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Le 11 mars 1944, Pierre Pucheu, secrétaire d'État à l'Intérieur du gouvernement de Vichy (juillet 1941-avril 1942) fut condamné à mort, et fusillé le 20 mars 1944 à proximité d'Alger. La même année, l'écrivain, essayiste, journaliste et "collaborationniste", Georges Suarez, subit le même sort.
Ces événements suscitèrent la réaction de l'opinion publique, et notamment des intellectuels de l'époque qui rappelons-le était une période d'après-guerre où régnait un "climat de violence - et - de mort violente". A. Camus a qualifié cette atmosphère qui se caractérisait par une "culture mortifère", d'"enfer du présent".
Le premier temps de "la promesse faite aux morts"
Selon Denis Salas, magistrat et essayiste qui a consacré un article au positionnement d'A. Camus à l'égard des "peines de mort", contrairement à l'écrivain François Mauriac (1885-1970) qui appela de tous ses vœux à un "apaisement", une "indulgence" et une clémence à l'égard du condamné à mort, A. Camus approuva cet acte au nom de la "justice humaine" et "de la mémoire des morts". "Porté par l'idéal révolutionnaire de la Résistance, il exige une justice sévère", écrit D. Salas.
En effet, A. Camus se positionne clairement en exprimant son choix pour "la justice" au détriment de "la haine" et du "pardon". De son point de vue, seule compte "la promesse faite aux morts". Cette posture fait ressortir l'image d'un homme profondément attaché à la notion de "devoir" employée dans une acception qui renvoie à l'idée d'obligation morale.
Pourtant, plus tard, le positionnement d'A. Camus à l'égard de la peine de mort change. Il lui substitue alors une posture qui prône plutôt son abolition. "Ni bourreaux. Ni victimes" écrivait-il en 1948, dans la revue "Combat".
Le revirement
Dans son entendement, ôter la vie pour rendre justice est une manière de répondre à la violence par la violence.
Tout au long de son plaidoyer, A. Camus réfute la loi du Talion et exhorte à privilégier "la compréhension" au détriment du "jugement".
Par ailleurs, il préconise l'idée de la nécessité d'une union entre les hommes pour créer les conditions nécessaires à une fraternité et une solidarité humaine contre la mort de manière à "rendre la société plus juste et plus fraternelle". Selon D. Salas, ces idées d'ordre éthique sont omniprésentes aussi bien dans son œuvre que dans son action militante.
Ainsi, dans "l'Homme révolté" (1951), par exemple, l'auteur exprime deux idées. D'une part, le refus de la condition mortelle de l'être humain. Et d'autre part, l'urgence de l'union entre les Hommes dans le but de dépasser cette condition.
C'est à la lumière de ces idées qu'il prit la défense d'écrivains collaborationnistes, Robert Brasillach (1905 - 1945) et Lucien Romain Rebatet (1903 - 1972), de communistes iraniens et soviétiques et des auteurs des attentats nationalistes algériens et ce, en demandant leur grâce.
En se prononçant contre les peines de mort et en sollicitant la "clémence", A. Camus met en avant deux idées qui, de son point de vue, revêtent une importance capitale : "l'innocence" de tout coupable, d'une part. Et "la communauté de destin des hommes devant la mort", d'autre part.
En demandant la clémence, A. Camus vise à "sauver les corps" tout en plaidant pour "une modération de la peine", c'est-à-dire "la proportion de châtiment infligé au coupable" (D. Salas) dans le but d'éviter "un excès de violence". Cependant, il prend le soin de poser des limites d'ordre éthique puisque son positionnement concerne notamment les situations dans lesquelles des accusations s'avèrent "possiblement erronées". En ce sens, son but n'est pas de remettre en cause le caractère légitime du rôle du tribunal.
Dans l'essai intitulé "Réflexions sur la guillotine" (1957) A. Camus analyse le rôle de l'Etat dans la peine de mort qu'il définit comme "un meurtre légal". C'est ainsi qu'il assimile le pouvoir de l'Etat de juger et de punir "sans être à son tour jugé et puni", à une "violence légale sans limite". C'est pourquoi il préconise de désacraliser le "pouvoir absolu" détenu par l'Etat en matière de peine de mort afin de placer la personne humaine au dessus de l'Etat.
Parallèlement à la peine de mort, A. Camus s'est prononcé contre l'enfermement dans les prisons, les camps et pour l'abolition des peines perpétuelles qu'il assimilait à une "mort silencieuse" et à "la certitude d'une mort sans espoir". En 1959, il est intervenu en faveur du militant Ho Huu Tuong qui était enfermé, condamné à mort au Sud-Vietnam puis gracié.
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