La sobriété s’imposait, car m’avait saisie la sensation presque physique que vos portes ne s’ouvraient pas pour moi seule ni pour mes seuls livres, mais pour les ombres encore vives de mes confrères – écrivains, journalistes, intellectuels, femmes et hommes d’Algérie – qui, dans la décennie quatre-vingt-dix, ont payé de leur vie le fait d’écrire, d’exposer leurs idées ou tout simplement d’enseigner… en langue française.»
Quel bel hommage rendu au combat du peuple algérien contre le terrorisme islamiste !
Il a été exprimé avec une immense émotion par la grande Assia Djebar, en ce mois de juin 2005, lors de sa réception par l’Académie française qui venait de l’élire en tant que membre à part entière. C’était la première fois qu’une ressortissante d’un pays arabe rejoignait les immortels, nom qu’on attribue aux académiciens.
Les Algériens avaient de quoi être fiers. C’était là une reconnaissance de la littérature algérienne, du talent algérien.
Mais l’auteure de La Nouba des femmes du mont Chenoua n’a pas eu la reconnaissance qu’elle méritait de la part des officiels algériens : son œuvre, transposée au cinéma, a été frappée d’ostracisme ; son entrée à l’Académie française a été accueillie avec une incroyable ignorance. Il a fallu plus de deux semaines pour que le ministère de la Communication de l’époque envoie un message de félicitations. Par contre, silence total du côté de la Présidence. Sous d’autres cieux, le tapis rouge lui aurait été déroulé, des réceptions grandioses auraient été organisées en son honneur, des hommages au demeurant plus que mérités lui auraient été rendus.
Traduite en une vingtaine de langues, Assia Djebar avait porté haut le drapeau algérien. Malheureusement, dans un pays gouverné par la médiocrité, dans un pays où la culture est dotée d’un misérable budget, où les grandes compétences sont marginalisées pour les obliger à s’expatrier, Assia Djebar n’avait pas sa place.
Rien de surprenant dans un pays avec «ses images d’un populisme attristant», comme elle le dit si bien, et «cette stérilité des structures (qui) annonçait, en fait, en Algérie, la lame de fond de l’intolérance et de la violence», c’était le pot de fer contre le pot de terre. Elle était très lucide des réalités algériennes soulignées par le bannissement d’un écrivain comme Kateb Yacine à Sidi Bel Abbès ou la marginalisation d’un Mouloud Mammeri.
Et comment ne pas crier sa colère lorsqu’en France, on baptise des rues du nom de Matoub Lounès, mort en martyr, alors qu’il est totalement ignoré dans cette Algérie qui a su vaincre l’islamisme malgré la volonté d’un pouvoir qui veut le réhabiliter. Ce n’est qu’hier en début d’après-midi que l’APS a annoncé le décès de la grande romancière. Le message de félicitations du président de la République au gouvernement général de Grenade pour l’anniversaire de son indépendance était prioritaire. C’est ça, l’indigence culturelle et le mépris pour les fils de l’Algérie.
Tayeb Belghiche
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