LE MOUDJAHID EZZOUAOUI ABDELKADER DIT BENAICHA SE SOUVIENT DE L'UNE DES PLUS GRANDES EMBUSCADES TENDUES A L'OCCUPANT FRANÇAIS DANS LA WILAYA IV le 9 janvier 1957
une embuscade d’une grande envergure et non moins meurtrière à l’armée française a eu lieu à Tizi-Franco, près de Menaceur (Marceau), dans la région de Cherchell. De cette attaque, soigneusement préparée par un vaillant moudjahid de la première heure, en la personne de Si Hamdane Benmoussa, 70 militaires français ont trouvé la mort sans qu’ils aient le temps de riposter tant l’assaut les a inopinément acculés.
Leurs armes, une soixantaine dont des 12/7 américaines, des fusils-mitrailleurs (FM BAR), des USD 17, des MAT 49 et une carabine ont été récupérés par les moudjahidine avant leur repli. C’est dire que celui qui fut l’artisan de cet exploit n’était âgé que de 25 ans. Sa katiba prendra désormais le nom d’El Hamdania, en hommage à la bravoure de Hamdane Benmoussa. le moudjahid Ezzouaoui Abdelkader, connu sous le nom de guerre de Benaïcha, son cadet de sept ans, a œuvré de plain-pied à ses côtés dans cette embuscade. Dans notre bureau régional où il est venu nous rendre visite, il nous a livré un récit authentique de cette opération qu’il n’est pas près d’oublier de sitôt. “Il fallait coûte que coûte s’approvisionner en armes pour doter les nouvelles recrues de l’ALN, notamment les collégiens et lycéens qui ont observé la grève des étudiants du 19 mai 1956 et qui ont rejoint les maquis de Tamezguida et de Cherchell. Il n‘y avait pas d’autres alternative à même de nous permettre de s’équiper en armes que de dresser une embuscade aux forces ennemies et récupérer le maximum d’armes”, nous dira Si Benaïcha qui, dans un devoir de mémoire, se remémora des hauts faits de ce moment historique de la Révolution algérienne à travers lequel une katiba s’est fait parler d’elle. Ce fut le mercredi 9 janvier 1957, précisera-t-il. Une embuscade qui avait “titillé”, bien avant, les esprits des maquisards de Tamezguida, flancs montagneux situés entre les monts de Médéa et le versant du Djebel Zaccar, devait s’accomplir à tout prix surtout que ces derniers n’étaient pas suffisamment armés. C’était aussi pour concrétiser sur le terrain l’esprit et le programme du congrès de la Soummam (20 août 1956) qui dans sa plate-forme se devait de faire disparaître la fiction colonialiste de “l’Algérie française” d’où des actions proprement offensives étaient planifiées sachant que dans une guérilla rien ne vaut la surprise. Ainsi, la rude tâche de renseignement et de guet quant à un mouvement militaire avait été confiée à Hamdane Benmoussa. Il avait, entre autres missions, d’épier les déplacements d’un convoi de soldats français dans la région de Béni Menaceur aux fins d’étudier l’éventualité d’une embuscade. En effet, affirmera notre interlocuteur, le convoi militaire en question procédait, régulièrement et une fois par semaine, à la relève des soldats français basés à un poste militaire placé sur une crête au lieudit Tizi- Franco, dans le douar des Béni- Boussalah, à quelques encablures de Cherchell. Ce convoi était constitué, selon les informations fournies par Hamdane Benmoussa, d’une jeep, de deux 4x4, de deux halfs-tracks et de deux camions GMC et venait, à une heure plus ou moins fixe, de Cherchell pour faire remplacer les hommes de troupes ainsi que leurs chefs par d’autres plus “frais”. Hamdane Benmoussa, nous confie Si Benaïcha, n’hésitera pas à informer les moudjahidine de tous les détails concernant ces déplacements et était résolument convaincu que si l’on appliquait à la lettre son plan, l’opération ne pouvait que réussir. Pour ce faire, il fallait rassembler au moins une centaine de combattants de l’ALN, localisés dans les massif montagneux de Tamezguida et de Cherchell et qui activaient sous les ordres respectifs de Si Ameur El Ouenas, de Ali Berzali alias Othmane, de Si Abdelhak et de Si Mouss Kellouaz El- Bourachedi. Le plan d’attaque de Benmoussa sera approuvé à l’unanimité. Les quatre sections citées plus haut arrivèrent au douar des Béni