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En Algérie, certaines femmes ont, de longue date, eu des prérogatives que l’histoire leur a accordées : force et commandement, au centre de l’histoire, de la figure mythique de la Kahina, du courage patriotique de Lalla Fathma N’Soumer, de la participation féminine à la guerre de libération, de l’indéfectible militantisme féminin et de la résistance à une décennie tragique et un islamisme inhibant… La question de la femme a été au cœur des enjeux politiques de ce pays depuis l’indépendance et a constitué un objet pour de très nombreuses études académiques.
Au-delà de l’aspect politique, l’évolution de la condition féminine paraît aujourd’hui encore déterminante pour comprendre les mutations en cours dans la société algérienne. La politisation de cette question correspondait d’une certaine manière aux promesses faites au niveau du discours politique et aux revendications des féministes qui n’ont eu de cesse de demander la révision du code de la famille. En effet, les concessions croissantes à l’islamisme politique, comme le code de la famille en 1984, puis la décennie de guerre civile dès 1992, ont constitué des facteurs régressifs, qui n’ont pas fait taire la voix puissante des élites féminines algériennes. La revendication d’«abrogation du code de la famille et l’instauration de lois civiles égalitaires» est portée haut depuis des années par une partie du mouvement des droits des femmes.
Le présent article considère la femme comme un prisme éloquent pour parler de la société en Algérie. Mais ce prisme est trop souvent déformant. Loin des approximations et des lieux communs, il importe d’aller au plus près afin de décrypter les récits et épigraphes qui fabriquent les représentations. L’image brute n’est pas toujours flatteuse, parfois peut-être laide, mais véridique. La question religieuse –celle du voile ou du terrorisme- a eu tendance à saturer le regard d’émotion qui fait écran et empêche de voir la complexité de la société algérienne où les femmes jouent un rôle éminent.
Femme en Algérie : femme codifiée
L’identité proposée à la femme par le système patriarcal de domination de l’homme est un système destructeur et pervers. La femme est soumise dès l’enfance à un travail de persuasion qui tend à la diminuer, à la nier en tant qu’individu, à la persuader de son infériorité et finalement à la convaincre d’accepter son sort avec résignation, voire à le revendiquer. Elle est considérée comme un être inférieur et faible, dès sa naissance elle est accueillie sans joie. Et quand la naissance des filles se répète dans une même famille, elle devient une malédiction. Jusqu’au mariage, c’est une «bombe à retardement» qui met en danger l’honneur patriarcal. La société étouffe ses aspirations et la décourage. Elle est assujettie, trompée, chosifiée ; elle est loin d’être l’égale de l’homme. Ce dernier l’assujettit par le mariage et surtout par la maternité.
Ce récit retrace le malaise d’une grande partie de la société algérienne, d’un hiatus assourdissant entre la place de la femme et la domination de l’homme. De cette Algérie écartelée entre l’hier et l’aujourd’hui, qui peine à se redresser de ses années meurtrières. Une décennie qui a fait que la plupart des jeunes gens ont grandi dans la violence et la terreur, à qui les prédicateurs, -profitant d’une période de malaise socio-économique qui a incité la jeunesse algérienne à se réfugier dans les mosquées et les cercles de prêche (halakat),- ont inculqué aux jeunes hommes le mépris de la femme et la nécessité de la dominer pour accéder au paradis. La mutation politique : à leur émergence, quand les cercles islamistes masculins travaillaient encore d’une façon confidentielle à l’intérieur des mosquées, le socle commun traditionaliste était en vigueur et faisait usage à lui seul de programme sur la question des femmes.
La dualité bien/mal était déclinée sur le champ privé et public pour codifier l’illicite et le licite pour les femmes, d’affermir leur rôle «naturel» de mère et d’épouse. La femme était avant tout «aoura» (nudité) menaçante, et, par conséquent, il fallait absolument protéger son honneur et surtout celui de l’homme. Cette décennie a engendré une catégorie d’hommes «moralisateurs», voyant en la femme le symbole du vice et du Chitane, un symbole qu’il fallait vivement maîtriser. La femme, quant à elle, souvent décrite comme figure de victimisation de tous les maux de la société, a évolué beaucoup plus vite.
En effet, dans sa quête de liberté, la jeune femme s’instruira, par nécessité, car elle saura que c’est le chemin vers l’affirmation. À l’égard de tous les tabous de la société, elle se montrera inventive, trouvera des accommodations à son contrôle et sera donc plus à même d’aspirer au changement et à l’émancipation au même titre que son homologue masculin.
En Algérie, le code de la famille maintient la femme sous tutelle. Adopté en 1984 par l’Assemblée nationale, le code de la famille s’inspirait largement de la chariâ (un corpus législatif datant de plusieurs siècles). En février 2005, des amendements positifs sont apportés à ce code, rectifiant ou annulant les articles les plus contraires aux droits de la femme. Ces contradictions marquent bien le dilemme qui divise aujourd’hui les algériens entre leur désir de modernité et leur peur de corrompre leur culture séculaire, faite d’un mélange de coutumes et de religion. Les associations féministes, quant à elles, ne s’étaient pas vraiment mobilisées. Les amendements envisagés étaient à leurs yeux trop timorés. Ce qu’elles réclamaient, c’était l’abrogation de ce qu’elles appellent le «code de l’infamie».
