Déséquilibre régional, persistance de l'exode rural et affectation arbitraire des projets
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Les procès-verbaux des dernières sessions ordinaires de l'APW de Tipaza n'ont pas été signés par les élus. Cette entorse à la législation, qui n'a pas empêché l'Administration d'entériner les délibérations, n'est pas la seule tare de l'institution. Selon les élus, de nombreux dysfonctionnements caractérisent leur Assemblée.
A Tipaza, les déséquilibres sont flagrants entre les régions de l'ouest, sous-équipées, et les régions situées à l'est du chef-lieu qui accaparent l'essentiel des projets de développement. Elus de la daïra de Cherchell, Ouahid Bellizim et M'hamed Ibbedouzène n'ont eu de cesse de dénoncer cette situation à l'origine du dépeuplement des zones montagneuses du Chenoua-Zaccar-Dahra et de la forte pression démographique sur l'axe Tipaza-Douaouda.
«Tant qu'on n'aura pas compris cette situation, il est impossible de régler les problèmes dont souffrent les villes de l'est de la wilaya», admet Ibbedouzène, qui explique que son rôle d'élu au sein de l'APW est de proposer, entre autres, des solutions au phénomène inquiétant de l'exode rural. Mais, dit-il, le dévoiement de l'APW est tel qu'il est impossible d'entreprendre des actions sérieuses dans ce sens.
Les programmes inscrits au titre du plan quinquennal de développement de la wilaya pour 2010-2014 n'ont même pas été discutés.
«Même le président de l'APW a refusé d'ouvrir le débat sur la question», précise M. Ibbedouzène, qui admet que «si l'on ne peut s'opposer aux grandes orientations du pouvoir central, qui a une vision globale du développement, nous sommes quand même en droit de donner notre avis sur la manière de réaliser ces programmes à l'échelon local car, en tant que représentants de la région, nous sommes tenus de réagir à certaines incohérences».
Notre interlocuteur révèle que l'essentiel du budget est affecté au secteur des services alors qu'aucun sou n'est déboursé pour l'investissement. «Devant cette situation, nous sommes en droit de demander des explications, parce que là, si on ne tient pas compte de nos remarques, le déséquilibre entre les différentes régions de la wilaya ne fera que s'aggraver.»
25 communes exclues du développement
Selon nos deux interlocuteurs, les 90% des projets sont injectés à Koléa, Bou Ismaïl et Tipaza, au détriment des 25 autres communes de la wilaya qui doivent «se contenter des miettes». Cette répartition inégale des projets de développement local s'inscrit en porte-à-faux avec la politique nationale d'équilibre régional et d'occupation rationnelle de l'espace.
Elle va à l'encontre du schéma national d'aménagement du territoire qui entend faire bénéficier l'ensemble des populations des bienfaits du progrès, dans le cadre d'un développement régional harmonieux. Pour les deux élus, c'est la seule et unique façon d'encourager les populations à se maintenir sur place.
«Si les citoyens de ces zones rurales ne disposent pas de l'école, de l'eau courante, de l'électricité, du transport et des structures de santé, comment pouvez-vous les convaincre de rester sur leurs terres ?», s'exclame M. Bellizim, qui précise que la sécurité est un facteur important du développement. Par sécurité, il entend non seulement la présence des services de police et de gendarmerie mais, également, d'un ensemble de commodités pour rendre la vie moins pénible aux habitants.
Cela va de l'eau potable aux relais de télécommunications en passant par les infrastructures de loisirs. D'où sa conviction que «la politique de repeuplement des zones montagneuses désertées par leurs populations n'a pas de sens si elle ne prend pas en compte l'ensemble de ces facteurs». Ces facteurs ne sont pas réunis, selon nos interlocuteurs qui considèrent que «le problème de fond de Tipaza réside dans la répartition inégale du développement entre l'est et l'ouest de la wilaya».
