as seulement en raison de son nom, la « bleuite » pourrait s’apparenter à une maladie virale, contagieuse, voire honteuse ; de celles que l’on tait malgré les traces laissées sur la peau. Et des stigmates, cette opération d’infiltration et de manipulation menée par les services français lors de la guerre d’Algérie, en aura laissé, tant sur les corps torturés que dans les mémoires.
l n’est pour s’en convaincre que d’écouter, aujourd’hui, Rémy Madoui, ex-membre de l’ALN (Armée de libération nationale) raconter à mots comptés les tortures que lui infligèrent ses frères d’armes, pendant deux semaines. Une éternité. Avant qu’il parvienne, par miracle, à s’évader.
Cette guerre secrète, retorse, qui entraîna une purge effroyable au sein de l’armée algérienne, n’est pas de celles que l’on raconte volontiers, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée. Aussi est-ce l’un des grands mérites de Jean-Paul Mari que de retracer avec minutie cet épisode méconnu, en s’appuyant sur de maigres archives, et les témoignages éclairants et émouvants d’anciens maquisards.
L’épisode a pour prélude et pour cadre la Casbah. C’est là, au plus fort de la bataille d’Alger, que le capitaine Paul-Alain Léger choisit de lancer, en 1957, une opération d’infiltration et de déstabilisation de ce bastion FLN. Rompu en Indochine à la technique de « retournement de l’ennemi », ce fin psychologue forme très vite une petite équipe de « bleus » qui ne cessera de grossir au fil des semaines.
Grâce à ces hommes, arborant pour certains des bleus de travail, mais aussi à quelques femmes – comme la fameuse Ouria –, l’officier français parvient à arrêter Yacef Saadi, chef FLN de la Zone autonome d’Alger. La ZAA décapitée, Paul-Alain Léger la « ranime » avec une redoutable duplicité. Le temps pour lui d’intoxiquer l’ALN, tout particulièrement le colonel « Amirouche le terrible », en lui faisant croire que ses troupes sont infestées d’agents doubles. Le poison de la suspicion inoculée, la « bleuite » peut alors se répandre dans tout le maquis. Aveuglement et paranoïa faisant le reste, elle conduira à une vaste purge au sein de l’ALN. Purge dont, aujourd’hui encore, on ne peut dénombrer les victimes – certains avancent le chiffre de 4 000 morts –, ni mesurer les conséquences réelles qu’elle eut sur l’Algérie naissante.
Ceux qui n’ont pas connu la période de la guerre d’Algérie pourraient croire à un mal mystérieux, oublié, que l’homme a réussi à maitriser avec le temps. La bleuite est en réalité une vaste opération d’infiltration des réseaux clandestins du FLN (Front de Libération National) par les services secrets français de l’époque (SDECE) qui a frappé tous les maquis et entraîné de vastes purges au sein même du mouvement de libération algérien.
Jean-Paul Mari, grand reporter et réalisateur, lui-même né en Algérie en 1950 et qui a couvert pour le Nouvel Observateur la guerre civile algérienne des années 1990 est resté profondément attaché à l’histoire de ce pays. Il a jugé essentiel de faire parler les témoins d’une période que Français ou Algériens aimeraient passer sous silence : celle des années 57/59, marquées par cette fameuse « bleuite ».
La casbah d’Alger… L’un des repères des chefs du FLN.
Pourquoi ce mot Bleuite ? Les résistants, les anciens maquisards retournés par les services français étaient vêtus de bleus de chauffe. Ils arpentaient les ruelles étroites de la casbah comme de simples ouvriers, afin de ne pas éveiller les soupçons. Sauf que sous le bleu de travail ils cachaient une arme. Leur objectif était d’obtenir des informations sur la planque des poseurs de bombe et de leurs chefs et surtout désolidariser la population locale des directives lancées par le FLN, pousser les gens à fumer de nouveau, à jouer, à écouter la radio, briser les consignes et les interdits lancés par le Front de Libération.
Paul-Alain Léger, lieutenant parachutiste durant la guerre d’Indochine.
Le film de Jean-Paul Mari a le mérite d’être clair et d’expliquer sans concession de part et d’autre, le côté obscur de cette force qui tournait autour d’un seul personnage : le capitaine Paul-Alain Léger, ancien para de la guerre d’Indochine, agent des services de renseignement français et chef du GRE (Groupe de Renseignement et d’Exploitation). Un homme d’une grande finesse, persuasif, convainquant, capable d’une analyse du comportement de l’ennemi hors du commun et jouant habilement la politique de la main tendue. En 1957 il met en place ses acteurs : 70 hommes, anciens membres des réseaux de Yacef Saadi dont le rôle sera de dénoncer leurs anciens camarades, mais aussi de tenter de retourner la population locale en faveur des Français. La méthode permettra d’arrêter Yacef Saadi dans sa cachette de la rue Caton dans la casbah d’Alger ainsi que Ali la Pointe.
