Houari Mouffok. 1937-2013, 1er président de l’Union nationale des étudiants algériens, UNEA historique
C’est un fils du mouvement national et de la Révolution. Celle-ci lui a ouvert les yeux et forgé sa raison. Elle l’a formé et lui a permis de développer son savoir. Elle l’a plongé dans un engagement militant, sans ambition particulière, pour la libération nationale, le progrès et la justice sociale. De 1959 à 1965, sa fougue et son intelligence ont été mises au service de la réfondation de l’UGEMA. Six années durant lesquelles, dans l’ardeur de l’action, certains problèmes de fond à consistance démocratique, idéologique et politique qui ont été à la base des crises qu’a connues le mouvement national avant et après le déclenchement de la guerre, ont sérieusement brisé la vie de Houari», témoigne son camarade et compagnon de route, Ahmed Mahi, qui le décrit affectueusement dans son essai De l’UGEMA à l’UNEA, Inas éditions 2014.
Houari Mouffok, note-t-il, a connu et subi dans sa chair et dans son âme les affres de l’oppression coloniale. Très jeune, il s’est reconnu dans et de son peuple meurtri. Il apprit l’engagement dans le sillage des organisations de jeunesse du mouvement national en commençant, encore lycéen à Mostaganem, par l’organisation de la jeunesse de l’UDMA et à la tête de l’Association des étudiants musulmans de Mostaganem. «Nous nous sommes connus en 1959, dans les temps mémorables de notre guerre de Libération nationale. Lui et moi, comme beaucoup d’autres, avions été envoyés par le FLN-ALN pour suivre des études supérieures en RDA. Notre amitié s’est forgée et a été trempée dans et par notre engagement pour la cause nationale, la cause du progrès et de la justice sociale.»
Enfant de m’dina j’dida
C’est tout naturellement, alors qu’il voulait rejoindre le maquis que les contacts avec certains responsables du FLN et de l’UGEMA qu’il avait réussi à établir en Suisse et en RFA l’ont dirigé vers Berlin Est pour y poursuivre des études supérieures en sciences économiques. «Il faisait montre dans chacune de ses prises de parole d’une grande capacité d’analyse et de synthèse. Il avait le verbe simple, le sens de la clarté, de la concision», relève Mahi, alors que l’autre camarade et ami de Houari, en l’occurrence Abdel’Alim Medjaoui, raconte dans son ouvrage Le géant aux yeux bleus, paru aux éditions Casbah, comment Mouffok savait trouver les mots avec cette capacité de convaincre lorsqu’il affrontait une salle en colère d’étudiants des cités U que l’administration voulait déloger en période d’examens pour préparer le 9e Festival de la jeunesse et des étudiants organisé par notre pays. «Il fallait voir comment Houari a su, petit à petit, imposer son ascendant à la salle vociférante, puis se faire entendre et finir par capter l’attention des étudiants. La salle était subjugée par ses explications et son argumentation.
Puis, ce fut un tonnerre d’applaudissements ; c’était une fierté d’avoir un tel chef», confie encore Medjaoui, qui met en exergue l’action internationale de l’UNEA marquée par sa participation au congrès de l’Union internationale des étudiants (UIE) en 1964, à Sofia, en raison du rôle qui fut joué par la délégation algérienne dans l’isolement de la délégation estudiantine d’Israël. Cette organisation demandait son adhésion à l’UIE. Plusieurs unions estudiantines, originaires notamment des pays socialistes, d’Amérique latine et même de pays africains y étaient a priori favorables. «Je fis un discours sur la Palestine chaleureusement applaudi. La demande d’adhésion israélienne fut rejetée par une grande majorité des congressistes.
Omar Oussedik, ambassadeur, en informa BenBella qui en était ravi. Ce congrès m’avait profondément marqué sur le plan émotionnel et politique», se souvient Mouffok. C’est le parcours d’un étudiant algérien, ayant grandi dans l’injustice coloniale, conscientisé au combat libérateur, devenu communiste au gré d’un séjour d’études en RDA, puis leader du mouvement étudiant à l’indépendance, arrêté puis torturé après le coup d’Etat du 19 juin 1965, écrit le sociologue Noureddine Saadi, dans la préface du seul livre témoignage de Houari Mouffok.
Cet ouvrage, au-delà de la personne de Houari, parle «à une génération intellectuelle de l’indépendance de l’Algérie qui joua un rôle particulièrement important, fait de heurts doctrinaux et politiques, de passions partagées, de vives discussions intellectuelles et culturelles, d’illusions, d’échecs, comme l’ont été souvent les projets libérateurs de transformation du monde.
