.
Aroudj et Khaïr-ed-din , réunis de nouveau, sortent
de la Goulette ; siège de Gisel ; présens envoyés au
grand-seigneur ; siège de Bégiajé ; le sultan de Tunis
refuse son aide aux deux frères; les Génois envoient au
secours de Begiajé; Aroudj et Khaïr-ed-din incendient
volontairement leurs navires ; Aroudj se rend à Gigel,
Khaïr-ed-din retourne à Tunis; événemens qui suivent
cette séparation.
L’année
Aroudj avait toujours à coeur la conquête de Bégiajé ;
il engagea Khaïred-din à s’approcher des côtes du royaume d’Alger
pour voir s’il ne lui serait pas possible de
délivrer Bégiajé des mains des chrétiens. Ils
vinrent mouiller aux écueils qui sont à l’ouest
de Gigel(1). Un bateau pêcheur qu’ils y trouvèrent,
leur apprit que les Gênois s’étaient emparés
depuis peu de Gigel, et y avaient bâti un château.
Le zèle qui les enfl ammait pour la religion, leur
inspira le désir d’arracher leurs frères à la tyrannie
des chrétiens; et par le moyen de ces mêmes
pêcheurs, ils écrivirent aux principaux habitans
de Gigel qu’ils se tinssent prêts à se joindre à eux
lorsqu’ils seraient en mesure d’attaquer le château
que les Gênois avaient bâti dans leur ville. Ayant
donc disposé immédiatement quelques pièces
d’artillerie pour battre la place en ruine, ils s’approchèrent
de la plage voisine où ils opérèrent
leur descente, et ne laissèrent dans leurs navires
que le monde nécessaire pour les garder(2).
_______________
1 Gigeri, Gigelli. C’est le premier point, dans le
royaume d’Alger, où les Turcs s’établirent, et c’est pour
cela que les habitans de Gigelli jouissent encore de
grands privilèges exclusivement à tous les autres maures.
Cet événement eut lieu vers l’an 920de l’égire(1514 de
notre ère). (Note du traducteur).
2 Le mouillage que les navires d’Aroudj et de
Khaïr-ed-din vinrent prendre dans l’ouest de Gigelli
est facile à reconnaître. Ce ne peut être en effet qu’une
crique assez profonde située à dix milles à l’ouest de
cette ville.
leur approche, les habitans de Gigel, ainsi
que les musulmans de la campagne, se joignirent
à eux; et, tous réunis, ils vinrent mettre le
siége devant le château où se retirèrent les chrétiens.
En peu de jours, on parvint à établir une
brèche, et Khaïr-ed-din à la têts de ses Turcs,
monta le premier à l’assaut. Les infi dèles consternés
ne se défendirent que faiblement, et bientôt
demandèrent quartier. Dans cette occasion,
Khaïr-ed-din fi t six cents esclaves et s’empara
d’un butin immense qu’il distribua à tous ceux
qui avaient eu part à cette victoire, sans établir
de distinction entre les Turcs et les Maures. Il
s’occupa ensuite à réparer et à fortifi er ce château,
et il le remit en très bon état à la garde des
habit ans de Gigel.
Après la prise de cette place, Aroudj et
Khaïr-ed-din expédièrent à Constantinople un de
écueils. Au rapport de M. le capitaine de corvette
Bérard, qui a fait l’hydrographie de ces parages, il y a
quatre et cinq brasses d’eau dans cette crique, et la plage
y est formée par un cordon de rochers bas et uniformément
placés comme les pierres d’un quai. La montagne
qui s’élève un peu plus dans l’ouest, et dont la pente se
prolonge jusqu’au bord de la mer ne permet pas de supposer
que ce débarquement se soit fait dans la crique qui
est encore à dix milles plus loin, et qui présente également
quelques écueils à son entrée. Elle est bien moins
fréquentée par les bateaux de la côte que l’autre.
Lorsque l’on sut dans cette partie de la
Barbarie la protection particulière que le Tout-
Puissant accordait aux armes d’Aroudj et de
Khaïr-ed-din, il se rassembla auprès d’eux plus
de vingt mille Berbers conduits par leurs marabouts.
Tous venaient offrir leurs services pour
délivrer le pays du joug des infi dèles ; on arrêta
qu’on irait sur le champ attaquer Bégiajé. Des
Berbers en conséquence se mirent en marche,
et Aroud,j et Khaïr-ed-din avec trois de leurs
vaisseaux vinrent mouiller dans la rivière qu’on
nomme Oued-el-Kebir;là, ils débarquèrent leur
monde ainsi que leur artillerie, et, se mettant à la
tête de cette armée de Berbers qui les attendait,
ils formèrent le siège de Bégiajé.
Bientôt la place fut bloquée étroitement
de tous côtés, et les infi dèles , quoiqu’en grand
nombre, eurent grand’peine à se défendre; mais
enfi n au boit de vingt-quatre jours d’attaque, la
poudre vint à manquer aux assiégeans, et , dans
cet embarras, Aroudj et Khaïr-ed-din dépéchèrent
un envoyé au sultan de Tunis,en le priant
de leur en envoyer en toute diligence avec quelques
autres munitions de guerre dont ils avaient
besoin pour terminer glorieusement leur entreprise.
Le sultan de Tunis avait malheureusement
livré son coeur à la jalousie, maladie infernale
qui attaque souvent les âmes les plus vertueuses.
