«Il faut attendre environ 240 mille ans pour que toutes les régions touchées par les radiations nucléaires soient nettoyées».
L'Algérie, De Gaulle et la bombe» du réalisateur Larbi Benchiha, suivi d'un débat.
Ce film démontre par ceux qui restent encore les acteurs ayant participé aux accords tendus et parfois passionnels entre la Délégation du FLN d'avant-l'Indépendance et le gouvernement français du général De Gaulle, concernant l'indépendance et la souveraineté du Sahara, dont la France a manifesté le désir de garder, moyennant une autonomie pour tout le nord du pays, était quasiment inacceptable pour la partie algérienne.
Les visées de la puissance coloniale pour ce territoire avaient un tout autre objectif. Il devait servir de champ expérimental de l'arme nucléaire au titre duquel elle installa une base secrète à Reggane dès l'année 1958. Il ne lui restait que les moyens juridiques pour qu'il soit opérationnel.
Les anciens soldats qui se sont succédé, pour apporter leur témoignage vivant de cette tragédie, racontent comment le gouvernement français d'alors les envoya sans aucune expérience, avec moins de sécurité, faire exploser ces engins de la honte. Ils racontaient ces heures d'inquiétude et d'angoisse qu'ils éprouvaient à chaque explosion, se sentant parfois trahis par les déclarations de leurs supérieurs qui n'avaient aucun rapport avec la réalité du terrain.
La France voulait sa bombe, quitte à sacrifier au demeurant des vies humaines. Après moult tractations, un deal a été conclu entre les deux parties, autorisant pour une durée de six années l'implantation du Centre saharien d'expérimentations militaires (CSEM) situé à Reggane. C'est ainsi que le 13 février 1960 à 7h04...
Alors que la guerre faisait rage au Nord, le Sud venait de connaître sa première tragédie avec l'explosion de «Gerboise bleue», nom de code donné à la bombe atomique dont l'explosion ébranla toute la région tel un fort séisme. Les témoignages bouleversants des Regganis, victimes pour la plupart d'entre eux des retombées radioactives, notent l'ampleur et la puissance de cette bombe de 70kt, près de quatre fois celle larguée sur Hiroshima.
Pour Benchiha, «les sites de Reggane et de In Iker sont toujours jonchés de plutonium qu'il est malheureusement impossible de décontaminer sans mettre les moyens adéquats». Il ajoute: «Il faut attendre environ 240 mille ans pour que les régions touchées par les radiations nucléaires soient nettoyées.»
Le général De Gaulle avait une nette obsession et une ambition affichée de posséder l'arme nucléaire pour pénétrer le gotha des pays nucléarisés. Ainsi, devant le Parlement français il annonça sèchement son intention: «Quand nous serons une puissance atomique, ce qui ne tardera guère, nous aurons d'autant plus de moyens, c'est-à-dire la sécurité mondiale et aussi le désarmement.»
Cet essai ne sera pas le dernier puisqu'ils s'ensuivirent d'autres plus ou moins plus importantes qui durèrent jusqu'à 1966, soit dix-sept essais en tout, qui firent de ces régions des lieux maudits et provoquèrent une catastrophe écologique majeure. Après l'Algérie, la France alla polluer d'autres régions du monde. Les intervenants, au débat, ont pour la plupart axé leurs questions sur les risques encourus par tous ceux qui osent s'aventurer dans ces espaces irradiés.
Pour Benchiha: «Moi personnellement, quand je vais sur ses sites, je suis toujours accompagné par des spécialistes et des experts pour plus de précautions et il faut impérativement être doté de matériels de détection qui mesurent le degré d'irradiation des sites contaminés.» Ce qu'il faut préciser c'est que les habitants de ces régions ignorent les risques de radiation en se servant des fils électriques en cuivre qu'ils ramassent sur les sites irradiés et qui, une fois transformés, serviront éventuellement de matériaux à usage domestique, ainsi que la récupération des tôles et autres objets de ferraille, soit pour les clôtures ou pour consolider les toitures de leurs maisons, sont un danger permanent pour tous ceux qui sont en contact avec ces matériaux, dixit... Benchiha.
A une question quant à l'existence d'une réelle volonté politique pour la décontamination des sites touchés par ces radiations, il répond: «Il n'existe malheureusement aucune volonté politique de décontamination. Plusieurs associations écologiques nationales et étrangères se mobilisent pour contraindre les gouvernements algériens et français à assumer leur responsabilité et offrir les moyens matériels et juridiques pour cet état de fait», a souligné avec dépit le réalisateur.
Ce documentaire, qui fait partie d'une saga de trois séries, nous interpelle afin de tout mettre en oeuvre pour relever ce grand défi: que les générations futures n'aient pas à subir les erreurs de leurs aînés.
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Par A. BOUAROUA
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Ce qui m'intéresse, c'est d'être un homme.
Albert Camus in La Peste
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