Le film de Viviane Candas, "Le voile brûlé", tourné à l’Estaque avec des acteurs marseillais est sorti en avant-première vendredi dernier. Il n’a pas laissé indifférent. Retour sur du cinéma engagé, petit budget mais grand débat.
Stéphane Nahal et Sonia Amori, dans "le Voile brûlé"
Ludovic Perez
Le scénario du Voile Brûlé raconte l’histoire d'un frère et d’une sœur, orphelins, dans une cité. La jeune femme est passionnée de théâtre, sa seule évasion dans un quotidien morose. Son frère, en proie à des questionnements religieux s’oppose à ce qu’il considère être une activité subversive. Face à l’insistance de sa sœur, il lui accorde cependant le droit de jouer, à l’ultime condition de rester voilée. Mais le public demande un jour à la jeune femme d’ôter son voile… La réalisatrice, Viviane Candas, a écrit le scénario en s’inspirant d’un tragique fait divers survenu en Algérie en 1999. Une jeune fille de dix-sept ans avait été brûlée vive par son propre frère pour avoir désobéi en montant sur les planches. « A l’époque, on n’avait pas encore entendu parler de crimes d'honneur en France. Hantée par cette histoire, j’en ai écrit un scénario, puis un livre, paru en 2004 », explique la réalisatrice. « Mes parents, avocats du FLN, étaient de ceux que l’on appelait les « pieds-rouges », ils se sont battus pour l’indépendance de l’Algérie. Je me suis dit, ce n’est pas possible, ils n’ont pas lutté comme ça pour qu’une gamine se fasse brûler vive ! »
Ce long métrage est une production à petit budget soutenue par la région PACA. Tourné à l’Estaque durant seulement vingt jours, le film est baigné de lumière. Les caméras s’attardent longuement sur les traits des visages, les expressions des personnages. Le voile brûlé est avant tout un film esthétique, « poétique même», corrige Viviane Candas. Comme lorsque le personnage de la jeune femme déclame des vers sur le balcon, l'allure noble et impériale d'une héroïne de tragédie grecque.
Des réactions violentes
Les acteurs sont de jeunes adolescents, adultes et enfants d'origines comoriennes, arabes et kabyles repérés à l’Estaque par la réalisatrice. Tous sont des amateurs, hormis l’actrice principale Sonia Amori, et quelques jeunes du conservatoire de Marseille, qui interprètent des petits rôles. Pendant des mois, les acteurs ont participé à un atelier, récité Iphigénie d’Euripide, joué des scènes d’improvisation. Lorsque Stéphane Nahal, barman à l'époque, a abordé la réalisatrice dans un bar, elle l’a naturellement choisi pour interpréter le rôle du frère « Il y avait une vraie tragédie en lui. Il est devenu le véritable centre de gravité du film ».
(photo Ludovic Perez)
Lors de l’avant-première, le film a été largement applaudi, notamment par des habitants de l'Estaque, venus nombreux. Mais il y a eu quelques réactions violentes: « Un commando de jeunes femmes m’a prise à partie." raconte Viviane Candas. Les accusations ont fusé, les unes après les autres : « Pourquoi avez-vous réalisé un tel film, pourquoi avoir choisi ce fait divers ? Et les cadres qui battent leur femme, ça, on n’en parle pas ! ». Des « clichés » ont été fustigés, comme les « moustaches à la Hitler » portées par des « Barbiches », un groupe de jeunes caïds dans le film qui imposent leur loi à l'ensemble du quartier. Décontenancée par ces attaques, la réalisatrice s’est peu défendue. « Je flottais dans un état proche de la candeur. Je m’attendais davantage à ce genre de réactions lors de la projection du film à la Courneuve, devant une majorité de jeunes hommes. Finalement, ceux-là ont assez bien accueilli le film. »
La parole se libère
Le lendemain de la projection à l’Alhambra, la réalisatrice s’est rendue au théâtre de la Criée pour la série de conférences programmées à l’occasion du cinquantenaire de la Guerre d’Algérie. « Là, alors que j’assistais à une conférence sur le thème de " la sexualité, otage des inhibitions ", une femme hystérique, sans doute une nostalgique de l’Algérie française, m’a insultée. Il y a un lien entre ces événements. Entre le thème de la conférence et le thème du film. Je crois qu’il y a une urgence à ouvrir les débats. Le point positif, c’est que la parole se libère à Marseille pour une bonne raison : ici ce n’est ni l’Algérie, ni totalement la France, c'est une ville à part ».
