L’écrivain-journaliste Hamid Grine a été l’invité du CCF d’Oran pour présenter son roman un Parfum d’absinthe. À cette occasion, il a donné une conférence sur son ouvrage devant un parterre d’invités avisés.
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Le roman raconte l’histoire d’un Algérien, professeur de français (ainsi que son épouse), qui, à la mort de son père, son oncle lui fait savoir que son père biologique n’est autre que l’intellectuel Albert Camus. Avec ses yeux verts-gris, le doute s’était installé. Du coup, il est déchiré entre deux univers : “batard” (enfant illégitime) ou fils d’un grand écrivain, lui qui fantasme sur les grands de la littérature française. Sans complexe, il tente de chercher la vérité bien qu’il soit convaincu qu’il s’agit d’un mensonge car son père dont il porte le nom, est très riche, et une affaire d’héritage fomentée par son oncle est très probable. De toute façon, la richesse de son défunt père est pointée du doigt. Son père adoptif a certainement collaboré avec le colonisateur français pour pouvoir amasser autant d’argent… Alors, il se lance à la recherche de son père biologique présumé. En fait, à travers Albert Camus, Hamid Grine pose la question suivante : “Quelle a été la position des écrivains algériens : Mouloud Feraoun, Mammeri, Dib, Amrouche, Kateb Yacine… sur l’indépendance ? Certes, tout le monde affirme que l’indépendance du pays était leur position finale, mais personne n’a donné plus de détails sur le sujet et les écrits sont rares. Quant à Albert Camus, humaniste et pacifiste certes, lui, était un écrivain français d’Algérie, et ne prônait pas l’indépendance du pays mais le fédéralisme avec l’Hexagone. Cette problématique a permis à Hamid Grine de ficeler son roman. Le débat qui suivit la conférence fut vif et pointu. L’enfant de Biskra fut surpris par les interventions des présents où certains ont soulevé le complexe d’Oedipe chez l’auteur, qui n’est pas totalement faux car il est plus proche des femmes (dont sa mère) dans ses écrits. D’autre part, la pertinence de l’auteur sur la désurbanisation (architecturale) de nos villes l’interpelle constamment. Biskra, Alger ou Oran… Autant d’exemples pour illustrer son constat amer. Le Parfum d’absinthe (une plante médicinale qui pousse dans les ruines) est une image forte qui pousse le paradoxe à son comble. À noter que le conférencier a brossé un tableau exhaustif sur la période difficile de six années vécues au Maroc durant la décennie noire. Une étape qui a marqué son esprit et sa lucidité.
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Parfum d’absinthe, c’est l’histoire d’un homme de 50 ans qui, à la suite du décès de son père, apprend, par la bouche de son oncle, et alors que le cadavre paternel est encore chaud, «que son véritable père est en fait un autre»… un voisin de Belcourt ! Illusion faite, bien entendu, à Albert Camus. Son père serait-il donc cet écrivain, mondialement connu, qui a écrit La Peste et L’Etranger ?
Cette nouvelle, pour être abracadabrantesque, était à la fois bonne et mauvaise : bonne, car le voilà, du jour au lendemain, le fils d’un écrivain de renommée internationale ; mais mauvaise aussi, car quelque part, cet Algérien de cinq ans, pour parler crûment, se retrouve être le «bâtard» de Camus !
Le titre, quant à lui, est un clin d’œil aux Noces de Camus, où l’une des nouvelles se passe à Tipasa, cette ville dont le parfum d’absinthe domine ses ruines. A ce propos, Hamid Grine nous a fait comprendre que son éditeur l’avait dissuadé de mettre dans le titre le nom de Camus et ce, d’autant plus que son livre précédent comportait le nom de Gide.
Après la conférence, un débat a été engagé avec le public, débat axé en grande partie sur Albert Camus. Sans tambour ni trompette, Hamid Grine en a surpris plus d’un en prenant la défense de cet écrivain, et cela contre son antagoniste de toujours, Jean-Paul Sartre. «Sartre est un bourgeois, a-t-il tonné. Camus, lui, ne l’était pas. Dans sa jeunesse, Camus était pauvre, tuberculeux ; il a véritablement connu la misère, contrairement à Sartre !»
Faisant allusion à leurs positions respectives concernant la guerre d’Algérie, Hamid Grine dira : «Sartre n’avait pas de lien viscéral avec l’Algérie, il pouvait parler avec raison !... Camus, lui, parlait avec passion, avec cœur !
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Akram El Kébir
À Lire :
https://cahiers.crasc.dz/pdfs/n_28_bendjelid_grine_hamid_lun_parfum_dabsinthe.pdf
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