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Le Lion du Djurdjura
-La peur règne. Le général Challe recueille déjà le fruit du travail de sape effectué par Godard et…
-Houari Boumediène, au moment où tombe Amirouche, n’avait pas encore l’envergure qui sera la sienne un an et demi plus tard. Il n’était pas en Tunisie…
-«Amirouche est mort, reste à tuer sa légende.» Deux hommes vont s’y employer, Godard et Boumediène. Le premier par la calomnie, le second par…
La mort au bout du chemin
Pour rompre sa solitude, il prend l’initiative de convoquer une réunion des colonels de l’intérieur. Elle se tient à Ouled Asker, sur les hauteurs de Taher. Il tente de faire partager ses certitudes, quant à la réalité du complot, aux autres chefs de wilaya. Elles sont diversement reçues et pour l’un d’entre eux — Ali Kafi — avec incrédulité. Ce dernier a d’ailleurs refusé de se joindre à ses pairs. Il a consulté le GPRA et il en a reçu l’ordre de s’en tenir à l’écart. Il délègue Lamine Khène comme observateur. Le docteur Khène écoute Amirouche. Il n’en croit pas ses oreilles. Il revient de la réunion perplexe. Les jeunes étudiants qu’il a connus à l’université, pleins d’enthousiasme à l’idée de rejoindre l’ALN, ont été exécutés. On a trouvé des preuves compromettantes au bord d’un chemin ou dans les semelles d’un quelconque évadé. Il rend compte de ce qu’il a entendu à Ouled Asker. Kafi, dont la conviction est arrêtée depuis longtemps sur «le complot », conseille la prudence et demande l’arrêt des exécutions. C’est une chance pour la Wilaya II d’avoir eu, au moment du grand doute, des chefs qui ont su faire confiance à leurs compagnons d’armes. Pour les chefs de la Wilaya II, quelle collusion peut bien exister entre un Messaoud Boudjeriou, chef de la zone III et l’ennemi juré de l’ALN qu’était le capitaine Rodier qui sévissait à la ferme Améziane à Constantine ? Quelle affinité y a-t-il entre le colonel Ducournau et Abdelkrim Fennouche et ses compagnons qui activaient dans les monts des Beni Bélaïd et des Ouled Asker ? Quelle connivence peut exister entre Hamlaoui ou Abdelwahab Benyamina, héros du Fida à Constantine et le capitaine Chevallier qui torturait au camp Frey ? Le bon sens en Wilaya II l’a emporté sur les manipulations de Machiavel. La Wilaya II qui a conservé ses moyens de transmission tire la sonnette d’alarme. Elle est entendue par Lakhdar Bentobal. Hélas, Hadj Lakhdar, chef de la Wilaya I, ne se posera pas les mêmes questions lorsqu’il ordonnera l’arrestation, entre autres, de Abdelmajid Abdessmed, ciblé par une information venant de Mahiouz et transmise par cheikh Youssef Yaâlaoui en personne, circonvenu par le même Mahiouz. Lorsqu’on sait que Abdessmed était l’homme qui avait repris le flambeau tombé des mains de Abbès Laghrour et qu’il avait fait de la zone 2 de la wilaya des Aurès le tombeau de la légion, on comprendra pourquoi les services secrets français voulaient sa perte. Abdessmed arrêté, la zone 2 entra en ébullition. Hadj Lakhdar fit marche arrière. Abdessmed fut libéré. Il traversa la ligne Morice et alla exposer à Krim et à Boussouf les malheurs de la «bleuïte». Boussouf, les BRQ de l’armée française sous les yeux, savait qui était le guerrier d’acier qui tapait sur la table devant lui. Le chef de la zone 2 tempêtait et exhibait ses blessures. C’est à partir de ce moment que Boussouf, Krim et Bentobal décidèrent que c’en était assez. Abdessmed retraversa la frontière et retourna au combat. Il rechercha désormais systématiquement la rencontre avec l’ennemi. Le premier décembre 1960, sur une crête au sommet de l’Aurès, la mort fut au rendez-vous pour exaucer le vœu de si Abdelmajid. Jamais champ d’honneur ne mérita mieux ces deux mots que le mont Chélia où tombèrent si Abdelmajid et ses compagnons. Les trois «B», tant qu’il ne s’agissait que d’ «assainir» les rangs de la révolution, même au prix d’une hécatombe, n’ont pas bougé, mais dès lors que leur