EUCALYPTUS ET BELLOMBRAS.— BRIQUESROMAINES.
— LES CARRIÈRES.
Cette obligation d'attendre jusqu'à neuf heures
pour avoir de l'eau m'a fait perdre la meilleure
partie de ma matinée. Le soleil est déjà haut.
N'importe. Je traverse mon jardin complanté
d'arbres où domine, abrité et arrosé, l'eucalyptus.
Les eucalyptus peuvent, à la rigueur, se passer
d'abri, mais il leur faut de l'eau. C'est donc moins,
je crois, au vent de la mer qu'à la sécheresse du
sol qu'il faut attribuer le piteux état dans lequel
se trouvent ceux qui bordent les rues du village.
Nombre d'entre eux sont morts, et la municipalité,
mieux avisée, s'occupe de les remplacer par
des bellombras. Les bellombras réussissent partout.
Rien de plus robuste. Ils ont, du reste, déjà
fait leurs preuves à Tipasa. Ou peut-on voir de
mieux venus que ceux de la grand'route, à la hauteur
des thermes ?
Au midi du jardin pointent ça et là les débris
de l'ancien mur, qui formait approximativement
un rectangle longeant, par un de ses grands côtés,
le front de la mer. On ne saurait imaginer une
position mieux choisie. Les soixante-et-un hectares
de terrain contenus dans la vieille enceinte
s'infléchissent doucement vers le rivage comme les
degrés d'un amphithéâtre. Pour perspective, au
nord, la crique tour à tour étincelante et sombre ;
à l'est et au sud, les ombrages de riants coteaux
au-dessus desquels surgit, dans les brumes de
l'horizon, la chaîne des monts kabyles ; à l'ouest
enfin, le colossal Chenoua, tantôt couvert d'un
glacis monochrome, tantôt losangé comme un
Arlequin.
Point n'est besoin de guide ni de plan pour
retrouver la vieille enceinte. On en suit du regard,
on en touche du pied, sans interruption, les vestiges.
Ici le mur, là les portes, les tours. Chaque
tour notamment a formé, en s'écroulant, des
monceaux de pierres bétonnées qui, de loin, ressemblent
à des rochers, et dans lesquels on reconnaît,
en s'approchant, des contreforts, des
voûtes, des créneaux. Une touffe de lenstique, un
massif de vieux oliviers aux troncs noueux et tordus,
presque toujours les empanache. Autant de
gagné pour l'artiste qui trouve, à chaque pas, des
sujets ravissants. La profusion même le gêne, et
voulant trop faire, il fait mal.
Les collectionneurs d'antiquités s'approvisionneront
aisément et économiquement à Tipasa. Je
n'ose guère leur promettre des Jupiters et des
Vénus, l'espèce en est devenue rare; mais ils trouveront
à souhait et pourront emporter, je crois,
sans que l'archéologie s'en offense, autant de
vieilles briques qu'ils voudront. Ces briques, d'une
belle terre cuite, et d'une couleur agréable, de
deux pouces et demi d'épaisseur et de près d'un
pied en carré, ont excité jadis l'admiration du
docteur Schaw, qui les déclare peu communes en
Barbarie, surtout dans les ouvrages romains.
En approchant de la mer, le terrain se relève,
et le mur se confond avec les rochers à pic du
rivage. Ce lieu, couvert de broussailles, embarrassé
de palmiers nains, rappelle les makis de
Corse. Non loin de là, remarquez ces grands trous
bordés de roches droites et hautes comme des
falaises. A la crête, un fouillis de plantes sauvages;
au pied, des champs de blé, des figuiers.
Bien souvent, dans le cours de vos explorations,
vous prendrez les rochers pour des constructions, et
les constructions à leur tour vous sembleront des
rochers, tant la nature et l'oeuvre humaine se ressemblent
en leurs caprices. On croirait voir ici des
accidents de terrain, des fondrières. Ce sont des
carrières romaines. Un peintre les choisirait volontiers
pour repoussoir au magnifique tableau que
présente, de ce point, la vallée de Tipasa, avec ses
coteaux verts à gauche, ses rives tourmentées à
droite, et le mur bleu du Chenoua au fond. Qu'étaitce
donc lorsque jadis, au lieu de ces maisonnettes
éparpillées dans les chardons, se dressaient hautes
et fières les murailles de l'enceinte, et par-dessus
les murailles, dentelant l'azur du lointain, les
dômes, les pignons, les flèches des monuments...
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