L’arrestation de Yacef Saadi. marquait la fin de la bataille d’Alger. (octobre 1957)
A l’aide de faux documents, d’habiles manipulations et de courriers falsifiés, il persuade les chefs de maquis qu’ils sont entourés de traîtres. Et ça marche. Même le redoutable Amirouche chef de la Willaya III (Kabylie) ne se doute de rien durant plusieurs mois et ordonnera tortures et exécutions de certains de ses propres frères de combat. Le capitaine Léger mise sur la paranoïa des gens du FLN qui se croient entourés d’espions et d’ennemis.
Pour ce film, Jean-Paul Mari a eu le mérite de ne pas jouer le jeu de la reconstitution des scènes qui n’existaient pas en archive. Pour ce genre de séquences, il présente de simples dessins, évocateurs des personnages, à commencer par les « Bleus » mais aussi des hommes et des femmes qui ont eu un rôle clé comme Roza. Arrêtée pour avoir confectionné un drapeau du FLN, elle est confrontée au capitaine Léger qui s’arrange pour qu’elle voie une liste de noms de maquisards présentés comme collaborateurs des Français. C’est un piège.
Libérée et de retour dans la Willaya III, elle est suspectée, torturée par le bras droit d’Amirouche surnommé à juste titre « Hacène la torture ». Elle lâche alors les noms de combattants du FLN qu’elle a vus sur la fausse liste. Des hommes, pourtant fidèles à la cause, des militants de l’entourage d’Amirouche seront en fait considérés comme des traitres et exécutés.
Le capitaine Paul-Alain Léger en 1984 (Capt écran)
Les purges gagneront toutes les Willayas d’Algérie et se chiffreront en milliers de morts. Le capitaine Léger parlera de 4000 victimes. Pour la willaya III (Kabylie) qui sera la plus touchée, on compte plusieurs dizaines d’officiers, des médecins, des étudiants, des intellectuels, des forces vives du pays qui auraient pu être utiles à la future république algérienne. La plupart de ces hommes sont morts avec l’étiquette de traîtres alors qu’ils ne l’étaient pas. Cette guerre de l’ombre surnommée bleuite n’est ainsi mise en avant ni du côté algérien ni du côté français car aucune nation ne peut en être fière. D’où l’intérêt de ce film-documentaire qui nous explique cet aspect caché de la guerre d’Algérie.
Philippe Rochot
Ce passionnant documentaire revient sur une opération sans précédent montée par les services secrets français lors de la guerre d'Algérie (1954-1962). Fomentée de toutes pièces par un seul homme, le capitaine Paul-Alain Léger, cette opération appelée "la Bleuite" a consisté à infiltrer, intoxiquer et manipuler l'armée algérienne. Elle a eu pour conséquence une grande purge dans les rangs de l'Armée de Libération nationale (ALN).
Un film truffé d'archives et de témoignages comme ceux d'Hamou Amirouche, ancien secrétaire du colonel Amirouche, de Salah Mekacher, ancien maquisard, de Rémy Madoui, officier de l'ALN, de l'historien Paul Villatoux et de Paul-Alain Léger. Ce dernier, devenu "maître de guerre" pendant la guerre d'Indochine, a appris "qu'on n'écrase pas une mouche avec un marteau". Fin psychologue, fervent de coups tordus, il y a perfectionné les techniques de guerre psychologique, faisant de lui un spécialiste dans le "retournement" des individus. En Algérie, il va utiliser sa méthode comme une arme subversive. Ses deux principaux objectifs ont été de s'attaquer au chef du FLN (Front de Libération nationale), Yacef Saâdi, dans la casbah d'Alger et au maquis du colonel Amirouche dans la wilaya III - région -en Kabylie. '
Ce film de Jean-Paul Mari éclaire un aspect méconnu de la guerre d'Algérie. La manipulation psychologique exercée contre les soldats du FLN.'
Puisque le FLN avait la mainmise sur Alger, Paul-Alain Léger veut l'infiltrer et le détruire de l'intérieur. Avec la contribution des "bleus", des jeunes Algériens "retournés" et vêtus de bleus de chauffe, il va prendre le contrôle de la ville et mettre à mal le FLN en arrêtant Yacef Saâdi. Léger va poursuivre son opération "machiavélique" en correspondant avec le colonel Amirouche - qui pensait s'adresser aux cadres de la casbah. Il se retrouvera même en possession d'un document faisant de lui le successeur de Saâdi. Coups tordus, bluff, tout est permis pour déstabiliser l'ennemi. La méthode consistait à faire croire qu'il y avait au sein de l'armée algérienne des agents doubles qui travaillaient pour la France. Des officiers seront arrêtés, torturés et tués, déclenchant, au plus fort de la paranoïa, une purge de milliers de cadres du Front. Ce fut un des plus grands "exploits" de l'armée française contre les maquis du FLN et un épouvantable désastre pour l'Algérie. Impossible encore aujourd'hui d'en connaître le nombre de victimes.
Plus de cinquante ans après la fin de la guerre, "la Bleuite" reste encore "un secret bien gardé, un tabou, un poison, une malédiction de l'histoire" entre les deux pays
La Bleuite, l'autre guerre d'Algérie de : Jean-Paul Marie - YouTube
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