Est-ce à cause du fait que les 5 vice-présidents de l'APW soient originaires de Koléa et de Fouka ? «Probable puisqu'en dépit du bon sens, on continue à privilégier trois communes au détriment du reste des communes de la wilaya». Les deux seuls projets dits d'envergure implantés à l'ouest de Tipaza sont la centrale électrique de Hadjret Ennous qui va employer à peine une cinquantaine de personnes une fois achevée, et le port de pêche de Gouraya «qui va profiter à des gens venant d'ailleurs».
Les populations de cette dernière localité sont en fait des paysans qui n'ont aucun rapport avec les métiers de la mer. Les bateaux appartiennent à des armateurs qui vivent ailleurs. Les équipages sont formés de marins étrangers à la région. A ces réalisations, on peut ajouter le barrage de Boukerdane, près de Damous, qui, dans la stratégie nationale de gestion des ressources hydriques, est plutôt destiné à alimenter Aïn Defla et Chlef. Entre autres griefs retenus contre
l'Administration, l'installation d'un pôle universitaire à Koléa et non à Cherchell qui compte pourtant plus de 60 000 habitants. «Pourquoi parvient-on à trouver facilement des assiettes foncières près de la capitale et pas dans les régions presque vides ?», s'interrogent les deux élus, qui trouvent injuste que les enfants de Cherchell continuent à se déplacer sur de longues distances pour leurs études supérieures.
La loi bafouée par l'Administration
Les élus disent avoir tenté de remédier à ces incohérences, mais avouent que «personne» ne les a écoutés. Les textes sont pourtant clairs, estiment-ils, en indiquant que l'article 63 du code de la wilaya ne souffre aucune ambiguïté. «Selon les potentialités, les vocations et les spécificités propres à chaque wilaya, l'Assemblée populaire de wilaya entreprend toute action de nature à assurer son développement», stipule
l'article en question mais, affirment nos interlocuteurs, la majorité des élus de l'APW de Tipaza ne sont pas dans cet esprit. «Beaucoup ont l'impression que l'APW ne peut rien faire mais, en fait, elle peut tout faire grâce à une simple délibération. Mais qui va prendre cette initiative, qui va proposer, qui va délibérer si une majorité des membres de l'APW se met d'emblée du côté du wali et de l'Administration ?», s'indignent-ils. Les deux élus considèrent que «le fond du problème tient moins à l'obédience politique des membres de l'APW qu'à leur efficacité, leur courage politique et leurs convictions personnelles».
De l'avis de M. Bellizim, qu'il y ait centralisme ou pas, «un élu doit obligatoirement exercer ses prérogatives». A Tipaza, c'est tout l'inverse qui se produit. «C'est le wali qui décide et nous supposons que c'est le cas dans de nombreuses autres wilayas», disent-ils en donnant comme exemple concret le dispatching des subventions aux associations.
«Chez nous, à Tipaza, nous n'avons aucun droit de regard sur la répartition de cette subvention, tout comme c'est devenu une simple formalité de faire passer le budget par l'APW : on nous demande de l'adopter sans le discuter». Face à ce qu'ils appellent le «mépris affiché à une institution de l'Etat par une autre institution de l'Etat», nos interlocuteurs rappellent qu'ils ont décidé, en accord avec la direction de leur parti, le RCD en l'occurrence, de se retirer des commissions «à cause de ces pratiques contraires à l'esprit de la loi».
Le lit de la corruption ?
Pour les deux membres de l'APW, le fonctionnement des APW est intimement lié à leur composante humaine. «En réalité, c'est la représentation politique qu'il faut mettre en cause car, lorsqu'on n'a pas de véritables représentants, on ne peut parler de fonctionnement correct des institutions», indiquent-ils, ajoutant qu'un élu à l'APW doit «en principe» détenir un minimum de bagages et de convictions :
«C'est se moquer de la population que de donner à un illettré le pouvoir de discuter un plan de développement de wilaya ou de critiquer des budgets très complexes.» Aux yeux des deux élus, il y a beaucoup de choses à revoir pour rendre efficiente l'action des institutions élues. Mais, selon M. Ibbedouzène, «il y a plutôt une incitation indirecte de faire de l'élu un bandit car quand on accorde à un président d'APC une indemnité mensuelle de 17 000 DA, alors que ses responsabilités sont énormes ?
