« Il » c’est Albert Camus. « Elle » c’est Maria Casarès.
Ces phrases sont extraites du roman vrai de Florence M.-Forsythe « Tu me vertiges », « l’amour interdit de Maria Casarès et Albert Camus » (« Le Passeur »).
Roman d’une intelligence et d’une recherche rares, d’un intérêt fort, beau texte efficace de l’amie intime de Maria Casarès, qui a précédé l’an dernier la parution de la correspondance des deux artistes.
A lire en cet été méditerranéen en suivant la géographie de leur amour de Paris à Tipasa.
Maria Casarès était la fille de Santiago Casarès-Quiroga, ministre de la République espagnole avant la prise du pouvoir du général Franco. Son père fut emprisonné à la Carcel Modelo : « ce n’était plus mon père, mais un squelette vivant, la peau décharnée, les yeux exorbités, vides, effrayés ». Son père fut effacé de tous les registres d’état civil en Espagne, par le fascisme franquiste.
Arrivée en France à 14 ans en 1936, Maria Casarès, entrée au Conservatoire national supérieur de Paris, sera la très jeune partenaire de Jean-Louis Barrault dans le film culte sorti en 1945 « Les Enfants du Paradis ».
Pendant la seconde guerre mondiale elle va connaître la Cour du Louvre transformée en champ de topinambours pour étancher la faim qui taraude les parisiens, l’ersatz de café en orge moulu !
C’est dans ces temps sombres et mortifères pour les français qu’elle rencontre, en 1944, chez des amis communs à Paris, Albert Camus, dont la femme est restée en Algérie : « des millions d’hommes meurent, s’entretuent. Certains de nos proches, nous savons que nous ne les reverrons peut-être jamais et pourtant nous pouvons aussi être heureux. On continue à exister, à faire du théâtre, à s’amuser dans des fêtes. A être dans la vie comme vous, Maria ». L’Absurde camusien.
C’est l’époque où Sartre déclare à Camus : « Un petit bout, plus un petit bout, plus un petit bout plus…cela fait une cigarette à griller ». Maria Casarès dira à Camus : « tu n’apprécies pas Sartre et Beauvoir ». Et Camus de lui répondre : « j’ai du mal avec les personnes à système ».
Camus, elle le trouve « bel homme, bouche sensuelle, yeux gris-vert brillants de malice, et des épaules frondeuses faites pour vous envelopper ». « Il est très intelligent et surtout il sait rendre les autres intelligents. C’est rare et précieux », dira-t-elle de lui plus tard.
Et c’est un amour partagé : « avec lui je sens palpiter quelque chose ». « Cependant l’amour ne la rend pas obstinément aveugle. Elle veut aussi savoir ce qui se passe réellement, quand les Alliés ontils débarqué ? »
Camus n’appartient pas au même monde qu’elle : « chez nous, Maria il n’y avait pas de livres. Ce n’était pas comme chez toi. Dans l’appartement de ma grand-mère il n’y avait pas l’électricité ». Lorsqu’il reçoit, élève , son professeur : « il est arrivé et a vu où je vivais, dans la misère et j’avais honte ».
Le 24 juin 44 c’est la générale de la pièce écrite par Camus et qu’elle joue : « Le Malentendu ». Les collaborationnistes sont dans la salle pour organiser le chahut. Pour eux Camus sent le soufre ! Le journaliste de « Je suis partout » (que le poète Robert Desnos intitule « Je chie partout ») est là. Camus écrit pour le quotidien clandestin de la Résistance « Combat ». Casarès veut rentrer dans la Résistance, dans le réseau de Camus. Camus lui dit : « tu t’engages en défendant ma pièce ».
Quand Francine, sa femme le rejoint à Paris, Camus trouve impensable de se séparer de Maria. « Tu m’es essentielle ». « On pourrait partir tous les deux au Mexique ». Mais pour Maria Casarès « partir loin des siens, et lui appartenir, ne plus être indépendante, ne pas se suffire à elle-même, ce serait un enfermement ». « Jamais je ne te demanderai de quitter ta femme pour moi ». Mais « à 22 ans je pourrais aussi espérer des enfants, pourquoi pas ? »
Le 5 novembre 44 dans un dîner chez l’éditeur Gaston Gallimard, c’est la rencontre du trio : « Francine je te présente Maria », « Maria je vais faire danser Francine, cela lui fera plaisir ».