En ces temps-là, Alger était la Mecque des révolutionnaires», se désole Saadi. Pour l’enseignant-chercheur Farid Cherbal «Houari et ses camarades de l’UNEA historique, dont je cite Keddar Berakaï et Mahmoud Mahdi dit Zorba, ont été des militants de la continuité historique et des passeurs du souffle libérateur du mouvement national algérien à la jeunesse estudiantine.
L’histoire retiendra que Mouffok et ses camarades de l’UNEA historique ont affronté avec courage et détermination la répression et les geôles humides des dragons noirs de la pensée unique et de la police politique qui sévissaient dans l’Algérie d’avant le 5 octobre 1988.» Mais qui est donc Houari Mouffok ? L’histoire retiendra qu’il est né le 12 janvier 1937 à M’dina J’dida d’Oran. Après des études studieuses, il obtient brillamment son baccalauréat en 1958. Ne pouvant poursuivre des études supérieures, il opte pour l’enseignement non loin de Mostaganem, dans le village de Mesra.
Stylo vs klash
Dans la présentation de son livre Parcours d’un étudiant algérien, de l’UGEMA à l’UNEA, aux éditions Bouchène, 2000, il raconte que son adolescence avait été avant tout «militante», «dans l’Association des étudiants musulmans de Mostaganem (AEMM) dont j’assurais le secrétariat général, sous l’égide de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA)», expliquait-il. C’est lorsqu’il est à Mostaganem qu’il entre en contact avec des réseaux de l’ALN. «Il n’avait que 19 ans, et étant donné son bagage d’intellectuel et son niveau d’instruction, les moudjahidine avaient besoin de lui ailleurs que dans le maquis», précisent ses amis.
Un stratagème est trouvé afin qu’il puisse quitter le territoire algérien. Il s’engage en tant que moniteur dans une colonie de vacances en France. «Profitant de cette occasion, il s’éclipse et réusst à rejoindre la Suisse. Un réseau du FLN l’exfiltrera vers la RDA», relatent ses proches.
Obtenant une bourse, il étudie les sciences économiques. «En Allemagne, j’ai eu à exercer des responsabilités dans les sections de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA)», se rappelle Houari dans la présentation de son livre. Il rentre au pays dès que l’indépendance est proclamée. Il poursuit ses activités au sein du mouvement estudiantin. A l’issue du congrès de la nouvelle Union nationale des étudiants algériens (UNEA), il en est élu premier président. Houari fut marqué, adolescent, par un drame familial avec la perte de son père qu’il évoque avec émotion dans ses mémoires. «Mon père, militaire de carrière, devint officier de réserve de l’armée française après la démobilisation de 1945.
Il en voulait terriblement aux communistes français qui étaient, selon lui, les instigateurs de cette démobilisation.» La famille s’installa à Mostaganem en 1949. «Je fis ma cinquième au lycée René Basset. Nous habitions le quartier populaire de Tijditt, fief du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).
Le mouvement national prenait de l’ampleur et dans les discussions entre jeunes, le mot indépendance prenait un sens magique. Mon père rêvait de faire de moi un saint-cyrien. Il me mettait en garde contre les wattaniyine (nationalistes) qui d’après lui ne savaient que parler.- Je serais prêt à instruire des groupes au maniement des armes si les indépendantistes en créent, mais les bavardages ne servent à rien. En 1954, il tomba malade. C’était le cœur. La chirurgie cardiaque en était à ses débuts.
Il décida de tenter l’intervention, bien que les chances de succès fussent réduites à 5 %. Il embarqua pour Lyon. Le 6 mars 1954, un télégramme de l’hôpital Edouard Herriot nous apprit qu’il était mort sur la table d’opération.» On peut arracher l’homme du pays, mais on ne peut pas arracher le pays du cœur de l’homme. Malgré ses pérégrinations à l’étranger, Houari avait toujours ce désir brûlant de rentrer.
C’est en Allemagne qu’il fonda une famille. «Ainsi, mon idéal de justice sociale, puisé dans ma religion, confortait mon désir de voir le socialisme triompher en Algérie comme ailleurs. Parmi mes collègues étudiants, il y avait un Islandais, très intelligent, qui jouait remarquablement aux échecs et qui était mon partenaire à ce jeu.
Sa sœur vint lui rendre visite à Berlin et y séjourna assez longtemps pour que je puisse faire sa connaissance et entretenir avec elle des relations amicales. De ces relations sont nés des sentiments plus profonds, et plus tard une fille que nous baptisâmes Fadila. C’était ma femme Asa.» A l’indépendance, c’est Alger avec ses flonflons et son effervescence qu’il retrouve avec émotion et une joie indescriptibles. Sachant toutefois que les chantiers à venir sont ardus et nombreux. Toujours humble, il renoue avec la militance.
