"L’eau de vie a détruit les peaux rouges, mais ces peaux tannées ne veulent pas boire. L’épée doit donc suivre la charrue". Un «civilisateur» du début de la colonisation
Il est très difficile à une personne sensée d’être francophobe, tant ce peuple a fait pour le monde moderne. Beaucoup de ces faits ne peuvent pas être oubliés, de la déclaration des droits de l’homme au général de Gaulle qui a accepté la décolonisation en passant par L. Pasteur et V. Hugo. Mais il y en a qui ont gardé, et ils ont raison, un ressentiment particulièrement lorsqu’il s’agit de relations politiques. Induit par la période coloniale, le ressentiment est très aigu (trop pour être honnête) chez certains et intelligemment géré chez d’autres.
Pour les Vietnamiens par exemple, ce qui a été fait est fait, l’histoire l’a enregistré, maintenant il y a d’autres dossiers à traiter et l’histoire, sans être piétinée ou oubliée, ne doit pas sacrifier les intérêts actuels et futurs du pays. Le Vietnam n’a pas sacralisé sa guerre de libération, longue (trente ans), couteuse (plus de trois millions de morts), héroïque (c’est Dien-Bien-Phu qui a démontré aux pays colonisés, aux algériens surtout, que la France n’est pas invincible : vaincue par la Prusse en 1871, puis par l’Allemagne en 1914 et en 1939, voilà qu’elle est battue par sa colonie même). Il n’a pas caché ou falsifié son histoire (date de l’indépendance, nombre de martyrs, règlements de comptes internes, erreurs, trahisons, etc.…) ni créé une « aristocratie de la libération » prébendière comprenant beaucoup de fraudeurs et d’anciens refugiés en pays voisins.
A l’indépendance les dirigeants vietnamiens, d’authentiques patriotes a l’image de leur chef Ho Chi Minh, ont mis tout le peuple au travail sans râtelier pour les uns ni démagogie pour les autres. Ainsi en 2012, alors qu’il a eu son indépendance totale en 1976(14 ans après l’Algérie) il a failli être un dragon économique si ce n’est la crise mondiale. Le revenu de ses exportations, essentiellement agricoles et minier, est très supérieur à celui de l’Algérie qui le doit exclusivement au pétrole. Il n’a pas non plus sacrifiée son histoire puisque, a titre d’exemple, sans créer un litige ou une polémique avec la France, il a refusé à ce que Bigeard soit enterré à Dien Bien Phu ; en Algérie, certains comme moi se sont dit : « heureusement que le vieillard n’a pas demandé à être enterré en Algérie, s’il l’avait fait, sa tombe serait aujourd’hui a Bouchaoui l’ancien domaine de son ami ou peut-être même sur la jetée de Sidi Fredj ; à Alger on s’est calmé dès 1980 et on ne refuse rien depuis 1999 »).
Les Algériens d’après l’indépendance doivent savoir que leur pays est condamné à avoir des relations apaisées avec tout le pourtour méditerranéen malgré l’histoire et les problèmes actuels. Ils doivent être capables de concilier entre les uns et les autres (les relations, l’histoire et les problèmes) pour le seul intérêt du pays. Le grand malheur pour ces générations c’est qu’au moment où la France idéalise son passé colonial, les dirigeants algériens sont en train de réussir le discrédit du mouvement national et sa victoire, fournissant ainsi une aide précieuse à ceux qui veulent disculper le colonialisme de ses crimes. Pour ne pas piétiner leur passé, les Algériens doivent, malgré tout, veiller à ne pas oublier, au moins, les faits que l’histoire a enregistrés. Nous en rappelons quelques-uns :
1) La régence était une puissance respectée pour ses capacités militaires et économiques
Sa richesse était produite par la course plus que par l’agriculture. On utilisait le terme «course», lorsque les pirates étaient protégés par un état. La course était alors une activité économique normale, propre aux pays qui en avaient les moyens (j’ai toujours en mémoire le nom du "capitaine Surcouf" qui faisait la course pour la France). Pour protéger leurs navires, des états payaient tribut à la Régence :
L’Angleterre, l’Espagne et le Portugal payaient 150.000 francs à chaque changement de consul (le salaire moyen de l’époque, en France, était de 30 francs par mois).
- Les U.S.A et le Danemark payaient un tribut annuel.
- La France, grâce a ses traités avec Alger, ne payait aucun tribut, elle a cependant toujours consenti à lui envoyer des présents.
"Les Algériens tenaient les Français pour leurs meilleurs amis parmi les Chrétiens. Ils les avaient sauvés de la famine aux temps de la république" (fourniture de blé au directoire).
