Ces derniers jours, le nom de Liamine Zeroual est revenu avec insistance pour avoir été sollicité pour se présenter à la présidentielle de 2014.
L’ancien chef de l’Etat qui, depuis 1999, coule une paisible retraite
dans son fief, à Batna, a poliment décliné l’offre en répétant un de ses
leitmotiv bien connus : «Il faut laisser la place à la nouvelle
génération.» Il y a 20 ans, Zeroual était sollicité de la même manière
pour prendre les commandes d’un pays à feu et à sang, et c’est presque à
contrecœur qu’il avait accepté, poussé par un élan patriotique, et
enfilant, pour l’occasion, le costume du sauveur.
Comme Chadli Bendjedid, rien ne prédestinait ce militaire de carrière à
la moustache élégante et à l’impeccable coiffure argentée à devenir
chef d’Etat. C’est d’abord en tant que ministre de la Défense que le
général à la retraite Liamine Zeroual entre en scène. Dans un chapitre
de ses Mémoires intitulé «Comment j’ai désigné Zeroual», Nezzar cite un
certain nombre de péripéties qui l’avaient amené à passer la main, dont
l’attentat auquel il avait miraculeusement échappé le 13 février 1993, à
El Biar. Il songe, dès lors, à se trouver un successeur. Son profil ?
«Un homme susceptible de faire le consensus au sein de l’armée, et dont
la carrière fut consacrée au commandement» (1). Et c’est ainsi,
conclut-il, que «mon choix se porta sur le général démissionnaire
Liamine Zeroual». Préalablement à ce remaniement, Nezzar installe le
général Mohamed Lamari à la tête de l’état-major de l’ANP en
remplacement de Abdelmalek Guenaïzia.
Zeroual prend officiellement ses fonctions le 10 juillet 1993. Il
reprenait ainsi du service après seulement deux ans de retraite. Diplômé
de l’Ecole militaire de Moscou et de l’Ecole de guerre de Paris,
Liamine Zeroual dirigera diverses structures importantes de l’ANP. En
1981, il est nommé à la tête de l’Académie militaire interarmes de
Cherchell. Il commandera ensuite plusieurs régions militaires. En 1987,
il est promu au grade de général à tout juste 46 ans. En 1989, peu après
les événements d’Octobre 88, il est nommé commandant des Forces
terrestres en remplacement (là aussi) de Khaled Nezzar qui sera nommé
ministre de la Défense. En 1990, Zeroual démissionne à la suite d’un
désaccord avec Chadli et Nezzar sur la restructuration de l’armée. Dans
la foulée, il est nommé ambassadeur à Bucarest dans une Roumanie en
pleine ébullition où l’on venait tout juste d’exécuter le couple
Ceausescu. Il comprend que c’est une voie de garage. Il reste à peine
neuf mois à Bucarest (1990-1991) et rentre au bercail. Il fait aussitôt
valoir ses droits à la retraite.
L’oracle de Club des Pins
Dès son retour aux affaires, le nouveau patron du MDN fait campagne
pour le dialogue. C’est le mot d’ordre du moment. «Il lance un appel à
toutes les forces du pays pour favoriser le dialogue national. Il
souligne que la solution à la crise est politique et que, par
conséquent, c’est aux politiques et non aux militaires de la trouver»,
souligne Rachid Tlemçani dans son ouvrage, Elections et élites en
Algérie (2).
Comme nous l’indiquions dans notre édition d’hier, une commission de
dialogue national (CDN) est instituée le 14 octobre 1993. Présidée par
Youcef Khatib, elle a pour mission de capitaliser les consultations
entreprises avec l’ensemble des forces politiques à travers la rédaction
d’une plateforme «portant consensus national sur la période
transitoire». Dans sa mouture initiale, la plateforme dispose que le
président de l’Etat sera désigné par la Conférence du consensus
national. Le timing de celle-ci coïncide avec l’expiration du mandat du
HCE.
A l’ouverture de la conférence, le 25 janvier 1994, à Club des Pins,
les grosses cylindrées manquent à l’appel. En effet, tous les grands
partis ont boycotté le conclave. Pourtant, la salle du Palais des
nations est pleine à craquer. L’UGTA, l’ONM, l’UNPA, les organisations
patronales, les petits partis, le mouvement associatif et autres
segments de la «société civile» se chargent de pallier l’absence des
têtes d’affiche de l’opposition. Les travaux peuvent commencer. «Tout
l’enjeu de la conférence semble tourner autour de la désignation du
futur chef de l’Etat et des modalités de désignation des instances de la
Transition», souligne le politologue Fawzi Rouzeik (3). A la surprise
générale, les participants apprennent qu’il n’est plus du ressort de la
Conférence de désigner le successeur de Ali Kafi. L’article 6 de la
plateforme relatif à la nomination du chef de l’Etat a été modifié,
semble-t-il, à la dernière minute.
