Avant d'avoir 20 ans dans les Aurès, on en avait 18 quelque part en France et l'on n'était pas prêt à mourir en Algérie pour une cause qui n'était pas la sienne. Denis Rigal (1), qui fit ses études supérieures à Clermont-Ferrand, entre 1954 et 1962, fait revivre, dans Un chien vivant, la vie étudiante de l'époque et les questionnements quant à ce que l'on appelait les opérations de pacification.
Si les premières pages retracent avec verve et finesse l'ambiance de la khâgne de l'ancien lycée Blaise-Pascal, les événements d'Algérie s'invitent rapidement dans la vie étudiante. Le bombardement de Sakiet (2), en Tunisie marque le début de la prise de conscience. L'auteur se souvient du cours de littérature anglaise du professeur Jacques Blondel : « Je ne peux commencer ce cours sur Swift, qui était pacifiste, sans dénoncer les actes de violence désordonnée par lesquels la France vient de se déshonorer à Sakiet Sidi Youssef ». Denis Rigal, dès lors, milite, devient membre du bureau de l'Unef, organise et participe aux manifestations.
Ce récit épouse les méandres d'un quotidien souvent tranquille mais même à Clermont la violence est présente. L'auteur refait surgir des faits oubliés : un restaurant algérien est mitraillé, bilan trois morts. Mouloud, responsable FLN étudiant, est abattu alors qu'il se promenait avec sa fiancée au jardin Lecoq. Un meurtre qualifié par les autorités de règlement de comptes. Un délégué syndical est enlevé par deux sous-officiers du 92 e RI juste avant un meeting.
Renoncement
L'anticolonialisme fait son chemin dans les rangs de l'université qui, doyen en tête, défile avec les Bibs, le 24 avril 1961. Mais jusqu'où aller dans son engagement ? Rares furent ceux qui désertèrent. Denis Rigal n'en fut pas comme la majorité de sa génération. Ce renoncement à porter au plus haut ses convictions est vécu comme une trahison et une honte d'où le titre emprunté à l'Ecclésiaste : « Mieux vaut un chien vivant qu'un lion mort ». Mais il faut aussi faire preuve de courage et d'honnêteté intellectuelle pour témoigner ainsi de ses limites.
(1) Denis Rigal, né en 1936 à Chanaleilles (Haute-Loire), a notamment publié Aval, (Gallimard) et Terrestres (Le Bruit du temps, prix Verlaine).
(2) Le bombardement du village tunisien Sakiet, le 8 février 1958, par l'armée française fit plus de 70 morts dont une douzaine d'écoliers.
Le 24 avril 1961, 15.000 personnes, ouvriers et étudiants, manifestèrent à Clermont-Ferrand contre le putsch des généraux. © photo d’Archives Roland Lavault
François Graveline
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