Écrit autour de 1850, dans le cadre du :
PROJET D'ETABLISSEMENT
D'UNE FERME-VILLAGE
A TIPASA par la France.
.
DIRECTION DES REMPARTS.
En prenant, comme point de départ, l'angle nord-est de la
ville, à sa jonction avec la mer, au-dessus de la falaise
qui la domine, se trouve une tour, qui surplombe une porte
de communication avec le cimetière chrétien. Le mur d'enceinte
se dirige vers le sud-ouest la longueur de 260 mètres,
puis par un angle obtus de 120°, il tourne vers le nord ouest-
quart-ouest l'espace de 50 mètres; un angle de 100°
le contourne et le fait diriger vers le sud-ouest, avec une
différence d'inclinaison d'à peu près 10° vers l'est pendant
200 mètres. Là, est un des angles principaux de la ville,
il est percé d'une porte avec sa tour et d'un passage voûté.
Le rempart commence alors à courir directement vers l'ouest,
pendant une longueur de 1,100 mètres, il est percé dedeux
portes de sortie -, ensuite il tourne vers le nord avec une légère
courbe et vient finir à la mer sur de hauts rochers qui
sont sur le rivage.
Un ravin coupe la ville en deux quartiers ; les eaux de ce
torrent, n'étant plus maintenues, par des constructions, ont
profondément creusé son lit et ont défoncé ses bords ; il
reçoit les eaux pluviales, qui descendent des collines situées
au sud, à peu de distance de la ville ; il passe sous une de
ses portes ; sur son cours il y a des grands réservoirs circulaires,
en forme de tour, probablement construits pour arrêter
les eaux et les laisser épurer.
Ce ravin arrive à la mer, en passant sous une grande terrasse,
servant de place publique, pavée d'une mozaïque,
dont nous avons emporté quelques fragments. Cette mozaïque
est ensevelie sous les sables; de ce point les promeneurs
apercevaient l'immensité de la mer et jouissaient du spectacle
ravissant qu'offrait la circulation des navires et des
barques, qui fréquentaient leur port et sillonnaient la rade.
La cité paraît avoir été divisée en deux quartiers distincts
et formait deux villes, différentes de moeurs, différentes
de religion. La ville payenne occupait le côté de l'ouest
et aboutissait à un monticule, qui domine la baie, on y voit
encore leurs tombeaux, le côté de l'est était affecté aux
chrétiens ; c'est la partie, qui a le plus souffert de la dévastation
vandale.
Par une pente douce le terrain s'élève graduellementjusqu'à
la porte de la ville, située au nord-est, placée sur la
falaise au bord de la mer et conduisant au cimetière chrétien.
La voie s'élève toujours en longeant la falaise et aboutit
au champ du repos.
L'oeil est surpris de la quantité de sarcophages, qui gisent
sur le sol, ou sont en partie ensevelis sous les sables. Après
en avoir compté quelques milliers, nous nous arrêtâmes fatigués.
Il y en a de toutes dimensions ; ils sont creusés dans
un seul bloc, en pierres du tuf dont la montagne est formée.
Le couvercle qui les recouvre est aussi d'un seul morceau,
taillé en angle saillant sur la face supérieure.
Ces tumulus affectent, en général la figure d'un carré long;
quelques-uns sont divisés intérieurement et peuvent contenir
deux cadavres ; d'autres ont une partie demi circulaire pour
y placer la tête.
A cinquante mètres environ de la porte du cimetière, se
trouve un édifice carré, construit en pierres de taille, occupant,
une superficie de 144 mètres; une porte communiquait
à une pièce carrée de dimension plus petite.
Cette construction devoit être affectée au gardien; pourtant
une grande quantité de tombes empilées, sans ordre, les unes
sur les autres, permettrait de croire que c'était là un des
ateliers de tailleurs de pierres
En continuant à gravir la montagne, toujours à travers
des tombes, se rencontre un autre atelier. Les sarcophages
confectionnés sont en plus grand nombre, qu'autour du premier
établissement. Ce devait être le chantier principal; il
en a, qui ne sont pas encore achevés.