La gloire dont s’étaient couverts ces deux héros,
par la prise de Gigel, commença à l’offusquer
et, sous divers prétextes , il refusa d’envoyer les
secours qu’on lui demandait.
Aroudj et Khaïr-ed-din reçurent avec chagrin
la réponse négative que leur fi t le sultan :
mais leurs compagnons en furent outrés de
colère et, dès cet instant, on vit changer en haine
les sentimens d’affection qu’ils avaient pour
lui.
D’un autre côté, lorsque l’on sut à Gênes
que Bégiajé était assiégée par les Turcs et les
Berbers, on fi t partir en diligence mille hommes
destinés à lui porter secours. Aroudj et Khaïred-
din jugèrent alors qu’il leur était impossible
de songer plus longtemps à réduire cette place,
et ils en abandonnèrent le siège en se résignant
_______________
1 Il y a ici erreur, Boujic était occupée par les Espagnols
et non par les Gênoiso, (Voyez les notes).Cette
même erreur se reproduit plus loin.
aux ordres suprêmes de l’Éternel qui détermine
à son gré le moment de l’élévation et celui de
la chute des empires. Après avoir congédié les
Berbers, et se les être attachés plus que jamais
par leurs libéralités, ils retournèrent à leurs
vaisseaux, qui étaient mouillés dans l’Ouedel-
Kebir1; ils trouvèrent que les eaux avaient
diminué par le manque de pluie, et il leur fut
impossible d’effectuer leur sortie. Ils prirent
le parti de brûler ces bâtimens, de peur que les
infi dèles ne s’en emparassent; puis, se mettant à
la tète de leurs troupes et de leurs équipages , ils
se dirigèrent sur la route de Gigel , où ils furent
reçus par les habitans avec des acclamations
d’allégresse , ce qui leur fi t en partie oublier leur
disgrâce.
Par l’effet de cette heureuse étoile qui présidait
à leur destinée, les trois navires qu’ils
avaient laissés servirent à embarquer ‘leur
monde et leurs esclaves.
Khaïr-ed-din les conduisit à Tunis, et Aroudj
prit le parti de rester à Gigel.
Khaïr-ed-din après son heureuse arrivée à
_______________
1 Grande rivière. Il y a en Barbarie beaucoup de
rivières qui ne sont pas désignées autrement que par ce
nom; cela vient de ce que les gens du pays restant chez
eux, cette désignation leur suffi t pour s’entendre. (Note
du traducteur).
la Goulette, s’occupa à augmenter le nombre de
ses vaisseaux, réduit à trois seulement, en raison
de cet incendie volontaire qui en avait consumé
trois autres , qu’il lui avait été impossible de retirer
de la grande rivière de Bégiajé; il en acheta
quatre très propres à la course. de sorte que son
escadre fut de nouveau composée de sept vaisseaux;
il la mit en état de pouvoir tenir la mer,
voulant immédiatement entrer en campagne à
l’issue de l’hiver.
Les habitans de Tunis avaient également
sept bâtimens destinés pour la course, leurs propriétaires
prièrent Khaïr-ed-din de vouloir bien
les prendre sous son escorte, et de les joindre
à son escadre, grâce à la confi ance qu’il avais
inspirée ; et, en effet, par une protection particulière
du ciel, il n’avait jamais rien entrepris qui
n’eût réussi au gré de son désir.
Comme il était en train de faire ses
préparatifs,Mahji-ed-din reis qu’il avait envoyé
à Constantinople avec un présent pour le sultan
arriva à Tunis; il était accompagné d’un offi -
cier très distingué dans la marine de Stanboul,
nommé Courd-Ogli. Son voyage avait pour but
de faire une visite à Khaïr-ed-din , de connaître
un héros dont le nom était déjà si fameux dans
l’univers, et de servir sous ses ordres dans les
entreprises qu’il tenterait encore pour la gloire
de la religion.
Courd-Ogli reis fut suivi d’un autre Turc
appelé Muslik-ed-din qui venait joindre quatorze
vaisseaux à l’escadre de Khaïr-ed-din.
Cette nombreuse fl otte sortit pour aller
faire la guerre sainte contre les infi dèles; elle
était composée de vingt-huit bâtimens grands
et petits. Après quelques jours de navigation,
le destin voulut qu’ils rencontrassent vingt-huit
navires ennemis qui marchaient en .convoi. Dès
que les musulmans les aperçurent, ils remercièrent
le ciel de leur avoir procuré une si belle
occasion de se distinguer, et ils se mirent à leur
donner la chasse. Mais Dieu jeta l’épouvante
dans le coeur des ennemis de sa loi; ils ne se
mirent pas même en devoir de se défendre , et
ils se rendirent à la première sommation.
La fl otte musulmane prit possession de tous
ces bâtimens, et vira de bord pour les conduire à
Tunis : la plus grande partie de leur cargaison se
composait de grains.
Tandis que la fl otte faisait route vers la Goulette,
elle découvrit douze autres navires génois
chargés de drap, d’étoffes, de miel et d’autres
objets; elle les poursuivit et s’en rendit maître,
de sorte qu’elle, se vit entourée de quarante
bâtimens qu’elle avait pris sur les infi dèles.
Khaïr-ed-din les mit sous la conduite de Courd-
Ogli reis, avec ordre de les mener à Tunis, et il
se dirigea sur Gigel dans le dessein de revoir
son frère.
Les commentaires récents