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Le 4 janvier 1960, la voiture de Michel Gallimard s'écrase contre un arbre à Villeblevin dans l'Yonne. Sur le siège avant, Albert Camus, prix Nobel de littérature, est tué sur le coup. Il était alors âgé de quarante-sept ans.
Cinquante-trois ans après sa disparition soudaine, l'oeuvre de cet "auteur sans frontières", selon l'expression consacrée de Raymond Gay-Croisier, Professeur émérite de littérature moderne à l'Université de Floride et vice-président fondateur de la Société des Études Camusiennes, qui a dirigé avec Agnès Spiquel-Courdille, Professeur de littérature à Valenciennes, Présidente de la Société des études camusiennes, le cahier que les éditions de l'Herne consacrent à Albert Camus, bénéficie, ces dernières années, d'un intérêt croissant en France notamment.
Bien que minorisée par les milieux intellectuels et universitaires en France pendant des longues années, l'oeuvre camusienne a fait l'objet de nombreuses études à l'étranger, en particulier. Elle fut également traduite dans plusieurs langues. En effet, entre 1960 et 1980, la publication de critiques relatives aux ouvrages de Albert Camus fut l'oeuvre d'universitaires étrangers. La série "Albert Camus" créée en 1968 en France, et publiée dans la "Revue des Lettres modernes" et plus tard, dans le cadre d'une collection indépendante aux éditions "Lettres Modernes Minard" qui recense vingt-deux volumes, était également dirigée par des chercheurs étrangers.
Comment alors expliquer l'intérêt accordé et sans cesse renouvelé à l'oeuvre camusienne? Selon Raymond Gay-Croisier, ce regain de popularité trouve ses origines dans la nature intrinsèque des oeuvres de Albert Camus. "La complémentarité de leurs genres, la nature des sujets qu'elles abordent, les styles variés et pourtant unifiés que l'auteur adopte, la singularité de l'ensemble des effets assurent une résonance privilégiée et à chaque génération une actualité à la fois renouvelable et adaptable", écrit le coordonnateur du "Cahier Camus" qui se fixe l'objectif d'éclaircir les raisons de cet intérêt particulier accordée à l'œuvre camusienne en privilégiant "une stratégie de diversification et de lectures plurielles".
Ainsi, tout au long de ce Cahier structuré en six chapitres, Albert Camus émerge comme un être aux facettes et aux talents multiples. Il est à la fois "l'homme" et le "justicier", pétri de valeurs, de convictions, de qualités humaines, de contradictions, de paradoxes.
Il est le penseur, le créateur, l'homme de théâtre, le romancier. Il est
celui qui réfléchit, doute, communique, argumente et débat avec ses
amis, ses pairs, ses connaissances. Ainsi, outre les textes des
critiques et analystes français et étrangers qui proposent leur
compréhension et interprétation de la pensée de l'oeuvre camusienne, ce
cahier qui le suit jusque dans les coulisses de sa vie et de sa
pensée "libre qui rejette compromission et faux- semblants et qui sait
éviter à la fois les pièges du dogmatisme et les facilités du juste
milieu" (Agnès Spiquel-Courtille) a le don de guider les lecteurs/trices
au cœur de son intimité.
Il offre ainsi une lecture de la trajectoire biographique, intellectuelle et créatrice de cet homme à la pensée philosophique complexe et pourtant profonde, par le truchement de sa propre «voix» et de celle de ses "compagnons de route", poètes, journalistes, éditeurs, ayant survécu à cet homme qui fut fauché prématurément, trois années après avoir obtenu le prix Nobel de littérature (1957). Il est à noter qu'une partie des correspondances publiées dans ce cahier qui se veut avant tout "un miroir renseignant" revêtent un caractère inédit.
Le corpus de ce Cahier qui met à l'honneur à la fois un homme et un penseur dont l'oeuvre se caractérise essentiellement par une pluridisciplinarité et une universalité est une véritable mine d'informations. Il informe. Renseigne. Instruit. Eclaire. Etonne. Emeut. Interroge. Donne à réfléchir. Fournit des réponses à des questions restées en suspens. C'est ainsi, qu'au fil des pages, de chapitre en chapitre, texte après texte, le penseur, le philosophe, le journaliste, le romancier, l'essayiste, le dramaturge, le comédien, l'humaniste émerge peu à peu comme un homme "bon" dont la pensée met en lumière des sujets, des thèmes, des problématiques d'une actualité étonnante voire brûlante.
Ses tâtonnements, ses ambiguïtés, ses positions parfois "floues", son silence à propos des questions politiques liées à sa terre natale, l'Algérie, ses doutes, ses remises en question et bien d'autres aspects liés à sa personnalité et à ses origines sont "parlés", exprimés, expliqués, explicités, éclaircis. C'est ainsi qu'ils apparaissent à nos yeux et à notre entendement éclairés et "lavés" de toute incompréhension et de tout jugement.
En décembre 1959, lors d'une dernière interview, ce "homme révolté", épris de justice qui n'a eu de cesse de questionner la légitimité de la violence politique affirmait:
Je ne guide personne, je ne sais pas, ou je sais mal où je vais. Je ne vis pas sur un trépied. Je marche du même pas que vous dans les rues du temps. Je me pose les mêmes questions que se posent les hommes de ma génération.
Ces quelques phrases nous permettent d'apprécier à sa juste valeur la modestie et le caractère humble de celui qui n'a cessé de nous "imaginer heureux/ses".
"Cahier Camus", dirigé par Raymond Gay-Crosier et Agnès Spiquel-Courtille , Editions de L'Herne 376, pages 39 euros
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