Ban Ki-moon et Paul Kagame devant la stèle érigée à la mémoire des victimes du génocide rwandais.
Le Rwanda, ce petit pays d’Afrique centrale, commémorait hier l’un des génocides des plus épouvantables de l’histoire moderne. Le pays des Milles collines a ravivé, hier, le douloureux souvenir des centaines de milliers (800 000, selon l’estimation officielle) de victimes, majoritairement tutsies, tuées à la machette et au gourdin.
Entre le 6 avril 1994, quand l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana de retour de négociations à Arusha (Tanzanie) fut abattu à Kigali, et le mois de juin, le sang a coulé à flots dans les quatre coins du Rwanda. Et avec la bénédiction des anciennes puissance coloniales : la Belgique et la France. Une très mauvaise conscience qui hante encore les responsables de l’Hexagone, qu’ils soient de droite ou de gauche. Les autorités rwandaises, en tout cas, continuent d’accuser la France, alliée en 1994 du régime du président Juvénal Habyarimana, d’être mêlée au génocide. Alors que Paris s’apprêtait à se joindre à la commémoration, après un début de réconciliation amorcée en 2010 par Sarkozy, le président Rwandais Paul Kagame a rallumé la braise.
Dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique paru hier, il a accusé la France sinon d’avoir été acteur des massacres, du moins de les avoir couverts. Il en a remis une couche, hier, dans son discours d’ouverture des commémorations devant 30 000 spectateurs rassemblés au stade Amahoro de Kigali. «Aucun pays n’est assez puissant, même s’il pense l’être, pour changer les faits», a-t-il déclaré en anglais. Et de lancer, en français : «Après tout, les faits sont têtus», déclenchant les acclamations des 30 000 spectateurs.
C’est dire que vingt ans plus tard, au Rwanda, on ne croit pas à la thèse du caractère «humanitaire» de la fameuse et fumeuse opération Turquoise lancée en juin 1994, sous l’égide de l’ONU, forte de 2500 soldats français. Pour Kigali, cette opération française était un moyen déguisé pour «aider les responsables du génocide à fuir».La France officielle nie évidemment cette lecture des événements. C’est pourtant l’un de ses bras armés, un des responsables de cette opération, qui a détruit son dispositif de défense.
Un acteur de «Turquoise» soulage sa conscience
Un ex-officier français engagé en 1994 au Rwanda a avoué, hier, que l’opération militaire française Turquoise n’avait eu que tardivement un caractère humanitaire. «Nous ne sommes pas partis pour une mission humanitaire, nous sommes partis pour une mission d’intervention militaire, très classique en Afrique à l’époque, où la France cherchait à imposer sa solution de paix», a jugé Guillaume Ancel, à l’époque capitaine de 28 ans, interrogé par la radio France Culture. «Je suis parti avec pour ordre d’opération de préparer un raid terrestre sur Kigali (...). Quand on fait un raid sur Kigali, c’est pour remettre au pouvoir le gouvernement qu’on soutient», a précisé ce vétéran du Rwanda, spécialisé dans le guidage des frappes aériennes et qui a quitté l’armée en 2005 avec le grade de lieutenant-colonel. Il a confirmé ainsi ce qu’a soutenu, en 2010, un ancien sous-officier de gendarmerie, membre des forces spéciales déployées au Rwanda en 1994, qui avait exprimé son «trouble sur cette opération».
Kagame remue le couteau et humilie la France
C’est dire que le président Paul Kagame a eu alors beau jeu, hier, d’accabler la France devant le monde entier en la désignant clairement comme une complice d’un génocide. Cette accusation a poussé Paris à annuler le déplacement prévu de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, pour représenter la France aux commémorations. Le Quai d’Orsay a alors annoncé dans la foulée que la France annulait sa participation aux commémorations avant de confier la lourde tâche à son ambassadeur à Kigali, Michel Flesch. Mais, coup de théâtre, celui-ci a été prié, dimanche soir, de rendre son accréditation lui permettant d’assister aux cérémonies officielles. Une deuxième humiliation pour la France, qui se voit interdite de verser des larmes de crocodile après avoir été désignée «coupable» du génocide.
De fait, le dur chemin de la réconciliation franco-rwandaise a du plomb dans l’aile. C’est un missile diplomatique qu’a reçu hier la France devant les représentants de plusieurs pays qui assistaient à Kigali, dans une atmosphère de recueillement, à l’allumage de la «flamme du deuil» qui brûlera durant 100 jours, le temps qu’a pris l’horrible génocide.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, en a profité pour dire la «honte» des Nations unies de n’avoir pas pu empêcher le génocide de 1994. En écho, le président américain Barack Obama estimait que le génocide n’était «ni un accident ni inévitable». Il a également salué la «détermination» des survivants «qui ont refermé les plaies anciennes et reconstruit leurs vies». François Hollande et la France, quant à eux, devraient faire une introspection et un examen de conscience sur cette page sombre de leurs aventures africaines, comme le fut la guerre d’Algérie notamment.
Hassan Moali
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L’armée française est-elle impliquée ?