pouvoir est menacé par la réunion de Ouled Asker, ils réagissent. Après le complot, dit «des colonels» de l’extérieur dont ils ne sont venus à bout qu’avec l’aide des Tunisiens, la ligue des colonels de l’intérieur, cimentée par les diatribes d’Amirouche, agit sur leur épiderme comme une douche glacée. Ils tremblent mais ils s’ébrouent rapidement. Faute d’avoir pu envoyer en Wilaya III, quand il était temps encore, une commission d’enquête, ils mettent en demeure Amirouche de venir à Tunis. Au moment où il va quitter sa wilaya, il n’est plus dans le même état d’esprit qu’au moment où il a pris l’initiative de réunir ses pairs à Ouled Asker. Sa wilaya est désarticulée. La peur règne. Le général Challe recueille déjà le fruit du travail de sape effectué par Godard et Léger. Il ne sait pas ce qui l’attend quand il sera face à Krim qu’ont excédé ses initiatives. Pour la première fois depuis qu’il a conquis le poste de chef de wilaya, il hésite sur ce qu’il faut faire. Cette hésitation transpire dans les erreurs de jugement qu’il va commettre concernant l’itinéraire à prendre pour répondre aux convocations de plus en plus pressantes de Krim, transmises par le COM. La première est du 25 janvier I958, transmise par le biais de la Wilaya II, reçue le 16 février, la deuxième et la troisième sont reçues les 18 et 23 février par le canal de la Wilaya I. L’accusé de réception signé de la main d’Amirouche est du 1er mars 1959. Mansour Rahal, secrétaire général de la Wilaya I, l’a préservé. Il ne figurait pas parmi les documents qu’il a laissés à si Hassen Ouaouag, son successeur, ou à moi-même, quand il a quitté le PC de la Wilaya I, en 1962. Mansour, mu par un noble sentiment, l’avait gardé comme une relique. C’est une pièce pour l’histoire. Il en fait état à la page 191 de son livre, Les maquisards. Elle y figure, réduite, en fac-similé. Depuis le retour bredouille de quelques katibas pourvoyeuses d’armes, malmenées par le long trajet, ressassant des peurs rétrospectives, Amirouche est convaincu que le barrage fortifié est devenu hermétique. Il ne veut pas prendre le risque de passer par le Nord. Il ne sait pas que les unités de la base de l’Est, par la densité de leur présence, d’El Kala, au Nord, jusqu’à Louenza, au Sud (malgré leur redéploiement partiel vers l’Est, après la bataille dite de Souk Ahras), leur connaissance du terrain, (ahlou Mekka…), leur pratique quotidienne de la ligne Morice, sont parfaitement en mesure de faire franchir le barrage à un petit groupe de combattants discrets. Leurs voltigeurs sont passés maîtres dans la surveillance des mouvements de l’ennemi. Ils ont toujours pour mission de guider et de protéger les unités de l’ALN de passage. Il faut savoir que ce n’était pas le transit de l’Algérie vers la Tunisie qui posait problème, mais l’inverse, lorsque le franchissement était détecté et que les opérations de recherche étaient déclenchées. Traverser la ligne, ponctuellement, était techniquement réalisable. Rares ont été les accrochages, qui ont eu lieu dans le périmètre fortifié. L’approche d’Est en Ouest, vers la ligne Morice, à travers les forêts des Beni Salah ou des Ouled Béchih a toujours été, à quelques rares exceptions près, couronnée de succès. Une fois pris en charge par les hommes du 2e bataillon de Abderrahmane Bensalem, ou ceux du premier bataillon de Chouichi Laïssani, l’élément aventuré jusque-là avait toutes les chances de réussir son passage. En cas de malheur, la nature du terrain lui offrait la possibilité de se replier. Lorsque Lakhdar Ouarti, futur colonel de l’ANP, à l’époque chef de section dans la katiba de Tayeb Djebar, déployée à l’Est de Aïn Sennour (nous étions dans la même unité), avait fait passer Krim et Benkhéda, il avait organisé l’itinéraire méticuleusement, ne laissant rien au hasard. S’il est vrai que les conditions seront différentes en mars 59, il n’en demeure pas moins que, pour un chef de wilaya comme Amirouche, le