Œuvres de Albert Camus
Une anthologie quasi-indispensable
Albert Camus a rédigé des oeuvres incontournables. Acteur majeur du mouvement de l'Absurde, il se tient à dénoter le non-sens de la condition humaine et les causes menant à la révolte. Les romans et essais philosophiques, nouvelles et pièces permettent de faire le tour de sa pensée, avec sa peur de devenir indifférent à autrui, là où la solidarité reste indispensable. Aussi l'attachement aux lieux revient-il comme un autre thème récurrent.
Cette anthologie prend fort dans un volume certes épais, de mille cinq cents pages, mais souple et maniable. Elle reste indispensable.
Je vous livre mes pensées successives sur les oeuvres qui la composent.
L’Etranger, critique du 6 mai 2018 *****
Après sondage, Frédéric Beigbéder avait placé en tête cette nouvelle des plus grandes oeuvres littéraires. Dans son ouvrage intitulé Dernier inventaire avant liquidation il commente les cinquante oeuvres favorites des personnes interrogées.
Je vais essayer d'être bref et de ne pas redire ce qui a été dit - et ben dit - avant moi. Cet homme étranger à tout, et avant tout à sa propre histoire, est effrayant et Camus décrit très bien, par la sécheresse de son style, la vacuité d'esprit de ce genre de personnes insoupçonnables capables de tout, aux dépens des autres et d'eux mêmes.
Les paysages décrits et le style sont somptueux. Ca me donne envie de découvrir Alger.
Dans cette vacuité et l'absurde, il y a des échos du film de Godard Pierrot le Fou, la légèreté en moins.
La Chute, critique du 5 mai 2015 4,5/5
Comme souvent, Camus sonde le for intérieur de personnages en marge, originellement ou qui le sont devenus. C'est le second cas qui est décrit en l'espèce, via un dialogue, qui vire souvent, en réalité au long soliloque qu'écoute le locuteur du protagoniste. Le lieu est glauque, et contraste avec sa vie antérieure. Ce qui le mène là est le centre de l'histoire. Une certaine fidélité à ce qu'il est le guide, bien que de manière contrainte, et c'est ce qui est découvert tout au fil de cette nouvelle. L'intrigue est fort bien menée. Les valeurs d'un homme mêlées de ses désillusions peuvent le mener bien loin.
Voilà un classique qui mérite son "statut".
Lu en juin 2001, relu pour l'occasion.
La Peste, critique du 30 juillet 2018 ****
Un drame imprévu frappe au hasard, ce destin tombant au hasard de manière aveugle montre l'aspect absurde et révoltant de l'existence. C'est ce qui amène les personnages se sentant condamnées par cette catastrophe, en l'occurrence sanitaire, à se positionner de manière inattendue, à changer, et souvent à peu briller par la communication et l'entraide, quelques belles âmes se dévouant fort heureusement.
L'âme humaine est ici sondée dans ses tréfonds, dans sa noirceur et ses instincts de survie, quelque fois beaux. Le style est alerte et le ton rude. L'analyse reste intéressante, malgré l'âpreté assumée de son traitement.
Ce roman est suivi de la pièce L'Etat de siège, la scène se déplaçant de l'Oran des années 1940 à la Cadix médiévale.
Noces, critiques du 24 juillet 2018 ****
L'attachement à un lieu, le respect affectueux à des usages qui y sont pratiqués, aux manières simples des gens modestes, à un certain dénouement, s'avère touchant. Le contraste entre les vestiges d'une civilisation disparue et la présence de petites gens du désert se réunissant pour une cérémonie intrigue autant qu'il émeut, et c'était bien l'effet recherché, semble-t-il.
Discours de Suède, critique du 14 juillet 2018 *****
Surpris de recevoir le Prix Nobel de littérature, Albert Camus ressent le besoin de se justifier. S'il avait cru que la récompense aurait primé l'auteur d'une oeuvre plus aboutie et étoffée, alors que la sienne reste en cours de construction, il croit bon revenir sur sa conception du rôle de l'écrivain et sa propre posture artistique.
L'écrivain doit participer de la liberté, notamment d'expression, là où elle est bafouée par des régimes autoritaires pratiquant censure et arrestations politiques, et venir en aide aux plus fragiles en se faisant leur porte-parole. C'est pourquoi il croit bon régulièrement pratiquer son travail artistique dans la solitude, nécessaire à la réflexion. Il développe ces points dans le texte d'un discours qui doit rester synthétique. Si ce dernier contient des passages obligés, les arguments détiennent le mérite d'apparaître convaincants et l'humilité de la posture à saluer infiniment. Il s'avère important.
Lettres à un ami allemand, critique du 31 janvier 2010 *****
Le bon sens et la raison désarment le pire barbare. Albert Camus explique aux Nazis, par une logique, apparemment simple, implacable, qu'ils ont abandonné leurs repères, au profit d'un amour devenu irrationnel et sanguinaire de leur Nation.
L'auteur prêche pour l'humanisme et le patrimoine commun de l'Europe, thèmes qui me sont chers.
C'est pourquoi cette lecture a, pour moi, été très forte. Au-delà de l'émotion, l'efficacité de l'argumentation verbale face à la violence bestiale ayant abandonné sa raison utilise les outils symétriques pour désarmer l'abject ennemi.
L'importance de ce texte est inversement proportionnelle à sa longueur. La concision du style le rend d'autant plus limpide et dense.
