Frédéric Paulin envoie un agent de la DGSE dépressif enquêter sur les renseignements algériens du début des années 90.
Son père, qui avait fui l’Algérie pour la France, lui a légué son nom et sa langue. Mais Tedj Benlazar a été élevé comme un Français. Quand, en 1990, la DGSE cherche l’homme idéal pour partir en poste à Alger, où les islamistes commencent à prendre de l’importance, elle comprend vite que ce type a un certain nombre de croix dans les cases. Certes, Benlazar est dépressif mais sa connaissance de l’arabe et son allure en font la recrue idéale.
Deux ans plus tard, il est de plus en plus dépressif. «L’idée, c’est de ne pas se tirer une balle dans la bouche dans un moment de trop grande déprime. Tedj Benlazar n’y pense pas chaque matin. Mais, de temps en temps, ça le prend : il se demande si un jour l’angoisse l’emportera et lui fera commettre l’irréparable», écrit Frédéric Paulin. Evelyne, sa femme, est restée en France avec leurs deux filles, ils s’appellent parfois, pas très longtemps, juste ce qu’il faut pour se rassurer mutuellement. Il lui ment, elle croit qu’il travaille pour une multinationale du gaz. On saura à la fin du roman pourquoi ses relations familiales sont si étranges.
Barbu.
En cette année 1992, «la peur a pris le contrôle du pays, des rues, des Algériens. La peur explique beaucoup de choses dans ce pays, depuis longtemps. Peut-être depuis 1945 et Sétif…» L’armée a mis un terme brutal à la victoire annoncée des islamistes dans les urnes et chasse sans merci le moindre barbu. Benlazar récupère un jour un tuyau : les militaires auraient ouvert un immense camp de concentration dans le désert, dans le sud de l’Algérie. «Des rumeurs disent que ceux qui y sont enfermés n’en ressortent jamais, que les alentours sont truffés de fosses communes. Les Français n’ont jamais pu rassembler la moindre preuve de l’existence du camp d’Aïn M’guel.» Surexcité, l’agent de la DGSE envoie un de ses indics y faire un tour. L’homme n’en reviendra pas. Alors il va enquêter lui-même. Il n’a plus grand-chose à perdre puisqu’il a envie de mourir. Jusqu’au jour où il va croiser la route de Gh’zala, la fiancée d’une des victimes d’Aïn M’guel, incroyablement belle. Tant pis si elle ne l’aime pas. Il va tout faire pour la protéger puis la séduire.
Contrairement à 1994 qui tient plus du roman noir (lire ci-contre), La guerre est une ruse présente tous les codes du polar classique. Un héros agent de renseignement, 45 ans, loser sur les bords, noyant sa solitude et son spleen dans les volutes de Gitanes qu’il fume à la chaîne, sillonnant l’Algérie au volant de sa Renault 21 grise, et brusquement réveillé par la beauté d’une femme. On finit par s’y attacher, l’homme aime son boulot, il est intègre, il garde bizarrement une sorte de fraîcheur, de capacité d’enthousiasme.
Mais ce roman est surtout une plongée incroyable dans les méandres des services de sécurité algériens et aussi dans les services de renseignement français. Pour un peu, on se croirait dans le Bureau des légendes. Combien d’années Frédéric Paulin a-t-il passé en Algérie pour connaître si bien le pays ? «Je n’y ai jamais mis les pieds, nous explique-t-il de Rennes, où il vit. Et je n’ai aucune entrée ni dans les services algériens ni dans les services français. J’ai tout trouvé en me documentant dans les livres, les archives ou sur Internet. Mais je porte ce livre en moi depuis très longtemps.»
Ce livre, ou plutôt ces livres car La guerre est une ruse - qui est aussi un verset du Coran - est le premier volet d’une trilogie qui vise à éclairer les sources du jihadisme. Sources que Frédéric Paulin fait donc remonter aux différentes guerres d’Algérie. «Quand j’avais 20 ans, je me souviens d’avoir vu le portrait de Khaled Kelkal affiché à la gare de Rennes. Il me ressemblait un peu. J’ai voulu comprendre comment des gamins qui me ressemblaient pouvaient se transformer en terroristes, ce qui se passait dans leur tête et ce qui avait engendré ça», explique Paulin. Khaled Kelkal, qui apparaît dans le roman, était un Algérien de Mostaganem, membre du Groupe islamique armé (GIA) et responsable de la vague d’attentats commis en France à l’été 1995. Après une traque de plusieurs semaines, il sera abattu par les forces de l’ordre fin septembre de la même année. «Du racisme au quotidien, de son impossibilité à s’intégrer, de ses souvenirs du lycée La Martinière, Khaled s’en fiche aujourd’hui, écrit Frédéric Paulin. C’est étonnant comme ce qui l’aurait auparavant poussé à agir n’a plus d’importance. L’important, aujourd’hui et à l’avenir, c’est de se battre et d’infliger le plus de dommages possible à l’ennemi. L’ennemi c’est la France.»
Droopy.
Voilà donc où l’auteur veut nous emmener : le terrorisme islamique est l’héritage de la colonisation. Le deuxième volet, qui sera publié en 2019 et dont l’action se déplacera vers les Balkans et l’Afghanistan, se concentrera sur la génèse des attentats de septembre 2001, donc sur Al-Qaeda et la figure de Zacarias Moussaoui, ce Français né de parents marocains impliqué dans ces attaques. «Comme Kelkal, Moussaoui aurait pu être considéré comme un exemple d’intégration, jusqu’au moment où cela a dérapé, c’est ça que je veux comprendre», dit Paulin.
Le troisième tome, prévu pour 2020, explorera la naissance de l’Etat islamique, avec un coup de projecteur sur le Moyen-Orient, et se terminera sur les attentats des terrasses et du Bataclan. Pas d’inquiétude, Tedj Benlazar continuera à nous régaler de sa gueule de Droopy et Frédéric Paulin - qui dit boucler ses fins de moi en écrivant des romans de gare sous pseudo -, poursuivra son tour du monde sans bouger de sa ville de Rennes.
https://next.liberation.fr/livres/2018/10/19/les-dunes-ont-des-oreilles_1686506
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