Boussalah deux jours auparavant afin de préparer minutieusement l’opération. Ils se réfugièrent dans un premier temps dans des maisons d’un hameau du douar afin de s’assurer de la non-présence de guetteurs ou de militaires dans les alentours. Au deuxième jour, tous les moudjahidine se sont dotés de brassards de couleur blanche. Ils attendraient à partir de leurs caches l’arrivée du convoi. Cependant Si Hamdane Benmoussa avait donné l’ordre de ne tirer aucune balle avant que le signal ne soit donné. Comme prévu, le convoi arriva à 8h, escorté par deux avions de type Jaguar. A partir des maisons où ils étaient embusqués, les éléments de l’ALN observaient le mouvement de l’ennemi. Mais pour des raisons de repli, les maquisards avaient jugé utile de n’intervenir qu’au retour du convoi, prévu l’après-midi, et ce, afin de pouvoir battre en retraite dans l’obscurité sachant qu’à cette période de l’année la nuit commençait à tomber à partir de 16 h 30. S’assurant que les militaires étaient arrivés au poste, un fossé au travers du sentier s’est fait vite creuser par les moudjahidine aidés par les habitants du douar dans le but d’immobiliser, lors de leur retour, les véhicules et autres blindés. A 13 h, les moudjahidine avaient déjà pris position en se postant à l’aplomb du détour de la piste, cachés derrière les arbres, plus exactement au lieudit “Borne 40”. Au retour du convoi, le capitaine à bord de la jepp s’aperçut qu’il était dans l’impossibilité de poursuivre sa route à cause de la tranchée ouverte. “Les fellagas ont coupé la route et se sont sauvé comme des lapins”, prononcera- t-il orgueilleusement. A ces mots, Benmoussa Hamdane qui se tenait accroupi derrière un chêne déclencha la mitraillade et le surprit d’un feu nourri à l’aide de son Mat 49. “Le capitaine sera abattu sur le coup”, fera savoir Si Benaïcha. Dès lors, la centaine de combattants le suivirent pour charger, sous l’effet de surprise, le feu sur les militaires. L’embuscade qui dura environ huit minutes sera soldée par la mort de soixante-dix soldats français et la perte de quatre moudjahidine que sont Si Ameur El-Ouenas, Ahmed El-Adoui, H’midet dit Ethewri et Saïd de Oued El-Alleug. Avant de se replier, les combattants de l’ALN ont pris le temps de récupérer l’impressionnant butin qu’étaient les armes, objets de cette attaque. Reconnaissant qu’ils ont essuyé un cuisant revers, les Français ont déclenché un impressionnant ratissage. Mais faute de moudjahidine, ils se vengèrent sur les habitants du douar, exécutant sommairement dix hommes parmi eux. Quant à Si Hamdane Benmoussa, le sort a voulu qu’il tombe au champ d’honneur trois jours plus tard, à savoir le 12 janvier 1957 alors qu’il se trouvait au sud d’El-Affroun chez Cheikh El-Marhoun. Probablement des informations à son sujet auraient filtré. En tout état de cause, il a été exécuté avec trois autres moudjahidine, avec dans ses mains la carabine appartenant au capitaine tué à Tizi-Franco. Si Benaïcha, nous dira que c’est à Ouafouf où il se trouvait avec ses camarades de l’ALN qu’il a appris avec tristesse la mort de Si Hamdane Benmoussa. En reconnaissance du mérite de ce dernier, la katiba de Ouanfouf, constituée par Tayeb Souleimane dit Si Zoubir, le 18 janvier, 1957 grâce aux armes récupérées de l’embuscade de Tizi Franco, sera baptisée El-Hamdania et deviendra une Katiba régionale de la Wilaya IV (région III, zone II), dirigée par Ali Berzali dit Othmane. Cette katiba, forte de son armement, livrera bataille à l’ennemi le 29 avril 1957 à Sidi M’hamed-Aklouche près de Chechell, sous la conduite de Si Moussa El-Bourachedi, lui causant de considérables pertes. Mais quand Si M’hamed Bouguerra rendra visite à cette katiba en 1958, constatant le dévouement des moudjahidine et leur force de résignation, il la rebaptisera Katibet Essabr ouel Imane (la katiba de la patience et de la foi). Rappelons enfin que le village El-Hamdania dans la wilaya de Médéa et celui de la région de Cherchell tirent leur nom du valeureux combattant Hamdane Benmoussa, mort en martyr à l’âge de 25 ans.
