignité. C’est aussi une autre manière de prolonger cette euphorie en poursuivant les faits d’armes par des inventions entièrement construites dans l’imaginaire. Ces braves gens ne sont pas à plaindre, ils sont plutôt attendrissants dans leurs exagérations après avoir mené une guerre inégale à la dimension de David contre Goliath, par tant d’abnégation et de courage. Nous aussi ils nous faisaient rire, mais non pas par mépris et pour susciter leur haine et d’amoindrir leur combat chez l’auditoire, mais plutôt par tendresse et par respect pour la folie qui s’est emparée d’eux, à avoir oser affronter la mort pour l’idéal de liberté et de dignité et le délire dans lequel ils se sont plongés longtemps après la fin de la guerre.
Comme dans toute posture de radicalisation, il y a nulle place pour la nuance. Le style de Kamel Daoud ne se fonde pas sur les règles de la littérature, il s’apparente plutôt aux figures des discours performatives, celles des rhétoriques essentialistes et totalitaires. Son lecteur est privé de tout espace d’intrusion dans le texte. C’est à prendre ou à laisser. Comme chez les intégristes, où toute démonstration scientifique ou discours rhétorique devrait démontrer l’existence de dieu et ne doit en aucun cas laisser à l’auditeur d’espace pour le doute ou la nuance. C’est le propre de tout essentialisme, comme celui qu’il a déployé pour commenter la gigantesque manipulation des viols de Cologne. C’est ainsi qu’il s’adresse à ses lecteurs et à ses mécènes du New York Times dans sa démonstration du rejet de la guerre de libération nationale, à travers son texte : « Ma guerre avec la guerre d’Algérie ». « Je n’ai pas connu la guerre, mais elle a été présente dans mon imaginaire. Par la voie de mes parents et proches et de leurs discussions, et par la voie de l’Etat : l’école, la télévision, les fêtes officielles et les discours politiques. Tout ce que j’entendis alors a créé en moi, comme dans l’esprit de beaucoup de personnes de mon âge, une saturation qui provoqua le rejet. » En plus d’user d’une assertion « comme dans l’esprit de beaucoup de personnes de mon âge », à travers laquelle il assène à son auditeur une opinion subjective qu’il doit tenir pour une vérité sans nuance, sur qui il entend exercer une pression d’influence, il construit sa rhétorique malhonnêtement sur la collecte d’informations sélectives.
Une chose est sûre, nos parents qui ont vécu dans leur chair et dans leur esprit les affres de la colonisation, et qui ont été témoins du sacrifice des martyres et de tous ceux qui ont pu s’en sortir vivants de la barbarie de cette guerre après un long combat contre l’ennemi commun, savent nuancer entre les authentiques et l’existence réelle de faux vétérans et de ceux qui exagéraient leurs faits d’armes pour bénéficier de privilèges. Mais Kamel Daoud n’a visiblement retenu des récits de ses parents et de ses proches que ceux relatifs au deuxième cas de figure, qu’il généralisa à tous ceux qui ont porté les armes, pour asseoir sa rhétorique voulue par ses mécènes.
On retrouve le même style de discours mensonger, fondé sur des arguments sélectifs, lorsqu’il s’agit de la représentation de l’image de la guerre. Seule retient son attention l’image véhiculée par le discours officiel, caractérisé le plus souvent, certes, par le détournement de l’idéal révolutionnaire au profit d’un pouvoir ayant usurpé l’autorité par la violence et la coercition, au nom de ce même idéal « la voie de l’Etat : l’école, la télévision, les fêtes officielles et les discours politiques ». Evacuant de son répertoire argumentaire tous les discours de ceux qui s’opposent au discours officiel pour façonner une autre représentation de la Révolution et de ses idéaux. Comme tout intégriste, il ne retient que ce qui conforte sa rhétorique de rejet de la guerre, ses motivations et son idéal, jusqu’à la tentation de sa délégitimation pour satisfaire les vœux de ses mécènes faussaires. « On me faisait sentir coupable de n’être pas né plus tôt pour pouvoir faire la guerre. Endetté vis-à-vis de ceux qui s’étaient battus contre la France, j’étais sommé de vénérer mes aînés. Je fais donc partie de cette génération pour qui la mémoire de la guerre d’Algérie... Nous avons grandi convaincus qu’il s’agissait désormais d’une rente et non plus d’une épopée. »
C’est ainsi qu’il conclut la première partie de son texte, en associant toute une génération à sa névrose d’ancien islamiste radical repenti, de laquelle il garde certainement une blessure profonde, qui l’empêche d’avoir la sincérité nécessaire pour disposer suffisamment de qualités intellectuelles de discernement et de recul pour percevoir sa société, son histoire et sa mémoire avec le plus d’objectivité et d’honnêteté. A travers le rejet de la mémoire de la guerre de libération nationale, Kamel Daoud semble se battre contre sa propre mémoire, celle de s’être égaré pendant son adolescence aux côtés des islamistes radicaux. Il cherche son réconfort chez toute une génération qu’il voudrait influencer en l’associant à son délire, y compris de se jeter dans les bras de mécènes qui ne veulent pas forcément du bien à son peuple. Sachant pertinemment, que celle-ci est disposée à le suivre sans même comprendre le fond de son discours. L’effet médiatique de consécration de ses mécènes leur suffit comme légitimation. Ce qui leur importe, c’est de se venger d’un pouvoir qui a volé leur vie et hypothéqué leur avenir.