Il stipule désormais que «le président de l’Etat est désigné par le
Haut-Conseil de sécurité». En guise de protestation, le Hamas et le PRA
quittent la salle. Dans les travées du Palais des nations, un nom est
sur toutes les lèvres : Abdelaziz Bouteflika. Il est fortement pressenti
pour succéder à Ali Kafi. De fait, des contacts avaient été engagés
avec l’ancien chef de la diplomatie algérienne bien avant l’ouverture de
la conférence pour prendre la relève du HCE. Après avoir donné son
accord de principe, Bouteflika tergiverse. Il demande un temps de
réflexion, pose ses conditions, consulte ses amis. Il ne veut pas être
désigné par la Conférence du consensus national, mais par le
Haut-Conseil de sécurité. Selon Nezzar (4), les chefs militaires
accèdent à tous ses désirs. Il semble acquis à la cause de ceux qui
veulent l’introniser. Il demande néanmoins un délai supplémentaire pour
régler quelques affaires en Suisse.
La volte-face de Bouteflika
La veille de son départ à Genève, les généraux décideurs demandent à le
rencontrer. Toujours selon Nezzar, rendez-vous est pris chez Zeroual.
Outre le ministre de la Défense, sont présents à cette réunion le chef
du DRS, Mohamed Mediène dit Toufik, et le chef d’état-major de l’ANP,
Mohamed Lamari. Après les avoir fait languir, Bouteflika donne sa
réponse définitive : il rejette l’offre de la hiérarchie militaire. «Je
reçus le lendemain matin les trois officiers accompagnés du général
Touati, témoigne Nezzar dans son livre Algérie, le Sultanat de
Bouteflika. Liamine Zéroual était le plus décontenancé d’entre les
quatre. Il ne comprenait pas ce qu’il avait pris au futur (et déjà ex)
candidat pour opérer cette volte-face.» «‘‘Allez dormir un peu. Demain
aussi, il fera jour !”, ai-je dit à mes compagnons, sans plus amples
commentaires. Je me rendis le lendemain à la réunion du Haut-Comité
d’Etat. La fuite de Abdelaziz Bouteflika ne nous laissait qu’une seule
option : Liamine Zéroual.» (5) D’après l’ancien membre du HCE, le
remplaçant de Bouteflika «se fit violence». «Il accepta, par devoir, de
devenir chef de l’Etat.»
Le 30 janvier 1994, Zeroual est officiellement désigné président de l’Etat par le Haut-Conseil de sécurité.
Le 16 novembre 1995, l’Algérie renoue avec la chose électorale à la
faveur d’une élection présidentielle aux airs de fête. Ce scrutin revêt
une forte charge symbolique dans la mesure où c’est la première élection
présidentielle pluraliste depuis l’indépendance. Liamine Zeroual y a
pour challengers Mahfoud Nahnah (Hamas), Saïd Sadi (RCD) et Noureddine
Boukrouh (PRA). Zeroual remporte les élections avec un score de 61,34%.
Mais le vrai résultat est ailleurs : il est dans le taux de
participation estimé à 74,24%. «Cette participation est probablement la
plus élevée et la plus sincère en Algérie post-coloniale», note Rachid
Tlemçani (6).
Un an après son élection, Liamine Zeroual procède à une révision
constitutionnelle. La Loi fondamentale du 28 novembre 1996 introduit un
amendement révolutionnaire : la limitation des mandats présidentiels à
deux. Un verrou que fera sauter son successeur sans état d’âme.
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-(1) Mémoires du général Khaled Nezzar. Chihab Editions. 1999. P260.
-(2) Rachid Tlemçani. Elections et élites en Algérie. Chihab Editions. 2003. P40.
-(3) Voir Fawzi Rouzeik. Algérie : chronique intérieure. In : Annuaire
de l’Afrique du Nord. http://aan.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/AAN-1994-33_13.pdf
-(4) Khaled Nezzar. Algérie, le Sultanat de Bouteflika. Editions Apic (Algérie) et Transbordeurs (France), 2003, PP 24-25.
-(5) Idem.
-(6) Rachid Tlemçani, op.cit. P49.
-(7) Mohamed Chafik Mesbah. Entretien accordé au Soir d’Algérie sous le
titre : «Ce que je sais de Zeroual». In : Le Soir d’Algérie du 18
janvier 2009.