M. Belarbi
L'EMBUSCADE SUR LA PISTE
MARCEAU - TIZI FRANCO
Cinq articles ont déjà été publiés sur le blog sur cette embuscade. Je vous les rappelle dans l'ordre de leur parution :
Les - 16/12/2008. L'embuscade du 9 janvier 1957.
- 28/04/2009. Témoignage de Marcel PARIS.
- 18/11/2009. Une embuscade comme cadeau d'anniversaire.
- 25/11/2009. Plusieurs témoignages sur l'embuscade du 09/01/1957.
- 14/03/2013. Le miraculé du 9 janvier 1957.
Le 9 janvier 1957, j'étais en poste à Ténès depuis 8 jours à peine, et à cette époque je déjeunais et dînais tous les jours au mess des officiers avec à table face à moi un lieutenant du 2ème bureau, et à la table voisine, tous les officiers supérieurs de l'état major. A aucun moment je n'ai eu connaissance de cette embuscade, ni d'ailleurs de celle du 28 février 1957 !...
En m'inspirant de l'article écrit par Jean Claude PICOLET sur l'embuscade du 28 février 1957, je vais essayer de faire la synthèse de tous les documents que je me suis procurés sur cet évènement.
L'EMBUSCADE DU 9 JANVIER 1957.
Photo Pierre Janin
Ce 9 janvier au retour d'un ravitaillement à la maison forestière de TIZI FRANCO, un convoi militaire du 3ème Bataillon du 22ème RI tombe dans une embuscade sur la piste qui mène à MARCEAU. Le bilan humain est très lourd.
LES RAISONS DE MON INTERET POUR
CET EVENEMENT.
A la sortie de l'école d'officiers de CHERCHELL, nous étions trois Aspirants à avoir choisi le 22ème RI au détriment des "Paras" et même de quelques postes à la "Légion Etrangère", au grand désespoir des officiers instructeurs. Ce régiment reconstitué en totalité avec des rappelés, avait très mauvaise réputation.
Nous avions convenu de nous retrouver à MARSEILLE pour rallier notre poste le 31 décembre 1956. Notre ordre de mission nous demandait de rejoindre GOURAYA. Pour ce faire, nous avons bien imprudemment utilisé l'autobus de la ligne côtière "ALGER – CHERCHELL – GOURAYA". En route nous avons été arrêtés à un barrage militaire, et invités à quitter rapidement ce bus pour prendre un convoi et ainsi terminer notre parcours. A notre décharge, à l'école, si l'on nous enseignait l'art de la guerre et le commandement d'une section, on nous formait surtout à la pacification. A titre d'exemple, si nous disposions chacun d'un fusil "Garant M1", on nous avait remis seulement un clip et ses 8 cartouches, que nous devions coudre dans un linge blanc immaculé. Seules exceptions à cette règle, la garde à la poudrière, et la protection des fermes, où l'on nous remettait pour la cause, d'autres armes et leur lot de cartouches. Heureusement, nous n'avons jamais été attaqués et pourtant nous étions très souvent dans le djebel sans autre protection que la nôtre.
Entrée de la CCAS à Gouraya. Photo Daniel Mallet.
Arrivé à GOURAYA nous rejoignons rapidement les bureaux du 22ème RI, où nous sommes reçus par un capitaine auquel nous présentons nos ordres de missions. Ce dernier nous informe que le Colonel et l'Etat Major ont quitté Gouraya depuis déjà plusieurs mois et qu'ils se trouvent actuellement à Ténès. Il prévient le Colonel de notre arrivée et nous signale que nous allons passer 2 jours en sa compagnie en attendant le prochain convoi. C'est lors du réveillon Du 31 décembre 1956 que ce capitaine nous informa que l'un de nous rejoindrait son bataillon, et nous demanda s'il y avait un volontaire. L'un de nous ayant une petite amie à Gouraya, le choix fut vite fait.
Nous nous sommes retrouvés tous les trois début janvier 1958 lors de notre démobilisation, et nous nous sommes raconté les moments forts que nous avions vécus au 22ème RI.
Ce camarade, dont malheureusement j'ai oublié le nom, nous raconta cette embuscade du 9 janvier 1957, il devait prendre le commandement de cette section, et se trouvait dans la jeep avec le Sous Lieutenant. Je l'ai raconté dans l'un des articles précédemment cités.
C'est pour cette raison, que je m'intéresse tout particulièrement à cet évènement.
LES SOURCES.
Je dispose de plusieurs témoignages ou documents officiels que je vais recouper et tenter ainsi de faire jaillir la vérité.
