Je ne pourrai pas vivre en dehors d'Alger. Jamais. Je voyagerai car je veux connaître le monde mais, j'en ai la conviction, ailleurs, je serais toujours en exil". Cette phrase qu'Albert Camus a écrite à son ami Claude de Fréminville en octobre 1932 pourrait résumer à elle seule le lien indéfectible qui unit l'auteur de "l'Etranger" à sa terre natale. Camus est mort en 1960. Deux ans plus tard, l'Algérie déclarait son indépendance. On ne saura jamais qu'elle aurait été sa réaction à cette issue, mais tous les Algériens s'accordent à dire que Camus a chanté l'Algérie comme personne ne l'a jamais fait.
Tout au long de son œuvre, la terre, la mer et le ciel algériens sont décrits avec lyrisme et nostalgie. Mais un décor méditerranéen, aussi chaleureux soit-il, ne peut s’affranchir à ce moment-là du fait colonial et de la guerre d’Algérie. Et malgré la lucidité de Camus sur le sort du peuple "indigène", il ne se fera pas à l'idée que l’Algérie retrouve son indépendance. "Il savait ce qu’il avait à perdre si l’Algérie venait à recouvrer son ‘algériannité’. Il s’accrochait à cette Algérie comme un naufragé à son épave. Il n’avait qu’un seul rivage: que ce pays reste ce qu’il a toujours été pour lui", considère l’écrivain algérien Yasmina Khadra. Ni totalement Français, ni totalement Algérien, Camus était entre les deux, impossible à situer, ni même à définir, suscitant méfiance et admiration à la fois. D'un coté, le respect pour son œuvre et sa fidélité à l'Algérie. De l'autre, une réserve critique à cause de sa discrétion sur la politique française en Algérie. La position de Camus sur le devenir de son pays était pourtant attendue à double titre: d’abord en tant qu’intellectuel, ensuite en tant que Français d’Algérie.
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Dans un climat de passions exacerbées, il sera peu écouté et mal compris. Rejeté dans un premier temps par les intellectuels algériens de l’époque, à l'instar de Kateb Yacine "flamme bourdonnante et presque dévastatrice", comme le décrit Yasmina Khadra, il sera finalement réintégré par la nouvelle génération issue des années noires du terrorisme, de Maïssa Bey à Boualem Sansal. Même s'il n'a pas rallié l'idée d'une nation algérienne, il s'est engagé en faveur de la justice et s'est insurgé contre le fait colonial, mais aussi contre les moyens qu’utilisait le FLN dans sa lutte pour l’indépendance.
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Du "Manifeste des intellectuels algériens en faveur du projet Violette", en 1937, qui prévoit une démocratisation de l'Algérie fondée sur l'idée d'assimilation, à l'appel à la trêve civile en 1956 pour un "vivre ensemble" qu'il publie dans l'Express, Camus s'est accroché à une solution difficile à tenir à mesure que la révolte grondait et que la guerre d'Algérie s'engageait. Un pacifisme qu'on lui a reproché, tant du côté algérien que du côté français.
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Son déchirement et son obstination ne seront pas compris. Répondant à un étudiant algérien en 1957 sur son manque d'engagement aux côtés du FLN, comme l'a été Sartre, Camus répond : "Je partage votre malheur […] J'ai toujours condamné la terreur, je dois condamner aussi un terrorisme qui frappe aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice". Une phrase mal comprise qui lui fera prendre la décision en 1958 d’arrêter de s’exprimer publiquement, laissant son point de vue dans "Chroniques algériennes" où il rassemble tous ces articles sur le sujet.
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À l’inverse de ses écrits littéraires dans lesquels il écrivait "une Algérie fantasmée", comme l’affirme Yasmina Khadra, ses écrits journalistiques sont clairs et sans concessions. Dès 1939, alors que peu se souciaient du sort de la population colonisée, Camus décrit dans une série d'articles de l'Alger Républicain intitulé "Misère de la Kabylie", la misère économique de cette population principalement des montagnes et dénonce "le mépris général où le colon tient le malheureux peuple de ce pays". Non seulement il dénonce l’exploitation coloniale, mais il propose des solutions et condamne la répression contre les pionniers de l'anticolonialisme, comme Messali Hadj. Plus tard, ce sont les événements de Sétif en 1945 et la torture de l’armée française que le journaliste de Combat dénonce.
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Aujourd'hui nombre d'Algériens, le pouvoir politique en premier, gardent rancœur et mépris. D'autres revendiquent une filiation, un patrimoine qu'ils s'approprient, admirant son écriture d’enfant du pays. Mais au-delà de la littérature, la politique, liée à la période coloniale, n'est jamais très loin, et avec cela le reproche incessant fait à Camus sur l'absence des Arabes dans ses romans. Aujourd’hui, il ne laisse pas indifférents ni l’Algérie, ni les Algériens. Tantôt haï, tantôt aimé, Camus ravive les douleurs, mais le plus souvent rappelle une Algérie chérie
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