Lettre aux savants,
Madame, Monsieur, Chers collègues,
J’ai pris connaissance de votre contribution à un récent symposium, consacré aux « collections anatomiques aux objets de culte et traitement des restes humains conservés par les musées », qui a eu lieu à Paris, au musée du quai Branly les 22 et 23 février 2008. Dans le cadre d’un travail sur le XIX° siècle, lié à la colonisation française de l’Algérie, j’ai rédigé il y a quelques années, une série d’articles pour les journaux. A la suite de cela j’ai pensé qu’il serait peut-être plus honorable pour moi, de rechercher les restes mortuaires de résistants algériens à la colonisation, conservés dans les musées français.
Des auteurs français de l’époque coloniale en avaient vaguement parlé dans leurs écrits, dans des petites notes sibyllines figurant en bas de page de leurs ouvrages, dont l’historien Stéphane Gsell.
Cette quête douloureuse de segments de corps, de personnages héroïques hors du commun de mon pays, m’a pris du temps. Après de longs mois de recherche, les résultats heureux sont venus. Au début du mois de mars dernier, j’ai pu garder quelques instants en mains dans les réserves du MNHN de Paris, le crâne sec de Mohammed Lamdjad Ben Abdelmalek surnommé Boubaghla « l’homme à la mule ». Il n’avait pas été approché de la sorte depuis 1880. En même temps que le crâne de Boubaghla, j’ai retrouvé les restes mortuaires d’une quarantaine de résistants algériens de la même époque, gisant dans des boîtes au MNHN de Paris.
Les voilà donc, comme des phénix jaillis de leurs cendres, au cœur de la mémoire algérienne, pour valoir ce que de droit. Vous le savez, les choses sont différentes, entre les algériens qui ont subi des actes de barbarie et de cruauté durant la colonisation française de leur pays (1830/1962), et les upoko tuhi têtes tatouées maoris, Saartjie Baartman la Vénus hottentote, les têtes réduites Jivaro, les crânes dits « surmodelés » d'Océanie, les restes qui agrémentent divers objets, tels que les flûtes en os de fémur ou les crânes tambours du Tibet.
Le Chérif Boubaghla, le Cheikh Bouziane, Moussa Al-Darkaoui, Al-Hammadi ont été exécutés avant d’être décapités par les soldats français, aidés parfois de leurs alliés indigènes. Le nom de ces résistants algériens à la colonisation figure dans d’innombrables livres d’histoire. Ce sont les trophées indus d’une guerre injuste, honnie par les consciences équitables de notre époque. L’état de belligérance entre l’Algérie et la France est pourtant terminé, il a été déclaré officiellement clos lors de l’indépendance de ce pays, survenue le 5 juillet 1962. Pourtant ces reliques de la colonisation française sont toujours là. Ces « pièces » que certains esprits retors continuent de travestir d’une terminologie scientifique voire même culturelle approximative, proviennent d'actes de barbarie inavouables. Ces restes mortuaires accumulés subrepticement au cours du XIX° siècle par des musées français, constituent désormais, selon certaines lois partisanes, des biens propres, patrimoniaux de l’État français.
Il n’y a aucune loi à interpréter, travestir ou commenter, il n’y a qu’un simple état d’esprit dont on perçoit encore les contradictions et les atteintes aux règles déontologiques les plus élémentaires, en France.
Ces restes mortuaires ne présentent aucun rapport avec les stèles archéologiques d’origine libyque ou punique, qui ont été subtilisées aux algériens au cours du XIX° siècle avant de finir, marginalisées, emballées dans des bâches en plastique dans les stocks culturels tabous du musée Louvre. J’ai eu la satisfaction d’étudier ces stèles dans un lieu souterrain, situé quelque part au-dessous de la pyramide du Louvre. Cela est une autre affaire.
Dans le cas présent, il s’agit de restes mortuaires, d’intrépides et vaillants guerriers algériens. Il faut que ces restes mortuaires humains soient restitués à l’Algérie et aux algériens.