1) – Le rapport du Capitaine Claude RONGIER commandant par intérim le III / 22 RI. Ce document officiel a été obtenu par Claude MONJAUX auprès du service Historique de la défense. Il est complété par une liste nominative des morts, une liste nominative des blessés, et un croquis du convoi sur le lieu de l'embuscade.
2) – Le compte rendu rédigé par le Commandant KUBLER et publié dans le journal du 22ème RI, le "DAHRA" présentant l'installation du 3ème Bataillon en Algérie dans le secteur de Marceau et donnant lui aussi une liste nominative des morts et une liste des militaires indemnes.
3) – Le témoignage écrit de Claude MONJAUX, gravement blessé, fait prisonnier quelques minutes par les HLL, puis abandonné lorsque l'aviation est arrivé. Il passa la nuit caché dans un buisson et fut retrouvé le lendemain matin par les secours.
4) – Le témoignage écrit de Louis MARTIN, blessé au genou et à la main, il réussit à fuir par l'oued, fut récupéré par les secours et hospitalisé à Miliana.
5) – Le témoignage écrit de Marcel PARIS publié sur le blog le 28 avril 2009. Deux de ses camarades furent tués dans cette embuscade.
6) – Le témoignage écrit de Charles MEURISSE publié sur le blog le 18 décembre 2008. Charles conduisait la jeep dans laquelle se trouvaient le Sous Lieutenant GODIE, l'Aspirant qui devait le remplacer ultérieurement, et 2 soldats. Son véhicule qui était placé en seconde position dans le convoi fut protégé par le GMC qui le précédait ce qui sauva la vie des occupants.
7) – Le témoignage écrit de Christian GERARD publié sur le blog le 25 novembre 2009. Christian avait lui aussi deux amis dans le convoi qui sont décédés. Il faisait partie des premiers secours, et participa à la mise en bière des corps, puis à l'enterrement à NOVI.
8) – Un article paru dans " Le soir d'Algérie" écrit par Mr BELARBI, qui nous livre sa version de cette embuscade. Cet article a été publié sur le "Net" à l'adresse suivante.
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/01/09article.php?sid=32915&cid=23
LE LIEU DE L'EMBUSCADE.
Le rapport du Capitaine RONGIER (1) situe l'embuscade en LY 75 B 15. On ne peut pas être plus précis. L'emplacement est judicieusement placé au 2/3 de la piste en partant de MARCEAU où se trouvaient les renforts les plus importants, donc un parcours plus long, laissant aux moudjahidines plus de temps pour décrocher et échapper aux éventuels poursuivants.
Les 2 flèches noires précisent le lieu de l'embuscade.
Comme nous pouvons le constater sur le plan ci-dessus, la piste est sinueuse, et encore l'échelle du plan ne donne qu'une pâle idée de la réalité. Avec des virages en épingles à cheveux, où les GMC, étaient obligés de faire des manœuvres pour les monnayer. Claude MONJAUX (3) et Louis MARTIN (4) m'ont précisé que pour faire ces manœuvres il fallait quelquefois descendre des véhicules pour décrocher la remorque, ou la tonne à eau. Les véhicules étaient dans ces moments très exposés. J'ai interrogé ces deux témoins sur la distance qui séparait MARCEAU de TIZI FRANCO, tous deux m'ont répondu qu'il ne fallait pas raisonner en kilomètres, mais en temps, tellement la piste était difficile.
Je ne possède aucune photo du lieu de l'embuscade.
LES FORCES EN PRESENCE.
Les militaires du convoi dépendaient de la 10ème Compagnie du III / 22 RI. Ils étaient en poste à MARCEAU où ils logeaient dans une école. Le rapport du Capitaine RONGIER (1) établi après avoir consulté le chef du convoi le Sous Lieutenant GODIE nous donne une description très précise de ce convoi.
Les véhicules circulaient dans l'ordre suivant :
GMC avec tourelle, la mitrailleuse n'étant pas en place. photo Georges Paysac.
- Le GMC blindé armé d'une mitrailleuse 12/7 sur tourelle.
- La jeep du chef de convoi.
- 2 GMC.
- 1 Chevrolet
- 1 Jeep
- 1 Half-track équipé de 2 mitrailleuses.
Le personnel de la section d'escorte était divisé entre les 3 GMC.
Quant au nombre exact de militaires dans le convoi, le rapport ne le précise pas, mais si l'on comptabilise : la section d'escorte = 30 hommes, les 7 chauffeurs, l'équipage du Half-track 4 hommes, les 2 officiers + les militaires de la 9ème compagnie qui avaient pris place à bord des véhicules pour descendre au P.C. du Bataillon à NOVI ce qui était le cas de Claude MONJAUX. On peut donc l'estimer autour d'une cinquantaine.
