Barretteau Jean Marcel Abdallah. Descendant de déportés algériens de la Nouvelle-Calédonie
«Quant à ceux qu’on retient loin de leur patrie, le cœur de leurs proches meurt d’angoisse. On finit par les croire morts, car l’on ne peut s’occuper autant des absents que de ceux qui sont présents.» Amzian Cheikh El Haddad
Il y a des vies qui ressemblent à des romans, mais qui ne sont pas autre chose que la vie. C’est bien le cas de Barretteau Jean Marcel Abdallah, descendant de déportés algériens en Nouvelle-Calédonie en quête de ses racines qui est venu plusieurs fois en Algérie à la recherche de certains de ses ancêtres, partis malgré eux sur une terre lointaine pour ne plus revenir. En suivant les détours de l’histoire, Abdallah, amoureux de l’Algérie, s’est aussi épris d’une fille de Constantine. Et pour que cet amour ne reste pas platonique, il vient d’épouser Khandouda.
C’est cette histoire de double amour que nous tenterons de faire connaître. Dimanche de réjouissances à Constantine où on célébrait un mariage peu ordinaire entre Abdallah et Khandouda et auquel nous avons assisté. Le nouveau couple ayant eu la bonne idée de nous compter parmi les convives.Ce mariage, entre un descendant de déportés algériens et une Constantinoise, est aussi un clin d’œil de l’Algérie à la lointaine «Caledoun» et vice-versa. Un moment d’histoire douloureux qui évoque l’une des plus sombres pages du colonialisme français.
Retour sur le passé
Au sein de la population algérienne, l’idée de s’affranchir d’une occupation pesante du pays par une puissance étrangère était toujours présente à l’esprit. Les différentes insurrections déclenchées depuis 1830 représentent la meilleure preuve de cet état de révolte permanent. L’insurrection de 1871 a beaucoup marqué les esprits, il y en a eu d’autres avant et, bien sûr, après cette date. Cet état de fait a poussé le législateur français à voter des lois iniques pour éloigner un grand nombre d’Algériens jugés dangereux en donnant à ces lois une façade juridique réglementaire.
Il y a eu, durant cette période, la sècheresse, les invasions de sauterelles et l’année de la faim (aâm echar), les événements sanglants de la Commune de Paris en 1871. La conjonction de tous ces facteurs d’inquiétude et le ras-le-bol des populations algériennes inciteront le bachagha Mohamed Mokrani et Mohand Amzian El Haddad, chef de la confrérie des Rahmania, à soulever, le 8 avril 1871, une grande partie des tribus de Kabylie, de l’est et même du centre du pays.
Cet exil, les aïeux d’Abdallah l’ont vécu dans leur chair dans ce pays situé au bout du monde, et dont Rachid Sellal, ingénieur historien, s’est fait le témoin à travers l’histoire tragique et poignante racontée dans son livre Caledoun.
L’auteur évoquera bien évidemment
Boumezrag Mokrani, le plus célèbre des bagnards et un des chefs de l’insurrection de 1871 et que le journaliste Jacques Dhur, auteur de plusieurs publications sur les bagnes militaires, interviewera pendant sa captivité. «Mokrani m’avait entraîné vers les quais d’où l’on apercevait l’Île Nou. Et là-bas, au-delà de l’eau morte du port, elle se dressait immobile et figée comme une vague monstrueuse. L’Arabe me saisit le bras : l’enfer ! Et il jeta le mot d’une voix qui m’entra au vif des chairs. Par la baie vitrée, on voit la ville. Et la masse crêpelée des toits, tout blancs aussi, semble un bouillonnement d’écume. On se dirait en Algérie. J’ai jeté à mi-voix, vers Mokrani, cette phrase évocatrice. Un instant, il demeure sans répondre. La braise de ses prunelles a flambé comme un brusque courant d’air, puis il prononce : ‘‘Oh !... ce n’est pas mon pays !’’»