Soyons honnêtes, ces restes mortuaires de résistants algériens sont conservés au MNHN de Paris depuis plus d’un siècle à l’écart de toute étude réfléchie à caractère scientifique. Leur maintien dans les collections du MNHN de Paris n’a jamais occasionné un quelconque bond en avant à la science universelle. L’ancien maire de Rouen P. Albertini a reçu des correspondances édifiantes de responsables de musées, qui lui reprochaient de heurter la science au nom du respect de sentiments religieux primitifs, en l’occurrence maoris. Mr Albertini avait donné un avis favorable au retour des upoko tuhi en terre maorie. Au nom de la science, certains refusaient aux têtes maories le retour à leur terre natale. Leur place était dans un musée français, dit-on encore par ci par là.
L’idéalisation de Mohammed Lamdjad Ben Abdelmalek surnommé Boubaghla « l’homme à la mule », est toujours vivace, dans l’imagerie populaire algérienne, au même titre que les autres résistants algériens dont les restes sont conservés au MNHN de Paris. Aucun algérien ne permettra que le rapatriement de ces restes, soit fait dans un but de recherche scientifique en Algérie. La tête de Boubaghla ne sera pas exposée, ni conservée dans les réserves d’un quelconque musée algérien. Cette singulière pratique ne se rencontre pas en Algérie, sauf dans les facultés de médecine, comme partout dans le monde.
Le but du rapatriement de ces restes, pour lequel je me bats, étant l’inhumation exclusivement, dans l’honneur qui leur est dû dans la terre pour laquelle ils ont combattu. Il ne s’agit donc pas d’opposer des raisons scientifiques à une quelconque tradition ancestrale primitive, comme ce fut le cas des upoko tuhi maoris.
Albert Einstein disait : « La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle ». La science qui consiste à collectionner des fragments de corps, amoncelés de manière informelle sous la désignation vaporeuse de : « matériel culturel sensible », (acquis la plupart du temps de manière interlope), est l’hérésie même du mot science. Cela revient à dénier à la déclaration des droits de l’homme dont s’enorgueillit la France depuis 1789, de parler au nom de l’être humain, pour peu que l’on veuille bien la relire. Cette déclaration qui s’adresse à l’homme dans sa souveraineté primitive, devrait concerner en filigrane les morts, au même titre que les tombes lorsqu’elles sont profanées. Il m’a été permis de voir personnellement, d’immenses fresques du peintre Horace Vernet, qui sont conservées dans les réserves du Musée de Versailles, elles ne sont pas exposées dans les salles publiques, pour ne pas offusquer la sensibilité raffinée de gens cultivés. Ces toiles d’Horace Vernet représentent des tombes musulmanes béantes, le marbre détruit, profanées par les soldats du corps expéditionnaire français, brandissant des restes de cadavres au bout de leurs baïonnettes. Depuis des décennies, aucun conservateur du musée de Versailles n’a eu le courage de montrer ces œuvres du grand Horace Vernet au public. Ces fresques sont, depuis toujours, en (état permanent de) restauration. C’est également une autre histoire.
Il ne saurait exister un quelconque droit de propriété concernant ces restes mortuaires qui sont conservés au MNHN de Paris. Il serait moral et éthique au plus haut point, au XXI° siècle, que ces restes mortuaires de résistants algériens soient remis à leur communauté, pour être inhumés convenablement dans leur sol natal.
La déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été adoptée par l'assemblée générale du 13 septembre 2007, à laquelle la France a adhéré, prescrit dans ses articles 11 et 12, aux États membres à accorder réparation aux peuples autochtones. L'article 12 précise bien que "Les États veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés."
Tout est là. Il faut que justice soit faite. Il faut tout simplement appliquer cette loi.
Je sollicite votre avis favorable, votre aide précieuse, ainsi que votre recommandation agissante pour la restitution de ces restes mortuaires de ces héros algériens à l’Algérie. Le cas échéant votre obligeante opinion sur ce douloureux sujet.
Je vous prie de croire Madame, Monsieur, Chers collègues, avec ma gratitude, en l’assurance de ma considération parfaite.
Ali Farid BELKADI
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