Christian GERARD (7) dans son témoignage indique qu'à l'aller, il y avait de nombreux militaires sans armes qui, revenant de France rejoignaient leur base à TIZI FRANCO, ils passèrent sans dommage devant les HLL.
Pour Mr BELARBI (8) le nombre de militaires dans le convoi au moment de l'embuscade est très supérieur, car il annonce 70 morts?...
J'y reviendrai.
L'ALN.
Mr BELARBI (8) précise que l'ALN avait regroupé pour cette opération 4 sections, une centaine d'hommes. Je dirais plutôt 120.
De notre côté, Louis MARTIN (4), Charles MEURISSE (6) et l'aspirant qui commandait en second le convoi ont déclaré avoir vu sur le terrain environ 200 postes de combat. Ces deux chiffres ne sont pas incompatibles, en effet nous pouvons penser qu'en sus des combattants, il y avait des porteurs pour transporter le matériel récupéré.
La supériorité numérique au profit de l'ALN était de 1 pour 2. Si l'on y rajoute l'effet de surprise et l'avantage du terrain qui surplombait les véhicules, on comprend mieux l'effet dévastateur de cette embuscade.
LES PREPARATIFS
Je laisse la parole à Mr BELARBI (8).
Cette attaque préparée minutieusement par un vaillant moudjahid SI HAMDANE BENMOUSSA avait pour objectif de récupérer des armes pour doter les nouvelles recrues, notamment des collégiens et des lycéens qui avaient rejoint le maquis après les grèves.
Il avait constaté que régulièrement un convoi militaire procédait à l'approvisionnement du poste de TIZI FRANCO à des heures plus ou moins fixes, partant de CHERCHELL et passant par MARCEAU.
Le jour de l'embuscade, à partir des maisons du douar où ils étaient embusqués, les éléments de l'ALN observaient le mouvement de l'ennemi. Mais pour des raisons de sécurité, les maquisards avaient jugé utile de n'intervenir qu'au retour du convoi, sachant qu'à cette période de l'année la nuit commençait à tomber à partir de 16h30.
S'assurant que les militaires étaient arrivés à TIZI FRANCO, un fossé au travers du sentier s'est vite creusé par les moudjahidines aidés par les habitants du douar, dans le but d'immobiliser à son retour le convoi.
Photo Robert Ageron
L'ARMEMENT
L'ALN
Aucune précision n'est apportée sur leur armement, sinon que Mr BELARBI (8) indique : SI HAMDANE BENMOUSSA déclencha la mitraillade à l'aide de son MAT 49. On peut toutefois penser qu'ils étaient équipés de vieux fusils de guerre, de fusils de chasse qui avec des balles ou des chevrotines sont des armes très maniables et très meurtrières à faible distance, et des grenades.
Le 22ème RI.
A de rares exceptions, tous les militaires étaient armés. Claude MONJAUX en poste à TIZI FRANCO descendait à MARCEAU pour y faire réparer 3 armes. Seuls les militaires qui partaient en soin ou en permission n'étaient pas armés.
Comme toute section de combat, il devait y avoir un FM 24/29, 2/3 de fusils GARANT M1, et 1/3 de MAT 49, et peut être un fusil lance grenades. Les différents rapports n'apportent aucune information à ce sujet.
Un GMC blindé était équipé d'une tourelle avec une mitrailleuse 12/7.
Un Half-track avec ses 2 mitrailleuses, une de 30 (7,62) et une de 50 (12,7)
Par contre ce convoi ne bénéficiait pas ce jour là de couverture aérienne. Tous les témoins à l'exception de Mr BELARDI (8) sont d'accord sur ce point. Le convoi était parti avec du retard de MARCEAU, car il attendait l'avion qui n'est pas venu.
Mr BELARBI (8) parle de deux avions "Jaguar", quand on sait que cet avion dans sa version de combat, a fait son premier vol le 23 mars 1969, on comprend aisément qu'il ne pouvait pas protéger le convoi. Enfin, si "avion" il y avait eu, la coupure de piste aurait été facilement décelée et le convoi arrêté avant l'embuscade.
LE TERRAIN.
