“Les bienheureux” est le titre du premier long-métrage de la réalisatrice algérienne Sofia Djama, actuellement dans les salles en Tunisie. Le titre du contraste avec le ton bien triste du film. Les bienheureux se font rares à Alger.
Pour son premier long-métrage, la jeune réalisatrice algérienne, ne ménage personne, brise le politiquement correct et met des mots et des images sur une décennie sanglante, pas si lointaine: la guerre civile algérienne.
Le film a remporté 3 prix à La Biennale di Venezia 2017
🏆 Prix de la meilleure actrice dans la section Orrizonti à Lyna Khoudri
🏆 Le Brian Award, qui récompense un film défendant les valeurs de respect des droits humains.
🏆 Le prix Lina Mangiacapre destiné à une œuvre qui change les représentations, et les images des femmes au cinéma.
Des années après la fin “officielle” des années de braise, la réalisatrice investit les rues d’Alger pour capter la beauté d’une ville bercée dans la tristesse. “C’est une ville fatiguée par les promesses”, affirme la réalisatrice.
Sofia Djama raconte l’Algérie à travers une famille. Le père Samir, joué par Sami Bouajila, est un gynécologue installé à Alger qui pratique des avortements clandestins, peste contre les hypocrisies, mais compose avec la réalité, y trouve son compte parfois. Avec sa femme Amal, jouée par Nadia Kaci, ils étaient parmi ceux qui ont milité, fin les années 80, pour des idéaux vite envolés par des années de guerres.
Que reste-t-il des années après? Une grande amertume, la hantise de l’islamisme, la peur intacte qu’on y sombre de nouveau. Pour Samir, il reste aussi des rancœurs envers ceux qui ont fui la guerre, ceux qui sont partis. Ceux là font partie de ses amies, de ceux qui ont rêvé d’une Algérie autrement.
Samir, en rage, garde espoir dans son pays, compter y établir des projets, pas seulement pour lui mais pour son fils Fahim, interprété par Amine Lansari. Ce n’est pas l’avis de sa femme, qui voit son fils ailleurs, voulant le protéger des stigmates d’une guerre qu’il n’a pas vécue, projette en lui ses peurs, ses échecs et ses illusions perdues.
Fahim, en jeune rebelle, bouscule ses parents, joue sur leurs peurs. Il a comme amis Fériel et Réda, incarnés par Lyna Khoudri et Adam Bessa. Fériel a perdu sa mère pendant la guerre, porte en son corps et son âme les cicatrices des horreurs, mais elle inspire une jeunesse fraîche, amoureuse de la vie. Réda est en quête de spiritualité, il bricole la sienne. Il est l’image d’une jeunesse en quête d’une identité.
“On fait partie de cette génération qui n’a pas vécu la guerre mais qui en porte les séquelles”, explique la réalisatrice, pour qui la thématique du film lui est très intime.
Alger semble indifférente aux jeunes comme aux moins jeunes, toujours rongée par le clientélisme, la corruption, le conservatisme. Les ingrédients de la guerre civile sont latents: une société de plus en plus conservatrice, la disparité des richesses, l’islamisme, la violence, des jeunes qui s’érigent en soldats de la religion et des résistances de part et d’autre.
La guerre civile a enfanté un spectre désenchantant. Faut-il rester et y faire face? Faut-il partir? C’est le fil de l’histoire. La réponse n’est pas évidente malgré la tournure tranchée de la fin du film.
Alger est effervescente, seul motif pour espérer qu’elle renaît de ses cendres, qu’elle retrouve ses bienheureux.
Bande-annonce du film “Les bienheureux”:
Rencontre avec l'équipe du film "Les Bienheureux" de Sofia Djama
Les Bienheureux - DVDRIP - FilmComplet !
La sanglante guerre civile des années 1990, nommées «la décennie du terrorisme», demeure un sujet tabou en Algérie. Personne n'ose faire le compte des morts dans le camp de l'armée et dans celui des islamistes. Au total, combien de vies ont été sacrifiées, entre Constantine, Alger et Oran? 50.000, 150.000, 250.000? Les évaluations les plus hautes se révèlent sans doute les plus justes. Et combien de saccages, dans les familles, combien de couples bousillés, de cœurs sombres poussés sur le chemin de l'exil, de militaires tombés dans l'alcoolisme, de jeunes gens internés en hôpital psychiatrique ou méthodiquement éliminés, les uns par les barbus, les autres par les services spéciaux?
Jusqu'à ce jour, ce passé proche ne passe pas en Algérie. Il est impossible à appréhender par les historiens. Trop de fraudes, de mensonges, de part et d'autre. Les chapelles se querellent...
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