Seulement au bout d’un certain temps, le système politique s’est sclérosé (comme aujourd’hui ?) et la régence s’est endormie. Les gouvernants (Dey, Bey et Janissaires) ne s’occupaient que de leurs intérêts. Deux fois par an ils constituent des colonnes militaires et sillonnent le Pays pour collecter l’impôt ; c’est ce qu’ils appelaient le «dennouch». Celui qui ne pouvait pas payer voyait ses biens saccagés, détruits ou brulés. C’est de cette époque que date l’idée que «voler le Beylik est légitime». Aujourd’hui on ne se rend pas compte que le Beylik, disparut, est remplacé par l’état Algérien et voler l’état c’est détruire la nation (il faut signaler qu’en matière de culture d’état, le mauvais exemple vient du haut de la pyramide composé en grande partie de gueux malhonnêtement enrichis et d’ignares illégitimement promus).
Les gouvernants du pays s’occupaient donc de leurs petits intérêts (comme aujourd’hui ?) et ils n’ont pas vu les changements qui s’opéraient autour d’eux, particulièrement dans l’armement, la marine et les techniques de la guerre. La facture pour le sommeil de l’état et l’affairisme des dirigeants fut soldée le 05 juillet 1830, le facteur «colonisabilité» de Malek Bennabi ayant atteint sa valeur maximale.
2) Les Algériens n’étaient pas des ignorants
"Ce qu’il faut, c’est donner des livres à ce peuples curieux et intelligent. Ils savent tous lire. Et ils ont cette finesse et cette aptitude à comprendre qui les rend si supérieurs a nos paysans de France" (E. de Tocqueville). Aujourd’hui, une élite de contrefaçon avec sa mauvaise gouvernance au service de ses petits intérêts, traite le peuple de « bras cassés » faisant semblant d’oublier que ces « bras cassés » ont participé a la libération de la France a deux reprises, ils ont reconstruit la France après 1918 et après 1945 et ils ont libéré l’Algérie d’une colonisation de peuplement.
"L’instruction élémentaire est pour le moins aussi rependue chez eux que chez nous ; il y a des écoles de lecture et d’écriture dans la plus part des villages et des douars (E. Pellissier in M. Kaddache)".
"Notre seul supériorité sur eux c’est notre artillerie, et ils le savent. Ils ont plus d’esprit et de sens que les européens, et on trouvera un jour d’immenses ressources chez ces gens-là qui savent ce qu’ils ont été… (Duc de Rovigo). Voilà un général de 1830 qui ne manque pas de vision puisqu’il voit déjà les fumées de novembre 1954.
"…cette race (les algériens) intelligente, fière, guerrière et agricole" (Napoléon 3).
" …Mais tout ce qu’ils font et purement par habitude et par routine, aidés il est vrai d’une mémoire très heureuse et de beaucoup d’intelligence. On ne peut donc attribuer à aucune espèce d’incapacité naturelle le peu de progrès que les Turcs et les Maures font dans les sciences et la littérature, puisqu’il est certain qu’ils sont au contraire doués de facultés intellectuelles incontestables … (Dr. Shaw)".
"…Et cependant, pour l’observateur attentif et impartial, ces êtres si dédaignés par nous, possèdent des notions primitives et une intelligence naturelle fort au-dessus de celles que nous rencontrons dans la plus part des habitants de nos campagnes … tandis que leur fidélité à remplir leurs promesses et la franche et généreuse hospitalité …pourraient être présentées comme modèle aux peuples les plus civilisés » (Duc de Caraman).
3) Le "civilisateur" était barbare
"Le premier massacre affecta la tribu des Aoufia, exterminée par le duc de Rovigo en avril 1832, a la suite d’un simple vol, dont elle était d’ailleurs innocente".
"Nous apportions à ces peuples les bienfaits de la civilisation, et de nos mains s’échappaient les turpitudes d’un ordre social usé. Nous avons débordé en barbarie les barbares qu’on venait civiliser (rapport d’une commission d’enquête).
"A la prise d’Alger…les quelques françaises qui se trouvaient dans la ville, en dépit de toutes les pressions, préférèrent rester avec leurs époux ou leurs maitres et même les suivre dans leur exode. La leçon était cuisante pour les civilisés venus apporter "l’éclat lumineux de la délivrance". Mais pourquoi ces exilés seraient-ils rentrés dans un pays ou souffraient quatre millions de mendiants, quatre millions d’indigents…ou 27000 communes sur 38000 n’avaient pas d’école, ou plus de la moitié des soldats étaient illettrés.