Le nombre d’Algériens condamnés à un exil définitif avoisinait les 2000, confie Abdallah qui se dit fier d’avoir des racines relevant d’un pays dont le peuple n’a jamais accepté l’humiliation et a toujours défendu sa dignité. «Mes grands-parents m’ont raconté la maltraitance dans toutes ses dimensions, le mépris et surtout le statut presque d’animaux conféré aux déportés qui ont subi la pire des souffrances.»
Page noire
Taïeb Aïfa, fils de déporté et personnage emblématique de la communauté, maire de Bourail, deuxième grande commune après Nouméa, avait rappelé, il y a quelques mois, lors d’une visite à El Eulma, le fief de sa tribu, les conditions de la déportation de ces hommes qui «étaient usés à la fin de leur peine», en évoquant «la grande tristesse qui les envahissait», «origine d’un mutisme douloureux pour certains» en vantant les mérites de Sedik Taouti, un ancien haut responsable algérien de la Banque islamique de développement qui a découvert, au début des années 80, cette communauté et l’a fait connaître aux Algériens à travers un reportage télévisuel réalisé par Saïd Oulmi. «Effectivement, note Abdallah, mon père m’a énormément loué les mérites du regretté Taouti Seddik, dont le fils Mustapha Kamel est le digne continuateur de l’œuvre de son père en jetant une passerelle entre nous et l’Algérie».
A Constantine, la fête bat son plein et la famille Laouer se donne à fond. Pourquoi Abdallah est-il ici et comment ? «J’aime bien ce pays dont je suis un descendant. Je voulais faire connaissance avec ma famille. Et comme j’ai émis ce vœu à la télévision algérienne, j’ai reçu 6000 courriers et il a fallu répondre à tout le monde. Dans la mêlée, ma future belle-sœur Asma qui m’a fait connaître Khandouda et avec laquelle je suis en contact depuis 2007. Je me suis déplacé en août 2007 à Constantine et j’y suis resté trois mois. A travers mes recherches, j’ai pu savoir que Bouanani Abdelkader, un déporté, comptait parmi ma famille. Le grand-père Marius, né en 1906, est le fils de Joséphine. Il s’est marié avec Saâdia Bouanani dont le père, originaire de Sebdou, avait été banni à Nouméa. Je me suis donc déplacé à Sebdou où j’ai été chaleureusement reçu par la famille qui m’a vite adopté. C’était un sentiment très fort et l’émotion a atteint son paroxysme lorsqu’on m’a emmené à l’endroit où il est né. Là, je ne pouvais retenir mon émotion. J’ai pleuré. J’ai trouvé trace aussi de ma famille à Batna et des membres, comme Meriem et Nadia, sont venus assister à mon mariage. Cela fait chaud au cœur lorsqu’on rencontre son destin après de longues années d’absence.»
Abdallah parle de son mariage en insistant sur la persévérance et la patience dont il a fait preuve durant des années. «Vous ne pensez pas que j’ai fait plusieurs fois 20 000 km pour rien. Mes efforts ont été récompensés et je remercie mes beaux-parents» lance-t-il en plaisantant. Son entrée en islam s’est faite naturellement puisque son père François Youcef fait la prière au même titre que plusieurs hommes d’un certain âge de Nessadiou.
«L’imam Mustapha de Nouméa venait une fois par semaine nous apprendre les sourates et surtout la Fatiha. J’ai continué dans la même voie à Bouraï, avec Boufenache Yael plus avancé que moi dans la religion. C’est lui qui fait l’imam et moi, il m’arrive, en l’absence de mon père, de faire le muezzin en appelant à la prière à la mosquée de Nessadiou. Dans l’Islam, j’ai trouvé quelque chose d’apaisant. Il y a une sorte de sérénité qui enveloppe votre corps et votre âme. Et les préceptes de cette religion sont bons et incitent au bien. Même si des esprits revanchards tentent de salir cette religion en l’assimilant à du terrorisme. Nous avons vécu cela depuis les fameux événements du 11 septembre 2001 et le regard de l’autre à notre encontre n’est pas toujours ‘‘innocent’’.»