Comment peut-il affronter les problèmes socioéconomiques de ses concitoyens ? Pourquoi va-t-il accepter ce poste s'il n'a pas une autre façon de faire pour trouver son compte ?», s'interrogent nos interlocuteurs, ajoutant que «c'est la même chose au niveau des APW». Pour eux, si l'élu n'est pas motivé pour exercer son mandat,
«ce ne sera pas les 2500 DA d'indemnités qui vont le pousser à se sacrifier pour ses électeurs». «Même si on est engagé politiquement, on ne peut assumer pleinement nos missions dans ces conditions», affirment-ils. Etre membre de l'APW, poursuivent-ils, signifie pour la majorité des citoyens être à l'aise financièrement.
«Or, ce n'est pas vrai dans la majorité des cas», se défend M. Ibbedouzène, qui estime nécessaire de réviser certaines choses. «Cela veut dire, en définitive, que nous ne voulons que l'élu exerce ses droits politiques comme il se doit. On ne veut pas qu'il vive à l'aise pour qu'il puisse prendre en charge les problèmes de ses électeurs. En un mot, on le pousse à l'erreur et la compromission.»
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A. L
http://www.letempsdz.com/content/view/42265/1/
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Des APW sous la botte de l'Administration
La loi leur confère pourtant de larges prérogatives
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A quoi sert l'Assemblée populaire de wilaya ? La réponse est évidente si l'on se réfère au contenu de la loi 90-08 du 7 avril 1990 portant code de la wilaya. Ce texte accorde à cette institution décentralisée de l'Etat de larges compétences dont les plus importantes sont la mise en œuvre des actions de développement économique, social et culturel de leurs régions. Dans la réalité, les choses se passent autrement.
En vertu de l'article 58 du code de la wilaya, les Assemblées populaires de wilaya ont pour mission de planifier l'aménagement de leurs territoires et de promouvoir, selon leurs spécificités, les secteurs d'activité qu'ils jugent prioritaires. Dans le même temps, elles s'investissent dans la résolution des problèmes économiques, sociaux, éducatifs et culturels des populations qu'elles sont censées représenter.
La loi accorde à l'APW un rôle majeur dans la lutte contre le sous-développement et ses incohérences. Selon les articles 62 et 63, il échoit à l'Assemblée, non seulement de définir le plan d'aménagement de la wilaya et contrôler son application, mais, également, de prendre toutes les initiatives susceptibles de favoriser son «développement harmonieux et équilibré».
Dans ce cadre, l'APW initie des actions de promotion de l'agriculture et du monde rural, de réalisation d'équipements hydrauliques, de construction d'établissements sanitaires, scolaires, culturels, sportifs, de loisirs et de formation. En collaboration avec les collectivités locales, elle engage des actions sociales en direction des zones défavorisées et met en œuvre des opérations permanentes en vue d'assurer la salubrité et l'hygiène publique.
Elle apporte son soutien aux communes pour la mise en œuvre des programmes d'habitat et d'opérations de rénovation du parc immobilier.
Au plan socioculturel, l'APW soutient et participe aux programmes d'activités sportives, culturelles et de jeunesse. A ce titre, c'est à elle que revient l'initiative de proposer la réalisation des infrastructures dédiées à la jeunesse et à la promotion de la culture.
Enfin, elle peut arrêter toute mesure de nature à favoriser l'exploitation de son potentiel touristique et à encourager tout investissement.
Les «bons» et les «mauvais» walis
Dans la pratique, ces prérogatives ne sont pas correctement assumées par les APW. Dans la majorité des cas, elles se contentent d'entériner les décisions des walis, même si ces dernières sont parfois contradictoires avec la perception qu'ont les élus du développement de leur wilaya.
Certains membres d'APW estiment qu'en leur qualité de «représentants élus» par la population et en tant que «citoyens de la wilaya», ils sont les plus aptes à définir les priorités en matière de développement. Ces élus «contestataires», minoritaires du reste, qui ne font en réalité qu'exercer leurs prérogatives, ne sont pas les bienvenus dans les réunions périodiques de l'APW.