Viviane Candas cultive aujourd'hui l'ambition d'utiliser son film comme « un formidable outil pour répondre aux préoccupations des jeunes, débattre avec eux d'un certain islamisme radical, plutôt que de laisser ces questions au Front National. La culture est le seul moyen de lutter contre l’extrême droite ». En attendant que Le voile brûlé sorte dans quelques salles d’art et d’essai à Paris et dans la région PACA, à la rentrée scolaire prochaine, la réalisatrice prépare son prochain film. Il devrait être question du combat anticolonialiste de son père en Algérie.
Par Elodie Crézé, le 5 avril 2012
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Marsactu a rencontré Stéphane Nahal, l'acteur principal de 22 ans du Voile brûlé dans un café.
Marsactu: Comment avez-vous été choisi par Viviane Candas ?
Stéphane Nahal : Au moment du casting, j’étais barman au bar de la Caravelle. J’ai entendu Viviane Candas parler du film. Je l’ai abordée, je lui ai dit que j'étais intéressé. A cette époque je préparais le concours du conservatoire de Marseille.
Comment qualifieriez-vous le personnage que vous interprétez ?
Le personnage du frère est très introverti, il a peur de se regarder dans la glace, ne s’assume pas. Il est dans la nostalgie d’un passé révolu. Plus le temps passe et plus le brouillard dans lequel il végète s’épaissit. Sa sœur est la seule femme qu’il aime, il ne jure que par elle. C’est aussi un personnage intemporel.
Comment avez-vous fait pour vous glisser dans la peau d’un personnage aussi torturé et complexe ? Ce n’était pas évident pour un premier rôle !
Je me suis inspiré de mon grand-frère, de ce que j’avais vécu…J’ai composé avec les traits de caractère de personnes que j’ai rencontrées au cours de ma vie. J’ai pu à un moment moi aussi ressembler à ce personnage. Pendant le tournage, j’ai pris des notes, j’ai tenu un journal. Je me suis même entraîné à marcher sur le boulevard Michelet pour trouver la démarche de mon personnage. Et pour évacuer la tension, sur les lieux du tournage, entre deux prises, j’avais besoin de rire, de danser. Je suis un très mauvais danseur, mais je danse tout le temps, sur du hip hop, du rock, j’ai des goûts très éclectiques.
Que vous apporte le cinéma ?
Tout petit déjà, cette envie de cinéma faisait partie de mon jardin secret. Mes éducateurs ne le soupçonnaient même pas. Quand quelqu'un prononce le mot « action !», je deviens un peu le centre du monde, je me sens vivant, j’oublie ma timidité. En tout cas, si je n’ai pas la prétention de dire que je réussis dans ce domaine, au moins j’essaye, et ça me fait vibrer !
Il y a un avant et un après Le voile Brûlé ?
Incontestablement oui. J’ai davantage confiance en moi. J’ai compris que j’étais capable d’aller au bout de mes rêves. Après le tournage, je planais complètement… J’ai repris des petits boulots, ça m’a permis de redescendre sur terre. Mais quand je vais voir un film au cinéma, je suis insupportable. Je parle tout le temps, je me mets dans la peau des personnages.
Des projets pour l’avenir ?
Je vais me présenter au Conservatoire, projet que j'ai laissé de côté à cause du film, mais aussi participer à des castings. J’ai horreur de la compétition mais là je vais devoir m’y mettre sérieusement. Je voudrais incarner un personnage joyeux la prochaine fois, pas forcément un grand rôle, mais essayer de jouer dans un registre nouveau. Et puis j’écris un scénario actuellement. Je voudrais monter ce projet avec des jeunes qui débutent, comme moi. J'y apporte une vision personnelle, c’est peut-être ma façon de régler certaines choses du passé pour aller de l’avant. En tout cas je vais m’accrocher, si on ne me laisse pas rentrer par la grande porte, j’entrerai par la fenêtre, la cheminée ou je ne sais quoi. Je suis quelqu’un d’obstiné. Tout ce qui ne me tuera pas me rendra plus têtu !
Par Elodie Crézé, le 5 avril 2012
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