En sortant du cimetière, sur un plateau, qui couronne la
montagne, on arrive à l'église chrétienne, dont le péristyle
faisait face à une petite place.
Cette église est construite en grandes pierres de taille ,
superposées sans ciment, d'un mètre cinquante centimètres
de longueur, sur soixante-dix centimètres d'épaisseur.
Les principaux murs sont encore debout. La longueur
totale de l'église , dans oeuvre, est de 30 mètres 75 centimètres
et sa largeur de 14 mètres 60 centimètres. La couverture
s'est affaissée et encombre le sol, pêle-mêle avec
les colonnes, les autels; l'herbe croît dans les intervalles de
ces monceaux de matériaux. En fouillant , nous avons retrouvé
une grande croix en pierre, dont nous nous bornons
à donner le dessin. Ce fut avec la plus grande peine, que
nous la découvrîmes et que nous la retirâmes du milieu des
décombres. Nous la déposâmes à côté de la porte latérale de
la façade du nord, espérant venir la chercher avec un
moyen de transport. Les circonstances ne nous ont pas permis
de donner suite à ce projet, que nous aurions été heureux
d'exécuter. Nous avons aussi pris le dessin d'un chapiteau
en marbre, d'ordre corinthien, parfaitement conservé.
Cette basilique, par sa position domine la cité et la mer.
Elle recouvrait de ses bénédictions tutélaires les habitants de
la ville et de la campagne, voyait, à ses pieds, ramper le
quartier et les temples païens, et sa croix, véritable monument
de foi, qui a résisté à la destruction des Vandales et
des impies, pourrait encore, comme dans le passé, servir de
point de reconnaisance aux navigateurs et de guide aux
voyageurs égarés, dans ces steppes difficiles et inhospitalières.
La ville païenne possède encore de ruines imposantes.
D'abord, près du ravin, dont nous avons parlé plus haut, on
voit des vestiges, qui, selon toute apparence, ont appartenu
à des bains. Une salle existe encore, c'est celle de l'étuve
ou calidariam; elle est carrée, ayant 8 mètres 80 centimètres
de long, 4 mètres 80 centimètres de large-, les murs ont
une hauteur de 8 mètres 80 centimètres-, elle est percée aux
deux extrémités d'une porte à plein-cintre, qui devait
servir à l'entrée et à la sortie. A un mètre du sol intérieur,
sont encore attenant aux murs, à une dislance de soixante
centimètres l'une de l'autre, les pierres d'arrachement, qui
soutenaient le plancher de l'étuve, aujourd'hui écroulé. Sur
le mur, qui regarde l'est, se voit au niveau du sol, l'ouverture
du foyer, par laquelle on introduisait le combustible
pour chauffer l'étuve.
A côté de ce mur, et séparé seulement par un corridor
de quatre mètres, est une enceinte circulaire, servant probablement
de salle tiède ( lepidarium ), où les baigneurs laissaient
calmer la chaleur suffoquante de l'étuve; faisant
suite à cette pièce, est une série de petites chambres carrées,
ou cabinets particuliers, ouvrant sur le corridor, qui
servaient de vestiaire et de lieu de repos; où aperçoit encore
les rigoles qui, du dehors de la ville, conduisaient l'eau
à cet établissement.
A l'angle nord-est de ce bâtiment, existe un pan de mur,
dont le parement nord fait face à une place carrée de 30
mètres sur chaque côté. Au pied de ce mur sont couchés
une grande quantité de fûts de colonnes et quelques chapitaux
d'ordre composite : sur la partie ouest de cette
place, sont amoncelés des pierres taillées, des colonnes,
des chapitaux appartenant au même ordre d'architecture.
Cette place , par la richesse de sa décoration , et par sa
proximité d'une autre plus grande, dont elle paraît être le
sanctuaire, est peut-être le Forum où les pères conscrits et
les consuls venaient s'entretenir des affaires de l'Etat. L'amas
de décombres que nous avons signalé, serait alors la tribune
aux harangues, ou le prétoire.