Dates-clés
-3 juillet 1941. Naissance à Batna. Zeroual est, cependant, originaire de la tribu des Nmemchas de Khenchela.
-1957. Ouvrier agricole dans une ferme coloniale à Khenchela, il quitte
son emploi pour rejoindre, à 16 ans, les rangs de l’ALN.
-1962. Après l’indépendance, il suit une formation militaire en Egypte
puis à l’Ecole militaire de Moscou ainsi que l’Ecole de guerre de Paris.
-1975. Il est commandant de l’Ecole d’application des armes de Batna.
-1981. Il est nommé à la tête de l’Académie interarmes de Cherchell.
-1982-1987. Dirige la 6e RM (Tamanrasset) ensuite la 3e RM (Béchar) puis la 5e RM (Constantine).
-1987. Il est promu, à 46 ans, au grade de général.
-1989. Le général Liamine Zeroual est nommé commandant des forces terrestres.
-1990. Suite à un différend avec Chadli et Nezzar sur la restructuration de l’armée, il démissionne.
-1990-1991. Zeroual occupe le poste d’ambassadeur en Roumanie.
Démissionne au bout de neuf mois et demande à partir à la retraite.
-10 juillet 1993. Succède à Khaled Nezzar à la tête du ministère de la Défense.
-30 janvier 1994. Il est désigné président de l’Etat par le Haut-Conseil de sécurité.
-16 novembre 1995. Première élection présidentielle pluraliste depuis l’indépendance. Zeroual est élu avec 61,34% des voix.
-11 septembre 1998. Zeroual annonce sa décision d’écourter son mandat
et la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Il quitte la
présidence de la République le 27 avril 1999.
Pourquoi Zeroual a jeté l’éponge ?
Coup de théâtre : le 11 septembre 1998, le président Liamine Zeroual
prononce un discours à la nation dans lequel il fait part solennellement
de sa décision d’écourter son mandat. Dans la foulée, il annonce la
tenue d’une élection présidentielle anticipée. Officiellement, Zeroual
justifie sa décision par le désir d’impulser de nouvelles mœurs
politiques en consacrant le principe de l’alternance au pouvoir.
Ne s’étant jamais épanché sur les vraies raisons qui ont motivé son
départ précipité, chacun y est allé de son interprétation pour tenter de
percer le mystère de ce retrait spectaculaire. Les uns ont invoqué ses
problèmes de santé, le président Zeroual ayant subi en mai 1998, à
Genève, une «revascularisation par pontage suite à une obstruction
artérielle» au niveau de la jambe droite.
D’autres ont vu dans cette sortie la conséquence logique de la «crise
de l’été 1998» marquée par les frasques de son ami et conseiller Mohamed
Betchine, dont la presse faisait ses choux gras. Ces scandales à
répétition auraient exaspéré les «décideurs» au point d’exhorter Zeroual
à se séparer de son fantasque conseiller. Outre Betchine, il faut citer
aussi les «écarts» du ministre de la Justice Mohamed Adami. Les deux
hommes finissent, d’ailleurs, tous deux par démissionner, à un jour
d’intervalle. Le 18 octobre, Mohamed Adami quitte le gouvernement, et le
lendemain, Mohamed Betchine le suit.
Mais le mal était fait. Zeroual ne pouvait revenir sur sa décision.
«Liamine Zeroual avait vanté les mérites de l’alternance pour justifier,
il y a un mois, sa décision surprise d’écourter de près de deux ans son
mandat présidentiel. S’ils l’ignoraient, les Algériens découvrent
aujourd’hui qu’il ne s’agissait que d’un habillage. Les règlements de
comptes, par presse interposée, sont devenus courants dans les rangs
d’un pouvoir déchiré par les luttes de clans», écrit Jean-Pierre Tuquoi
au lendemain de ces démissions en cascade (Le Monde du 21 octobre 1998).
Mohamed Chafik Mesbah, qui fut un proche collaborateur de Betchine à la
présidence durant les années Zeroual, estime que le Président sortant
est avant tout un militaire qui raisonne en termes de «mission à
exécuter». «Dans son esprit de militaire interpellé par le devoir (…) il
était venu pour exécuter une mission, pas pour s’éterniser au pouvoir.
Sa mission aura consisté à renflouer le navire Algérie pour le ramener à
bon port», précise MCM (7). Avant d’ajouter : «C’est un homme moral,
pas un homme politique. Il raisonne en militaire qui ne conçoit de
responsabilité que sous forme de mission à exécuter. C’est le devoir
moral qui l’interpelle, pas l’attrait de la fonction.» M. B.
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