Quelques parts, sa posture lui est tombée sur la tête, comme les dieux tombent des cieux. Les importants prix littéraires que l’ancien colonisateur lui a décerné, lui ont permis de bénéficier d’une place de privilégié, dont il ne pourra se défaire, sous peine de tout perdre, et les privilèges et la guérison de sa névrose.
Dans son commentaire de la déclaration du Président français, Emmanuel Macron, concernant la criminalisation de la colonisation, qu’il qualifia de « crime contre l’humanité », Kamel Daoud poursuit son discours avec le même style et la même rhétorique.
Emanuel Macron avait lancé comme un pavé dans une grande marre sans fond, la déclaration dans laquelle il qualifia la colonisation française de « crime contre l’humanité ». C’était pendant un moment de sa campagne électorale, où chaque geste, chaque mot est pesé et réfléchit autant de fois de sorte à éliminer toute probabilité d’erreur qui lui aurait été fatale et l’empêcher d’accéder à la fonction suprême de la présidence de la République. Rien n’était donc entrepris au hasard. Dans la suite, non pas qu’il fut surpris d’avoir été pris au mot et à la lettre, et même au ton solennel de son énonciation par une partie importante des français dans une réaction hostile à sa déclaration, mais il s’y attendait, certainement, fermement. La marche arrière qu’il fit alors, sitôt, en reformulant sa déclaration sur un ton plus accommodant, n’était certainement que la suite prévue dans son plan de campagne. La première chose qui vient à l’esprit, c’est que cette déclaration n’avait été prononcée que par calcul électoral, en pensant probablement capter les voix des électeurs originaires des anciennes colonies, et ils sont nombreux, et qui peuvent faire basculer une élection d’un côté comme de l’autre au grès des lignes idéologiques des uns et des autres candidats. Ceci démontre combien une partie importante des électeurs français vivent encore avec l’esprit de ce qu’on appelait autrefois la grande France, à savoir, l’empire colonial, y compris ceux-là même qui au plus haut niveau de l’état entretiennent et veillent sur la continuité de la colonisation sous une forme néocoloniale. Puisque sa déclaration n’avait donc rien de sincère, il ne s’agissait en fait que d’un effet d’annonce, qui était destiné à être très tôt oublié, et qui n’aurait eu aucun impact significatif sur l’attitude de la France envers ses anciennes colonies. Ni même sur la pensée néocolonialiste qui domine la scène politique française. L’objectif voulu, ne pouvait donc être autre chose, que de vouloir capter l’attention de la masse des électeurs originaires des anciennes colonies, comme une publicité capte inconsciemment le désir de consommation du produit ciblé. Tout en sachant que cette catégorie d’électeurs n’était pas en mesure de le blâmer en faisant volte-face, alors que la sanction de ceux qui étaient hostiles à sa déclaration aurait été immédiate et fatale, s’il avait persisté à qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité ». Par le fait que cette autre catégorie d’électeurs est plus puissante et plus nombreuse.