principe de précaution aurait été respecté. En mars 1959, la ligne Challe qui serrait au plus près la frontière était encore dans les cartons (disons au passage que Challe commettra une erreur stratégique de taille en faisant édifier cette ligne. L’ ALN, le dos au mur, sera contrainte de s’adapter et de monter en puissance. Les 25 bataillons, les CLZ, les groupes d’artillerie, les Groupements tactiques (trois bataillons plus une CLZ), seront la conséquence directe de la ligne Challe. Plus tard, lorsque les deux lignes (Morice et Challe) seront à 100% opérationnelles (années 1960, I961 et I962), les passeurs de la base de l’Est, ou ceux de la Wilaya I, réussiront à les faire franchir à ceux qui étaient prêts à leur faire confiance. Les moudjahidine de la zone nord, comme ceux de la zone sud, gardent en mémoire les franchissements réussis de Hidouche et de ses accompagnateurs, les hommes du commando de Slimane Laceu (et non l’assaut). Hidouche, que Khaled Nezzar a fait passer sans que Hidouche perde un seul homme, est mort à l’ouest de la ligne, handicapé par l’impréparation de sa troupe et abandonné par ses deux guides), les franchissements de Tahar Zbiri, Ali Kafi, Lamine Khène, Ali Souaï, Mostapha Ben Noui et les va-et-vient de Hadj Abdelmajid Abdessmed et de tant d’autres. L’héroïque Mokrane Aït Mahdi, qui vient de nous quitter, a assisté au passage d’un millier d’hommes EN UNE SEULE NUIT (fin avril 1958). Aït Mahdi réussira à rejoindre la Wilaya III malgré l’énorme dispositif ennemi mis en place pour la bataille de Souk Ahras. Salem Giuilliano et son unité, rescapés de ces combats, resteront une année entière à l’ouest du glacis fortifié, se jouant des chausse-trappes dont il était truffé. Dès lors, une question s’impose : pourquoi Amirouche n’a pas emprunté le passage par le nord-est ? En plus de la réputation détestable de ce glacis, avait-il aussi une prévention bloquante du côté de la Wilaya II depuis que son chef n’a pas voulu assister à la rencontre de Ouled Askar, trois mois auparavant ? Le chemin par la Wilaya II, pour qui veut se rendre dans la région de Souk Ahras, était inévitable. Peut-être bien. L’option de Oued-Souf lui coûtera la vie. Il veut éviter l’Aurès et passer au sud de la zone 6, de la Wilaya I. Depuis que Aïssi Messaoud et ses émules sont entrés en rébellion, les travées du grand massif chaouia sont devenus périlleuses. Ali Nmer, l’intérimaire de Hadj Lakhdar Abid, est contraint de jouer les diplomates avec les dissidents tant ils sont nombreux, convaincus d’avoir raison et déterminés. Les mots dont ils usent sont des silex. Ils aiguisent les coutelas. Des vendettas nouvelles apparaissent, gigognes, barbouillées de colères glaçantes. C’est le Berbère, dans sa totale ivresse, somptueux par ses alibis et inquiétant par sa disposition nihiliste à mourir d’entêtement. Tout ce qui exhale un relent de «nidham» est voué à la mort. Comme le fera Hama Loulou plus tard et comme le fera aussi Hambli avant son coup de folie. Ces hommes qui luttent sur deux fronts (contre l’armée française et contre l’ALN en même temps) ne font aucun quartier. Beaucoup de jeunes maquisards originaires des Wilayas III et IV, membres de compagnies d’acheminement, paieront de leur vie de s’être aventurés là, selon le principe de la loi du plus fort : «Si ce n’est pas toi, c’est ton frère !» Amirouche, depuis la mort de Laghrour et de ses compagnons, et le préjugé favorable dont il a fait bénéficier Mahmoud Chérif, devenu colonel puis membre du CCE, sans posséder le seul titre nobiliaire — sortir de leurs rangs — que reconnaissent les guerriers chaouia, a concentré sur sa personne des montagnes de vindictes. L’itinéraire de l’Aurès lui a semblé, à juste titre, impraticable. La solution Ahmed Ben Abderrazzak (El Haouès) lui paraît la plus séduisante. Il n’a pas pris en considération la catastrophe que serait pour la révolution la perte de deux chefs de wilaya, le même