C'était une piste difficile, sinueuse et aménagée très sommairement. Il existait bien une seconde piste plus à l'ouest qui desservait au passage la maison forestière de BOUSMANN, mais cette dernière avait été abandonnée après la libération des premiers contingents de rappelés, courant novembre, faute d'effectif. Cette dernière piste était encore beaucoup plus difficile que la piste "Est" et n'était plus utilisée.
Le Capitaine RONGIER (1) fait une description précise du lieu de l'embuscade :
"En LY 65 B 15 la piste décrit une courbe à grand rayon d'une longueur de 300 mètres environs (voir croquis ci-dessous).
Cette piste est bordée du côté gauche (sens de la descente) d'un talus de 2m50 à 3m de haut au dessus duquel le terrain est couvert de buissons de 1 mètre de haut maximum. C'est dans cette partie de l'itinéraire que les rebelles avaient tendu l'embuscade.
L'étude du croquis ci-dessus, permet de constater que tous les véhicules sont restés sur la piste. Que le convoi à l'arrêt s'étalait sur environ 150 mètres. Enfin, l'indication d'un oued, (l'oued ANACER vraisemblablement), corrobore les déclarations des militaires qui se sont enfuis dans le lit de cet oued.
LE CHOC.
Mr BELARBI (8) déclare : Les 4 sections des moudjahidines arrivèrent au douar des BENI BOUSSALAH deux jours auparavant afin de préparer minutieusement l'opération. Le 9 janvier au matin, les forces rebelles étaient donc sur le lieu de l'embuscade et pour des raisons de sécurité laissèrent le convoi filer sur TIZI FRANCO.
Dans son rapport le capitaine RONGIER (1) précise : Le convoi quittait TIZI FRANCO à 15 heures 15, sur cette piste extrêmement difficile et sinueuse, les véhicules roulaient à 50 mètres les uns des autres. Le convoi descendant aborda le lieu de l'embuscade vers 15heures 40, le véhicule de tête apercevant la coupure de piste stoppa et tous les véhicules en firent autant ce qui occasionna un certain resserrement des 3 véhicules de tête (voir croquis ci avant). Au même moment les rebelles cachés dans les buissons au dessus du talus déclenchèrent un feu violent d'armes automatiques (PM) et de fusils de guerre et de chasse, sur le convoi. Après un instant de stupeur, l'escorte réagit par le feu sur un ennemi invisible et qui le dominait. Puis sautant sur le talus, le chef d'escorte le sous lieutenant GODIE, rassemblant les valides des 2 camions de tête et de sa jeep, essaya de déborder les éléments rebelles par un petit oued, mais ils furent repoussés et rejetés de l'autre côté de la piste. C'est vraisemblablement à ce moment que GODIE fut blessé.
A l'autre extrémité du convoi les premières rafales rebelles furent suivies d'un assaut à la grenade des quatre véhicules. L'escorte se défendit vaillamment mais devait succomber sous le nombre. L'ensemble du combat dura 40 minutes environ, évaluation faite par les rescapés et confirmé par le renfort.
Je donne maintenant la parole aux survivants.
Louis MARTIN (4) qui se trouvait dans le dernier GMC du convoi nous précise. Dès le début de l'embuscade je sautais à terre avec quelques camarades et nous nous réfugions sous le GMC. La mitraille redoublait et nous ne pouvions pas riposter. Avec mes camarades, nous décidons de fuir en direction de l'oued qui borde la piste. C'est en traversant cette dernière que je fus blessé au genou. Nous réussissons avec mes camarades à rejoindre le lit de l'oued et à fuir. Nous retrouverons un peu plus loin un autre groupe qui comme nous avait réussi à se mettre à l'abri des tirs ennemis.
Quant à Claude MONJAUX (3) qui se trouvait dans le second GMC, deux de ses camarades furent tués dans le véhicule dès les premiers coups de feu. Légèrement blessé à une main, il sauta sur la piste et descend dans l'oued où il retrouve un copain. Blessé à nouveau à la jambe gauche, il se cache derrière un rocher. Retrouvé par les fellaghas, il échappe miraculeusement à la mort, et est abandonné grâce à l'arrivée de l'aviation (des T6) qui mirent en fuite les HLL. Il passa toute la nuit sur le terrain et fut retrouvé le lendemain matin par les tirailleurs Sénégalais. Claude me précisa que l'un des premiers morts de cette embuscade, fut le servant de la mitrailleuse du premier GMC.
