Blanquer a eu l’audace de proposer l’enseignement de la langue arabe dans les collèges et lycées français. Oui, ça y est, la France s’appellera dorénavant «Farança» et sa langue sera jetée à la poubelle sous la pression de djihadistes voulant faire de ce pays le paradis de l’islam sur terre!
Le pauvre et par ailleurs excellent ministre de l’Education nationale en France, M. Jean-Michel Blanquer, a eu le malheur, l’audace, la folie de proposer l’enseignement de la langue arabe dans les collèges et lycées français. Que n’a-t-il pas dit? L’extrême droite (Rassemblement national) a trouvé là un prétexte inestimable pour sortir de sa léthargie estivale et a simplement appelé au secours, «Blanquer veut islamiser la France!», suivie par l’incroyable Dupont-Aignan qui ne trouve plus ses mots pour dire son rejet haineux de cette proposition. Il demande à ce qu’on enseigne le français comme si cela ne se faisait plus. Mais la réaction la plus débile, la plus stupide et indécente est celle de Luc Ferry qui a été ministre, au même poste, sous Nicolas Sarkozy (qui s’en souvient? Pas même lui).
Lui aussi a hurlé contre la menace de l’arabisation et de l’islamisation de la France! Son discours rejoint les cris de l’extrême-droite. On peut le résumer ainsi en le caricaturant un peu: oui, ça y est, la France s’appellera dorénavant «Farança» et sa langue sera jetée à la poubelle sous la pression armée de djihadistes voulant faire de ce pays le paradis de l’islam sur terre! Et dire que Monsieur Ferry donne des leçons de philosophie, c’est-à-dire d’«amour de la sagesse»!
Ce qui vient de se passer est symptomatique d’une France qui a pris en horreur tout ce qui est arabe et musulman, bien entendu pas toute la France, mais souvenez-vous de la jeune Mennel, française d’origine syrienne à la voix d’or qui, en février 2018, a chanté «Hallelujah» de Léonard Cohen moitié en anglais moitié en arabe dans l’émission «The Voice». On a été chercher dans ses anciens tweets des déclarations, certes maladroites, sur le terrorisme pour la jeter ensuite de la compétition et lui barrer la route du succès. La vraie raison, ce fut une journaliste de l’émission «Touche pas à mon poste» qui l’a exprimée: «en plus elle a chanté en arabe!» Quel crime !
Cette hystérie est quasi-systématique quand un Arabe trébuche et ne se conduit pas comme il faut, c’est-à-dire «comme on l’aime».
La guerre d’Algérie n’est pas tout à fait terminée. Le dossier reste ouvert et dégage des relents de haine assez nauséabonds, et cela de part et d’autre. Le fait que Macron ait reconnu la responsabilité de l’armée française dans la mort en juin 1957 après torture du jeune militant communiste Maurice Audin est un pas important dans le processus d’assainissement de la mémoire algéro-française. Mais cela n’est pas suffisant.
En fait, ceux qui posent problème à la France, ce ne sont pas des immigrés venus dans les années soixante, soixante-dix parce que la France en avait besoin, non, ce sont les enfants qu’ils ont faits dans ce pays après la décision de Giscard d’Estaing d’instaurer le regroupement familial en 1975. Dans un débat sur l’enseignement de l’arabe dans les collèges et lycées en France, un journaliste aux idées bien à droite, a désigné Giscard comme le responsable de ce qui arrive aujourd’hui en France (je cite de mémoire): c’est lui qui a ouvert les frontières à des centaines de milliers de familles. Depuis, la France a un problème sérieux avec les Arabes!
Les prisons françaises sont remplies à plus de 60% de jeunes Français d’origine maghrébine. Ils sont là pour des petits délits. Cela résume la question. Avec un chômage de plus de 40% dans les zones dites difficiles, la délinquance et l’incivisme se multiplient. Certains se conduisent mal, mais que fait ou qu’a fait l’Etat français pour ces Français de seconde zone? Eric Zemmour a déclaré fièrement à la télé: «ils sont moins Français que le reste de la population française». Tout est dit. Quand on est «moins», on ne peut pas faire «plus» ou «mieux».
Pour ce qui est de la proposition de Blanquer, ceux qui la refusent sont aveuglés et obsédés par leur rejet de ce qui est arabe et musulman. Il y a une sorte d’allergie systématique qui s’explique par l’histoire mais aussi par les vieilles traditions du racisme banal et quotidien. Impossible de considérer l’aspect positif d’une telle proposition. L’apprentissage d’une langue se confond dans ces esprits avec la peur du djihadisme et du terrorisme. C’est étrange et pathétique.
Voici pourquoi l’introduction de l’arabe comme langue secondaire à enseigner a suscité une hystérie incompréhensible. Entre la France et ses anciennes colonies, tout est à reconsidérer.
Par Tahar Ben Jelloun 17/09/2018
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