Beaucoup se font étiqueter d'«opposants» (au wali et par extension à l'Etat), d'autres de «mouchaouichine» (perturbateurs), alors que leur souci premier est de mettre en évidence les graves problèmes dont souffrent leurs électeurs.
Nonobstant leur appartenance politique, à quel rôle doivent s'astreindre les élus ? «Faire de la figuration en levant la main pour entériner des décisions ou se considérer comme une force de proposition et, le cas échéant, défendre leur point de vue, leurs idées et leurs convictions», nous indiquent des membres de l'APW de Tizi Ouzou affiliés au RCD.
Si des APW ont su tirer profit des textes régissant le fonctionnement de la wilaya, d'autres, très nombreuses, subissent toujours le «diktat» des walis. Les comptes rendus de presse sur les sessions ordinaires des APW démontrent, on ne peut mieux, cette inversion des rôles : ce n'est plus le wali qui exécute les délibérations de l'Assemblée populaire comme le stipulent clairement les textes, mais c'est cette dernière qui approuve ses décisions.
En d'autres termes, c'est le wali qui imprime le rythme qu'il veut aux actions de développement local. Cette réalité est relayée par la vox populi qui croit dur comme fer que la situation prévalant dans chaque wilaya dépend intimement de la valeur intrinsèque de son wali.
Ainsi, il y aurait de «bons» et de «mauvais» walis ; les premiers sont ceux ayant su «travailler» leur wilaya, les seconds sont ceux ayant échoué là où ils sont passés. On n'entendra jamais parler de «bons» ou de «mauvais» élus, les citoyens considérant leur rôle négligeable dans la conduite du développement.
Les rôles mal perçus ?
Cette incohérence se vérifie auprès des élus eux-mêmes. Des membres des APW de Tipaza, de Tamanrasset et de Skikda nous ont confirmé que le vote du budget ne donne lieu à aucun débat de fond.
«C'est tout juste si on nous demande de lever la main pour approuver les affectations sectorielles», raconte un élu de l'APW de Skikda qui précise que «l'orientation des investissements, à travers l'affectation des budgets, ne répond pas aux attentes de la population de Skikda».
Malgré les critiques des membres de l'Assemblée, précise un élu de Tipaza, «on continue à privilégier les régions à l'est de la wilaya et à ignorer le reste des régions où la misère ne fait que s'étendre».
La plupart des élus que nous avons réussi à contacter sont unanimes à reconnaître que le rôle de l'APW dépend des hommes qui la composent.
«Si l'Assemblée est forte et soudée, alors elle peut s'imposer», explique un élu de Tamanrasset. Pour des élus de Tipaza, «c'est une question de conviction politique». Selon eux, «si l'élu ne parle pas, s'il ne défend pas son point de vue et s'il ne soulève pas les problèmes de ses concitoyens, pourquoi siège-t-il à l'APW ?».
Journaliste et ancien membre d'APW, C. L. considère que «le problème des APW et, d'une manière générale, celui de toutes les Assemblées élues, réside dans leurs capacités à appréhender les enjeux du développement». Or, affirme-t-il, «la majorité des élus ne savent ni lire ni écrire…».
Pour B. M'hamed, administrateur à la wilaya de Chlef, «les préoccupations des élus sont légitimes, chacun essaye de défendre la région qui l'a élu. Or, il est des questions importantes qui leur échappent, qui font que l'Administration impose souvent ses choix en matière de priorités».
Pour ce responsable, «on ne peut privilégier les habitants d'un quartier au détriment des populations de plusieurs régions déshéritées de la wilaya ; la loi du nombre compte certes mais il y a aussi une justice sociale et un équilibre régional à assurer».
Est-ce à dire que l'Administration est infaillible et qu'elle peut passer outre l'avis des élus, au prétexte qu'ils ne sont pas imprégnés des réalités de leurs régions ? Pourquoi alors les partis osent-ils présenter des candidats sans niveau intellectuel et sans compétences particulières ? Pourquoi les walis passent-ils outre les prérogatives des Assemblées ?
Le débat sur les Assemblées élues n'a jamais été clos en réalité.
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