jour, en cas de mauvaise rencontre. Il a tenu compte de deux facteurs, essentiels à ses yeux et peut-être même d’un troisième : le signe de bon augure, puisque les deux colonels portent le même patronyme Aït Hamouda, dit Amirouche et Hamouda, dit Si El Haouès. Le premier facteur est d’ordre politique. Il veut se présenter à Tunis avec le renfort d’El Haouès pour augmenter le poids des revendications de «l’intérieur», dont il s’est érigé, dangereusement pour son avenir à la tête de la Wilaya III, chef de file et porte-parole. Pour ce qui est du massacre des maquisards par Mahiouz et les aliénés qui officient à ses côtés, il n’est plus sûr de rien. Malgré les «preuves» dont il a rempli deux sacoches, que les hommes du 6e para récupéreront lorsqu’il sera tué, il a des appréhensions. Il soupçonne Ali Kafi d’avoir fait partager son incrédulité au GPRA. Le deuxième facteur est d’ordre pratique : la présence personnelle à ses côtés du chef de la Wilaya VI lui assure, du moins en théorie, les guides qui connaissent les bons raccourcis, les hommes de l’OCFLN qui savent qui est qui dans les contrées qu’on traverse, et les endroits où sont implantés les postes militaires. El Haouès est censé avoir les relais où tout est préparé pour les accueillir, les voltigeurs pour éclairer la route, et les moyens de communication. Tout cela est excellent, MAIS A CONDITION DE PASSER INAPERÇU ! A travers ces espaces calcinés, la moindre information chausse des bottes de sept lieues. Cette antichambre du Sud est encore soumise à la férule de grands féodaux, bachaghas, caïds, grands de douars, oreilles grandes ouvertes des administrateurs des communes mixtes et des officiers SAS. (Au passage, considérations et respect à tous les caïds, à tous les notables qui sont restés dans l’administration française à la demande de l’ALN et qui ont servi avec abnégation la révolution). Des groupuscules MNA ont survécu aux coups que les unités des Wilaya III, IV et VI leur avaient assénés. Les lunettes d’approche portent jusque dans les lointains, «la vue d’en haut» des redoutables avions d’observation «pipers» révèlent toutes les aspérités du sol. La moindre guérite surveille des dizaines de kilomètres carrés. La plus petite opération militaire ratisse profond et large. Le maquisard habitué au couvert protecteur de la forêt ressent une terrible impression de vulnérabilité dans ces territoires du vide. Amirouche, en s’y engageant, s’est dessaisi des atouts qui lui avaient permis de survivre à toutes les offensives des généraux français, aux coups de main du commando noir, à la hargne du capitaine Grazziani exprimée par la rodomontade qui lui coûtera la vie. Le natif de Mondovi, pour qui la guerre d’Algérie était une affaire personnelle, s’était juré «c’est lui, ou moi !». Il n’a plus l’initiative des itinéraires, des changements de directions, des feintes, du choix des maisons de l’hospitalité, des instruments de la discrétion, de la fermeté morale et du courage à toute épreuve des hommes de l’escorte, de la dotation en munitions des armes collectives, des heures imparties à la progression de nuit, de la longueur des étapes pour ne pas être surpris en rase campagne par le jour, de la présence EFFECTIVE et de la fiabilité des éléments de l’OCFLN chargés de sécuriser le cercle mouvant de la progression, du dispositif à installer d’avance sur la crête au droit du bivouac au cas où… Il s’en est remis aux hasards du chemin et au savoir-faire d’El Haouès. Il va en mourir. Au matin du 28 mars 1959, les deux colonels sont encerclés. Le combat s’engage, âpre, terrible, disproportionné. Djebel Thameur culmine par deux monstrueuses molaires, l’une est haute de 1248m et l’autre culmine à 1120m. Elles ont, au cœur des siècles, dévoré leurs propres flancs et les ont rejetés en vomissures d’éboulis. Les obus et les bombes les mettent en mouvement. Elles vont broyer leurs proies.
Amirouche et El Haouès ont-ils été trahis ?