L’exil et la solitude
Abdallah avoue que la fête de l’Aïd est un «grand moment que nous fêtons dans une ambiance chaleureuse et fraternelle. Cela se termine toujours par une ‘‘sadaka’’ au cimetière où tout le monde se donne rendez-vous pour se recueillir sur les tombes des morts. Et lorsqu’il y a un décès dans la communauté, celle-ci est solidaire et compatit au deuil. La sadaka est une des marques de notre tradition et de nos us. Cela nous conforte dans notre religion. Pour la petite histoire, le cimetière de Nessadiou est celui qui compte le plus grand nombre de tombes arabes. Mon père m’a raconté que mes grands-parents avaient émis le vœu de retourner en Algérie mais se heurtaient à beaucoup de contraintes, comme la distance, le coût du voyage et une santé précaire.»
Il n’y a pas de statistiques fiables concernant le nombre de descendants mais, selon la thèse de Malika Ounoughi, confortée par l’historien et sociologue Seddik Taouti, à travers son livre Une identité exilée (Dar El Ouma 1995), le nombre est estimé à 15 000 mais un travail de fond est à faire dès lors que la plupart des noms arabes ont été effacés par «l’administration coloniale qui s’est acharnée à annihiler leur attachement à leur pays d’origine, l’Algérie, à leur culture, à leur langue et à leur religion.»
Abdallah semble en phase avec les coutumes de ses ancêtres puisque, chez lui, la cuisine est parfois préparée selon le mode algérien. «Le lien n’est pas totalement rompu, on fait du couscous, de la baklawa et du makrout et je pense bien que mon épouse va encore nous apporter beaucoup dans ce domaine. La cuisine constantinoise étant réputée à grande échelle. De plus, Khandouda, qui est enseignante d’arabe, licenciée d’anglais, va devoir nous apporter un plus sur les plans culturel et cultuel, renforçant davantage nos liens.»
Quêtes des origines
Abdallah évoque aussi certaines survivances culturelles, comme la fantasia qui tient une place importante dans le vécu, vu l’attachement des Arabes au cheval. «Lors des mariages arabes, ils dansent au son du bendir. On tire des coups de fusil en l’air et puis, à la fin, lorsque les lampions commencent à s’éteindre, on met sur la table un panier et tout le monde y met de l’argent qui est offert aux heureux élus.» Comment Abdallah a-t-il trouvé l’Algérie ? «C’est un beau pays où le paysage est très diversifié.» A Biskra, Abdallah a appris que le bagnard Ahmed Bensalem était né en 1833 à Sidi Okba, près de Biskra, et a été déporté en 1876 à la suite du soulèvement de la zaouia rahmania et de la bataille d’El Amri.
«Dans cette ville, j’ai découvert des palmiers dattiers ; nous en possédons quelques spécimens et on dit que les déportés avaient ramené des semences. Mais j’ai apprécié les dattes succulentes et dorées d’Algérie qui constituent indéniablement un label. A Biskra, où j’étais à la recherche de mes aïeux Bensalem, j’ai pu apprécier l’hospitalité légendaire des Algériens.» A contrario, Abdallah déplore la saleté qui prospère un peu partout et se demande comment les petites gens arrivent à vivre avec de petits salaires face à la cherté de la vie. Enfin, Abdallah espère obtenir la nationalité algérienne qu’il a demandée depuis de longs mois. «J’ai vainement attendu au point de me décourager. Peut-être que ce mariage avec Khandouda va faciliter les choses.» espère-t-il.
Parcours :
Barretteau, Jean Marcel Abdallah est né le 1er février 1973 à Nouméa. Il vit avec ses parents à Nessadiou où il exerce dans l’hôtellerie. Il fréquente assidûment le centre culturel et cultuel de Bourail, deuxième grande commune de la Nouvelle-Calédonie. Ce centre est baptisé du nom de Seddik Taouti, décédé en 2005 et qui est à l’origine de la découverte de cette communauté au début des années 1980. Nessadiou, du temps de la déportation, s’appelait la vallée du malheur ou col des Arabes. Abdallah a fait plusieurs voyages en Algérie qu’il a quittée, hier, en compagnie de son épouse constantinoise, Khandouda.
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