De son côté Charles MEURISSE (6) chauffeur de la jeep du Sous Lieutenant, placée en seconde position dans le convoi, précise. Le premier véhicule s'arrête un peu avant le fossé creusé sur la piste. Derrière, je stoppe brutalement le Lieutenant à côté de moi est éjecté ce qui le sauve, car à ce moment un feu nourri éclate sur le côté. Le lieutenant rassemble les survivants de tête, 6 soldats. Nous nous glissons sous le camion, puis tentons une contre attaque. Rejeté nous nous enfuyons dans l'oued. C'est vraisemblablement à ce moment que le lieutenant fut blessé et qu'il se cacha dans un buisson d'épineux. Nous suivons le cours de l'oued jusqu'à ce que nous rejoignons quatre camarades de l'arrière du convoi qui comme nous avaient fui. Notre lieutenant fut retrouvé par les secours et héliporté vers l'hôpital MAILLOT à ALGER.
Evacuation des blessés. Photo Edmond Courraly.
Le Capitaine RONGIER (1) dans son rapport, précise.
Les coups de feu et les éclatements furent entendus à MARCEAU poste de la 10ème Compagnie à 15heures 45. Aussitôt, le lieutenant GAILLARD commandant cette compagnie alerta la seule section dont il disposait et la fit embarquer dans les véhicules. Parallèlement il rendit compte au sous secteur (communication obtenue à 16 heures) et demanda l'envoi immédiat d'avions sur le lieu du combat, puis parti avec son convoi.
Les renforts partis de MARCEAU arrivèrent sur le lieu de l'embuscade à 16heures 30 et les renforts aériens à 16 heures 35. A ce moment le combat avait cessé. D'après les blessés ramassés sur le terrain, les rebelles se seraient retirés dès qu'ils entendirent les avions et les camions qui approchaient. Ce que confirme Claude MONJAUX (3) dans son récit.
La section de renfort remontant la colonne tua un rebelle caché dans les buissons et récupéra son fusil de chasse.
Le Colonel DARCY commandant le sous secteur Nord et le commandant du III / 22ème RI arrivèrent sur le terrain à 16heures 50.
LE BILAN.
Tous les documents que je possède sur ce sujet, concordent à l'exception de l'article écrit par Mr BELARBI (8); En effet ce dernier déclare 70 morts dans nos rangs ?....
J'ai recoupé l'ensemble des relevés que je possède :
- Ceux d'Albert ROUSSEL, établis par évènements ou annuellement.
- Ceux de Jehan Loïc ROGNANT classés alphabétiquement.
- Ceux du DAHRA.
- Enfin celui joint au rapport du capitaine RONGIER (1) qui précise : "Il fut relevé sur le terrain 25 morts dont un gendarme, 18 blessés furent évacuer par hélicoptère sur les hôpitaux de MILIANA et d'ALGER.. La liste jointe à ce rapport qui ne concerne que les éléments du 22ème RI, comporte 26 noms, (24 morts relevés sur le terrain + 2 blessés décédés à l'hôpital de MILIANA dans les deux jours qui ont suivi). Parallèlement une liste des 16 blessés survivants est jointe au rapport.
Ce bilan est très lourd, mais nous sommes loin, très loin des chiffres avancés par Mr BELARBI (8).
Les pertes en armes furent très importantes, plusieurs mitrailleuses, des fusils, et des pistolets mitrailleurs (MAT 49). Le capitaine RONGIER (1) précise à ce sujet dans son rapport : Une grande partie de l'armement du convoi fut pris par les rebelles, qui eurent le temps de piller et d'achever un certain nombre de blessés et de décrocher avant l'arrivée des renforts. Cette dernière déclaration sous entend, que les morts ont été dépouillés de leurs vêtements et de leurs chaussures.
Mr BELARBI (8) dans son exposé déclare que le chef des moudjahidines avec son pistolet mitrailleur MAT 49, tua le capitaine qui commandait le convoi ?... Dans ce convoi, il n'y avait pas de capitaine, le chef du convoi était le sous lieutenant GODIE qui fut blessé au genou, et retrouvé par les secours caché dans des épineux. Il fut évacué par hélicoptère sur l'hôpital MAILLOT à ALGER. Claude MONJAUX(3) précise qu'il l'a rencontré, amputé d'une jambe, en convalescence à l'hôpital BEGUIN à VINCENNES. Il n'y donc eu aucun officier de tué dans cette embuscade.
Christian GERARD (7) qui faisait partie de l'unité de secours arrivée la première sur les lieux de l'embuscade conclut ainsi son témoignage :"Nous, nous avions les corps à MARCEAU, les blessés ayant été acheminés sur MILIANA et ALGER. Les corps après reconnaissance et remise en état, mission effroyable (pas de mots assez forts) pour définir l'horreur, ont été mis en bière. La messe et l'enterrement eurent lieu à NOVI quelques jours après.