"En décembre 1852, pour obtenir les faveurs de Napoléon 3 au moment de son coup d’état, le général Pélissier fonça sur Laghouat à marche forcée. Il voulait devancer le Marechal Randon…le carnage fut effroyable. On coupait les poignets des femmes pour s’emparer plus vite des bracelets…"
"N’a-t-on pas le droit d’exterminer les algériens comme on détruit par tous les moyens possibles les bêtes féroces ?"
Clauzel, en novembre 1830, annonce le premier massacre collectif, celui de Blida : "j’ai ordonné aux bataillons de détruire et bruler tout ce qui se trouve sur leur passage ». Le crime accompli, il s’en lave les mains dans cette jolie phrase : « Quand on fait la guerre, ce n’est pas pour accroitre l’espèce humaine". Toujours Clauzel : "Dans deux mois, les Hadjoutes (tribu de la Mitidja) auront cessé d’exister" "Les rejeter comme des bêtes féroces au loin et pour toujours, dans les sables du Sahara". "Depuis onze ans, constate tristement le général Duvivier, on a détruit, incendié, massacré hommes, femmes et enfants avec une fureur toujours croissante".
"Piller et détruire les villages, vider les silos(Metmors) brûler les récoltes couper les oliviers, razzier les troupeaux, leur interdire les terrains de parcours, voià ce qu’on appelait dominait leur agriculture".
"On n’arrive pas à couper tous les arbres, regrette Bugeaud, vingt mille hommes armés de bonnes haches ne couperaient pas en six mois les oliviers et les figuiers de ce beau pays". "Tous les villages des Béni-Immel ont été pillés et brulés. On quittait des villages en feu par des sentiers semés de cadavres" (général Camon).
"Cavaignac inaugure les "enfumades" en asphyxiant des insoumis dans des grottes sur la rive gauche du Chélif". "Pélissier enfume et asphyxie un millier d’hommes de la tribu des Ouled Riyah, refugiés dans des grottes".
- "L’eau de vie, écrivit le docteur Bodichon, a détruit les peaux rouge, mais ces peaux tannées ne veulent pas boire. L’épée doit donc suivre la charrue". Et dire que c’est un disciple d’Hippocrate qui parlait.
4) Le "civilisateur" avait lu Machiavel
«L’extermination directe …se nourrissait aussi de ce jeu machiavélique pudiquement appelé «politique indigène» qui consistait à lancer les tribus les unes contre les autres, ou encore a déchainer contre les fellahs des douars ces milices de colons qui firent tant de mal en 1871…».
On «entretenait les inimitiés» comme disait le ministre de la guerre : arabes contre kabyles, Tell contre Sahara, marabouts contre oulémas, juifs contre maures, turc contre koulouglis, Abdelkader contre Ahmed Bey. Entre mille exemples, voici comment le colonel Villot nous décrit sa politique de bureau arabe : «les Sguich souffraient d’une agitation très vive. Je m’en tirai en les jetant sur les haouras. Je leurs pris 3000 têtes de bétails. Cette diversion remit les Sguich dans le devoir».
«Ce ne fut qu’en 1914, que les Algériens musulmans eurent la faculté de circuler librement à l’intérieur de leur pays… A partir de 1905, le gouvernement et les employeurs français désirant utiliser la main-d’œuvre algérienne donnèrent la possibilité aux musulmans de partir en France, ce qui amena les protestations des colons craignant le départ d’une main-d’œuvre bon marché, l’enrichissement des travailleurs musulmans, surtout le rachat par leurs familles des terres colonisées et leur évolution politique par suite de leurs contacts avec les milieux ouvriers de France. Aussi, dès 1924, la liberté de circulation des Algériens vers la France était-elle supprimée » (M. Kaddache).
5) Le «civilisateur» ne manquait pas d’avidité
"Ce fut un système de rapine et de violence, une conduite indigne du nom français, qui révolte tout ce qui a le sentiment de la justice" (général Berthezene). "Nous sommes venus en amis, en libérateurs,… On les pille, on les torture, on insulte tout ce qu’ils ont de plus sacré" (général d’Aubignosc).
"Les sequins, doublons et diamant que les algériens thésaurisaient depuis des siècles, furent les dragées de ce glorieux baptême, que bénirent avec transport le Pape et tous les prélats du royaume". "Les Musulmans avaient perdu, en 1919, sept millions et demi d’hectares que l’état et les particuliers, les grandes sociétés capitalistes s’étaient partagés" (Charles-André Ageron). "On était pressé de plonger une main rapace dans les immenses trésors de la Cassauba (comprendre Casbah)".