L’Envers et l’endroit, critique du 15 juillet 2015 ****
Albert Camus, dans cette série de courts essais et l'assez longue introduction qui la précède, fait état de son appétence pour la misère, de son empathie pour les vieilles personnes qui souhaitent continuer à faire partie de l'humanité, de son incompréhension partielle face aux aspects superficiels du succès. Son isolement dans un pays pauvre et désertique l'a conduit vers l'indifférence, un travers qui persiste et contre lequel il lutte, chez les autres comme chez lui-même. Ces témoignages d'éloignement et d'attachement des personnes modestes ne brillent pas toujours en la forme mais donnent déjà un cap de pensée et contribuent à fixer les orientations de toute une oeuvre, là où il s'agit justement de tous premiers écrits.
Les Justes, critique du 13 janvier 2006
Je trouve cet ouvrage essentiel pour étayer une réflexion en science politique ou en relation internationale. Il montre que la violence ne mène à rien, jamais, pas même en politique et que ceux qui s'y prêtent sont mus par une rage déconcertante, même si elle se trouve justifiée, car il s'agit alors de gens fragiles, à moins qu'il s'agisse de doctrinaires sadiques.
Les Mains sales ressemblent pas mal à cette pièce. Qui a influencé l'autre ?
Caligula, critique du 6 mai 2005 *****
Allier tyrannie et bon plaisir : c'est le lot de bon nombre de dictateurs, pas seulement de l'Antiquité, mais que Caligula a poussé à l'extrême.
Le style, bref et concis, de Camus est magnifique : j'aime les extrêmes, Camus et Proust.
L'absurde est ici au service de l'humanisme et de la démocratie, l'Antiquité servant de cadre métaphorique universel, ainsi que l'Etranger. A coupler avec les Lettres persanes de Montesquieu.
Un concentré jouissif de bonheur. Un bijou.
Le Mythe de Sisyphe, critique du 12 novembre 2011 ****
Vivre sans Dieu et s'interroger sur le sens de la vie, en analysant ses contradictions, amène tard à des paradoxes indépassables. Faire l'autruche ou la quitter en seraient deux échappatoires, pour faire très simple.
Cet essai, subtil et clinique, est brillant, ardu et sombre. S'il n'est pas véritablement plaisant, en ce qu'il dresse un bilan désabusé de la condition humaine, le recul qu'il amène à prendre n'est pas vain.
L’Etat de siège, critique du 24 juillet 2018 ; 4,5/5
Le gouverneur de Cadix tient à ses habitudes, à l'ordre établi, et met tout en place pour qu'ils soient conservés religieusement au détail prêt, afin que tout soit prévu. Mais un événement imprévu vient troubler ses plans, car la Peste, incarnée en un homme aidé de sa secrétaire, arrive pour prendre le pouvoir, montrant que toutes et tous n'ont pas d'autre choix que de lui obéir.
Commence alors une réflexion par l'absurde sur le caractère absurde des régimes totalitaires qui suppriment des vies de manière arbitraire, en prétendant remettre de l'ordre dans la vie des gens. Car est mise en place une vraie technocratie de la terreur, avec ses incohérences, une brutalité et une froideur assumée.
Le ton est solennel, voire grandiloquent. Jules l'a trouvé trop didactique, là où je pense qu'on ne l'est jamais assez, et une réflexion sur la démocratie en vaut bien la peine, y compris voire surtout quand elle est menée par l'absurde.
Cette pièce est directement inspirée de son roman La Peste, correspond peu ou prou à une commande de Jean-Louis Barrault, qui voulait la mettre en scène, et qui n'a finalement pas participé à la rédaction, mais qui l'a inspirée. Elle reste très intéressante.
Le Malentendu, critique du 23 novembre 2011 ; 4/5
Ne pas assez se parler, ne pas dire qu'on s'aime, la réalisation d'instincts primaires peut aboutir à de douloureuses outrecuidances. Telle est, peu ou prou, la morale de cette courte pièce, écho supplémentaire aux Justes, à Caligula et aux oeuvres d'Eugène Ionesco.
L’Homme révolté, critique du 24 juillet 2018 ; 4,5/5
L'amour du prochain, le constat de l'injustice de divinités ou d'un dieu unique, l'amertume face à la condition humaine condamnée à une vie fatalement ponctuée par la mort, un certain pour le romantisme, parfois pour une misanthropie de perfection de ses prochains constituent autant de déclinaisons des causes de la révolte. Albert Camus procède de manière fort utile à un inventaire littéraire et philosophique propre à (se) rendre compte du caractère protéiforme tant de ses raisons que de ses manifestations.
Cet ouvrage relève donc de la philosophie, bien qu'une bonne part de ses matériaux empiriques s'avèrent de nature littéraire. Il permet de prendre du recul sur un phénomène et d'en apprendre beaucoup par de brillantes mises en perspectives. Il nécessite d'être médité pour être pleinement apprécié. Ca ne se lit pas "comme un roman".
Le Premier homme, critique du 14 mai 2008 ; 4,5/5
La recherche d'informations sur son père que le narrateur n'a pas connu l'invite à retracer son enfance, en la transcendant, en sublimant les menus détails qui l'ont rendu heureux, les douleurs qui l'ont aidé à mûrir, et sans jamais - merci et bravo ! - être misérabiliste.
Son habituel style sec, ses descriptions apparemment rudes sont emplies d'émotions, de légèreté. Quel curieux mélange, si saisissant ! Quelle découverte !
Voilà un beau livre sur l'enfance, la tolérance et la pauvreté.
L’Exil et le royaume, critique du 30 juillet 2018 ****
Ce recueil de nouvelles posent les interrogations relative au sens de l'existence, à l'absurde de ses contraintes et contradictions, des choix qu'elle conduit à faire, ses sources d'amertume et d'espoir. Ces courts écrits servent de condensés à ses pensés. Il s'avèrent donc intéressants et utiles.
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/53938
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