« Défendre Albert Camus, c'est défendre une conception selon laquelle une voie existe, étrangère aux soumissions et aux compromissions. Un chemin sur lequel on s'engage les mains propres…N'en déplaise à certains.
Défendre Albert Camus, c'est défendre un humanisme solaire, lucide et révolutionnaire. »
C'est par ces mots que se conclut la préface de l'étude « Albert Camus et les libertaires » édité en 1984 (Volonté Anarchiste n°26)
A cette époque, la querelle entre les pro Sartre et les pro Camus est encore vive. On sait qu'elle a commencé à la publication de L'Homme révolté. Le premier à tirer a été André Breton. On le surnommait le « pape » du surréalisme, sans doute en raison de sa propension à excommunier tous ceux qui ne pensaient pas comme lui. Dali, Léo Ferré et tant d'autres en ont fait les frais. Aujourd'hui, à une époque où la culture générale n'importe plus, n'intéresse plus, on a du mal à comprendre comment on a pu en arriver là.
Nous sommes dans les années d'après guerre, juste après la lutte périlleuse contre le nazisme. Un totalitarisme –le pire jamais connu –a été abattu et les plaies ne sont pas encore cicatrisées. Le capitalisme étant tenu pour responsable de l'émergence du nazisme et du fascisme, il fallait donc le détruire pour prévenir tout retour de « la bête immonde ». Le soutien à l'Urss se devait d'être automatique et ne tolérait aucune déviance, aucune nuance, aucune interrogation. L'Homme révolté propose d'abord des interrogations et surtout ne préconise aucune solution toute faite, encore moins le communisme perverti par Staline.
Dans les années 1960, après la mort de Camus, la polémique s'est poursuivie. Sartre était sur tous les fronts et, faute de combattant semblait vainqueur. C'était le temps où l'on disait qu'il « valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ». Pourtant la fascination pour la démarche généreuse de Camus ne s'éteignait pas. Alors, il a fallu le discréditer complètement en affirmant qu'il était « un philosophe pour les classes terminales », selon le titre d'un ouvrage pas aussi célèbre que l'œuvre de Camus, d'ailleurs. Ainsi, ceux qui avaient l'ambition de représenter la jeunesse, de parler en son nom, de la guider dans ses choix, affichaient-ils leur mépris pour cette même jeunesse.
On peut sourire en pensant qu'une telle querelle a pu durer une quarantaine d'années. Outre le contexte historique, s'ajoute la tendance au dualisme : il faut appartenir à un clan ! Justement, c'est tout le contraire de la démarche de Camus. Aujourd'hui, ce genre de polémique parait bien désuet à l'aune de la pensée unique. La volonté de tenir la jeunesse dans l'ignorance des grands textes les précipite dans les violences des stades et les votes à la Star Académie.
Quand on décide de ne plus choisir dans quelle société vivre, il n'y a plus de place pour les polémiques entre intellectuels.
Pourtant, la popularité d'Albert Camus ne s'est jamais démentie. Sans être spectaculaire, elle est régulière et les livres de l'auteur algérien attirent toujours une jeunesse qui y trouve un écho à ses préoccupations. Les jeunes ne le restent pas et, adultes, conservent l'imprégnation des réflexions de Camus. C'est sans doute ce qui explique l'incroyable commémoration de la mort de l'homme révolté. Incroyable quand on sait à quel point les milieux universitaires demeurent rétifs à l'auteur banni par la bien pensance des années d'après guerre. Il est trop facile aujourd'hui d'affirmer qu'il a eu raison avant les autres. Son époque, tout comme la nôtre, vivait sous l'emprise de schémas idéologiques forts auxquels il convenait d'adhérer pour exister.
Rebelle par nature, comme le sont tous ceux qui ont vécu l'enfance et l'adolescence dans la contrainte, la restriction, Albert Camus qui s'est engagé dans la Resistance ne pouvait pas appartenir à un clan. Dès lors, sa pensée n'étant pas soumise aux schémas, fussent ils contestataires, se trouvait affranchie des lignes de conduite et des réponses fournies. Il suffisait de ne pas regarder aux mêmes endroits, de ne pas regarder avec les lunettes fournies pour avoir un autre angle de vision et observer la réalité. C'est ce qu'il avait déjà fait lorsqu'il décrit la misère en Kabylie à une époque où l'on se targuait d'apporter la civilisation dans ces lointaines contrées. La réalité était tout autre et Camus osait le dire. Par son insoumission, il montre que l'on a toujours raison de refuser l'ordre établi quand bien même revêt-il la panoplie de la révolution. Il montre aussi la patience qu'il faut pour supporter d'entendre ses propos travestis pour exciter quelques esprits faibles et le temps qu'il faut pour être reconnu, pour simplement avoir le droit de penser autrement.
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