L’humilité, avait-il coutume de dire, naît de la confiance des autres. Mouffok avait dénoncé le coup d’Etat de 1965. Il était entré en clandestinité avant de se rendre au Maroc. Mal lui en prit puisqu’il fut arrêté à Rabat, torturé au commissariat central et séquestré pendant 45 jours au bout desquels il avait été remis aux services algériens en échange d’exilés marocains de l’opposition qui avaient trouvé refuge à Alger. «La sécurité militaire avait arrêté tous les opposants du 19 Juin en les accusant d’association de malfaiteurs.
En ce qui me concerne, j’avais fait l’objet de sevices inhumains de la part de mes geôliers et ce n’est qu’en novembre 1965 que j’ai été transféré à la prison d’El Harrach où j’ai retrouvé les autres détenus politiques.» Libéré et après quelques semaines, Houari a été agressé à Oran et laissé pour mort dans un couloir d’immeuble. «J’étais l’objet d’une surveillance constante. A ma libération en 1966, je me suis retrouvé sans famille et mon logement a été confisqué par la SM.
Les séquelles de la détention et des sevices m’ont lourdement handicapé durant les premières années de ma carrière professionnelle. En 1976, lors du congrès national des ingénieurs algériens alors que j’étais élu délégué par mes pairs à Alger à la quasi unanimité, les responsables du FLN qui contrôlaient le congrès ont tout simplement interdit ma candidature au bureau national.» Houari se souvient de sa rencontre avec l’autre Houari, celui qui s’est accaparé de force du pouvoir. La SM l’avait convoqué.
Rêver, encore ?
«Nous sommes reçus dans une grande villa située un peu plus haut que l’hôtel El Djazaïr, ex-Saint Georges.La villa n’est gardée que par quelques soldats. Nous ne sommes même pas fouillés. Boumediene est entouré par quelques membres du Conseil de la Révolution. A sa gauche, prennent place les responsables de l’UGTA, puis ceux de la JFLN. Abdelaziz et moi prenons place en face de Boumediene. Boumediene prend la parole. Il commence par accuser Ben Bella d’avoir semé la division dans les rangs des moudjahidine, d’avoir imposé la dictature personnelle et même d’avoir trahi le pays.
Il affirme que le Conseil de la Révolution a rassemblé les révolutionnaires pour reconstruire l’Etat et sauver la nation. Il met en garde enfin contre toute velléité d’opposition, affirmant que rien ne sera changé dans les directions des organisations nationales. Il conclut en déclarant : ‘‘Et je ne veux surtout pas qu’on qualifie ce ‘‘redressement révolutionnaire’’ de coup d’Etat.’’
J’interviens pour dire que le mouvement étudiant a retrouvé son unité autour de la Charte d’Alger. Pendant que je parle, Abdelaziz me donne des coups de pied en murmurant : ‘‘Tais-toi, tais-toi !’’ Boumediene m’interrompt.- ‘‘La Charte d’Alger n’est pas l’œuvre d’un homme, c’est l’œuvre des révolutionnaires et l’aboutissement d’une lutte séculaire’’. En disant cela, il me fixe dans les yeux de son regard perçant.
J’en ai froid dans le dos. Je pense intérieurement : ‘‘Quel blanc-bec tu peux être pour oser intervenir seul, toi le plus jeune, dans une assemblée aussi imposante.’’ Mais aussi, je me rends compte de la sincérité de cet homme, pouvant seule expliquer une telle capacité de persuasion. Plus tard, je me souviendrai de cette réplique de Boumediene lorsqu’à l’occasion d’un déplacement à Paris en 1978, j’eus l’honneur d’être assis dans l’avion aux côtés de Abdelhafid Boussouf qui, intarissable de connaissances et d’anecdotes, me dit : - ‘‘Tu sais, Ben Bella et Boumediene c’est la même chose, c’est le même programme, c’est le socialisme. Ce qu’il y a entre eux, c’est une question de pouvoir’’.»
Houari avait tout compris. Il en a pris acte, avec cette conclusion qu’à force d’être juste, on est souvent coupable. Il ne verra plus d’Algérie qu’il a rêvée de son petit coin du cimetière de Beni Messous où il repose désormais depuis ce fatidique 23 décembre 2013. «La vie, comme dirait Todorov, est certes perdue contre la mort, mais la mémoire gagne dans son combat contre le néant.»
Hamid Tahri
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