Le moudjahid Omar Ramdane, dans une contribution parue dans El Watan, le 10 mai 2010, a évoqué les évènements qui se sont déroulés autour du djebel Thameur à la veille du 28 mars 1959. Il écrit en substance : «Nous avions envisagé d’attaquer la garnison de Aïn El Melh….. Pour ce faire, nous avions envoyé deux éclaireurs en civil pour la reconnaissance des lieux. Arrivés au petit village… ils ont vite été repérés par deux harkis. Nos djounoud n’hésitèrent pas à les abattre…. Cette action a pu conduire l’armée française à suspecter la présence d’une unité ALN à djebel Thameur qui est la montagne la plus proche de Aïn El Melh….». Omar Ramdane a dit vrai, et c’est effectivement cette action qui a été l’élément déclenchant du «ratissage» qui permettra à l’armée française d’avoir LE RECOUPEMENT DU RENSEIGNEMENT QU’ELLE AVAIT DEJA CONCERNANT LA PRESENCE DANS LA REGION DE GRANDS CHEFS DE L’ ALN et de buter ensuite sur eux. Avant d’aller plus loin, il nous semble utile, pour la clarification de cette question du piège où serait tombé Amirouche, d’évoquer l’éventualité d’une implication de Houari Boumediène et de Bousssouf dans «le complot» dont le but serait d’empêcher le chef de la Wilaya III d’atteindre la Tunisie pour «leur demander des comptes sur leur gestion et sur l’abandon de l’intérieur». Houari Boumediène, au moment où tombe Amirouche, n’avait pas encore l’envergure qui sera la sienne un an et demi plus tard. Il n’était pas en Tunisie. Il n’était pas partie prenante des petites querelles et des concurrences qui agitaient le GPRA. L’armée des frontières n’existait pas encore en tant que telle. Les grosses unités casernées, pour partie, en territoire tunisien obéissaient toujours à leurs anciens chefs. Pour ce qui est de la base de l’Est à Chouichi Laïssani, Abderramane Bensalem et Zine Nobel (lequel a succédé à Tahar Zbiri et à Moussa Houasnia). La zone V de la Wilaya I relevait de Mahmoud Guennez et ensuite de Lakhdar Belhadj. L’armée «des frontières», structurée en bataillons supérieurement armés, appuyés par des CLZ (compagnies lourdes zonales), disciplinés, obéissant à l’EMG, n’avait pas encore vu le jour. C’est, pour le moins, commettre une grave erreur de chronologie et d’approche que d’en parler, dès mars 1959. Il faut, à notre sens, écarter du dossier «Amirouche trahi», la culpabilité de Houari Boumediène. Elle est bien improbable. Reste l’éventualité d’une complicité objective de Boussouf avec l’ennemi. Cela, les moudjahidine qui ont connu cette époque sont en mesure d’avancer des arguments qui contredisent fondamentalement cette thèse. Sans recourir à des jugements de valeur concernant la vraie dimension du patriote Boussouf, disons — et c’est notre conviction — que même si Amirouche avait pu rejoindre la Tunisie, dans une disposition d’esprit belliqueuse, il n’aurait en rien inquiété les trois «B» qui étaient, en 1959, au zénith de leur puissance. Face au triumvirat de fer qui dirigeait, de fait, le GPRA, quels auraient pu être, en Tunisie, les moyens du chef de la Wilaya III ? Comment aurait-il pu démettre des responsables qui ont toujours asséné, en dernier ressort, l’argument imparable du rapport de force ? Ceux qui ont connu Boussouf, Bentobal, et surtout Krim, savent quel était le poids de leur lourde main, lorsqu’elle s’abattait sur quelqu’un. Amirouche et El Haouès sont donc encerclés dans une région dénudée par des forces considérables. Ils opposent une résistance farouche à leurs assaillants. Leurs munitions épuisées, leur escorte décimée, ils succombent. L’ennemi pavoise et exhibe les photos des deux martyrs. A travers tous les djebels d’Algérie, une tristesse incommensurable étreint les maquisards. Le siège du ministère des Forces armées algériennes, boulevard Ferhat-Hached à Tunis, prend le deuil. Krim est effondré. Son abattement transpire dans ses paroles et ses attitudes. Autour de lui on s’en rend compte et on l’évite tant son humeur est massacrante. Le GPRA se réunit pour évaluer la situation. Une nouvelle ère commence en Wilaya III. La guerre continue. Un grand quotidien parisien, commentant l’issu du combat du djebel Thameur, écrira : «Amirouche est mort, reste à tuer sa légende.» Deux hommes vont s’y employer, Godard et Boumediène. Le premier par la calomnie, le second par le silence. Faire le silence sur son nom pour l’effacer de la mémoire des hommes et l’interdire de tombeau pour l’effacer de la mémoire de la terre. Lorsqu’on aura tout dit sur Amirouche, le rouge et le noir, on reviendra immanquablement à un constat : le peuple n’a pas attendu les rubans, les palmes, les discours protocolaires et le marbre blanc, ces dérisoires hochets qui seront agités lorsque son corps sera retrouvé, pour lui décerner le seul honneur qui vaille : l’adulation. Il n’y a pas plus grande consécration. Il n’y a pas plus belle absolution.
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Mohamed Maarfia
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