«L’homme, toujours l’homme ! L’homme comme cible, comme centre, comme maitre, comme horizon. Comme destin en somme ? La femme n’existe-t-elle que selon le prix qu’il en donne ?» La Kahina, Halimi. G, 2006, p : 63
Aujourd’hui encore les hommes sont bien décidés à maintenir les femmes dans un statut qui fait de chacun d’eux un émir à domicile, ils s’y accrochent d’autant plus qu’ils sont réduits à l’impuissance en tant que citoyens. Il est pénible de constater que l’image des «femmes algériennes héroïques » ne craignant ni le colonialisme ni le terrorisme se plie devant l’homme et devant la société.
Espoir : beaucoup reste à faire
L’évolution de la situation de la femme algérienne reste le centre et le symbole d’une société en confrontation qui s’épient et se toisent, s’invectivant parfois, se croisant en silence le plus souvent. La lutte est complexe ; elle n’oppose pas simplement l’islamisme à la modernité. Elle n’est pas seulement un combat entre la tradition et le changement. En fait, l’évolution des mœurs se déroule sur trois fronts imbriqués : une vision moderniste à l’œuvre, avec la féminisation de la société, fait majeur que la modification du code la famille, en 2005, a confortée, une vision sociétale, qui atteste une islamisation rampante en dépit ou à cause de bouleversements sociaux, une vision d’une société ayant profondément évolué depuis ces dix dernières années, mais dans un cadre de plus en plus schizophrénique.
Virtuellement, les Algériennes pourraient être ce que dit d’elles le stéréotype qui les accompagne, depuis la guerre de libération aux années de terreur : les femmes «les plus avancées du monde arabe».
Le domaine public, les valeurs, la société sont pourtant violemment masculins. Sous le diktat d’hommes qui, faute d’instrument politique, voire de volonté, bricolent un système où l’argument religieux, le machisme et la course à l’argent tiennent lieu de projet de société. De manière criante, l’Algérie est l’un de ces pays où le volontarisme politique armé des instruments qui ont fait leur preuve ailleurs : code de la famille égalitaire, quotas pour la participation politique, parité dans les postes dirigeants et socialement significatifs... donnerait aux Algériennes les supports dont elles ont besoin pour affronter et surmonter les phénomènes sociologiques régressifs, dont les mentalités, qui accompagnent et rétro nourrissent l’échec de la transition démocratique dans ce pays.
Les percées de la femme algérienne se confirment dans beaucoup de secteurs et du point de vue du dynamisme social, les femmes paraissent plus disposées à assumer les mutations qui pourraient introduire le pays dans les espaces de développement et de citoyenneté. Cette percée des femmes dans les professions nécessitant une haute qualification ne doit pas masquer la faiblesse de leur présence dans les postes de décision politique, économique ou dans les fonctions supérieures de l’Etat. En effet, la forte qualification des femmes travailleuses ne s’est pas traduite dans les mêmes proportions au niveau des postes de décision aux plans politique, économique et administratif.
Pierre Vermeren montre que, même si l’image des femmes maghrébines a connu un tournant majeur durant les dernières décennies, ce progrès connaît deux types de limites : d’une part, comme dans le reste de la Méditerranée, un «plafond de verre » bloque l’ascension des femmes vers les sommets et les appareils de direction, et ce, quels que soient les secteurs d’activité ; d’autre part, les femmes qui atteignent les postes de responsabilité sont exclues d’une sociabilité réservée aux hommes, notamment dans le hors-travail, c’est à-dire les relations du soir, la convivialité des déjeuners, des dîners, des séminaires, des congrès, des week-ends, etc. C’est ainsi que femmes de pouvoir et intellectuelles n’échappent pas au lot commun des femmes épiées et contrôlées. Elles doivent être mariées, avoir des enfants, être de bonnes épouses, préserver leur réputation, et, pour réussir et monter dans la carrière ou la hiérarchie, être, à un titre ou à un autre, fille ou femmes d’un homme «honorable».
Par ailleurs, la réalité sur vingt ans a changé. Les femmes ont gagné du terrain et la seule alternative pour une société prospère est celle que les femmes et les hommes doivent travailler ensemble, sur un pied d’égalité, du partage des mêmes droits et chances, des mêmes responsabilités, du même traitement en matière d’emploi et de profession, sans discrimination fondée sur le sexe. Cette égalité fait partie intégrante des droits de l’Homme, et une condition sine qua non de la justice sociale.
Il est important de réaliser que le malheur n’est pas une fatalité, et il n’est pas «naître femme». Comme les peuples qui peuvent se soulever pour changer leur destin ; une femme aussi peut dire non, se redresser, aspirer à une vie choisie et non subie. En 1965, – le propos n’a pas pris une ride depuis, tant il reste d’actualité –, Fadéla M’rabet écrivait en conclusion de La femme algérienne comme de l’indépendance nationale : «elle s’arrache. Les colonisés, les prolétaires qui se sont libérés ces dernières décennies, ne doivent qu’à eux-mêmes leur salut ; c’est grâce à leurs luttes que les femmes, ailleurs, ont conquis la plupart de leurs droits. ». On ne naît pas Kahina on le devient. S’il y a des femmes assez honnêtes pour regarder la réalité, l’analyser et essayer de conquérir leur liberté de femme, si les influences étrangères ne sont pas juste imposées mais harmonisées avec les circonstances sociales et historiques du lieu, alors il y aura une croissante et confortable place des femmes dans leur société, une liberté de femme qui vaut bien une liberté d’homme.
A mon idéal féminin, ma maman.
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