Vingt ans sont passés depuis le génocide rwandais qui a fait plus de 800 000 victimes, en majorité des Tutsis. Pourtant, la vérité tarde à éclater. Quel est le rôle joué par la France ? Pourquoi Paris refuse d’ouvrir les archives ? Autant d’interrogations qui semblent mettre la France dans l’embarras. Hier, l’ambassadeur de France à Kigali n’a pas pu assister à la commémoration.
Paris (France) De notre bureau
Le président rwandais Paul Kagamé a allumé hier la «flamme du deuil» dans le stade de Kigali, capitale du pays. C’est dans cette enceinte sportive qu’ont débuté les commémorations du génocide rwandais survenu vingt ans auparavant. En effet, entre avril et juin 1994, soit en seulement trois mois, plus de 800 000 Tutsis (en majorité des paysans) ont été massacrés à coups de hache par les Hutus, une autre ethnie, considérée «noble», au pouvoir depuis 1962.
La flamme restera allumée cent jours. Une période nécessaire pour continuer à faire le deuil et tenter de comprendre comment un tel forfait a pu arriver. Cent jours pour s’interroger sur le rôle joué par la Belgique, mais aussi et surtout par la France qui refuse toujours d’ouvrir les archives relatives à ce génocide, pourtant indispensable pour connaître le véritable rôle joué par son armée dans le cadre de l’opération Turquoise.
Alors que les relations entre Paris et Kigali se réchauffaient timidement depuis l’arrivée de Sarkozy au pouvoir en 2007, ne voilà-t-il pas que tout l’édifice tombe par terre après les propos tenus par le président rwandais, samedi dernier. Ce dernier a de nouveau accusé la France d’avoir participé à «l’exécution du génocide» en 1994. Il l’a appelé à «examiner son rôle» dans ces massacres.
Regarder la vérité en face
Kagamé a fait, par ailleurs, remarquer que ce n’est pas en condamnant un génocidaire rwandais, Pascal Simbikangwa, à 25 ans de prison ferme que la France va se dédouaner de ces massacres. «Pourquoi d’ailleurs la France a mis vingt ans pour juger un tel responsable ?», s’est interrogé Kagamé, qui a ajouté : «Ce n’est pas moi qui ai accusé la France. Ce sont les faits historiques qui montrent son implication dans notre pays.»
L’autre charge est venue de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères. Sans détour, elle a invité Paris à regarder la vérité en face concernant son rôle dans le génocide de 1994. «Pour que nos deux pays commencent réellement à s’entendre, nous allons devoir regarder la vérité en face. La vérité est difficile. Il est compréhensible qu’il soit très dur d’accepter d’être proche de quelqu’un associé au génocide», a-t-elle soutenu, avant de poursuivre : «Il est impossible pour nos deux pays d’avancer si la condition est que le Rwanda doive oublier son histoire pour s’entendre avec la France. Nous ne pouvons avancer au détriment de la vérité historique du génocide.» Comme pour la guerre d’Algérie, Louise Mushikiwabo s’est étonnée de ne pas voir le génocide rwandais de 1994 figurer dans les manuels d’histoire des écoles françaises.
Piquée là où ça fait mal, la France a vite réagi, samedi soir, aux accusations de Kigali. Alors que le Quai d’Orsay souhaitait faire de ces commémorations un moment privilégié et de réconciliation entre la France et le Rwanda, il s’est retrouvé une fois de plus confronté au miroir de la vérité historique.
«Défendre l’honneur de la France»
Samedi soir, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Romain Nadal, a annoncé que la représentante de la France, Mme Taubira, ministre de la Justice, ne participera finalement pas aux cérémonies commémoratives. Puis toute la classe politique, à l’unisson, a demandé à François Hollande de «défendre l’honneur» de la France face aux accusations de Kigali. A commencer par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui a estimé dans un blog que les accusations du Rwanda à l’égard de la France sont «infondées et inacceptables». Juppé a écrit : «Il est rigoureusement faux de penser que la France ait aidé de quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait. Bien au contraire, avant mars 1993, notre pays a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps (Hutus et Tutsis).»
Idem pour l’ancien Premier ministre, Edouard Balladur, qui dit ne pas comprendre les accusations de Kigali. «La France est le seul pays à avoir pris l’initiative pour sauver des vies au Rwanda», a-t-il estimé, dénonçant au passage «les accusations rwandaises et la mauvaise foi de ses dirigeants». Se disant favorable à la levée du secret-défense qui entoure ce génocide, M. Balladur a rendu hommage à l’armée française pour son rôle dans le cadre de l’opération Turquoise. Pourtant, la version de Patrick Saint Exupéry, ancien journaliste au Figaro, qui était à l’époque sur place, contredit les déclarations des hommes politiques français.
Dans son livre L’Inavouable, la France au Rwanda, le neveu de l’auteur du Petit Prince a écrit : «Des soldats de notre pays ont formé, sur ordre, les tueurs du troisième génocide du XXe siècle. Nous leur avons donné des armes, une doctrine, un blanc-seing.» Pour cet ancien journaliste du Figaro, il n’y a pas de doute : la France, ou du moins certains services parallèles ont participé, d’une façon ou d’une autre, aux massacres des Tutsis. Ce que nie la France officielle.
Yacine Farah
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