Demain (journal 07 mars 1926) publia le télégramme (adressé au Ministre de l’intérieur) protestant contre l’attribution de 500 hectares du douar Menniche aux colons sous prétexte que ces terres étaient inoccupées et incultes…occupons et cultivons depuis un siècle ce communal, 19 maisons y sont construites, plusieurs puits creusés… (M. Kaddache) ».
6) Les Algériens n’avaient pas trouvé d’amis
Le peuple tunisien s’est tout de suite mobilisé pour combattre les Français, mais il fut neutralisé par le Bey qui reçut la promesse d’avoir son fils Bey de Constantine. Toujours ces satanés gouvernants dont l’envergure intellectuelle et morale s’arrêtent à la hauteur de leurs coffres forts (aujourd’hui le compte dans une banque a l’étranger).
– «Refoulé par les troupes chérifiennes, ne pouvant plus s’échapper par le sud, Abdelkader se rend au général Lamoricière le 23.12.1847 (B. Stora)».
7) Le «civilisateur» a réalisé des choses, mais pour lui, a son profit et le plus souvent au dépend des Algériens.
Pour vanter «l’œuvre» colonialiste, les «civilisateurs» ont adopté le contenu, généralement mensonger, de certaines déclarations comme les deux ci-dessous rapportées par l’historien M. Kaddache :
- Publication «L’Afrique Latine» du 15 mars 1922 : «Il n’y a pas de nation indigène en Algérie. Il y a des kabyles et des Berbères arabisés qui se haïssent ; des tribus en lutte continuelle les unes avec les autres, des familles en rivalité sanglante : aucune idée commune, encore moins une notion supérieure de patrie. C’est nous…qui, non seulement avons refait le sol, mais qui lui avons donné un semblant d’unité politique et administrative. Si nous n’étions pas là, la patrie pour un habitant d’Alger expirerait aux portes d’Alger même. En dehors de la banlieue, il serait accueilli à coup de fusil, comme cela se passer avant 1830. Si aujourd’hui l’Algérien peut parler de l’Algérie comme de son pays, c’est à nous qu’il le doit….». Ce journal fait semblant d’oublier qu’en 1830 les défenseurs de sidi f’rej étaient venus de toutes les régions du pays.
- déclaration d’un élu représentant les colons : "Nous avons trouvé le pays inculte, des famines périodiques décimaient la population. Des épidémies pour ainsi dire annuelles la ravageaient… Il n’y avait pas d’organisation financière. Nous l’avons doté de cette organisation et nous en avons fait l’outil de nos progrès… la route, là où il n’y avait pas, le chemin de fer, l’hydraulique, l’instruction, là où il n’y avait aucun établissement,…". Cet élu oublie que la régence vendait du blé à la France et même à crédit ; il semble dire que les chefs de la colonisation(le Duc de Rovigo, E.de Tocqueville, Napoléon 3), cités plus haut, sont des menteurs. Ils ont construit des routes et un chemin de fer ; mais avec quelle main d’œuvre et pour quel besoin ? Combien étaient payés les ouvriers algériens? Combien ont laissés leurs vies en creusant les tunnels (Lakhdaria, Kherrata, Constantine …)?
8) Et le «civilisateur» fut roulé dans la poussière dès 1871
Pendant plus de quarante ans, l’armée française n’eut à faire qu’a des civiles que le désespoir poussait à attaquer n’importe comment et avec n’importe quoi. Elle se spécialisa dans les razzias et les colonnes contre les tribus aux moyens archaïques. Lorsqu’elle fut obligée de faire face a une véritable armée (Crimée, Sedan) elle fut roulée dans la poussière. "On lira plus tard dans un journal allemand : Grace à la guerre d’Algérie, l’armée de la « Bundeswehr » devint la plus puissante d’Europe occidentale".
9) Le présent
Le présent est là. On dit que le futur se prépare aujourd’hui ; le passé étant dans les livres d’Histoire, d’accord donc pour des relations apaisées mais sans piétinement de l’histoire ou enterrement du passé sachant toujours et ne jamais l’oublier que pour l’Occident il n’y a pas de fraternité ni d’amitié entre les nations, il y a des intérêts.
Noureddine M.
Notes et références :
Les citations entre guillemets sont tirées de la bibliographie suivante :
Histoire du Nationalisme algérien tome 1 et 2. M.Kaddache- Ed. SNED : Alger
Voyage dans la Régence d’Alger- Dr. Shaw- Ed.Bouslama/Tunis
Algérie-Histoire contemporaine 1830-1988- Benjamin Stora- Casbah édition/Alger
Histoire d’un parjure- Michel Habart/les éditions de minuit in www.lelibrepenseur.org
Histoire de l’Algérie à la période coloniale- ouvrage collectif- Ed. la découverte- Paris / Barzakh- Alger
Les commentaires récents