Et pendant ce temps- là Aragon, Eluard, Sartre et Beauvoir se sont érigés en « vengeurs de l’épuration » des collabos alors que comme le pense Camus, « Sartre et Beauvoir n’ont pas brillé, que je sache, par leur implication dans la Résistance ».
Septembre 1945 au café Bonaparte à Saint Germain des prés Maria Casarès décide : « toi et moi c’est terminé. Tu es le père de 2 enfants ». « Nous ne sommes pas un vrai couple. Et ce qui t’est interdit par la morale bourgeoise à laquelle tu réponds, c’est de quitter ta femme ». « Je te demande de ne pas insister. De ne pas chercher à me revoir. Jamais ».
Ils se quittent et ce n’est qu’en juin 48 que Maria, en allant au cinéma, croisera Camus « le cœur battant la chamade » après « les liaisons éphémères, le vide, le tournis, le whisky ».
Camus parle encore de sa femme : « Francine me soucie, elle est fragile, elle a besoin de moi ». Mais c’est toujours la passion ; un pneumatique envoyé : « tu me vertiges ».
Camus continue de se battre « pour les droits de l’homme, les démocraties, pour un journalisme critique et humaniste ». Il donne en octobre « Etat de siège », devant le chef en exil de la République espagnole Negrin, Santiago Casarès, Vincent Auriol, Marguerite Duras, François Mitterrand, Picasso, Elsa Triolet. Maria Casarès joue la mort avec Jean Marais dans le film de Jean Cocteau « Orphée ».
Au printemps 49 Camus explose : « j’étouffe entre ma belle-mère et les enfants. Je rêve d’une île déserte…et surtout de tranquillité ». « Francine a besoin de moi. Francine sait bien que nous sommes ensemble. C’est plutôt sa mère et l’une de ses sœurs qui ont défendu que l’on prononce ton nom à la maison ».
1952 Camus essuie une campagne de Sartre et des sartriens contre lui. Ses pourfendeurs parlent d’ « une certaine inconsistance de sa pensée indéfiniment plastique et malléable ».
Il arrive à Maria Casarès de mettre les choses au point quant à leur relation, car Camus se montre jaloux : « tu n’as aucun droit d’être possessif. Est-ce que je t’empêche de faire quoique ce soit ?... Grandis. Je ne suis pas ta mère ».
En 53 Maria Casarès fait le voyage vers l’Algérie : « je tenais absolument à aller à Tipasa. Je marchais dans les ruines et j’avais l’impression de sentir ta présence ». Et Camus étant absent : « j’aurais tant aimé te montrer ma ville ».
Camus journaliste à l’Express est accaparé par l’Algérie quand les « évènements » s’accélèrent dans la colonie française. Maria Casarès tourne avec le TNP de Jean Vilar en URSS, aux USA, en Amérique latine.
Le couple se déchire. Camus : « à la maison il a été décidé par ma belle- sœur que nos deux noms ne devraient pas être ensemble sur l’affiche de « Requiem pour une nonne ». J’aimerais éviter que Francine subisse à nouveau des électrochocs ! ». Maria en parlant de la comédienne Catherine Sellers : « Et çà ne dérange pas ta belle-sœur que tu couches avec elle et qu’elle soit sur l’affiche avec toi ».
En octobre 57 Camus reçoit le prix Nobel de littérature et Maria et Francine s’exclament chacune de leur côté : « c’est merveilleux mon chéri ! ».
Camus et Casarès avaient rendez-vous le 4 janvier 1960. Camus meurt ce jour- là dans un accident de voiture : « pourquoi cette injustice ? Pourquoi me l’avez-vous pris ? »
Maria n’assistera pas à l’enterrement…
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lundi 30 juillet 2018
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/un-amour-fou-de-maria-casares-et-206516
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