C’est dans ces moments de crise du discours, que le besoin des supplétifs, ces « nègres de service », se fait sentir, et qu’ils seront appelés à la rescousse. A ce propos, Kamel Daoud avait rapporté sa position sur la question, dans son article discuté ici, dans ces termes « Lors de sa visite en Algérie pendant sa campagne électorale l’année dernière, Macron avait parlé de «crime contre l’humanité» en évoquant la colonisation française…J’étais en France à ce moment-là, et on m’interrogea avec insistance sur cette déclaration…Je voulais saluer le courage de la déclaration mais sans pour autant m’enfermer dans le rôle du décolonisé qui ne fait que ressasser sa mémoire coloniale et attendre des excuses. Je voulais à la fois honorer le passé et affirmer ma liberté vis-à-vis de lui. » Kamel Daoud ne se préoccupe même pas de la sincérité ou non de cette déclaration, il se contente de sa réception comme argent comptant, en jouant son rôle qui lui est assigné à la perfection, celui du bon supplétif, crédule, qui ne doute pas un instant de la bonne foi de l’ancien colonisateur : « honorer le passé…en saluant le courage de la déclaration… » Faire d’une pierre deux coups, duper ses lecteurs sur son bon patriotisme et affirmer sa servitude à ses mécènes. Il anticipe même leur ruse rhétorique par le truchement de cet effet d’annonce : « mais sans pour autant m’enfermer dans le rôle du décolonisé qui ne fait que ressasser sa mémoire coloniale et attendre des excuses. » C’est toute la démarche de reconnaissance du crime qui est remise en question, en insistant sur son inutilité, allant jusqu’à la culpabilisation de la victime à vouloir rétablir la vérité du crime avec insistance. Par l’affirmation de sa liberté vis-à-vis du passé, Kamel Daoud dissimule mal sa posture d’indifférence vis-à-vis de ce crime, une précaution nécessaire pour rendre son discours crédible vis-à-vis de ses lecteurs, en même temps de rassurer ses mécènes. C’est une figure de style à laquelle on reconnait un texte de Kamel Daoud à la première ligne de lecture.
Alors que la reconnaissance du crime colonial, en plus de permettre le rétablissement de la vérité sur ce moment tragique de l’histoire entre deux peuples, qui leur permettra de partager une mémoire commune et guérir toutes les séquelles et les traumatismes de la guerre, elle constitut en même temps un gage de bonne foi sur l’entreprise de décolonisation totale. Elle est surtout le gage du départ d’une nouvelle relation, ancien colonisateur et ancien colonisé affranchi, basée sur le respect mutuel et une solidarité sans failles. Pour que la demande de reconnaissance du crime colonial et des excuses qui la rendent effective soient un enfermement dans la mémoire, il aurait fallu que ces demandes soient une fin en soi, accompagnées d’une rupture totale de la relation ancien colonisateur et ancien colonisé affranchi. Or, cela relève de l’impossible, voire de l’absurde. La relation entre les deux peuples est tellement imbriquée en termes de déplacements de populations sur leurs sols respectifs, de métissage et de partage de valeurs, à un point tel, que si l’ancien colonisé voudrait s’enfermer réellement dans sa mémoire, il lui faudra opérer une véritable épuration ethnique et culturelle. Ce qui ramènera ce peuple en deçà de la civilisation. C’est justement cette image de l’ancien colonisé, celle qui est en deçà de la civilisation que Kamel Daoud caricature dans chacun de ses écrits en rapport à cette problématique et qu’il détermine par son aliénation à cette volonté de ne pouvoir s’émanciper de ce besoin « inutile » d’enfermement dans la mémoire.
Et si on inverse les places dans cette relation à la mémoire ? Si l’on considère que, c’est plutôt celui qui refuse le rétablissement de la vérité historique sur les différends entre ces deux peuples, celui qui s’enferme d’emblée dans une image de soi magnifiée et narcissique, celle de la nostalgie de la grande France au temps de l’empire, qui est sacralisée et considérée comme éternelle, dont il qualifie lui-même la violence inhérente sur l’autre de « colonisation positive », et qui est le véritable protagoniste à vouloir s’enfermer dans sa mémoire ! Qui est en soi une posture décalée par rapport au cours de l’histoire, et donc, ce serait elle plutôt qui est réellement en deçà de la civilisation. C’est là où réside toute la posture néo coloniale : refuser la reconnaissance du crime pour le faire perdurer et perpétuer la domination par la violence et le pillage des richesses de l’autre. Ainsi, l’ancien colonisé dans son insistance à demander la reconnaissance du crime, demande en fait, implicitement, à l’ancien colonisateur, de cesser sa nouvelle forme de domination néo coloniale et non pas de vouloir s’enfermer obstinément dans sa mémoire, comme voudrait le faire croire Kamel Daoud et comme voudraient l’entendre ses mécènes.
Voila comment le discours de Kamel Daoud ne peut-être celui du décolonisé qui veut s’affranchir de sa mémoire, comme il le prétend, pour duper ses lecteurs, mais celui d’un supplétif au service du discours néo colonial. Car, si réellement c’était le cas, il aurait commencé d’abord par s’affranchir de la représentation de la mémoire coloniale dans le discours néo colonial.
- PAR YOUCEF BENZATAT
le 12 novembre 2018
https://blogs.mediapart.fr/youcef-benzatat/blog/121118/kamel-daoud-sa-guerre-avec-la-guerre-d-algerie
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