La place publique, contigue au Forum, est garnie, sur
ses quatre côtés, de pierres colossales, qui ont appartenu à
des palais ou à des édifices publics.
Près d'une des grandes sorties de la ville, le cirque montre,
enfouis sous les sables, ses gradins circulaires et ses lacunes
pour les vomitoires : à côté, se voient : une grande
citerne, puis un passage voûté, servant à introduire les bêtes
féroces et les gladiateurs. Des loges pour les animaux
s'y trouvent adossées.
Non loin du cirque est situé le théâtre, reconnaissable à
sa forme-, des matériaux et des fondations au niveau du sol,
en désignent seuls l'emplacement.
Au centre de la ville, sont des ruines, qu'on pourrait appeler
titannesques, à cause de leurs dimensions colossales ;
ce sont deux pans de murs, dont nous n'avons pu mesurer
la hauteur, et qui n'ont pas moins de deux mètres d'épaisseur.
Leur longueur est de quinze mètres. La construction
de ces murailles diffère de celle des autres édifices ; elle est
en moellons et en ciment, les parois intérieures , revêtues
de leur parement recticulaire, sont encore garnies, aux quatre
angles, de quatre piliers en briques ; lesquels devaient
soutenir une voûte servant de plancher au premier étage.
Au-dessus de cette première voûte, il en existait une autre
supportant les terrasses. Deux grandes ouvertures cintrées
sont pratiquées, comme fenêtres, au premier étage. Le sol
du rez-de-chaussée repose sur une voûte, qui recouvre de
de grandes caves ou des citernes. Une ouverture placée, dans
un des angles, à côté d'un pilier, laisse apercevoir, quoique
encombrés, des degrés en pierres, qui y descendent,
Il est difficile d'assigner une destination à cet édifice. Cependant
sa coupe grandiose et hardie, laisserait supposer
qu'il servait d'église. Dans ce cas, les caves souterraines
pourraient bien être une crypte, comme on en rencontre
souvent dans les premiers âges du christianisme.
Au nord de ce monument et contigu à lui, sont les restes
d'un vaste palais, qui pourrait être le palais épiscopal,
ou celui du Proeses, administrateur de la province. Ces ruines,
du côté de l'ouest, offrent une suite de galeries voûtées
dont le mur du fond subsiste seul.
La ville s'étend sur une éminence, où sont encore des
vestiges d'habitations considérables et d'un temple, que l'oeil
découvre sous les lentisques, les chênes verts et de faibles
arbrisseaux, qui, par la constance de leur végétation, insensible,
mais continue, ont dominé ces travaux de l'orgueil
humain.
Sur le versant du promontoire, qui descend en amphithéâtre
vers la baie du Nador, on reconnaît un théâtre, à
ses gradins superposés; cet escalier, placé sur le flanc de la
colline, l'accompagne, dans sa pente, jusqu'au scenium et au
post-scenium. Il est à remarquer que l'architecte, qui en a
tracé le plan, est sorti de l'usage adopté pour les théâtres,
lesquels avaient toujours la forme d'un hémicycle; il l'a
construit en parallélogramme, ne voulant pas borner le plaisir
des spectateurs aux seules émotions de la scène; étant
à leurs pieds la vue du port, il leur a ménagé durant les entr'actes,
la jouissance des beautés, qu'en ces lieux la nature
a semées avec profusion.
C'est que, en effet, le panorama est peu commun. Le golfe
que l'on domine — En face le Chenoua, avec ses contreforts,
resplendissant d'une végétation robuste ; — à gauche ;
la vallée du Nador, avec ses gourbis ombragés, par le feuillage
vert des orangers, le corail des grenadiers, et entourés
d'une ceinture de lauriers roses ; les sinuosités de la rivière,
dont on voit serpenter les eaux sous des guirlandes de
frênes, de trembles et de vignes vierges ; puis à côté de
ces bosquets, de belles plaines, où mûrissent des moissons
abondantes et de riches prairies naturelles, où les troupeaux
se jouent en pâturant.