Photo Marcel Paris.
Témoignage émouvant laissant percer un doute, que je ne commenterai pas.
Quant aux rebelles nous savons peu de chose sur leurs pertes. Le capitaine RONGIER (1) signale un HLL tué par les renforts et son fusil de chasse récupéré. De son côté Mr BELARBI (8) rapporte la perte de 4 moudjahidines dont il cite les noms. Ceux-ci n'ont pas été retrouvés sur le lieu de l'embuscade, ce qui laisse supposer que les HLL emportèrent leurs morts.
On peut donc conclure :
- Pour le 22ème RI : 26 morts et 16 blessés auxquels il faut rajouter 1 gendarme.
- Pour les HLL : 5 morts.
C'est heureusement très éloigné du chiffre avancé par Mr BELARBI (8).
Ceci nous permet de mieux cerner le nombre de militaires du 22ème RI présents dans ce convoi. En effet le commandant KUBLER précise dans le DAHRA qu'il y avait 12 rescapés indemnes dans cette embuscade. Ce qui fait en récapitulant : 26 morts + 16 blessés + 12 rescapés, un total 54 militaires du 22ème RI auxquels il faut rajouter un gendarme.
LA REACTION.
L'embuscade avait été parfaitement organisée, et la tombée rapide de la nuit protégea la fuite des moudjahidines. Les renforts s'occupèrent tout d'abord des blessés qui furent évacués par hélicoptères sur les hôpitaux de MILIANA et d'ALGER pour les cas les plus graves. Puis des morts qui furent regroupés à NOVI.
Le capitaine RONGIER (1) dans son rapport officiel déclare : "Les avions T6 arrivés sur les lieux à 16 heures 35, n'ont eux-mêmes rien vu des mouvements des rebelles.". Il indique également que le déplacement et la mise en place de cette bande étrangère au quartier du bataillon n'ont pu se faire sans l'entière complicité de la population avoisinante à cette piste. Cette population assez nombreuse n'a voulu fournir aucun renseignement sur la direction prise par les rebelles pour se retirer.
Mr BELARBI souligne d'ailleurs la participation de la population des douars voisins au creusement de la tranchée sur la piste. Rien ne prouve non plus qu'ils n'y aient pas été contraints.
Dès le lendemain matin, une grosse opération fut organisée sur le secteur, avec la participation du 22ème RI, des tirailleurs Sénégalais et des parachutistes. A ce sujet, Claude MONJAUX rapporte qu'alors qu'il venait juste d'être remonté sur la piste par les tirailleurs, le Général SALAN est venu l'interroger sur la direction qu'avaient prise les HLL après l'embuscade. Ces derniers avaient bénéficié de toute la nuit pour se mettre à l'abri, loin du lieu de l'embuscade.
Mr BELARBI rapporte que le chef des combattants de l'ALN, SI HAMDANE BENMOUSSA est tombé au champ d'honneur le 12 janvier 1957 trois jours seulement après l'embuscade, alors qu'il se trouvait au sud d'EL AFFROUN.
Je ne retrouve rien d'autre sur les suites de cette grosse opération, ce qui laisse à penser que les moudjahidines, s'étaient volatilisés.
CONCLUSION
Cette embuscade fut pour le 22ème RI l'une des plus meurtrières avec celle du 28 février 1957, et elle marqua fortement les esprits. Le lieutenant GAILLARD qui commandait l'unité qui arriva en premier sur les lieux de l'embuscade en fut fort affecté et le souligna dans sa correspondance à son épouse.
Dans son rapport officiel le capitaine RONGIER (1) conclut : "Les conditions dans lesquelles s'est déroulée cette affaire prouvent une fois de plus la vulnérabilité de ces convois de ravitaillement peu étoffés en escorte en raison de la faiblesse des moyens en personnel et en véhicules".
Pour surveiller le territoire, l'on avait essaimé de nombreux petits postes perdus dans la montagne, difficiles d'accès et qu'il fallait très régulièrement approvisionner. C'était un peu le talon d'Achille de notre armé, et les moudjahidines en ont profité.
Enfin, pour nous, l'important est de démêler le vrai du faux, notre régiment a payé un lourd tribut à cette guerre d'Algérie, il n'est donc pas nécessaire pour des raisons démagogiques de travestir la vérité.
Michel FETIVEAU
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