Si le spectateur veut regarder autour de lui ; son oeil
repose sur des collines basses recouvertes de lentisques,
d'oliviers, d'arbousiers toujours verts, déployant au soleil
leur luxuriante nature-, au midi, le petit atlas, qui ourle
coquettement la plaine de la Metidja, le pic volcanique de
Teniah et le mont Zakar ; à l'est dans un horizon bleu, le
Djurjura avec sa couronne de neige ; plus rapprochée : la
Boudzareah, qui abrite Alger ; la jolie baie de Sidi-Feruch
avec sa Torre chica ;. le Kobour-Roumia,
véritable pyramide, qui plane sur la mer
du haut de ses trois cents mètres, jalon placé presque aux
limites des deux provinces, et au nord, la mer, son immensité,
ses souvenirs et ses espérances.
Parmi les monuments, il en est un appelé : Rabbia, par
les indigènes, qui attire particulièrement l'attention. C'est
un grand rocher, placé dans la mer, à dix mètres du rivage
taillé à main d'homme, ayant la forme cubique d'un carré long.
Cette pierre est creusée et contient une assez vaste salle-, la
destination de ce monument n'est pas douteuse -,c'est un tumulus,
dans lequel devaient être renfermés les restes de quelque
chef. Il a 4m 80 de hauteur, 3m 60 de largeur et 4m 10
de longueur. Ce tombeau , dont la mer baigne la base, est
recouvert de grandes pierres de taille, dont une a été enlevée;
et de même que les tombes qui sont dans la contrée,
il a été profané, par la cupidité des habitants, qui l'ont ouvert,
pour en retirer les joyaux et les divers objets, qu'on
avait la coutume d'ensevelir avec le corps.
La ville se prolongeait jusqu'au fond de la baie, où sont
les tombeaux payens et d'autres ruines, ensevelis sous.les
sables, que le vent du nord enlève de la plage, et que la réflexion
du Chenoua fait tourbillonner sur ce point. Ce sable,
amoncelé par des siècles, recouvre les constructions de
plus de trois pieds. En l'explorant, on s'y enfonce jusqu'aux
genoux, ce qui en rend le parcours pénible et dangereux.
La bise de mer, qui règne presque toujours, l'ondulé et le
fait mouvoir, comme elle le fait des vagues de la mer.
L'Oued-Nador est le seul cours d'eau, qui alimente la vallée,
son parcours n'est pas long; ses rives sont cultivées avec
soin; son lit, très encaissé, est ombragé par des arbres séculaires.
En remontant son cours l'espace de six kilomètres, on
trouve le barrage, que les romains avaient construit, pour
en détourner les eaux et les amener à Tipasa. Nous en avons
suivi le canal, dans toute sa longueur. Malgré les années,
qui ont passé sur sa destruction, il est aisé d'en reconnaître
le tracé, soit au creusement à demi comblé de sa cuvette,
soit aux arbres qui le bordent. Les grandes pierres, composant
la digue du barrage, faute d'entretien, ont été entraînées
par le courant, lors des grandes crues du Nador ;
mais à cause de leur dimension, elles ont roulé à peu de
distance ; on pourrait, à peu de frais, reconstruire cette
écluse.
Sur les derniers mamelons du Sahel, on retrouve les
matériaux d'un aqueduc romain, qui portait aussi à Tipasa,
les eaux d'une source éloignée, que nous n'avons pas
explorée.
Dans les vallons qui s'irradient de ces points vers la Métidja,
il y a des villas ou maisons de campagne, que la main
du temps a respectées ; une entre autres, élevée d'un étage,
percée de trois croisées, est recouverte d'une terrasse ; si
ce n'était les plantes parasites, qui ont crû dans le joint
des pierres, elle semble prête à recevoir ces hôtes familiers.
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